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L'ena, Bientôt La Fin?


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http://www.lexpansion.com/art/6.0.79975.1.html

L'école de l'élite française subit un affront sans précédent : les plus brillants étudiants lui tournent le dos au moment où elle doit s'exiler à Strasbourg.

D'un côté, on a le bulldozer du très médiatique Richard Descoings, qui mène sa réforme tambour battant à la direction de Sciences Po, empiétant sans vergogne sur les plates-bandes de l'ENA. De l'autre, on a la « délocalisation » forcée de cette institution si parisienne à Strasbourg, une « provincialisation » vécue souvent comme une humiliation, un exil définitif qui l'éloigne des centres de décision de la capitale, auxquels se destinent pourtant ses élèves. Et puis il y a ces critiques aussi virulentes que récurrentes d'une frange de la classe politique et du monde de l'entreprise, accusant l'Ecole nationale d'administration d'être à l'origine de tous les maux de la société française. Cette prestigieuse école, unique en son genre, créée en 1945 par le général de Gaulle pour former une force mobile de techniciens généralistes faisant le lien entre l'administration et le pouvoir politique, pourrait avoir du mal à passer sans encombre le cap de la soixantaine.

Ironie de l'histoire, le coup le plus rude est venu de Sciences Po. Les instituts d'études politiques ont pourtant été créés par la même ordonnance que l'ENA, au lendemain de la guerre, conçus à l'origine comme les antichambres de cette école d'application de la haute fonction publique. Mais, aujourd'hui, 80 % des diplômés de Sciences Po vont en entreprise, une quarantaine d'étudiants seulement - sur 6 000 - rejoignant le saint des saints de la haute administration. Richard Descoings a tiré les conséquences de ce déséquilibre en supprimant les sections, notamment la section Service public, voie royale vers l'ENA. Et il a allongé de deux ans la scolarité, passant au niveau bac + 5, marginalisant de fait le bastion de la fonction publique à la française.

Dès septembre prochain, les étudiants pourront même suivre à l'IEP de Paris les cours d'un tout nouveau Master in Public Affairs, comme si déjà l'ENA n'existait plus… Suprême pied de nez, la gourmandise immobilière de Sciences Po semble sans limites, et son directeur lorgne maintenant les locaux parisiens de l'ENA (lire également page 88). Plus qu'un symbole…

Après plus de dix ans passés à naviguer entre trois sites - deux à Paris, un à Strasbourg -, l'ENA fait ses cartons. Dans un an, la quasi-totalité des activités et les 700 élèves seront installés au coeur de la capitale alsacienne. A quatre heures de train de Paris. Une page se tourne dans la vie de l'école. Mais ce déménagement à Strasbourg aura aussi un impact immédiat sur la nature même des enseignements. En effet, le seul professeur permanent de l'ENA est celui… d'éducation physique. Par principe, les enseignants doivent exercer de hautes responsabilités administratives. Or ces intervenants - hauts fonctionnaires d'administrations centrales, grands patrons, ministres - sont majoritairement basés à Paris. En attendant le TGV, prévu en 2007, il est évident qu'ils ne se déplaceront pas à Strasbourg aussi facilement qu'ils se rendaient dans le VIIe arrondissement de Paris. Depuis 1991, une partie de la scolarité (six mois de la deuxième année) de l'ENA se déroule en Alsace… et les frais de fonctionnement ont décuplé. Les administratifs de la maison effectuent à eux seuls pas moins de 1 000 allers-retours Strasbourg-Paris par an, même si la mise en place d'un système de visioconférence a permis d'économiser 100 000 euros depuis juin 2002 sur les déplacements des enseignants et des personnels administratifs. Délocaliser coûte cher, dans tous les sens du terme.

Mais Antoine Durrleman, le directeur de l'ENA, fait officiellement contre mauvaise fortune bon coeur. « Ce qui se passe réveille notre ambition d'être un outil de la réforme de l'Etat et de l'ouverture à l'Europe, affirme cet énarque sorti de l'école en 1981. Nous courons un risque, mais nous l'assumons et voulons en profiter pour retrouver notre vocation : être un levier du changement. » Ancien conseiller d'Alain Juppé, il restera comme le directeur du déménagement, mais aussi comme celui de la réforme du cursus, une contre-offensive pour tenter d'adapter l'enseignement dispensé.

Jusqu'alors scindée en deux parties distinctes - une année de stage en préfecture et en ambassade, une année d'enseignement à l'école -, la scolarité adoptera en 2006 un autre schéma : deux années de trois semestres ponctués de stages et suivis d'une option d'approfondissement (internationale, économique et financière, juridique, sociale, territoriale). « C'est une bonne réforme, plaide Thierry Bert, chef de l'Inspection générale des finances, major de l'ENA en 1982. Et l'installation de l'école à Strasbourg n'aura pas d'impact sur le grand acquis de l'ENA, celui qui fait nos plus grands souvenirs d'élèves : les stages en préfecture et en ambassade, qui représentent la moitié de la scolarité. »

L'ENA a pourtant une autre faiblesse. Elle ne dispose toujours pas d'un corps professoral propre et de haut niveau. C'était d'ailleurs l'une des recommandations du rapport d'Yves-Thibault de Silguy, rendu public en 2003. Jean-Paul Delevoye, alors ministre de la Fonction publique, un non-énarque sans a priori sur le sujet, avait chargé l'ex-commissaire européen de l'aider à voir clair dans cette polémique franco-française.

En quatre mois, la commission Silguy avait entendu 150 personnes, sommant, dans son rapport, l'ENA de s'intégrer dans le paysage éducatif français et de s'ouvrir à la concurrence étrangère. « L'ENA n'est pas aux normes internationales, affirme encore François Rachline, professeur d'économie à Paris X et à Sciences Po, membre de la commission Silguy. Elle ne délivre pas de diplôme reconnu par l'enseignement supérieur, ce qui la handicape dans la compétition européenne et internationale de formation. L'ENA doit s'insérer très vite dans le système européen LMD (licence, maîtrise, doctorat) et accepter le jeu de la concurrence face au MBA de Public Affairs d'Harvard ou de Cambridge. Elle bénéficie pour cela d'un excellent capital. »

L'essentiel du rapport Silguy est pourtant resté lettre morte. Il n'en fallait pas plus pour que les critiques de la classe politique et des milieux économiques s'exacerbent. Trois députés libéraux virulents (Jean-Michel Fourgous, Hervé Novelli, Louis Giscard d'Estaing) l'ont baptisée « Ecole nationale des archaïsmes », des élus lui reprochent son arrogance, son incapacité à s'adapter à l'évolution d'un Etat moderne, et l'attaquent aussi sur le plan financier. Chaque année, Louis Giscard d'Estaing revient à la charge avec un amendement à la loi de finances visant à réduire sévèrement son budget, actuellement de 36,5 millions d'euros. « L'ENA a toujours eu des ennemis, constate, impassible, Arnaud Teyssier, président de l'association des anciens élèves, car elle est l'incarnation la plus visible de l'Etat, elle a toujours servi de punching-ball. »

Il semble que les temps sont durs pour l'école des élites de l'État. Saura-t-elle rebondir?

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l'ENA est très mal en point, c'est sur.

La semaine dernière, un fonctionnaire admis au concours interne a démissionné : je ne crois pas que ce soit très fréquent…

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