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Lacan, le psy venu de l'enfer


Nigel

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http://aristidebis.blogspot.fr/2016/10/le-psy-venu-de-lenfer.html

 

 Un modèle de mec plongé "dans les eaux froides du calcul égoïste"

 

 

                                                              Le psy venu de l’enfer

 
Les historiens du futur qui tenteront de rendre compte de la fraude institutionnalisée qui a pour nom « La Théorie » accorderont sûrement une place centrale à l’influence du psychanalyste français Jacques Lacan. Il est l’une des plus grosses araignées qui se tient au cœur de la toile de pensées confuses pas-complètement-pensables et d’affirmations sans preuves de portée illimitée, que les praticiens de la theorrhoea[1] ont tissé dans leur version des humanités. Une grande partie des dogmes centraux de la théorie contemporaine provient de lui : que le signifiant l’emporte sur le signifié ; que le monde des mots crée le monde des objets ; que le « Moi » est une fiction basée sur une négociation œdipienne lors de la transition du stade du miroir au stade symbolique ; et ainsi de suite. La traduction en anglais de cette biographie écrite par une de ses disciples (Elisabeth Roudinesco, Jacques Lacan. Esquisse d'une vie, histoire d'un système de pensée) est par conséquent un évènement de première importance. C’est une lecture éprouvante, mais aucun de ceux qui infligent à des étudiants une lecture lacanienne de la littérature, ou du féminisme, ou du moi, ou du développement de l’enfant, ou de la société, ou de la vie, ne devrait se voir épargner cette épreuve.
 
Lacan naquit en 1901 dans une famille aisée de la classe moyenne et fit des études de médecine. Il fut tout d’abord attiré par la neurologie mais abandonna bientôt cette discipline parce que les troubles dont souffraient les patients étaient trop « routiniers », comme l’explique sa biographe (qui sympathise manifestement avec son insensibilité). Si le récit que fait Elisabeth Roudinesco est fidèle à la réalité, sa première présentation de cas à la Société de Neurologie a dû être un fiasco : selon elle son patient était atteint de « désordres pseudo-bulbaires de la moelle épinière » - une impossibilité neurologique. (L’innocence avec laquelle Roudinesco rapporte toute sortes de bourdes médicales fait de ce livre une lecture particulièrement troublante pour un médecin). Abandonner la neurologie fut à l’évidence une sage réorientation professionnelle. Malheureusement, bien qu’il ait manqué de toutes les qualités nécessaires pour faire un médecin à moitié convenable (à savoir la gentillesse, le bon sens, l’humilité, le sens clinique et un solide savoir) Lacan n’abandonna pas complètement la médecine, seulement ses fondements scientifiques. Il choisit d’être psychanalyste, un domaine dans lequel, au lieu de poser des diagnostics, il pourrait les imposer.
 
Il jeta son dévolu sur Marguerite Pantaine, une femme tragiquement délirante qui avait tenté de tuer une actrice célèbre. Durant un an, lui et Marguerite furent, selon Roudinesco, « inséparables » (elle n’avait pas le choix, étant alors en détention). L’histoire élaborée qu’il concocta à son sujet devint la base de toute une théorie de l’âme malade et lui donna la matière de sa thèse de doctorat. Dans la grande tradition de la psychanalyse, « il n’écoutait », écrit Roudinesco, « pas d’autres vérités que celles qui confirmaient ses propres hypothèses. » Plus précisément, la vérité était ce qui confirmait ses hypothèses : dans le cas de Marguerite Pantaine, « il projeta non seulement ses propres théories sur la folie chez les femmes, mais aussi ses propres fantasmes et ses obsessions familiales ». Pour ce viol d’une âme, Lacan obtint son doctorat et sa réputation fut faite. Jusqu’à la fin de ses jours, Marguerite conserva un vif ressentiment pour la manière dont il s’était servi d’elle. Avec de bonnes raisons : les théories fumeuses de Lacan, partiellement empruntée à Salvador Dali, prolongèrent probablement son incarcération. Pour couronner le tout, il « emprunta » tous ses écrits et toutes ses photographies et refusa de lui en rendre quoique ce soit.
 
Lacan ne publia ensuite que peu de cas personnels. Au lieu de cela, il recycla certains des cas les plus célèbres de Freud, dans le but avoué de rétablir la vérité des idées freudiennes qui, selon lui, avaient été déformées par les freudiens. N’étant plus encombré par les données cliniques, il était libre de donner toute sa mesure et de proclamer ces idées générales, obscures et impossibles à vérifier – même Mélanie Klein les trouvait trop difficiles à comprendre – qui firent de lui une superstar internationale, furent sacralisées par ses disciples et sont fondamentales pour les theorrhiciens. Ses doctrines – un brouet indigeste fait d’emprunts souvent inavoués à des auteurs dont les disciplines lui étaient étrangères, exprimés dans un jargon emprunté et des néologismes opaques – étaient des taches de Rorschach dans lesquelles on pouvait voir n’importe quoi. Les idées de Lacan étaient protégées contre l’évaluation critique par son style, dans lequel, selon Roudinesco, « une dialectique entre la présence et l’absence alternait avec une logique de l’espace et du mouvement. »
 
Le soutien le plus puissant de ses doctrines, cependant, était l’aura qui l’entourait. Lacan était un bel homme élégant et, comme beaucoup de psychopathes physiquement attirants, il était capable d’inspirer un amour inconditionnel. Il en jouait à fond pour satisfaire son appétit sans limite pour l’argent, la célébrité et le sexe. Il tenait ses disciples, qui « l’adoraient comme un Dieu et traitait son enseignement comme de saintes écritures », dans une peur constante de l’excommunication ; l’absence de Lacan était une catastrophe ontologique équivalente à l’absence de Dieu. Tous ceux qui tombaient sous l’emprise du Maitre abdiquaient tout sens critique.
 
Il justifiait son terrorisme intellectuel par le fait qu’il était entouré d’ennemis qu’il devait combattre. Une sorte d’ennemis qu’il s’abstint ostensiblement de combattre, ce furent les forces d’occupation allemandes durant la seconde guerre mondiale. Bien qu’il soit demeuré en France, il arrangea ses affaires de manière à mener une existence entièrement sûre et entièrement confortable. Il estimait, selon l’un de ses admirateurs, Jean Bernier, que « les évènements que l’histoire le forçait à affronter ne devraient avoir aucun effet sur son mode de vie, comme il convient à un esprit supérieur. » En tant que médecin il avait de nombreux privilèges et en usait sans réserve. Les grandes batailles de son existence eurent donc lieu en temps de paix, tout particulièrement avec l’Association Psychanalytique Internationale (API) dont il finit par être exclu en 1963.
 
Lacan a dépeint cette rupture comme le résultat d’un conflit idéologique entre les tenants de la vieille école et les freudiens progressistes, authentiques, représentés par lui-même. En réalité le point de discorde était sa rapacité. Il avait besoin de maximiser le nombre de patients qu’il recevait afin de financer son train de vie fastueux (il mourut multimillionnaire). Il commença à raccourcir la durée de ses séances, sans raccourcir en proportion ses honoraires, jusqu’à dix petites minutes. Malheureusement, la théorie freudienne fixe la durée minimum d’une séance à 50 minutes. Lacan fut, par conséquent, avertit de manière répétée par l’API. Selon Roudinesco, il fit plusieurs conférences devant la Société Psychanalytique de Paris pour affirmer que des séances plus courtes produisaient chez les patients un sentiment bénéfique de frustration et de séparation, « transformant la relation de transfert en une dialectique » et « réactivant les désirs inconscients. » Par ailleurs il mentit à l’API sur la durée de ses séances. En dépit de cette double précaution il fut sermonné, et quitta l’association.
 
Menacé d’une perte de revenus, il créa sa propre Ecole Française de Psychanalyse, sur laquelle il avait un contrôle absolu. Ses travaux, écrit Roudinesco, « se concentraient sur le désir, la transmission, et l’amour, et tout cela finit par se focaliser sur la personne de Lacan lui-même. » Désormais il pouvait rendre ses séances aussi courtes, et aussi onéreuses, qu’il lui plaisait. Même lorsqu’elles eurent été réduites à une minute ou deux, il lui arrivait fréquemment de recevoir son tailleur, son pédicure et son barbier pendant qu’il conduisait ses cures analytiques. Dans les dernières années, le processus de raccourcissement trouva son aboutissement naturel dans la « non-séance » dans laquelle « le patient n’était autorisé ni à parler ni à se taire » Lacan « n’ayant pas de temps à perdre avec le silence. » Grâce aux non-séances il pouvait recevoir environ 80 patients par jour durant l’avant-dernière année de sa vie. Les non-séances étaient peut-être un progrès par rapport aux séances, durant lesquelles, désinhibé par la démence, il se laissait aller à son mauvais caractère, se mettait en colère contre les patients et à l’occasion les frappait ou leur tirait les cheveux.
 
Les conséquences calamiteuses de ce genre de traitement étaient entièrement prévisibles : ses patients se suicidaient avec une fréquence qui aurait inquiété un homme armé d’une confiance en soi moins robuste. Il affirmait que cela était dû à la sévérité des cas qu’il traitait mais il se pourrait que cela ait aussi eut un rapport avec la manière dont il commençait et terminait ses analyses sur un caprice, et avec le fait qu’il pouvait parfois abandonner, sans préavis, des gens qu’il avait « soigné » pendant des années. Le brillant ethnologue Lucien Sebag se tua à l’âge de trente-deux ans après que son traitement ait été brutalement interrompu – parce que Lacan voulait coucher avec la fille adolescente de Sebag. Cela ne veut pas dire que le docteur Lacan ait souvent été arrêté par des scrupules moraux si délicats. Il choisissait fréquemment ses maitresses parmi ses analystes en formation (qui de surcroit étaient vulnérables parce qu’elles avaient besoin de lui pour se voir reconnaitre le droit de s’installer comme analystes lacaniennes) et également parmi ses analysantes ordinaires. Pour sa défense, Roudinesco signale que Lacan n’a jamais eu de rapports sexuels dans sa salle de consultation. On soupçonne cependant que, étant donné la forme du divan de l’analyste, cette retenue était dictée davantage par des considérations mécaniques que morales.
 
Selon le principe credo ut intelligam, ses disciples continuèrent à le croire même lorsque, dans ses dernières années, il souffrait manifestement de démence vasculaire. Il devint obsédé par une figure mathématique particulière, appelée le nœud Borroméen, dans lequel il voyait la clef de l’inconscient, de la sexualité et de la situation ontologique de l’être humain. Ses fantaisies mathématiques, pseudo-logiques – la culmination de la science « culte du cargo » de son école - exposées durant des séminaires interminables torturaient l’esprit des membres de sa congrégation, qui souffraient atrocement de leur incapacité à leur trouver un sens. Ils se sentaient indignes du Maitre. Même ses épisodes d’aphasie, dus à des mini-AVC, furent considérés comme des « interprétations », au sens technique de transmettre « la signification latente de ce que l’analysant avait dit et fait. » Lorsque, vers la fin de sa vie, il fut devenu sourd et que ses réponses furent encore plus déconnectées de ce qu’on lui disait, cela occasionna des discussions prolongées parmi ses disciples au sujet du sens de ses mots et de ses actes. Même lorsque, la dernière année, son esprit fut devenu entièrement absent, Lacan continua d’être amené à des réunions « afin de légitimer ce qui se faisait en son nom » et « les gens influençables l’entendaient parler à travers son silence. »
 
Lorsqu’il mourut, en 1981, une guerre totale se déclencha parmi ses disciples. En une décennie 34 associations étaient apparues dont chacune affirmait être la seule représentante du véritable esprit de Jacques Lacan et la seule héritière de son héritage intellectuel. Même maintenant, 15 ans après sa mort, cet extraordinaire charlatan est toujours capable de susciter l’adoration parmi les gens vulnérables et crédules. Roudinesco, en dépit du fait qu’elle expose suffisamment d’affaires embarrassantes pour faire pendre Lacan dix fois, semble tout lui pardonner à cause de son « génie » en tant que clinicien et en tant que penseur. Elle ne remet pas davantage en cause la moindre de ses idées fondamentales, en dépit du fait que, dans son livre de 500 pages, elle ne daigne ni les exposer de manière cohérente ni offrir la moindre preuve de leur validité : elle est trop occupée avec les divisions, les schismes et les influences. Le seul fait que Lacan ait soutenu les doctrines qui sont associées à son nom est apparemment une preuve suffisante de leur vérité.
 
Son héritage extravagant se perpétue aussi dans des lieux éloignés de ceux où il fit du mal à ses patients, ses collègues, ses maitresses, ses épouses, ses enfants, ses éditeurs, ses rédacteurs, et ses adversaires – dans les départements de littérature, dont les résidents essayent encore aujourd’hui, ou prétendent essayer, de donner un sens à ses enseignements gnomiques, totalement dépourvus de fondements, et les infligent à des étudiants déboussolés. Aleister Crowley, le penseur du 20ème siècle auquel Lacan ressemble le plus, n’a pas eu autant de chance après sa mort.
 
Les lacaniens peuvent toujours arguer que le grand édifice des Ecrits n’est pas ébranlé par les révélations au sujet de sa vie : les pensées du Maitre devraient être jugées sur leur seul mérite. Cependant, en l’absence de toute base logique ou de toute preuve empirique, l’autorité de sa pensée a reposé presque exclusivement sur l’autorité de l’homme. Découvrir que Lacan était le psy venu de l’enfer n’est pas conséquent pas dépourvu de pertinence. La biographie rédigée par Roudinesco devient ainsi un ouvrage libérateur pour ces étudiants, forcés par des enseignants dépourvus de sens critique et incapables de distinguer le beurre de la margarine, à essayer de comprendre et de donner un sens à ses absurdités. Cet acte de libération est d’autant plus irrésistible qu’il est l’œuvre d’un de ses disciples et est par conséquent en partie involontaire.
 
Raymond Tallis – Times Higher Education, 31 octobre 1997

 

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Je ne sais pas si c'est du à la traduction mais la style de déglingage est plutôt agréable!

Ça me rappelle, bien que ce petit texte y soit antérieur me semble-t-il, "Le Crépuscule d'une Idole"!

Quel salaud ce Lacan, moi qui le prenais pour un grand résistant!

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Celui sur Freud a quand même l'énorme défaut de débiter une sorte de réquisitoire moral contre l'étude psychologie qui aurait pour effet de deresponsabiliser les individus... Remarque qui relève tout autant de la psychologie introspective/de comptoir et qui n'aurait de sens que pour une notion très naïve et pas viable de la responsabilité (dépendant de la croyance dans le libre arbitre par exemple).

edit : non vraiment celui sur Freud me semble confus, indécis et pas sérieux.

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