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Correspondance Flaubert - Sand


Punu

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On me l'a transféré.

FLAUBERT. A SAND

Croisset, 8 septembre 1871.

(…) Pourquoi êtes-vous si triste ? L'humanité n'offre rien de nouveau. Son irrémédiable misère m'a empli d'amertume, dès ma jeunesse. Aussi, maintenant, n'ai-je aucune désillusion. Je crois que la foule, le nombre, le troupeau sera toujours haïssable. Il n'y a d'important qu'un petit groupe d'esprit, toujours les mêmes, et qui se repassent le flambeau. Tant qu'on ne s'inclinera pas devant les Mandarins, tant que l'Académie des sciences ne sera pas la remplaçante du pape, la Politique ne sera qu'un ramassis de blagues écoeurantes.Nous pataugeons dans l'arrière-faix de la Révolution, qui a été un avortement, une chose ratée, un four « quoi qu'on dise », et cela parce qu'elle procédait du Moyen Age et du christianisme, religion anti-sociale. L'idée d'égalité (qui est toute la démocratie moderne) est une idée essentiellement chrétienne, et qui s'oppose à celle de Justice. Regardez comme la Grâce, maintenant, prédomine. Le Sentiment est tout, le droit rien ! On ne s'indigne même plus contre les assassins. - Et les gens qui ont incendié Paris sont moins punis que le calomniateur de M. Favre.

Pour que la France se relève il faut qu'elle passe de l'inspiration à la Science. - Qu'elle abandonne toute métaphysique, qu'elle entre dans la Critique, c'est-à-dire dans l'examen des choses.

Je suis persuadé que nous semblerons à la postérité extrêmement bêtes. Les mots République et Monarchie la feront rire, comme nous rions, nous autres, du réalisme et du nominalisme, car je défie qu'on me montre une différence essentielle entre ces deux termes. Une république moderne et une monarchie constitutionnelle sont identiques. - N'importe ! on se chamaille là-dessus, on crie, on se bat !

Quant au bon Peuple, l'instruction « gratuite et obligatoire » l'achèvera. - Quand tout le monde pourra lire Le Petit Journal et Le Figaro, on ne lira pas autre chose. - Puisque le bourgeois, le monsieur riche, ne lit rien de plus. - La Presse est une école d'abrutissement, parce qu'elle dispense de penser. Dites cela, vous serez brave, et si vous le persuadez vous aurez rendu un fier service.

Le premier remède serait d'en finir avec le suffrage universel, la honte de l'esprit humain. Tel qu'il est constitué, un seul élément prévaut au détriment de tous les autres : le Nombre domine l'esprit, l'instruction, la race, et même l'argent, qui vaut mieux que le Nombre.

Mais une Société Catholique (qui a toujours besoin d'un bon dieu, d'un Sauveur) n'est peut-être pas capable de se défendre ? Le parti conservateur n'a pas même l'instinct de la Brute (car la brute, au moins, sait combattre pour sa tanière et ses vivres). Il sera dévoré par les internationaux = les Jésuites de l'avenir. Mais ceux du passé, qui n'avaient non plus ni Patrie ni Justice, n'ont pas réussi. Et l'internationale sombrera, parce qu'elle est dans le Faux ; pas d'idées, rien que des convoitises !

Ah ! cher bon maître, si vous pouviez haïr ! C'est là ce qui vous a manqué : la Haine. Malgré vos grands yeux de sphinx, vous avez vu le monde à travers une couleur d'or. Elle venait du soleil de votre coeur ; mais tant de ténèbres ont surgi, que vous voilà maintenant ne reconnaissant plus les choses. Allons donc ! criez ! tonnez ! prenez votre grande lyre et pincez la corde d'airain. Des monstres s'enfuiront. Arrosez-nous avec les gouttes du sang de Thémis blessée.

Pourquoi sentez-vous « les grandes attaches rompues » ? Qu'y a-t-il de rompu ? Vos attaches sont indestructibles. Votre sympathie ne peut aller qu'à l'Eternel.

Notre ignorance de l'histoire nous fait calomnier notre temps. On a toujours été comme ça. Quelques années de calme nous ont trompés. Voilà tout. Moi aussi, je croyais à l'adoucissement des moeurs. Il faut rayer cette erreur et ne pas s'estimer plus qu'on ne s'estimait du temps de Périclès ou de Shakespeare, époques atroces, où on a fait de belles choses.

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FLAUBERT. A SAND

Croisset, 7 octobre 1871

(extrait)

(…) Dans trois ans tous les Français peuvent savoir lire. Croyez-vous que nous en serons plus avancés ? Imaginez au contraire que, dans chaque commune, il y ait un bourgeois, un seul, ayant lu Bastiat, et que ce bourgeois-là soit respecté, les choses changeraient !

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J'ai luste juste un livre de Flaubert (Un coeur simple) et j'avais trouvé ça a chier mais le bonhomme m'a tout de suite paru plus sympathique après avoir lu ça :icon_up:. Tiens, quelqu'un a lu "Le Dictionnaire des idées reçues" ?

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J'ai luste juste un livre de Flaubert (Un coeur simple) et j'avais trouvé ça a chier mais le bonhomme m'a tout de suite paru plus sympathique après avoir lu ça :icon_up:. Tiens, quelqu'un a lu "Le Dictionnaire des idées reçues" ?
oui.

C'est intéressant (et en plus c'est court à lire) Flaubert a compilé entre 1850 et 1880 en un micro dictionnaire toutes les réflexions qu'il entendait/lisait et qui l'exaspérait. C'est un florilège de tous les clichés et préjugés bourgeois de son époque.

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  • 3 weeks later...

Flaubert a le mérite, non moindre, d'avoir une belle écriture tout en ayant des phrases à faible complexité syntaxique.

Il existe des méthodes de calcul d'indice de complexité (prenant en compte le nombre de mots par phrase, la longueur des mots etc). Curieusement des linguistes ou spécialistes de la dramaturgie ont trouvé une corrélation entre le succès (ventes) d'une oeuvre et cet indice de complexité. Pour faire court : plus c'est simple, plus ça marche. Pour des raisons liées aussi aux mécanismes neuro-psychologiques mis en jeu dans la lecture, on parlera de lisibilité ou facilité de lecture.

Ainsi Flaubert fait partie des gagnants, aux côtés des San Antonio, etc. (je vais essayer de retrouver une liste plus complète). A l'autre extrême, Proust, moins facile à lire, se vend beaucoup moins bien. Comme quoi la forme…

Son Dictionnaire des idées reçues est vraiment amusant. Rien que la première entrée du dico, très célèbre, me fait toujours rire :

Architecte. Oublie toujours l'escalier.

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Flaubert a le mérite, non moindre, d'avoir une belle écriture tout en ayant des phrases à faible complexité syntaxique.

Il existe des méthodes de calcul d'indice de complexité (prenant en compte le nombre de mots par phrase, la longueur des mots etc). Curieusement des linguistes ou spécialistes de la dramaturgie ont trouvé une corrélation entre le succès (ventes) d'une oeuvre et cet indice de complexité. Pour faire court : plus c'est simple, plus ça marche. Pour des raisons liées aussi aux mécanismes neuro-psychologiques mis en jeu dans la lecture, on parlera de lisibilité ou facilité de lecture.

Ainsi Flaubert fait partie des gagnants, aux côtés des San Antonio, etc. (je vais essayer de retrouver une liste plus complète). A l'autre extrême, Proust, moins facile à lire, se vend beaucoup moins bien. Comme quoi la forme…

Son Dictionnaire des idées reçues est vraiment amusant. Rien que la première entrée du dico, très célèbre, me fait toujours rire :

Architecte. Oublie toujours l'escalier.

Je crois que la bible arrive en tête non ?

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Je crois que la bible arrive en tête non ?

Non, non. Désolé. C'est bien "Architecte" le premier terme de son dico. Il a rangé les mots dans l'ordre A, B, C, etc. Et A vient juste avant le B.

:doigt::warez::icon_up:

Sinon tu as sûrement raison. La Bible n'est pas écrite dans un style syntaxique bien compliqué. Je ne retrouve plus le bouquin (me rend compte que je l'ai prêté) pour d'autres exemples. Ceci dit, s'il y a une corrélation avec la complexité des phrases, ce n'est bien sûr pas le seul facteur de vente. Et heureusement. Pour la Bible, c'est évident…

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S'il fallait un jour choisir un écrivain français parmi tous les écrivains français, le seul choix possible serait Flaubert. Il n'a pas une belle écriture, il a un style incomparable. Sa syntaxe n'est pas à faible complexité, elle est dépourvue des boursuflures qui allaient couler la littérature de son pays au 20eme siècle. Il est méchant, il est lucide, il fut peu aimé de Sartre, bref il est génial.

Au passage, des mes cours de linguistique, j'ai plutôt retenu des critiques de ce fameux indice de complexité, indice qui illustre la tentation de tout vouloir renfermer dans un formule mathématique, ce qui est une tendance au moins aussi mortifère que de voir en l'être humain une chose irresponsable pusique entièrement déterminé par la société.

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S'il fallait un jour choisir un écrivain français parmi tous les écrivains français, le seul choix possible serait Flaubert. Il n'a pas une belle écriture, il a un style incomparable. Sa syntaxe n'est pas à faible complexité, elle est dépourvue des boursuflures qui allaient couler la littérature de son pays au 20eme siècle. Il est méchant, il est lucide, il fut peu aimé de Sartre, bref il est génial.

Absolument d'accord.

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