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Compte-rendu de quelques lectures de vacances :

  • Sous le feu, de Michel Goya : une étude de la psychologie de l'homme qui rentre dans la "zone de mort". L'auteur est un officier spécialiste de l'histoire militaire (notamment la première guerre mondiale) dont la liberté de penser et surtout d'expression est assez atypique pour un ancien de la "grande muette". A la base, il avait publié un article qui m'avait marqué dans un des cahiers de doctrine de l'armée de terre. Vous pouvez le trouvez ici. Ce livre est une version étendue de l'article. La première édition est épuisée mais il vient d'être réédité. Personnellement, c'est mon livre de management préféré, et je ne dis ça qu'à moitié pour rire. Je recommande aussi le blog de l'auteur, la Voie de l'épé.
     
  • Tragédie à l'Everest, de Jon Krakauer : le récit d'un journaliste qui a survécu à la désastreuse saison 1996 sur le sommet du monde. Je connaissais déjà un peu l'histoire après avoir vu le film inspiré par les mêmes évènements, Everest (2015). Ces gens qui veulent à tout prix rentrer dans la "zone de mort" des plus de 8000 et aller aussi haut que possible me fascinent. Si vous avez d'autres lectures dans ce genre à me recommander, je suis preneur.
     
  • Gomorra, de Roberto Saviano : une plongée macabre dans l'univers de la Camorra, ou plutôt du "système". Un ouvrage très intéressant même s'il est gâché par les préjugés gauchistes de l'auteur : pour lui, les chefs du crime organisé sont des ultra-libéraux. Vous voyez le genre.
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Le 28/06/2019 à 14:39, NoName a dit :

Je m'accroche désespérément pour lire La Servante Écarlate et seigneur faites qu'il se passe quelque chose nom de dieu, j'ai lu quasiment 20% du bouquin et il ne s'est toujours rien passé.

 

Je l'ai fini ce week-end et en effet, il ne se passe pas grand chose. Un peu plus dans les derniers chapitres. Du coup, la série TV est presque meilleure quand elle dépasse le livre et June (la narratrice) devient brusquement plus active.

 

Bon d'un point de vue purement littéraire, Margaret Atwood écrit dans un anglais très élégant. Vu que ma copine a la majorité de ses livres, j'en essayerais probablement un autre dans le futur.

 

Mais pour le moment, j'ai commencé The Armchain Economist de Steven Landsburg. Vaguement une impression de Freakonimics mais accentué davantage sur la théorie économique plutôt que le côté flashy. Pour le peu que j'ai lu, ça a l'air très intéressant.

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Synthèse remarquable qui m'incite encore plus à penser que, contrairement à ce que raconte Wikiberal, le caractère simultanée des apparitions de l'Etat-Nation, de la démocratie moderne et du libéralisme à la fin du XVIIIème siècle est certainement davantage qu'une simple coïncidence:

 

« On dit généralement que le XIXe siècle s'achève en 1914. On peut dès lors considérer la Grande Guerre comme le point d'orgue des idéologies du XIXe siècle, la victoire du grand mouvement national et libéral, dont le coup d'envoi avait été donné par la Révolution française.
Le mouvement des nationalités visait à la fondation des Etats-nations contre les empires ; le mouvement libéral, lui, à la fin des absolutismes. En 1918, la fin de la guerre mondiale consacre la fin des empires (notamment celle de l'Empire ottoman et celle de l'Empire austro-hongrois), au profit du principe des nationalités, en même temps que la défaite des Empires centraux consacre la fin définitive des "anciens régimes", avec l'installation de régimes plus ou moins démocratiques (exception faite de la Russie, nous y reviendrons).
Si l'on prend l'exemple des Etats successeurs de l'Empire austro-hongrois, on voit que le principe des nationalités a triomphé avec la naissance ou la renaissance de la Pologne, de la Tchécoslovaquie, de la Yougoslavie (en attendant son implosion à la fin du siècle), tandis que l'Autriche et la Hongrie sont réduites à la portion congrue.
Ces cinq Etats sont des démocraties: l'Autriche est devenue une république fédérale ; la Hongrie, après la tentative révolutionnaire de Bela Kun, se donne à partir de 1921 les apparences de l'Etat de droit (élections libres, régime parlementaire, pluralisme) ; la Yougoslavie (royaume des Serbes, Croates et Slovènes) se dote par la Constitution de 1921 d'un régime parlementaire ; la Pologne ressuscitée adopte des institutions démocratiques, dans le cadre d'une IIe République, par la Constitution de 1921 imitée de celle de la France ; enfin la Tchécoslovaquie adopte une constitution en 1920, copiée elle aussi sur le modèle français.
Si l'on ajoute à ces exemples ceux de l'Allemagne, où la république de Weimar succède au IIe Reich ; de l'Italie, où le suffrage universel est définitivement adopté, on le voit: le double principe national et libéral démocratique triomphe en Europe. Le XIXe siècle, à cet égard, est bien terminé.
Cependant, la victoire de la démocratie pluraliste n'est qu'une apparence. Deux défis lui sont lancés, celui de la révolution bolchevique, qui, contre toute attente, réussit à mettre en place un régime de type socialiste, et celui de l'Italie mussolinienne, qui, dès 1922, remet en question les fondements de l'Etat libéral et démocratique. S'engage alors une guerre idéologique entre trois courants de pensée, trois systèmes antagonistes.
 » (pp.17-18)

-Michel Winock, Le XXème siècle idéologique et politique, Éditions Perrin, coll. Tempus, 2009, 540 pages.

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Il y a 8 heures, Johnathan R. Razorback a dit :

Synthèse remarquable qui m'incite encore plus à penser que, contrairement à ce que raconte Wikiberal, le caractère simultanée des apparitions de l'Etat-Nation, de la démocratie moderne et du libéralisme à la fin du XVIIIème siècle est certainement davantage qu'une simple coïncidence:

 

« On dit généralement que le XIXe siècle s'achève en 1914. On peut dès lors considérer la Grande Guerre comme le point d'orgue des idéologies du XIXe siècle, la victoire du grand mouvement national et libéral, dont le coup d'envoi avait été donné par la Révolution française.
Le mouvement des nationalités visait à la fondation des Etats-nations contre les empires ; le mouvement libéral, lui, à la fin des absolutismes. En 1918, la fin de la guerre mondiale consacre la fin des empires (notamment celle de l'Empire ottoman et celle de l'Empire austro-hongrois), au profit du principe des nationalités, en même temps que la défaite des Empires centraux consacre la fin définitive des "anciens régimes", avec l'installation de régimes plus ou moins démocratiques (exception faite de la Russie, nous y reviendrons).
Si l'on prend l'exemple des Etats successeurs de l'Empire austro-hongrois, on voit que le principe des nationalités a triomphé avec la naissance ou la renaissance de la Pologne, de la Tchécoslovaquie, de la Yougoslavie (en attendant son implosion à la fin du siècle), tandis que l'Autriche et la Hongrie sont réduites à la portion congrue.
Ces cinq Etats sont des démocraties: l'Autriche est devenue une république fédérale ; la Hongrie, après la tentative révolutionnaire de Bela Kun, se donne à partir de 1921 les apparences de l'Etat de droit (élections libres, régime parlementaire, pluralisme) ; la Yougoslavie (royaume des Serbes, Croates et Slovènes) se dote par la Constitution de 1921 d'un régime parlementaire ; la Pologne ressuscitée adopte des institutions démocratiques, dans le cadre d'une IIe République, par la Constitution de 1921 imitée de celle de la France ; enfin la Tchécoslovaquie adopte une constitution en 1920, copiée elle aussi sur le modèle français.
Si l'on ajoute à ces exemples ceux de l'Allemagne, où la république de Weimar succède au IIe Reich ; de l'Italie, où le suffrage universel est définitivement adopté, on le voit: le double principe national et libéral démocratique triomphe en Europe. Le XIXe siècle, à cet égard, est bien terminé.
Cependant, la victoire de la démocratie pluraliste n'est qu'une apparence. Deux défis lui sont lancés, celui de la révolution bolchevique, qui, contre toute attente, réussit à mettre en place un régime de type socialiste, et celui de l'Italie mussolinienne, qui, dès 1922, remet en question les fondements de l'Etat libéral et démocratique. S'engage alors une guerre idéologique entre trois courants de pensée, trois systèmes antagonistes.
 » (pp.17-18)

 

-Michel Winock, Le XXème siècle idéologique et politique, Éditions Perrin, coll. Tempus, 2009, 540 pages.

 

 

C'est à nuancer :

- interdiction faite aux Allemands de se retrouver dans un seul État

- création de nombreuses minorités dûes aux frontières (cf les Hongrois)

- maintien d'Etat pluri ethniques (Tchécoslovaquie, Yougoslavie)

- partition d'ethnie (refus d'un État arabe)

 

Etc

 

Bref, le droit des nationalités n'a été que peu respecté au final.

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Le 29/08/2019 à 13:36, Tramp a dit :

J’ai lu of Mice and Men de Steinbeck dans l’avion. Rythmé et déchirant. Ça m’a donné envie d’en lire un autre. 



Les Raisins de la colère, c'est très bien, aussi.
 

Le 28/06/2019 à 22:39, NoName a dit :

Je m'accroche désespérément pour lire La Servante Écarlate et seigneur faites qu'il se passe quelque chose nom de dieu, j'ai lu quasiment 20% du bouquin et il ne s'est toujours rien passé.

Et d'ailleurs, sans aucun sexisme, la seule autre grande auteur de SF que j'ai essayé de lire c'est Olivia Butler et je vois exactement les même soucis:

- ça traîne du cul

- il se passe rien

- l'écriture est en vue subjective genre "pensées pour moi même"

- c'est flou et vague en permanence


Déjà qu'il ne se passait rien dans la série, selon moi. J'ai arrêté au bout de trois épisodes. Pourtant, j'ai aimé l'atmosphère oppressante de cette dystopie. Mais je suis bon public pour ce genre. 

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Celui qui a dit qu'on ne pouvait pas être honnête, intelligent et socialiste à la fois confondait manifestement l'intelligence avec la sagesse (et même la sagesse avec le fait d'avoir toujours raison sur tout -donc aussi en politique-, ce qui revient à confondre le sage avec Dieu le père, qui -comme on commence à le savoir- n'existe pas): 

 

 



"J'ai le désir, et je sens le besoin, pour vivre, d'une autre société que celle qui m'entoure. Comme la grande majorité des hommes, je peux vivre dans celle-ci et m'en accommoder -en tout cas, j'y vis. Aussi critiquement que j'essaye de me regarder, ni ma capacité d'adaptation, ni mon assimilation de la réalité ne me semblent inférieures à la moyenne sociologique. Je ne demande pas l'immortalité, l'ubiquité, l'omniscience. Je ne demande pas que la société "me donne le bonheur", je sais que ce n'est pas là une ration qui pourrait être distribuée à la mairie ou au Conseil ouvrier du quartier, et que, si cette chose existe, il n'y a que moi qui puisse me la faire, sur mes mesures, comme cela m'est arrivé et comme cela m'arrivera sans doute encore. Mais dans la vie, telle qu'elle est faite à moi et aux autres, je me heurte à une foule de choses inadmissibles, je dis qu'elles ne sont pas fatales et qu'elles relèvent de l'organisation. Je désire, et je demande, que tout d'abord mon travail ait un sens, que je puisse approuver ce qu'il sert et la manière dont il est fait, qu'il me permette de m'y dépenser vraiment et de faire usage de mes facultés autant que de m'enrichir et de me développer. Et je dis que c'est possible, avec une autre organisation de la société, pour moi et pour tous. Je dis que ce serait déjà un changement fondamental dans cette direction, si on me laissait décider, avec tous les autres, ce que j'ai à faire, et, avec mes camarades de travail, comment le faire.
Je désire pouvoir, avec tous les autres, savoir ce qui se passe dans la société, contrôler l'étendue et la qualité de l'information qui m'est donnée. Je demande de pouvoir participer directement à toutes les décisions sociales qui peuvent affecter mon existence, ou le cours général du monde où je vis. Je n'accepte pas que mon sort soit décidé, jour après jour, par des gens dont les projets me sont hostiles ou simplement inconnus, et pour qui nous ne sommes, moi et tous les autres, que des chiffres dans un plan ou des pions sur un échiquier et qu'à la limite, ma vie et ma mort soient entre les mains de gens dont je sais qu'ils sont nécessairement aveugles.
Je sais parfaitement que la réalisation d'une autre organisation sociale et sa vie ne seront nullement simples, qu'elles rencontreront à chaque pas des problèmes difficiles. Mais je préfère être aux prises avec des problèmes réels plutôt qu'avec les conséquences du délire de De Gaulle, des combines de Johnson ou des intrigues de Krouchtchev. Si même nous devions, moi et les autres, rencontrer l'échec dans cette voie, je préfère l'échec dans une tentative qui a un sens à un état qui reste en deçà même de l'échec et du non-échec, qui reste dérisoire.
Je désire pouvoir rencontrer autrui comme un être pareil à moi et absolument différent, non pas comme un numéro, ni comme une grenouille perchée sur un autre échelon (inférieur ou supérieur peu importe) de la hiérarchie des revenus et des pouvoirs. Je désire pouvoir le voir, et qu'il puisse me voir, comme un autre être humain, que nos rapports ne soient pas un terrain d'expression de l'agressivité, que notre compétition reste dans les limites du jeu, que nos conflits, dans la mesure où ils ne peuvent être résolus ou surmontés, concernent des problèmes et des enjeux réels, charrient le moins possible d'inconscient, soient chargés le moins possible d'imaginaire. Je désire qu'autrui soit libre, car ma liberté commence là où commence la liberté de l'autre et que, tout seul, je ne peux être au mieux que "vertueux dans le malheur". Je ne compte pas que les hommes se transformeront en anges, ni que les âmes deviendront pures comme des lacs de montagne -qui m'ont du reste toujours profondément ennuyé. Mais je sais combien la culture présente aggrave et exaspère leur difficulté d'être, et d'être avec les autres, et je vois qu'elle multiplie à l'infini les obstacles à leur liberté.
Je sais, certes, que ce désir ne peut pas être réalisé aujourd'hui ; ni même, la révolution aurait-elle lieu demain, se réaliser intégralement de mon vivant. Je sais que des hommes vivront un jour, pour qui le souvenir même des problèmes qui peuvent le plus nous angoisser aujourd'hui n'existera pas. C'est là mon destin, que je dois assumer, et que j'assume. Mais cela ne peut me réduire ni au désespoir, ni à la rumination catatonique. Ayant ce désir qui est le mien, je ne peux que travailler à sa réalisation. Et déjà dans le choix que je fais de l'intérêt principal de ma vie, dans le travail que j'y consacre, pour moi plein de sens (même si j'y rencontre, et j'accepte, l'échec partiel, les délais, les détours, les tâches qui n'ont pas de sens en elles-mêmes), dans la participation à une collectivité de révolutionnaires qui tente de dépasser les rapports réifiés et aliénés de la société présente -je suis en mesure de réaliser partiellement ce désir. Si j'étais né dans une société communiste, le bonheur m'eût-il été plus facile -je n'en sais rien, je n'y peux rien. Je ne vais pas sous ce prétexte passer mon temps libre à regarder la télévision ou à lire des romans policiers.

Est-ce que mon attitude revient à refuser le principe de réalité ? Mais quel est le contenu de ce principe ? Est-il qu'il faut travailler -ou bien qu'il faut nécessairement que le travail soit privé de sens, exploité, contredise les objectifs pour lesquels il a prétendument lieu ? Ce principe vaut-il, sous cette forme, pour un rentier ? Valait-il, sous cette forme, pour les indigènes des îles Trobriand ou de Samoa ? Vaut-il, encore aujourd'hui, pour les pêcheurs d'un pauvre village méditerranéen ? Jusqu'à quel point le principe de réalité manifeste-il la nature, et où commence-t-il à manifester la société ? Jusqu'où manifeste-t-il la société comme telle, et à partir d'où telle forme historique de la société ? Pourquoi pas le servage, les galères, les camps de concentration ? Où donc une philosophie prendrait-elle le droit de me dire: ici, sur ce millimètre précis des institutions existantes, je vais vous montrer la frontière entre le phénomène et l'essence, entre les formes historiques passagères et l'être éternel du social ? J'accepte le principe de réalité, car j'accepte la nécessité du travail (aussi longtemps du reste qu'elle est réelle, car elle devient chaque jour moins évidente) et la nécessité d'une organisation sociale du travail. Mais je n'accepte pas l'invocation d'une fausse psychanalyse et d'une fausse métaphysique, qui importe dans la discussion précise des possibilités historiques des affirmations gratuites sur des impossibilités sur lesquelles elle ne sait rien.
Mon désir serait-il infantile ? Mais la situation infantile, c'est que la vie vous est donnée, et que la Loi vous est donnée. Dans la situation infantile, la vie vous est donnée pour rien ; et la Loi vous est donnée sans rien, sans plus, sans discussion possible. Ce que je veux, c'est tout le contraire: c'est faire ma vie, et donner la vie si possible, en tout cas donner pour ma vie. C'est que la Loi ne me soit pas simplement donnée, mais que je me la donne en même temps à moi-même. Celui qui est en permanence dans la situation infantile, c'est le conformiste ou l'apolitique: car il accepte la Loi sans la discuter et ne désire pas participer à sa formation. Celui qui vit dans la société sans volonté concernant la Loi, sans volonté politique, n'a fait que remplacer le père privé par le père social anonyme. La situation infantile c'est, d'abord, recevoir sans donner, ensuite faire ou être pour recevoir. Ce que je veux, c'est un échange juste pour commencer, et le dépassement de l'échange par la suite. La situation infantile c'est le rapport duel, le phantasme de la fusion -et, en ce sens, c'est la société présente qui infantilise constamment tout le monde, par la fusion dans l'imaginaire avec des entités irréelle: les chefs, les nations, les cosmonautes ou les idoles. Ce que je veux c'est que la société cesse enfin d'être une famille, fausse de surcroît jusqu'au grotesque, qu'elle acquière sa dimension propre de société, de réseau de rapports entre adultes autonomes.
Est-ce que mon désir est désir du pouvoir ? Mais ce que je veux, c'est l'abolition du pouvoir au sens actuel, c'est le pouvoir de tous. Le pouvoir actuel, c'est que les autres sont choses, et tout ce que je veux va à l'encontre de cela. Celui pour qui les autres sont choses est lui-même une chose, et je ne veux pas être chose ni pour moi ni pour les autres. Je ne veux pas que les autres soient choses, je ne saurais pas quoi en faire. Si je peux exister pour les autres, être reconnu par eux, je ne veux pas l'être en fonction de la possession d'une chose qui m'est extérieure -le pouvoir ; ni exister pour eux dans l'imaginaire. La reconnaissance d'autrui ne vaut pour moi qu'autant que je le reconnais moi-même. Je risque d'oublier d'oublier tout cela, si jamais les événements m'amenaient près du "pouvoir" ? Cela me paraît plus qu'improbable ; si cela arrivait, ce serait peut-être une bataille de perdue, mais non la fin de la guerre ; et vais-je régler toute ma vie sur la supposition que je pourrais un jour retomber en enfance ?
Poursuivrais-je cette chimère, de vouloir éliminer le côté tragique de l'existence humaine ? Il me semble plutôt que je veux en éliminer le mélodrame, la fausse tragédie -celle où la catastrophe arrive sans nécessité, où tout aurait pu se passer autrement si seulement les personnages avaient su ceci ou fait cela. Que des gens meurent de faim aux Indes, cependant qu'en Amérique et en Europe les gouvernements pénalisent les paysans qui produisent "trop", c'est une macabre farce, c'est du Grand-Guignol où les cadavres et la souffrance sont réels, mais ce n'est pas de la tragédie, il n'y a là rien d'inéluctable. Et si l'humanité périt un jour à coups de bombes à hydrogène, je refuse d'appeler cela une tragédie. Je l'appelle une connerie. Je veux la suppression du Guignol et de la transformation des hommes en pantins par d'autres pantins qui les "gouvernent".
" (pp.136-140)
-Cornelius Castoriadis, L'institution imaginaire de la société, Éditions du Seuil, coll Essais. Points, 1975, 538 pages.

 

 

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"La presse - Si l'on considère qu'aujourd'hui encore tous les grands événements publics se glissent secrètement et comme voilés sur la scène du monde, qu'ils sont cachés par des faits insignifiants, à côté desquels ils paraissent petits, que leurs effets profonds, leurs contrecoups ne se manifestent que longtemps après qu'ils se sont produits, -quelle importance peut-on alors accorder à la presse telle qu'elle existe aujourd'hui, avec sa quotidienne dépense de poumons pour hurler, assourdir, exciter et effrayer ? -la presse est-elle autre chose qu'un bruit aveugle et permanent qui détourne les oreilles et les sens vers une fausse direction ?
-Friedrich Nietzsche, Opinions et sentences mêlées, in Humain, trop humain, trad. Angèle Kremer-Marietti, Librairie Générale Française, 1995 (1878 pour la première édition allemande), 768 pages, p.498.

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Nietzsche remonte dans mon estime. Il a anticipé dans tous ses aspects, quasiment au mot près, toute l'analyse économique de l'origine de l'Etat qu'a donné Philippe Simonnot un siècle entier après. De quoi relativiser un peu l'idée que Nietzsche ne pense jamais l'économie.

Dédicace @Rübezahl

 

"Principe de l'équilibre. - Le brigand et l'homme puissant qui promet à une communauté qu'il la protégera contre le brigand sont probablement tous deux des êtres semblables, sauf que le second parvient à son avantage d'une autre façon que le premier, c'est-à-dire par des contributions régulières que lui verse la communauté, et non plus par des rançons de guerre. […] Le point essentiel est que cet homme puissant promet de faire équilibre au brigand ; les faibles voient en cela la possibilité de vivre. Car il faut ou bien qu'ils se groupent eux-mêmes en une puissance équivalente, ou bien qu'ils se soumettent à un homme qui soit à même de contrebalancer cette puissance (leur soumission consiste à rendre des services). On donne généralement l'avantage à ce procédé, parce qu'il fait en somme échec à deux êtres dangereux: le premier par le second et le second par le point de vue du profit ; car le protecteur gagne à bien traiter ceux qui lui sont assujettis, pour qu'ils puissent non seulement se nourrir eux-mêmes, mais encore nourrir leur dominateur. Il se peut d'ailleurs qu'ils soient encore traités assez durement et assez cruellement: mais en comparaison de l'anéantissement complet qui jadis était toujours à craindre, les hommes éprouvent un grand soulagement." (§22, pp.541-543)
-Friedrich Nietzsche, Le Voyageur et son Ombre, in Humain, trop humain, trad. Angèle Kremer-Marietti, Librairie Générale Française, 1995 (1878 pour la première édition allemande), 768 pages.

 

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1 hour ago, Johnathan R. Razorback said:

De quoi relativiser un peu l'idée que Nietzsche ne pense jamais l'économie.

 

Je ne sais pas d'où vient cette idée.

Nieztsche a une approche biologique des rapports humains (il est peut-être le premier à avoir intégré le darwinisme).

Il n'y a pas de comportement désintéressé, pas d'idée détachée des nécessités biologiques, les idées sont une part de la lutte pour les ressources nécessaires à la survie.

Et Nietzsche comprend bien les phénomènes économiques parce l'économie n'est qu'une façon d'organiser l'acquisition des ressources vitales.

 

Il n'y a juste aucun argument économique chez Nietzsche, parce que celà l'indiffère. La prospérité, le confort de la classe moyenne, le prix du bifteck de Mme Michu, la paix sociale il en a rien à cirer.

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Les économistes se soucient essentiellement des jeux primairement coopératifs entre les individus (l'échange, la division des tâches) et des jeux y compris compétitifs qui en découlent (concurrence), et ont tendance à ne concevoir les antagonismes primaires (rapport brigand-victime, ou état-citoyen) que comme des exceptions à la règle générale de la coopération. Les philosophes (et les politologues de droite, et les sociologues de gauche) font l'inverse, et ont souvent des théories très fines de l'antagonisme primaire, et des formes de coopérations qui peuvent en découler, mais en oubliant la véritable coopération. Ce texte de Nietzsche en est un bon exemple. Tout ceci doit sûrement pouvoir être résorbé au sein d'une praxéologie vraiment générale.

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Il y a 4 heures, Johnathan R. Razorback a dit :

"Principe de l'équilibre. - Le brigand et l'homme puissant qui promet à une communauté qu'il la protégera contre le brigand sont probablement tous deux des êtres semblables, sauf que le second parvient à son avantage d'une autre façon que le premier, c'est-à-dire par des contributions régulières que lui verse la communauté, et non plus par des rançons de guerre. […] Le point essentiel est que cet homme puissant promet de faire équilibre au brigand ; les faibles voient en cela la possibilité de vivre. Car il faut ou bien qu'ils se groupent eux-mêmes en une puissance équivalente, ou bien qu'ils se soumettent à un homme qui soit à même de contrebalancer cette puissance (leur soumission consiste à rendre des services). On donne généralement l'avantage à ce procédé, parce qu'il fait en somme échec à deux êtres dangereux: le premier par le second et le second par le point de vue du profit ; car le protecteur gagne à bien traiter ceux qui lui sont assujettis, pour qu'ils puissent non seulement se nourrir eux-mêmes, mais encore nourrir leur dominateur. Il se peut d'ailleurs qu'ils soient encore traités assez durement et assez cruellement: mais en comparaison de l'anéantissement complet qui jadis était toujours à craindre, les hommes éprouvent un grand soulagement." (§22, pp.541-543)
-Friedrich Nietzsche, Le Voyageur et son Ombre, in Humain, trop humain, trad. Angèle Kremer-Marietti, Librairie Générale Française, 1995 (1878 pour la première édition allemande), 768 pages.

Merci JRR.

ça me paraît assez exact.

Pour faire concis, je dirais que l'homme puissant est celui des 2 brigands qui met une cravate le premier.

Mais, hormis la cravate, ce sont les 2 mêmes bandits.

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il y a 6 minutes, Rübezahl a dit :

Pour faire concis, je dirais que l'homme puissant est celui des 2 brigands qui met une cravate le premier.

Mais, hormis la cravate, ce sont les 2 mêmes bandits.

Le texte dit pourtant le contraire

" le protecteur gagne à bien traiter ceux qui lui sont assujettis "

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il y a 5 minutes, ttoinou a dit :

Le texte dit pourtant le contraire

" le protecteur gagne à bien traiter ceux qui lui sont assujettis "

Pour ma part,

entre le brigand qui me vole 1000€/mois en entrant par effraction dans ma maison,

et le brigand qui me vole 1000€/mois en laissant qqs lignes sur ma fiche de salaire,

j'ai du mal à les classer (mais je souhaite être débarrassé des 2).

 

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Le bandit voleur 1) te prends par surprise, 2) tout ce que tu as laissé chez toi, 3) et te défonce du matériel au passage


Une majorité de ce que te prends le bandit politique est prévisible (1) dans le temps et 2) en quantité ça sera plus proportionnel à ce que tu ne lui a pas caché), 3) sans te défoncer ta porte, et 4) selon Nietzsche le bandit politique a un intérêt pour ce que la fois d'après tu aie encore des choses à prendre

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il y a 32 minutes, ttoinou a dit :

Ok donc tu n'es pas trop d'accord avec l'extrait c'est tout :)

Je suis déjà tout content que Nietzsche fasse le parallèle.

 

Sur la commission du vol,

certes la manière politique est peut-être plus douce, mais au final on est infiniment plus volé.

Sur la prévisibilité ... pas d'accord, nos polytocards inventent de nouvelles conneries toutes les semaines.

 

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C'est pour ça que j'ai dis la majorité. Et bien évidemment il y a des disparités, certains se font plus prendre que d'autres.

 

Citation

on est infiniment plus volé

Si tu est plus volé mais qu'en même temps tu es dans un système qui te permet de créer plus de richesses, lequel tu préfères?

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Quote

If the bulk of the public were really convinced of the illegitimacy of the State, if it were convinced that the State is nothing more nor less than a bandit gang writ large, then the State would soon collapse to take on no more status or breadth of existence than another Mafia gang.

 

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il y a une heure, ttoinou a dit :

Le bandit voleur 1) te prends par surprise, 2) tout ce que tu as laissé chez toi, 3) et te défonce du matériel au passage


Une majorité de ce que te prends le bandit politique est prévisible (1) dans le temps et 2) en quantité ça sera plus proportionnel à ce que tu ne lui a pas caché), 3) sans te défoncer ta porte, et 4) selon Nietzsche le bandit politique a un intérêt pour ce que la fois d'après tu aie encore des choses à prendre

Tu considères donc la mafia italienne comme un "bandit politique" et non comme un "bandit voleur" ?

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