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Pour revenir à des sujets moins élevés, je feuillette Le Suicide français de Zemmour (2014). C'est en gros du Soral soft et bien écrit, du néo-gaullisme mais avec un peu de nostalgie Algérie française et d'opposition au droit à l'avortement pour relever la sauce (qu'on ne trouve absolument pas chez une Polony par exemple. Question de génération et de milieu). C'est assez terrifiant de voir le succès qu'à eu ce bouquin.

 

Et bien sûr on ressort le spectre du libéralisme-libertaire. Zemmour a toutefois une honnêteté sur les Onfray et autres Michéa, celle de citer Clouscard comme l'inventeur de cette théorie:

 

"Sur le plan idéologique, la domination inédite des libertaires préparait le terrain aux libéraux."
-Eric Zemmour, Le Suicide français, Éditions Albin Michel, 2014.

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Il y a 6 heures, Johnathan R. Razorback a dit :

*Petit clin d’œil à @Ultimex qu'on ne voit plus beaucoup et qui doit être en train de s'arracher les cheveux à cause du gugus à barbe sus-nommé : P

 

Ultimex est surtout en vacances avec une mauvaise connexion internet cette semaine.  ;)

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il y a 45 minutes, Johnathan R. Razorback a dit :

Article intéressant de Michel Winock: http://www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2006-2-page-3.htm

 

Il rejette la catégorisation des Croix-de-Feu et du Parti Social Français comme étant fascistes.

C'est fort intéressant, ma foi (et ça a même des échos contemporains assez troublants).

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il y a 15 minutes, Rincevent a dit :

1: C'est fort intéressant, ma foi

 

2: (et ça a même des échos contemporains assez troublants).

1: A comparer avec Sternhell: « Ce n'était pas par respect de la démocratie et de ses institutions que La Rocque n'a pas donné l'assaut : c'était une simple question d'opportunité et de bon sens. » -Zeev Sternhell, Ni droite ni gauche. L'idéologie fasciste en France. Barcelone, Gallimard, coll. Folio Histoire, 2012 (1983 pour la première édition), 1075 pages, p.133-134.

 

2: A quoi penses-tu ?

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Il y a 5 heures, NoName a dit :

Le bouquin de sternhell sur le fascisme est dz toute façon généralement considéré par les historiens politiques comme mauvais.

Je ne suis pas certain que le jugement soit très différent sur ses autres bouquins.

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15 hours ago, Johnathan R. Razorback said:

Article intéressant de Michel Winock: http://www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2006-2-page-3.htm

 

Il rejette la catégorisation des Croix-de-Feu et du Parti Social Français comme étant fascistes.

Très intéressant. Ce n'est pas le sujet principal, mais je me demande comment les insoumis réagiraient en lisant le passage où il cite Léon Blum critiquant le parlementarisme de la troisième république.

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il y a 10 minutes, Boz a dit :

Ce n'est pas le sujet principal, mais je me demande comment les insoumis réagiraient en lisant le passage où il cite Léon Blum critiquant le parlementarisme de la troisième république.

 

Je crains malheureusement qu'une bonne moitié demanderait juste "c'est qui, Léon Blum ?", et qu'une minorité de la moitié restante sifflerait qu'on a pas à tenir compte des idées des juifs sociaux-traîtres.

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Il y a 1 heure, NoName a dit :

Léon Blum c'est la grande figure du front populaire. Ça m'étonnerait qu'il soit aussi méconnu et méprisé chez Fi. Au contraire, je pense que c'est le seul du FP qui soit connu

 

C'est vrai, je force un peu le trait. A une époque le site du Parti de gauche diffusait Pour être socialiste (1919) de Léon Blum.

 

Maintenant leur culture politique et historique est quand même limitée. Et parfois très confuse. Le même site diffusait un texte d'Emmanuel Mounier, alors que c'était un catholique social à tendance pro-mussolinienne. Visiblement tout est bon dès lors qu'il s'agit d'attaquer le capitalisme...

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10 minutes ago, Johnathan R. Razorback said:

 

Le même site diffusait un texte d'Emmanuel Mounier, alors que c'était un catholique social à tendance pro-mussolinienne. 

 

 

Ah je n'avais jamais lu 'Esprit' sous cet angle^^. 

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Il y a 4 heures, F. mas a dit :

Ah je n'avais jamais lu 'Esprit' sous cet angle^^. 

 

« L'avenir dira si l'authentique élan anticapitaliste qui anime au moins une fraction active du monde fasciste a l'importance et l'efficacité que nous lui souhaitons. »

-Emmanuel Mounier, Esprit, N° 33, juin 1935, p.474-480. Repris in Œuvres, tome 4, Paris 1963, p.844.

 

« Ce n'est donc pas l'effet du hasard si de janvier à mai 1934 Esprit publie un essai de Otto Strasser* [...] Un an plus tard, en mai 1935, [Emmanuel] Mounier va à Rome représenter l'équipe d'Esprit, en compagnie d'Ulmann, à un colloque organisé par l'Institut de culture fasciste. »

-Zeev Sternhell, Ni droite ni gauche. L'idéologie fasciste en France. Barcelone, Gallimard, coll. Folio Histoire, 2012 (1983 pour la première édition), 1075 pages. p.614-615.

 

*Lequel s'était fait exclure deux ans plus tôt du NSDAP...

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Le personnalisme et les courant non conformistes des années trente ont cherché à trouver des points d'appui dans toutes les expériences politiques non socialistes et/ou libérales, ce qui ne signifie pas qu'ils tombaient automatiquement dans la catégorie fasciste ou 'pro-mussolinienne'. A ce train-là, tu pourrais faire de Churchill un pro-mussolinien pour ses déclarations sur le leader italien des années 20. Pour Mounier, c'est un peu pareil: ce n'est pas parce qu'il a accepté un texte d'un des frères Strasser qu'il est devenu subitement fasciste. Son héritage, en gros démocrate-chrétien se trouve d'ailleurs dans toutes les bibliothèques universitaires de France grâce à la revue 'Esprit' (qui est parfois assez intéressante à lire btw). 

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il y a 41 minutes, F. mas a dit :

1): Le personnalisme et les courant non conformistes des années trente ont cherché à trouver des points d'appui dans toutes les expériences politiques non socialistes et/ou libérales, ce qui ne signifie pas qu'ils tombaient automatiquement dans la catégorie fasciste ou 'pro-mussolinienne'.

 

2): A ce train-là, tu pourrais faire de Churchill un pro-mussolinien pour ses déclarations sur le leader italien des années 20.

 

1): Pour Mounier on peut débattre, en revanche je ne vois pas comment on peut mettre en doute que les signataires du Manifeste pour la défense de l'Occident fussent des pro-mussoliniens (et pour certains des fascistes): https://fr.wikipedia.org/wiki/Manifeste_des_intellectuels_français_pour_la_défense_de_l'Occident_et_la_paix_en_Europe

 

2): Ben, c'est ce qu'il était ? (et jusque dans les années 30, même):

« Ayant rencontré Mussolini le 15 janvier 1927, [Winston Churchill] exprime, lors d’une conférence de presse tenue à l’ambassade britannique de Rome, son estime pour l’œuvre accomplie par l’Italie fasciste et de son chef :

« On ne peut s’empêcher d’être séduit, comme tant d’autres, par l’apparence simple et aimable de M. Mussolini, par son calme et son équilibre, malgré les charges et les périls pesant sur lui. On voit tout de suite qu’il ne pense qu’au bien du peuple italien, tel qu’il le comprend. […] Si j’avais été Italien, je suis sûr que j’aurais été à fond avec lui. »

[…] Churchill reste pendant plusieurs années sur cette position politique favorable au régime fasciste. Le 18 février 1933, parlant lors d’une réunion de la ligue antisocialiste britannique, celui qui est redevenu simple député du parti conservateur estime que Mussolini est « le plus grand législateur vivant », celui qui « a montré à beaucoup de nations que l’on peut résister au développement du socialisme ». » -Philippe Foro, « La politique extérieur de l’Italie fasciste », chapitre 6 in L’Italie fasciste, Armand Colin, Coll. U Histoire, 2016, 303 pages, p.160-161.

 

Je ne traite pas Churchill ou Mounier de fascistes parce que ce n'est pas le type de régime qu'ils prévoyaient de mettre en place dans leurs pays respectifs. En revanche Churchill était un impérialiste raciste assez répugnant.

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Le manifeste de Massis était très à droite (plutôt nationaliste AF), de là à dire que tous ceux qui ont signé le doc soient mussoliniens, encore une fois, bof. Je doute que Marcel Aymé, par exemple (ce vieux radsoc paillard) se soit vraiment retrouvé dans dans le mussolinisme en chemises. Mais effectivement, je parlais plutôt de Mounier. 

 

Quant à Winston Churchill, c'est mon type d''impérialiste raciste assez répugnant', le genre à gagner la bataille d'Angleterre et participer à la défaite de l'Axe :D

  • Yea 1
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Le point de vue favorable à Mussolini était très répandu dans les milieux politiques français et anglais avant le rapprochement avec l'Allemagne. Aristide Briand qui n'a rien d'un impérialiste raciste, disait de Mussolini en 1927 :

Citation

Comme moi, disait-il, il a été membre du parti socialiste ; et comme moi, il a dû abandonner ce parti dès qu’il a pris contact avec les réalités…Évidemment je ne suis pas allé aussi loin que lui ; mais les circonstances ne furent pas les mêmes…l’Italie a connu des heures plus difficiles que nous…en tout cas, nous sommes l’un et l’autre, des réalisateurs. Nous nous entendrons très bien…

Il en faut pas oublier que l'Italie était l'allié de la Grande guerre.

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Mussolini était vu comme potentiellement un rempart de la culture occidentale face au bolchevisme un peu partout.

 

Churchill est un héros malgré les travers qui étaient celle de sa classe et son époque.

Rien que le fait qu'il ait mené à la tête de son détachement alors qu'il était jeune lieutenant de cavalerie l'une des dernières charge au sabre de l'histoire des lanciers anglais, ou qu'il sortait dehors durant le blitzkrieg pour observer les avions, ou qu'il décide en 1915 de retourner dans les tranchées (en tant que colonel, certes, mais bien en première ligne, sous le feu, à la tête de son bataillon). Certes, il était plus conservateur que libéral. Certes, il a essayé de faire de la retap' à Musso jusque 1936, a peu près, et certes, il était nostalgique de l'Empire. Certes. Mais il a compris avant tout le monde la merditude des choses qui arrivaient en Europe, il était un analyse politique très fin, une fine plume, un bon peintre, il avait le sens de l'Histoire, il était intelligent, drôle, cultivé, il avait beaucoup d'humour et surtout, il avait une paire de couilles grosse comme des baraques, au point qu'aucun politicien aujourd'hui ne peut se vanter d'avoir le centième. Quand Churchill envoyait des hommes à la guerre, il allait avec eux. Les mémoires de son garde du corps sont éloquentes ("J'étais le garde du corps de Churcill"). Il ne se contentait pas d'envoyer les enfants des autres crever bêtement pour la Nation.

 

Et quoi qu'on pense de tout ça en tant que libéral, ça mérite le respect. Bien avant de le traiter de dégoutant, le monde se porterait mieux si on avait des Churchill en lieu et place de Sarkozy, Baroso ou Merkel.

  • Yea 4
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Il y a 2 heures, poney a dit :

1): il était plus conservateur que libéral.

 

2): il était nostalgique de l'Empire.

 

1): Le libéralisme de Churchill "is nowhere to be found" comme diraient les Anglais.

 



"Without principles or scruples, Churchill as a prominent member of the Liberal party government naturally played a role in the hijacking of liberalism from its roots in individualism, laissez-faire, free trade and bourgeois morality, to its transformation into the "New Liberalism" as a proxy for socialism and the omnipotent state in Britain and in America."



"Churchill was converted to the Bismarckian model of social insurance following a visit to Germany. As Churchill told his constituents: "My heart was filled with admiration of the patient genius which had added these social bulwarks to the many glories of the German race." He set out, in his words, to "thrust a big slice of Bismarckianism over the whole underside of our industrial system." In 1908, Churchill announced in a speech in Dundee: "I am on the side of those who think that a greater collective sentiment should be introduced into the State and the municipalities. I should like to see the State undertaking new functions." Churchill even said: "I go farther; I should like to see the State embark on various novel and adventurous experiments."

Churchill claimed that "the cause of the Liberal Party is the cause of the left-out millions," and attacked the Conservatives as "the Party of the rich against the poor, the classes and their dependents against the masses, of the lucky, the wealthy, the happy, and the strong, against the left-out and the shut-out millions of the weak and poor." Churchill berated the Conservatives for lacking even a "single plan of social reform or reconstruction," while boasting that his "New Liberalism" offered "a wide, comprehensive, interdependent scheme of social organisation," incorporating "a massive series of legislative proposals and administrative acts."

Churchill had fallen under the spell of the Fabian Society, and its leaders Beatrice and Sidney Webb, who more than any other group, are responsible for the decline of British society. Here he was introduced to William, later Lord Beveridge, who Churchill brought into the Board of Trade as his advisor on social questions. Besides pushing for a variety of social insurance schemes, Churchill created the system of national labor exchanges, stating the need to "spread . . . a sort of Germanized network of state intervention and regulation" over the British labor market."



-Adam Young, The Real Churchill, mises.org, 02/27/2004.

 

 

2): Il était impérialiste. En 1947 il était toujours contre l'indépendance de l'Inde.

 

Je ne compte pas respecter un jour un type qui aurait gazé les Irakiens s'il en avait eu le pouvoir:

"In 1919, as Colonial Secretary Churchill advocated the use of chemical weapons on the "uncooperative Arabs" in the puppet state of Iraq. "I do not understand the squeamishness about the use of gas," he declared. "I am strongly in favor of using poison gas against uncivilized tribes." Some year’s later, gassing human beings to death would make other men infamous.

An example of Churchill's racial views are his comments made in 1937: "I do not admit that a great wrong has been done to the Red Indians of America or the black people of Australia. I do not admit that a wrong has been done to these people by the fact that a stronger race, a higher-grade race, a more worldly wise race, has come in and taken their place."
."

-Adam Young, The Real Churchill, mises.org, 02/27/2004.

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Churchill avait quand même ce gros défaut d'être jusqu'au-boutiste et préparé à utiliser tous les moyens. C'était au Musée de la Marine de Liverpool, dans une exposition sur le Lusitania, que je m'étais rendu compte que si les allemands avaient commencé à couler tout ce qui bouge en mer, c'était aussi parce que Churchill ne faisait pas vraiment de différence entre marine marchande et marine de guerre.

Enfin, ça reste un mec que j'admire ; et sûrement une des rares personnes à avoir changé le cours de l'Histoire à lui tout seul.

 

Sur les assurances-sociales, il faut éviter de regarder les gars de l'époque avec les lunettes d'aujourd'hui. Churchill avait quitté les conservateurs pour les libéraux sur des histoires de protectionnisme ; on savait comment ça marchait à l'époque. Les assurances sociales, en 1910, je ne pense pas qu'on se rendait compte du pourrissement moral que ça générerait : c'était un second best face aux demandes du prolétariat.

 

Il y a 4 heures, poney a dit :

Mussolini était vu comme potentiellement un rempart de la culture occidentale face au bolchevisme un peu partout.

 

Je ne pense pas qu'il n'y aie que ça. Mussolini était vu comme un gars qui avait réussi à redresser l'Italie. D'ailleurs, il aurait eu la bonne idée de crever en 1935, il serait probablement célébré par les italiens comme le plus grand homme politique de leur histoire, et aurait eu le droit à son billet de 5000 lires.

 

(d'ailleurs TiL que la dernière édition de la lire remplaçait Verdi par Montessori sur le 1000 lires ; monde de merde).

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J'ai suivi plusieurs cours de Jean-Michel Salanskis, principalement sur Kant, Quine et la philosophie analytique du langage. Ce n'était pas ma tasse de thé (en fait ce sont les pires notes de mon cursus), mais au moins je reconnais que ce sont des questions intéressantes et que Salanskis est un très bon enseignant, il rend ça très vivant. Et je me disais: profite, ça te change des postmodernes infiltrés un peu partout. Un type qui comprend le réfutationnisme poppérien ne saurait être fondamentalement mauvais.

 

Donc je jette à un œil à l'un de ses bouquins, et là, c'est le drame: du jargon phénoménologique qui ne mène nulle part et ne produit même pas de la mauvaise littérature:

 

Citation

"

Un "sens" n'a pas de réalité que l'on puisse capturer en vue de sa description, de quelque manière que l'on envisage de déterminer cette réalité: comme celle des référents pour une vérité préparée par la visée de ce sens, comme celle de ses effets, ou encore comme celle de la configuration ou du régime psychologiques internes aux sujets supposés être les porteurs et les émetteurs du sens en cause. Un sens n'a cours que dans l'intervalle de la transition éthique, le faisant passer comme demande d'un sujet à un autre, et, dans cet intervalle, sa teneur de l'ordre du devoir-être plutôt que de l'être, est déontique plutôt qu'ontique: le sens se confine en quelque sorte, en retentissant, dans le hors être d'un devoir de relance, c'est en tant que j'assume de ré-adresser à partir de ce que j'ai reçu que je témoigne du sens." (Territoires du sens: essais d'ethanalyse, 2014, p.9)
 

 

Une autre expérience désagréable, c'est la tendance de l'idéologie à se cacher même là où on ne l'attend pas. Par exemple, je lis tranquillement l'Introduction à la géographie sociale (2014), de Guy Di Méo. C'est très bien, c'est clair, mais voilà-il pas qu'au détour d'une page de l'index des notions:

 

« [La postmodernité] correspond à une époque et à un régime de société : les nôtres. Il s’agit du fruit, plus ou moins direct, de la « chute des murs » (fin des années 1980) et d’une mondialisation/globalisation qui s’effectue sous l’impulsion d’un néocapitalisme libéral ne rencontrant que peu d’entraves de la part de secteurs publics en très net recul. »
-Guy Di Méo, Introduction à la géographie sociale, Armand Colin, coll. Cursus.Géographie, 2014, 189 pages, p.187.

 

Horreur, malheur. Comment peut-on discuter d'épistémologie avec finesse et raconter n'importe quoi sur le poids de l'Etat à ce point ?

 

Dans le genre "n'allons pas trop loin dans la neutralité axiologique", l'ouvrage de Sylvie Aprile (une de mes profs ce semestre) & Michel Rapoport, Le monde britannique. 1815-(1914)-1931 (2010), se veut "sans partis pris" (dixit le préambule). Et après avoir fait un sort à la légende d'un Royaume-Uni libéral dans la première moitiée du 19ème:

 

 

 


« Au début du XIXème siècle, l’Etat britannique est fortement interventionniste. Cette situation est liée à un double héritage. D’une part, la « deuxième guerre de cent ans » qui a poussé le RU à mettre en place un Etat « militaro-fiscal » capable de supporter l’affrontement permanent avec la France et d’assurer le maintien du rang international du pays [Harling, 2001]. D’autre part, le modèle mercantiliste, prégnant jusqu’au XVIIIe siècle, et vecteur d’une importante régulation étatique : la législation est omniprésente dans l’activité, que ce soit dans la production, l’organisation du travail, les flux de main-d’œuvre, le commerce, l’émission de billets, l’activité entrepreneuriale… Le Royaume-Uni reste par ailleurs, jusqu’au milieu du XIXe siècle, un pays protectionniste. Si le marché intérieur est libre, le commerce extérieur reste entravé par une série de barrières douanières parfois anciennes. Les Actes de navigation (Navigation Laws), votés en 1651, 1660 et 1672, édictent que tout produit d’outre-mer importé en Angleterre ou dans l’une de ses colonies ne peut l’être que sur un bateau construit en Angleterre, appartenant à un armateur anglais et monté par un équipage au moins à moitié anglais. Les privilèges des compagnies maritimes, notamment l’East India Company, leur accordent le monopole du commerce de certains produits, à l’exclusion de tout autre importateur. Afin de protéger les secrets technologiques de l’industrie naissante, l’exportation des machines est interdite en 1774, et ce jusqu’en 1842. Cet arsenal protectionniste est encore renforcé en 1815 par le vote des Corn Laws (lois sur les blés), qui instaurent des droits de douane élevés afin d’éviter la concurrence étrangère et d’assurer aux propriétaires, comme aux exploitants, des prix soutenus et des revenus élevés. L’Etat d’ailleurs y trouve aussi son intêret : les droits de douane financent en effet le budget britannique à hauteur de 46%. Dans le même ordre d’idées, afin de protéger l’industrie textile, l’importation de soies et de calicots est interdite. » (p.45)

 

« Le budget du Royaume-Uni passe de 18 millions de livres à l’apogée des Napoleonic Wars, à 67 millions en 1871. Mais avec l’enrichissement du pays, la part de ce budget dans le produit national diminue en fait de 25 à 8% entre ces deux dates. Durant la période, en dépit de l’engagement du Royaume-Uni dans treize guerres et 150 opérations militaires mineures, les dépenses militaires ne cessent de diminuer (les affrontements ont surtout un cadre colonial, où le rapport des forces est très nettement en faveur des Anglais). Ni la politique coloniale, qui n’occupe que 6000 agents dans les années 1880, ni la politique sociale, qui se met en place de façon très progressive, ni viennent grever le budget. » (p.46)

 

« La fiscalité directe ne cesse de s’alourdir, comme en témoigne la pérennisation de l’income tax (impôt sur le revenu). Crée à titre temporaire en temps de guerre en 1799, elle est supprimée en 1816. Peel la rétablit pour le budget de 1843 (voté en 1842), à nouveau à titre provisoire, mais de fait, en dépit du projet de Gladstone de le supprimer en 1874, elle devient définitive. » (p.47)
 

 

 

Voilà t-il pas que l'antilibéralisme obligatoire revient subrepticement: "Les risques crées par l’industrialisation rendent nécessaire une intervention protectrice de la puissance publique. Pour ce faire, une législation régulatrice se maintient ou est crée." (p.46)

 

(notons aussi que le libéralisme est qualifié "d'idéologie libérale", alors que le socialisme ou même l’impérialisme sont plus noblement des "courants de pensées".)

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Je relis la section du Ainsi parlait Zarathoustra intitulé "De la nouvelle idole". Il y a là dedans plus qu'assez pour faire un sort à l'appropriation fasciste de Nietzsche. Rien ne le dégoutait tant qu'un État qui s'occupe de culture.

 

 

« L'Etat, qu'est-ce que c'est ? Allons ! Maintenant ouvrez vos oreilles, car je vais vous dire ce que j'ai à vous dire de la mort des peuples.

L'Etat c'est ainsi que s'appelle le plus froid des monstres froids et il ment froidement, et le mensonge que voici sort de sa bouche: "Moi, l'Etat, je suis le peuple."
C'est un mensonge ! Des créateurs, ce furent ceux qui créèrent les peuples et qui accrochèrent une foi et un amour au-dessus d'eux: c'est ainsi qu'ils servirent la vie.
Des destructeurs sont ceux qui tendent des pièges pour des multitudes et les appellent l'Etat: ils suspendent au-dessus d'eux un glaive et cent appétits.
Là où le peuple existe encore, il ne comprend pas l'Etat et il le hait comme un mauvais œil et comme un péché contre les coutumes et les droits.
Je vous donne le signe que voici: chaque peuple parle sa langue quand au bien et au mal: le voisin ne la comprend pas. Sa langue, il se l'est inventée dans les coutumes et le droit.
Mais l'Etat, lui, ment dans tous les idiomes du bien et du mal ; et quoi qu'il dise, il ment -et ce qu'il possède, il l'a volé.
Tout est faux en lui ; il mord avec des dents volées, lui qui mord si volontiers. Fausses sont même ses entrailles.
Confusion des langues du bien et mal: ce signe, je vous le donne comme signe de l'Etat. A la vérité, c'est la volonté de mort qu'indique ce signe ! En vérité, il appelle les prédicateurs de la mort.
Il naît beaucoup trop d'humains: pour ceux qui sont en trop, on a inventé l'Etat !
Regardez donc comme il les attire, ces trop-nombreux ! Comme il les ingurgite, et mâche et remâche !
"Sur terre il n'est rien de plus grand que moi: je suis le doigt qui crée l'ordre, le doigt de Dieu", voilà ce que hurle le monstre. Et ce ne sont pas seulement ceux qui ont les oreilles longues et la vue courte qui tombent à genoux !
Hélas, en vous aussi, ô grandes âmes, il susurre ses sombres mensonges ! Hélas, il devine les cœurs riches qui aiment à se dépenser !
Oui, vous aussi il vous devine, vous, vainqueurs du dieu ancien ! Vous vous êtes fatigués au combat et maintenant votre fatigue, de plus, sert à la nouvelle idole.
Elle aimerait disposer autour d'elle héros et hommes d'honneur, la nouvelle idole. Il aime à se chauffer au soleil des bonnes consciences -ce monstre froid !
Elle veut tout vous donner pourvu que vous l'adoriez, la nouvelle idole: aussi achète-t-elle l'éclat de vos vertus et le fier regard de vos yeux !
Elle veut se servir de vous pour appâter ceux qui sont en surnombre ! Oui, il est vrai, on a fait là une trouvaille d'une diabolique habileté: un cheval de mort, tout cliquetant des oripeaux d'honneurs divins.
Oui, l'on a inventé là une mort pour les multitudes, une mort qui se vante d'être la vie: en vérité, un fier service rendu à tous les prédicateurs de mort !
J'appelle Etat le lieu où sont tous ceux qui boivent du poison, qu'ils soient bons ou mauvais ; Etat, l'endroit où ils se perdent tous, les bons et les méchants ; Etat, le lieu où le lent suicide de tous s'appelle - "la vie".
Regardez-les-moi, ces superflus, ils volent les œuvres des inventeurs et les trésors des sages: leur vol, ils l'appellent culture -et tout leur devient maladie et revers !
Regardez-les-moi, ces superflus ! Toujours ils sont malades, ils vomissent leur bile et c'est ce qu'ils appellent leurs journaux. Ils s'entre-dévorent et ne sont pas même capables de se digérer.
Regardez-les-moi donc, ces superflus ! Ils acquièrent des richesses et en deviennent plus pauvres. Ils veulent la puissance et avant tout le levier de la puissance, ils veulent beaucoup d'argent, ces impuissants !
Regardez-les grimper, ces singes agiles ! Ils grimpent les uns par-dessus les autres et ainsi s'entraînent dans la boue et l'abîme.
Tous, ils veulent accéder au trône: c'est leur folie -comme si le bonheur était assis sur le trône ! C'est souvent la boue qui est sur le trône -et souvent aussi le trône est sur la boue.
Tous, ils m'apparaissent des fous, des singes qui grimpent, des surexcités. Leur idole sent mauvais, ce monstre froid: tous autant qu'ils sont, ils sentent mauvais, ces idolâtres.
Mes frères, voulez-vous donc étouffer dans les émanations de leurs gueules et de leurs appétits ? Brisez plutôt les fenêtres et sautez dehors, à l'air libre.
Écartez-vous donc de la mauvaise odeur. Fuyez l'idolâtrie des superflus !
Écartez-vous donc de la mauvaise odeur ! Fuyez donc les vapeurs de ces sacrifices humains !
Pour de grandes âmes, la terre est encore à leur disposition. Bien des endroits sont encore vides pour que viennent s'y établir les ermites, seuls ou à deux ; l'odeur de mers tranquilles les entoure.
Une vie libre est encore ouverte aux grandes âmes. En vérité, celui qui possède peu est d'autant moins possédé: louée soit la petite pauvreté.
Là où cesse l'Etat, c'est là que commence l'homme, celui qui n'est pas superflu: là commence le chant de ce qui est nécessaire, la mélodie unique et irremplaçable.
Là où cesse l'Etat, -regardez donc, mes frères ! Ne les voyez-vous pas, l'arc-en-ciel et les ponts du surhumain ?"

Ainsi parlait Zarathoustra.
 »
-Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra. Un livre pour tous et pour personne, Première Partie, "De la nouvelle idole", trad. Georges-Arthur Goldschmidt, Librairie générale française, coll. Le Livre de poche classique, 1983, 410 pages, p.65-69.

 Goldschmidt précise aussi que Nietzsche admirait Hölderlin, or le passage ci-dessus sonne comme du  Hölderlin

"Ils n'ont aucune idée du péché qu'ils commettent ceux qui entendent faire de l'Etat une école des mœurs à adopter. Quoi qu'on dise, c'est bien ce qui a fait de l'Etat un enfer: que l'homme veuille en faire son ciel.
L'Etat, c'est l'écorce rude autour du noyau de la vie et rien d'autre. C'est le mur autour du jardin des fruits et des fleurs de l'humanité
."
-Friedrich Hölderlin, Hypérion ou l'Ermite de Grèce, trad. Jean-Pierre Lefebvre, GF Flammarion, 2005 (1797-1799 pour la première édition allemande), 281 pages, p.99.

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Il y a 12 heures, Johnathan R. Razorback a dit :

J'ai suivi plusieurs cours de Jean-Michel Salanskis, principalement sur Kant, Quine et la philosophie analytique du langage. Ce n'était pas ma tasse de thé (en fait ce sont les pires notes de mon cursus), mais au moins je reconnais que ce sont des questions intéressantes et que Salanskis est un très bon enseignant, il rend ça très vivant. Et je me disais: profite, ça te change des postmodernes infiltrés un peu partout. Un type qui comprend le réfutationnisme poppérien ne saurait être fondamentalement mauvais.

 

Donc je jette à un œil à l'un de ses bouquins, et là, c'est le drame: du jargon phénoménologique qui ne mène nulle part et ne produit même pas de la mauvaise littérature:

 

 

Une autre expérience désagréable, c'est la tendance de l'idéologie à se cacher même là où on ne l'attend pas. Par exemple, je lis tranquillement l'Introduction à la géographie sociale (2014), de Guy Di Méo. C'est très bien, c'est clair, mais voilà-il pas qu'au détour d'une page de l'index des notions:

 

« [La postmodernité] correspond à une époque et à un régime de société : les nôtres. Il s’agit du fruit, plus ou moins direct, de la « chute des murs » (fin des années 1980) et d’une mondialisation/globalisation qui s’effectue sous l’impulsion d’un néocapitalisme libéral ne rencontrant que peu d’entraves de la part de secteurs publics en très net recul. »
-Guy Di Méo, Introduction à la géographie sociale, Armand Colin, coll. Cursus.Géographie, 2014, 189 pages, p.187.

 

Horreur, malheur. Comment peut-on discuter d'épistémologie avec finesse et raconter n'importe quoi sur le poids de l'Etat à ce point ?

 

Dans le genre "n'allons pas trop loin dans la neutralité axiologique", l'ouvrage de Sylvie Aprile (une de mes profs ce semestre) & Michel Rapoport, Le monde britannique. 1815-(1914)-1931 (2010), se veut "sans partis pris" (dixit le préambule). Et après avoir fait un sort à la légende d'un Royaume-Uni libéral dans la première moitiée du 19ème:

 

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« Au début du XIXème siècle, l’Etat britannique est fortement interventionniste. Cette situation est liée à un double héritage. D’une part, la « deuxième guerre de cent ans » qui a poussé le RU à mettre en place un Etat « militaro-fiscal » capable de supporter l’affrontement permanent avec la France et d’assurer le maintien du rang international du pays [Harling, 2001]. D’autre part, le modèle mercantiliste, prégnant jusqu’au XVIIIe siècle, et vecteur d’une importante régulation étatique : la législation est omniprésente dans l’activité, que ce soit dans la production, l’organisation du travail, les flux de main-d’œuvre, le commerce, l’émission de billets, l’activité entrepreneuriale… Le Royaume-Uni reste par ailleurs, jusqu’au milieu du XIXe siècle, un pays protectionniste. Si le marché intérieur est libre, le commerce extérieur reste entravé par une série de barrières douanières parfois anciennes. Les Actes de navigation (Navigation Laws), votés en 1651, 1660 et 1672, édictent que tout produit d’outre-mer importé en Angleterre ou dans l’une de ses colonies ne peut l’être que sur un bateau construit en Angleterre, appartenant à un armateur anglais et monté par un équipage au moins à moitié anglais. Les privilèges des compagnies maritimes, notamment l’East India Company, leur accordent le monopole du commerce de certains produits, à l’exclusion de tout autre importateur. Afin de protéger les secrets technologiques de l’industrie naissante, l’exportation des machines est interdite en 1774, et ce jusqu’en 1842. Cet arsenal protectionniste est encore renforcé en 1815 par le vote des Corn Laws (lois sur les blés), qui instaurent des droits de douane élevés afin d’éviter la concurrence étrangère et d’assurer aux propriétaires, comme aux exploitants, des prix soutenus et des revenus élevés. L’Etat d’ailleurs y trouve aussi son intêret : les droits de douane financent en effet le budget britannique à hauteur de 46%. Dans le même ordre d’idées, afin de protéger l’industrie textile, l’importation de soies et de calicots est interdite. » (p.45)

 

« Le budget du Royaume-Uni passe de 18 millions de livres à l’apogée des Napoleonic Wars, à 67 millions en 1871. Mais avec l’enrichissement du pays, la part de ce budget dans le produit national diminue en fait de 25 à 8% entre ces deux dates. Durant la période, en dépit de l’engagement du Royaume-Uni dans treize guerres et 150 opérations militaires mineures, les dépenses militaires ne cessent de diminuer (les affrontements ont surtout un cadre colonial, où le rapport des forces est très nettement en faveur des Anglais). Ni la politique coloniale, qui n’occupe que 6000 agents dans les années 1880, ni la politique sociale, qui se met en place de façon très progressive, ni viennent grever le budget. » (p.46)

 

« La fiscalité directe ne cesse de s’alourdir, comme en témoigne la pérennisation de l’income tax (impôt sur le revenu). Crée à titre temporaire en temps de guerre en 1799, elle est supprimée en 1816. Peel la rétablit pour le budget de 1843 (voté en 1842), à nouveau à titre provisoire, mais de fait, en dépit du projet de Gladstone de le supprimer en 1874, elle devient définitive. » (p.47)
 

 

 

Voilà t-il pas que l'antilibéralisme obligatoire revient subrepticement: "Les risques crées par l’industrialisation rendent nécessaire une intervention protectrice de la puissance publique. Pour ce faire, une législation régulatrice se maintient ou est crée." (p.46)

 

(notons aussi que le libéralisme est qualifié "d'idéologie libérale", alors que le socialisme ou même l’impérialisme sont plus noblement des "courants de pensées".)

En même temps tu lis d élargir géographie sociale c'est de ta faute.

 

Moi la géo humaine j'ai lâché quand 'a prof nous parlait de l'inégalité rural/urbain sous le prisme marxien. Bullshitologie > 9000

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Il y a 12 heures, Johnathan R. Razorback a dit :

Je relis la section du Ainsi parlait Zarathoustra intitulé "De la nouvelle idole". Il y a là dedans plus qu'assez pour faire un sort à l'appropriation fasciste de Nietzsche. Rien ne le dégoutait tant qu'un État qui s'occupe de culture.

 

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« L'Etat, qu'est-ce que c'est ? Allons ! Maintenant ouvrez vos oreilles, car je vais vous dire ce que j'ai à vous dire de la mort des peuples.

L'Etat c'est ainsi que s'appelle le plus froid des monstres froids et il ment froidement, et le mensonge que voici sort de sa bouche: "Moi, l'Etat, je suis le peuple."
C'est un mensonge ! Des créateurs, ce furent ceux qui créèrent les peuples et qui accrochèrent une foi et un amour au-dessus d'eux: c'est ainsi qu'ils servirent la vie.
Des destructeurs sont ceux qui tendent des pièges pour des multitudes et les appellent l'Etat: ils suspendent au-dessus d'eux un glaive et cent appétits.
Là où le peuple existe encore, il ne comprend pas l'Etat et il le hait comme un mauvais œil et comme un péché contre les coutumes et les droits.
Je vous donne le signe que voici: chaque peuple parle sa langue quand au bien et au mal: le voisin ne la comprend pas. Sa langue, il se l'est inventée dans les coutumes et le droit.
Mais l'Etat, lui, ment dans tous les idiomes du bien et du mal ; et quoi qu'il dise, il ment -et ce qu'il possède, il l'a volé.
Tout est faux en lui ; il mord avec des dents volées, lui qui mord si volontiers. Fausses sont même ses entrailles.
Confusion des langues du bien et mal: ce signe, je vous le donne comme signe de l'Etat. A la vérité, c'est la volonté de mort qu'indique ce signe ! En vérité, il appelle les prédicateurs de la mort.
Il naît beaucoup trop d'humains: pour ceux qui sont en trop, on a inventé l'Etat !
Regardez donc comme il les attire, ces trop-nombreux ! Comme il les ingurgite, et mâche et remâche !
"Sur terre il n'est rien de plus grand que moi: je suis le doigt qui crée l'ordre, le doigt de Dieu", voilà ce que hurle le monstre. Et ce ne sont pas seulement ceux qui ont les oreilles longues et la vue courte qui tombent à genoux !
Hélas, en vous aussi, ô grandes âmes, il susurre ses sombres mensonges ! Hélas, il devine les cœurs riches qui aiment à se dépenser !
Oui, vous aussi il vous devine, vous, vainqueurs du dieu ancien ! Vous vous êtes fatigués au combat et maintenant votre fatigue, de plus, sert à la nouvelle idole.
Elle aimerait disposer autour d'elle héros et hommes d'honneur, la nouvelle idole. Il aime à se chauffer au soleil des bonnes consciences -ce monstre froid !
Elle veut tout vous donner pourvu que vous l'adoriez, la nouvelle idole: aussi achète-t-elle l'éclat de vos vertus et le fier regard de vos yeux !
Elle veut se servir de vous pour appâter ceux qui sont en surnombre ! Oui, il est vrai, on a fait là une trouvaille d'une diabolique habileté: un cheval de mort, tout cliquetant des oripeaux d'honneurs divins.
Oui, l'on a inventé là une mort pour les multitudes, une mort qui se vante d'être la vie: en vérité, un fier service rendu à tous les prédicateurs de mort !
J'appelle Etat le lieu où sont tous ceux qui boivent du poison, qu'ils soient bons ou mauvais ; Etat, l'endroit où ils se perdent tous, les bons et les méchants ; Etat, le lieu où le lent suicide de tous s'appelle - "la vie".
Regardez-les-moi, ces superflus, ils volent les œuvres des inventeurs et les trésors des sages: leur vol, ils l'appellent culture -et tout leur devient maladie et revers !
Regardez-les-moi, ces superflus ! Toujours ils sont malades, ils vomissent leur bile et c'est ce qu'ils appellent leurs journaux. Ils s'entre-dévorent et ne sont pas même capables de se digérer.
Regardez-les-moi donc, ces superflus ! Ils acquièrent des richesses et en deviennent plus pauvres. Ils veulent la puissance et avant tout le levier de la puissance, ils veulent beaucoup d'argent, ces impuissants !
Regardez-les grimper, ces singes agiles ! Ils grimpent les uns par-dessus les autres et ainsi s'entraînent dans la boue et l'abîme.
Tous, ils veulent accéder au trône: c'est leur folie -comme si le bonheur était assis sur le trône ! C'est souvent la boue qui est sur le trône -et souvent aussi le trône est sur la boue.
Tous, ils m'apparaissent des fous, des singes qui grimpent, des surexcités. Leur idole sent mauvais, ce monstre froid: tous autant qu'ils sont, ils sentent mauvais, ces idolâtres.
Mes frères, voulez-vous donc étouffer dans les émanations de leurs gueules et de leurs appétits ? Brisez plutôt les fenêtres et sautez dehors, à l'air libre.
Écartez-vous donc de la mauvaise odeur. Fuyez l'idolâtrie des superflus !
Écartez-vous donc de la mauvaise odeur ! Fuyez donc les vapeurs de ces sacrifices humains !
Pour de grandes âmes, la terre est encore à leur disposition. Bien des endroits sont encore vides pour que viennent s'y établir les ermites, seuls ou à deux ; l'odeur de mers tranquilles les entoure.
Une vie libre est encore ouverte aux grandes âmes. En vérité, celui qui possède peu est d'autant moins possédé: louée soit la petite pauvreté.
Là où cesse l'Etat, c'est là que commence l'homme, celui qui n'est pas superflu: là commence le chant de ce qui est nécessaire, la mélodie unique et irremplaçable.
Là où cesse l'Etat, -regardez donc, mes frères ! Ne les voyez-vous pas, l'arc-en-ciel et les ponts du surhumain ?"

Ainsi parlait Zarathoustra.
 »
-Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra. Un livre pour tous et pour personne, Première Partie, "De la nouvelle idole", trad. Georges-Arthur Goldschmidt, Librairie générale française, coll. Le Livre de poche classique, 1983, 410 pages, p.65-69.

Free_jazz, sors de ce corps !

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