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Il y a 14 heures, Raffarin2012 a dit :

J'apprends qu'il a été écrit entre une première tentative de suicide ratée et une seconde réussie.

Indeed, une histoire de femme de chambre qui éteint le gaz. Raté donc. Sur les dernières années de Drieu, les souvenirs de Berl dans Présence des morts sont très beaux dans mon souvenir à moi. Un peu dans le genre, Citadelle de Saint-Exupéry est beaucoup plus fort, les images sont plus belles et moins travaillées (et quel souffle elles ont !). Je le mets très au-dessus de Drieu. Pour Rebatet, j'ai adoré Les Deux Etendards quand je l'ai lu à seize ans mais je ne sais pas si c'est parce que j'avais seize ans. En tout cas, Steiner et Etiemble (entre autres) ne tarissent pas d'éloges au sujet du bouquin.

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il y a une heure, Vilfredo Pareto a dit :

Un peu dans le genre, Citadelle de Saint-Exupéry est beaucoup plus fort, les images sont plus belles et moins travaillées (et quel souffle elles ont !).

 

J'ai bien aimé Terre des hommes de Saint-Exupéry. Je lirais Citadelle à l'occasion.

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Je lis la biographie de Drieu la Rochelle sur Wikipédia. Ce qui me frappe le plus, c'est d'abord le nombre de vies qu'il a pu avoir, mais aussi, l'impression d'effervescence intellectuelle qui ressort de cette époque : le nombre d'écrivains, de penseurs, et les relations qu'ils entretiennent est impressionnant.

Faut il penser que la lumière a déserté les esprits en France pour éclairer d'autres pays, ou bien, est un phénomène mondial qui touche la littérature et la pensée ?

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Il y a 18 heures, Vilfredo Pareto a dit :

. En tout cas, Steiner et Etiemble (entre autres) ne tarissent pas d'éloges au sujet du bouquin.

 

Je rebondis sur ça : on m'a dit beaucoup de bien Steiner. Deux questions pour ceux qu'ils l'ont lu :

- Est-ce intéressant ?

- Si oui, par quoi commencer ?

 

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Il y a 7 heures, Moustachu a dit :

 

Je rebondis sur ça : on m'a dit beaucoup de bien Steiner. Deux questions pour ceux qu'ils l'ont lu :

- Est-ce intéressant ?

- Si oui, par quoi commencer ?

 

- Oui c'est la vie.

- Errata c'est parfait, c'est une autobiographie intellectuelle, on capte bien le zozo. Très marrant de surcroît (le récit de son dépucelage, teinté d'humour juif, est mémorable). Après, parmi ses essais littéraires, je recommanderais Les Antigones, son grand oeuvre, et il y a Dans le château de Barbe-Bleue, souvent cité (un essai sur la culture européenne, et qui vaut surtout à mon avis pour le style et la plaisir de suivre une pensée élégante que pour l'apport conceptuel effectif) et Extraterritorialité (excellent sur Céline et le chapitre sur la grammaire générative m'avait paru très bien mais je n'ai pas lu Chomsky). Enfin, il y a un pan polémique de l'oeuvre de Steiner avec du bon et du moins bon : son livre sur Heidegger est nul de bout en bout et la plupart de ses entretiens ou articles dans lesquels il raconte à quel point Leni Riefenstahl c'est de la balle, que Speer écrit bien, que Boutang est le plus grand philosophe français depuis Descartes etc. sont rigolos sans plus. Mais son roman Le Transport de A.H. qui raconte l'histoire de deux agents du Mossad qui retrouvent Hitler en Amazonie est plutôt étonnant. Il y a chez Steiner sur la question de la Shoah une tendance certaine à mettre le lecteur mal à son aise, un test continuel : Hitler s'exprime comme Démosthène, Steiner fait un parallèle entre la destruction de la forêt et l'extermination, arguant que les deux participent d'une même tendance métaphysique (celle de l'âge de la technique, c'est le côté heideggerien messianique de Steiner) et je me demande toujours en le lisant si Steiner est ironique (de ce point de vue-là, Le Transport de A.H. ressemble à un livre de Malaparte, peut-être les dernières pages de La Peau), s'il est sérieux (mais dans ce cas il s'exprime par la bouche de Hitler, ce qui reste ironique) ou s'il cherche à déclencher je ne sais quelle émotion esthétique contrariée (celle qu'il dit éprouver devant les films de Riefenstahl) qui te déchire entre admiration esthétique et rejet moral ou politique. Bon je ne sais pas si ça donne envie de lire Steiner du coup ^^

 

Tl;dr : Je te conseille Errata et Les Antigones.

 

Et moi je l'ai découvert ici et il faut avouer qu'il crève l'écran :

Ce petit accent... :wub:

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Il y a 9 heures, Vilfredo Pareto a dit :

- Oui c'est la vie.

- Errata c'est parfait, c'est une autobiographie intellectuelle, on capte bien le zozo. Très marrant de surcroît (le récit de son dépucelage, teinté d'humour juif, est mémorable). Après, parmi ses essais littéraires, je recommanderais Les Antigones, son grand oeuvre, et il y a Dans le château de Barbe-Bleue, souvent cité (un essai sur la culture européenne, et qui vaut surtout à mon avis pour le style et la plaisir de suivre une pensée élégante que pour l'apport conceptuel effectif) et Extraterritorialité (excellent sur Céline et le chapitre sur la grammaire générative m'avait paru très bien mais je n'ai pas lu Chomsky). Enfin, il y a un pan polémique de l'oeuvre de Steiner avec du bon et du moins bon : son livre sur Heidegger est nul de bout en bout et la plupart de ses entretiens ou articles dans lesquels il raconte à quel point Leni Riefenstahl c'est de la balle, que Speer écrit bien, que Boutang est le plus grand philosophe français depuis Descartes etc. sont rigolos sans plus. Mais son roman Le Transport de A.H. qui raconte l'histoire de deux agents du Mossad qui retrouvent Hitler en Amazonie est plutôt étonnant. Il y a chez Steiner sur la question de la Shoah une tendance certaine à mettre le lecteur mal à son aise, un test continuel : Hitler s'exprime comme Démosthène, Steiner fait un parallèle entre la destruction de la forêt et l'extermination, arguant que les deux participent d'une même tendance métaphysique (celle de l'âge de la technique, c'est le côté heideggerien messianique de Steiner) et je me demande toujours en le lisant si Steiner est ironique (de ce point de vue-là, Le Transport de A.H. ressemble à un livre de Malaparte, peut-être les dernières pages de La Peau), s'il est sérieux (mais dans ce cas il s'exprime par la bouche de Hitler, ce qui reste ironique) ou s'il cherche à déclencher je ne sais quelle émotion esthétique contrariée (celle qu'il dit éprouver devant les films de Riefenstahl) qui te déchire entre admiration esthétique et rejet moral ou politique. Bon je ne sais pas si ça donne envie de lire Steiner du coup ^^

 

Tl;dr : Je te conseille Errata et Les Antigones.

 

Et moi je l'ai découvert ici et il faut avouer qu'il crève l'écran :

Ce petit accent... :wub:

 

Merci. Si si tu m'as donné envie de le lire.

Il s'exprime très bien, pas du tout ennuyeux ni soporifique.

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Il y a 8 heures, Moustachu a dit :

Merci. Si si tu m'as donné envie de le lire.

Il s'exprime très bien, pas du tout ennuyeux ni soporifique.

Tu m'en vois ravi. Tu nous diras ce que tu en as pensé ^^

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J’ai terminé de lire l’essentiel de l’essai de François Huguenin intitulé Histoire intellectuelles des droites. Le conservatisme impossible (Perrin, coll. Tempus, 2013 (2006 pour la première édition), 496 pages). Compte-rendu qui pourra intéresser @PABerryer et @Vilfredo Pareto.



Contrairement à ce que laisse entendre la refonte du titre, il ne s’agit pas d’un ouvrage d’histoire (les partis pris normatifs abondent), mais d’un essai autour de l’absence, en France, d’un grand parti conservateur (comme il peut en exister au Royaume-Uni ou ailleurs), qui se propose d’expliquer le fait et mais aussi d’avancer des pistes pour y remédier.



Le point de départ de départ de l’auteur est que la droite s’est divisée historiquement « en deux grands pôles intellectuels que sont le libéralisme et la réaction » (p.9). Ce qui me semble déjà erroné. Premièrement, parce que je serais de l’avis de Guillaume Bernard lorsqu’il explique que les libéraux ne sont pas de droite mais qu’ils se sont trouvés pousser à droite à la suite du sinistrisme et de l’hégémonie de la gauche après 1945. Mais foncièrement, c’est Pascal Salin qui a raison lorsqu’il écrit que « Les libéraux sont "ailleurs" et il est erroné de les situer à droite ou à gauche. » (Libéralisme, 2000, p.19). Deuxièmement, on peut certes contester la classification des droites de René Rémond, mais il ne s’ensuit pas qu’il ne reste à droite que les réactionnaires. La réaction est pour moi l’aile droite de cette partie de la droite qu’est le conservatisme, mais à côté de ce dernier, on trouve des nationalistes et des fascistes (même s’ils furent marginaux dans l’histoire française). Et dans le conservatisme, il y a des figures qui ne sont pas réactionnaires. Par exemple, les gaullistes (ou même La Rocque) ne sont ni des réactionnaires, ni des nationalistes xénophobes et antisémites à la Barrès, et encore moins des fascistes. Idem pour une large part du catholicisme social. Bref, il y a toute une droite à équidistance du libéralisme et des extrêmes-droite dont Huguenin ne tient pas compte. Dire qu’elle n’aurait existé que politiquement mais pas intellectuellement me paraît faux s’agissant du catholicisme social et un peu court également s’agissant du gaullisme (il y a un corpus théorique gaulliste, encore faut-il se donner la peine de le chercher).



Évidemment, ce découpage initial conditionne la logique du reste de l’essai. Tout l’effort de l’auteur va être d’examiner les similitudes et les divergences doctrinales (c’est pour ça que ce n’est pas un livre d’histoire, ou alors de l’ « histoire » des idées intemporelle à la Leo Strauss, d’ailleurs régulièrement cité) entre les contre-révolutionnaires plus ou moins acharnés (Joseph de Maistre, Louis de Bonald, Edmund Burke, Pierre-Simon Ballanche), et les libéraux (dans lequel l’auteur classe à tort Guizot –qui est un conservateur, cf les travaux de Michel Leter- Aron, et Bertrand de Jouvenel, et à raison Tocqueville et Benjamin Constant). Le but explicite étant de critiquer les deux courants l’un par l’autre en essayant d’indiquer quelle part de leurs idéaux ils pourraient conserver pour former un grand mouvement conservateur français, face à la gauche progressiste (mais dont Huguenin a bien tort de dire que cette dernière « s’est ralliée au libéralisme » (p.10) –pis ! il en veut pour preuve les travaux de Jean-Claude Michéa, plusieurs fois cité, mais dont les gens qui ont travaillé savent bien que c’est une nullité intellectuelle. Ce qui n’empêche pas une bonne partie de la droite de se délecter de sa « pensée » socialiste traditionnaliste –il a d’ailleurs droit à une entrée à son nom dans le Dictionnaire du conservatisme).



En dépit de ce mauvais point de départ et de ce mauvais diagnostic, l’ouvrage reste tout à fait intéressant à lire, très clair, bien qu’ardu. Je ne le conseillerais pas à quelqu’un qui n’aurait pas quelques bases en philosophie politique. Par contre, ça me semble intéressant de le lire à la suite de Droit naturel et histoire de Leo Strauss et de l’Histoire intellectuelle du libéralisme de Pierre Manent, vu que Huguenin cite directement ces ouvrages et s’appuie sur leur interprétation (discutable mais intéressante) de la philosophie politique occidentale. C’est un ouvrage tout à fait utile pour comprendre la droite et sa forme contre-révolutionnaire en particulier. Dans la lignée de son étude sur le nationalisme intégral de l’Action française, l’auteur souligne que « les contre-révolutionnaires les plus radicaux […] ne sont pas les héritiers de la pensée traditionnelle. » (p.46-47). Par haine envers le mouvement des Lumières, l’individualisme libéral et la démocratie, les réactionnaires en viennent à contrevenir à des principes classiques (en gros, aristotélo-thomistes) conservés par certains Modernes. La réaction développe une conception purement holistique de la société qui nie toute valeur à l’individu. Par opposition au rationalisme et à l’universalisme, elle en vient à rejeter la notion de droit naturel opposable à l’arbitraire politique, ce qui met son despotisme paradoxalement du même côté que des courants relativistes et positivistes juridiques issus de Hobbes et Rousseau.



On pourrait toutefois reprocher à l’auteur d’homogénéiser abusivement la philosophie moderne, et en particulier de tenir TOUS les Modernes pour des contractualistes (cf p.39 lorsqu’il écrit : « La modernité politique est donc fondée sur un […] primat de l’individu sur la société, laquelle, ne pouvant être un fait de nature, est un artifice, une construction. »). Mais le même reproche vaut pour toute l’école straussienne, qui s’en tient à la trinité scolaire Hobbes-Locke-Rousseau, alors qu’il y a des philosophes à la fois modernes et non-contractualistes –par exemple Spinoza, Holbach, Bentham et Ludwig von Mises, Hegel ou même Saint-Simon ou Karl Marx…



J’ai aussi des critiques sévères à faire valoir contre la manière dont Huguenin traite le libéralisme. D’abord, on ne peut que déplorer qu’alors même qu’il présente son ouvrage comme traitant de l’histoire intellectuelle franco-française (ce qui ne l’empêche pas d’inclure de longs développements sur Burke…), il ignore nombre d’auteurs que les libéraux tiendraient pour importants. Il ne semble pas être au fait de l’existence de Frédéric Bastiat (et par suite des auteurs de l’école de Paris : Dunoyer et Comte, Yves Guyot, etc.). Rien non plus sur certains philosophes libéraux « de gauche », comme Holbach ou Condorcet (mais il est vrai que ça n’aurait pas servi le projet de rapprocher les supposés deux pôles intellectuels de la droite…). Pire encore, Huguenin ne semble pas maîtriser la divergence radicale de principes entre les libéraux et les liberal (sociaux-démocrates modérés), puisqu’il inclut « Rawls et ses épigones » (p.14) dans le libéralisme… On le voit, si l’auteur excelle dans l’exposé des principes sous-jacents à de grand textes de littérature politique comme De la Démocratie en Amérique, il est beaucoup moins fiable lorsqu’il s’agit de monter en généralité, de classifier ou d’identifier certains courants politico-intellectuels…



On peut enfin réellement douter que l’auteur offre une main tendue aux libéraux. En effet, il reconduit toute une série de clichés éculés à leur encontre. Il semble par exemple convaincu que le libéralisme est infesté d’un relativisme moral dont rien n’indique que l’on pourra un jour l'en sauver (cf p.87 notamment « « En évoquant les « actions nuisibles par leur nature », Constant introduit un élément d’objectivité relatif au Bien et qui ouvre une série de questions propres à dynamiter l’édifice libéral »). Il lui arrive de laisser entendre que les penseurs libéraux ne savent pas (toujours à cause du prétendu relativisme moral, dont un sondage récent prouve qu’il est loin d’être hégémonique chez les libéraux contemporains) distinguer entre liberté et licence –le libéralisme serait donc, comme le disait Maurras, un anarchisme… (« [Le libéral] ignore que la liberté, sans borne, est menacée d’inconsistance. Sa vision du progrès l’empêche d’accéder à la réalité des choses. Elle lui voile l’essence des choses et des êtres. », p.220) … ouvrant la voie à une société consumériste mortifère (p.81 « Au nom du choix du mode de vie, la liberté se résume de plus en plus à celle de choisir les biens matériels utiles à la jouissance. »). Je partage bien sûr avec l’auteur l’idée qu’une philosophie complète se doit de « fonder la liberté sur un modèle vertueux, sur une réflexion ontologique à propos de la liberté humaine […] dépasser la liberté en même temps qu’on la décrète. » (p.440), mais celui-ci semble ignorer que des tentatives de ce genre existent déjà au sein de la tradition libérale (par exemple dans l’eudémonisme d’Holbach ou avec l’objectivisme).

La mise à jour de la réédition de 2013 semble indiquer que c’est clairement le libéralisme, et non plus tellement la gauche, que l’auteur a redéfini comme ennemi prioritaire contre lequel unir les droites… (p.434 : « La pensée du théologien catholique américain William Cavanaugh, très influencée par MacIntyre, est aussi de nature à porter la contradiction à la doxa libérale dans un registre non marxiste. » ; p.436 : « C’est le moment pour la droite de regarder en face les limites de son discours et de développer une ligne cohérente de dépassement d’un libéralisme qui est aujourd’hui l’idéologie dominante philosophique, économique et sociale. »). Et l’auteur de pourfendre, comme le premier gauchiste ou le premier Alain de Benoist venu, la « mondialisation », « la financiarisation de l’économie, l’accroissement des inégalités » à cause desquelles « le progrès social est devenu une chimère » (p.441).



On le voit, si l’essai de M. Huguenin demeurera un outil bienvenu et appréciable pour comprendre les courants d’idées politiques de la France contemporaine, on peut douter qu’il incite les libéraux à se sentir les bienvenus dans un hypothétique grand parti de droite à venir…



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Le 18 avril 2019 à 09:03, Moustachu a dit :

 

Merci. Si si tu m'as donné envie de le lire.

Il s'exprime très bien, pas du tout ennuyeux ni soporifique.

 

Euh, je sens une pointe d'ironie dans cette réponse...il y a peut être un léger qui proquo.

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Il y a 6 heures, Johnathan R. Razorback a dit :

l’ « histoire » des idées intemporelle à la Leo Strauss,

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Il y a 6 heures, Johnathan R. Razorback a dit :

D'ailleurs tu l'as lu ? Qu'en as-tu pensé ? J'ai parcouru pas mal d'entrées et ça ressemblait à un best-of de la rédaction d'Eléments (la revue d'A2B).

 

Et merci beaucoup pour ce compte-rendu !

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Il y a 14 heures, Vilfredo Pareto a dit :

D'ailleurs tu l'as lu ? Qu'en as-tu pensé ? J'ai parcouru pas mal d'entrées et ça ressemblait à un best-of de la rédaction d'Eléments (la revue d'A2B).

 

Pas eu le temps (sauf pour les entrées en "A"), mais ça semble intéressant. Par contre la présence d'entrée comme "libéral-libertaire" ou "Michéa" en dit long sur l'influence d'interprétations foireuses, et sur le fait qu'une certaine droite continue de faire des yeux de Chimène à une gauche "orwellienne" / Old left. (Ce qui est effectivement la stratégie d'Alain de Benoist, mais aussi d'un nationaliste comme Rougeyron ou d'un fasciste comme Soral, parmi d'autres).

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Le 20/04/2019 à 22:16, POE a dit :

 

Euh, je sens une pointe d'ironie dans cette réponse...il y a peut être un léger qui proquo.

 

Aucune ironie. Comparé à d'autres universitaires Steiner est claire et pas du tout pompeux et ennuyeux (en plus dans cette vidéo il appuie là où ça fait mail, pas sûr que ce qu'il dit passerait aujourd'hui). 

Je vais essayer de te mettre la main sur des vidéos que j'ai vues il y pas longtemps, tu sauras ce que le mot soporifique veut vraiment dire...

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il y a 37 minutes, Moustachu a dit :

 

Aucune ironie. Comparé à d'autres universitaires Steiner est claire et pas du tout pompeux et ennuyeux (en plus dans cette vidéo il appuie là où ça fait mail, pas sûr que ce qu'il dit passerait aujourd'hui). 

Je vais essayer de te mettre la main sur des vidéos que j'ai vues il y pas longtemps, tu sauras ce que le mot soporifique veut vraiment dire...


 



Je pourrais l'ecouter toute la journee.

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Fini Le droit et les droits de l'homme de Michel Villey.

 

Je recommande fortement si vous souhaitez changer radicalement votre vision des DH, lesquels s'avèrent, en réalité, un non-sens juridique : la conception du droit comme se rapportant à l'Homme lui-même, et plus uniquement aux choses en cas de conflit, donc dans le cadre de rapports sociaux, est une spécificité moderne. Il y a effectivement une incompréhension  1/ d'ordre conceptuel sur ce qu'est le droit; la croyance actuelle voulant que les hommes en soient réellement dotés du fait de leur nature, plutôt qu'en être seulement attributaires 2/ des mécanismes économiques, comme l'illustrent le droit au travail, le droit au logement ou le droit à l'éducation. Les DH ont donc bien une fonction politique, non juridique, et n'ont strictement rien à faire dans le domaine du droit. Cela ne veut toutefois pas dire qu'ils ne sont pas nécessaires pour se protéger des Etats. A mon sens, le problème est qu'ils sont indissociables du positivisme juridique il suffit de constater leur prolifération à travers les différentes générations -  où l'Etat est érigé en véritable débiteur et régulateur de la vie sociale.

 

J'ai un problème. Villey relève la confusion entre droit et morale. Cet article d'Aurélien Biteau "Droit et morale : la confusion des libéraux", que j'ai lu avec attention, ne m'a franchement pas aidée à saisir le problème - s'il en existe un. La distinction me semble superficielle : la Justice ne correspond-t-elle pas à une idée de ce qu'est le Bien, et serait donc, par nature, indissociable de la morale ? Notre code civil en est pourtant empreint, malgré la petite chapelle que l'on chante habituellement aux étudiants de droit en première année, ne serait-ce que par la consécration de la bonne foi, la force obligatoire des contrats ou les bonnes moeurs.

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il y a une heure, poincaré a dit :

1): Je recommande fortement si vous souhaitez changer radicalement votre vision des DH, lesquels s'avèrent, en réalité, un non-sens juridique : la conception du droit comme se rapportant à l'Homme lui-même, et plus uniquement aux choses en cas de conflit, donc dans le cadre de rapports sociaux, est une spécificité moderne.

 

2): Villey relève la confusion entre droit et morale. Cet article d'Aurélien Biteau "Droit et morale : la confusion des libéraux", que j'ai lu avec attention, ne m'a franchement pas aidée à saisir le problème - s'il en existe un. La distinction me semble superficielle : la Justice ne correspond-t-elle pas à une idée de ce qu'est le Bien, et serait donc, par nature, indissociable de la morale ?

 

1): Entre cette critique et l'incompréhension primaire des gens qui me rétorquent que le droit n'est pas naturel parce que les animaux n'en ont pas, ça fait un moment que je milite pour privilégier l’appellation de normes naturels ou de bien naturel.

Un autre argument est que les notions de droits ou de loi, projetées sur la nature, l' "anthropomorphise", ce qui a peut-être un sens dans un cadre théologique chrétien, mais pas en dehors. Alors que parler de norme est cohérent avec l'ontologie matérialiste que je présuppose.

 

2): Je pense qu'on peut peut-être dire que la justice est une partie du Bien (ça semble valide de dire que faire le bien c'est davantage que seulement rendre justice). En outre (mais le droit est une réalité que je comprends assez mal donc je m'avance à petit pas) le droit -ou plutôt le pouvoir politique dont le droit n'est qu'un outil parmi d'autres- doit être hiérarchiquement dépendant la morale* pour éviter le positivisme juridique. Par contre hiérarchisation ne veut pas dire absence d'autonomie ; ça semble valide de dire qu'un risque de confusion entre droit et morale existe. Tous les concepts moraux ne peuvent pas être transformés en concepts juridiques, ou l'être tels quels. Par exemple on pourrait soutenir que l'amour ou du moins certaines de ses formes sont moralement bonnes, mais on voit mal comment ça pourrait devenir un principe juridique, si tant est que l'effectivité du droit est garantie par la violence du pouvoir politique, et qu'un amour rendu effectif par de la violence apparaît comme une impossibilité. (D'une manière générale faire des obligations morales impliquant l'exercice d'une vertu des obligations juridiques -comme le préconisent les perfectionnistes politiques, généralement conservateurs- est contradictoire, parce qu'il n'y a pas de vertu contrainte -alors que la simple non-nuisance à autrui peut être garanti par la menace du gendarme, jusqu'à un certain point en tout cas).

 

* Ce que Julien Freund me semble ignorer, trop occupé qu'il est à souligner l'autonomie du politique vis-à-vis de la morale. Or autonomie n'est pas indépendance complète... Lui-même semble l'admettre discrètement ici ou là, mais comme à contrecœur.

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15 hours ago, Johnathan R. Razorback said:

généralement conservateurs

Depuis quelques temps je crois qu'on peut dire que la gauche ne fait pas mieux sur ce que tu expliques ici très bien.

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il y a une heure, Boz a dit :

Depuis quelques temps je crois qu'on peut dire que la gauche ne fait pas mieux sur ce que tu expliques ici très bien.

 

Le perfectionnisme politique est une forme de collectivisme basé sur des prémisses morales très spécifiques. Il y a des perfectionnistes de gauche (le jacobinisme me semble tomber sous cette catégorie, avec sa référence constante à la vertu), mais pleins de courants de gauche ne sont pas perfectionnistes, soit parce qu'ils sont "individualistes" ou plutôt pluralistes (Rawls par exemple dirait pas, je crois, qu'il y a une hiérarchie des modes de vie ou qu'un mode de vie en particulier est meilleur que tous les autres et doit être imposé politiquement. Et Rawls a influencé un paquet d'autres penseurs politiques contemporains), soit parce qu'ils sont relativistes (comme peuvent l'être, de manière très différentes, Karl Marx, Isaiah Berlin, Castoriadis, ou encore les post-modernes à la Deleuze / Foucault).

 

La différence entre les perfectionnistes politiques et les autres est que les premiers veulent utiliser le pouvoir politique pour façonner les individus vers le modèle abstrait unique d'une certaine individualité, alors que les autres ne formulent pas leurs objectifs politiques de cette façon. Mais en pratique, ils peuvent soutenir les mêmes lois ou les mêmes partis. On peut imaginer qu'un écologiste socialiste perfectionniste n'aura guère de divergences concrètes d'avec son compère non-perfectionniste. Leurs prémisses morales et leur façon d'argumenter seront simplement différentes. Le second pourra se contenter de poser comme souhaitable des objectifs qui n'ont rien à voir avec la qualité éthique des personnes, par exemple dire qu' "il faut sortir du capitalisme destructeur de la nature" ou que "les animaux ont une valeur intrinsèque".

 

C'est important de maîtriser cette catégorie parce qu'une fois qu'on a montré que le perfectionnisme politique est intenable, on réfute plusieurs positions différentes à la fois à droite (auquel cas en général conservatrices, peut-être fascistes aussi mais c'est moins clair) et à gauche. C'est un sacré gain de temps, en plus du bug cognitif qu'on peut produire chez l'adversaire en lui montrant qu'il résonne exactement comme des gens dont les positions l'horrifient (par exemple le jacobin ou le liberal pour le conservateur, et inversement).

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Il y a 17 heures, Johnathan R. Razorback a dit :

1): Entre cette critique et l'incompréhension primaire des gens qui me rétorquent que le droit n'est pas naturel parce que les animaux n'en ont pas, ça fait un moment que je milite pour privilégier l’appellation de normes naturels ou de bien naturel.

Elle est pertinente, pourtant : si on veut saisir la réalité du droit, du moins sa fonction réelle, rien de mieux que la conception antique (cf Livre V des éthiques à Nicomaque). Le droit comme une chose inhérente à l'espèce humaine n'a plus beaucoup de sens lorsqu'on réalise qu'il a vocation à régir uniquement les rapports humains : seul sur ton île, le droit n'a plus d'objet. Jusqu'à ce qu'un autre vienne sur tes terres.

 

D'ailleurs, le droit naturel dans la theorie moderne humaniste (droit innés), ça marche pour l'australopithèque ? ou c'est uniquement pour l'homo sapiens ?

 

Citation

2): Je pense qu'on peut peut-être dire que la justice est une partie du Bien (ça semble valide de dire que faire le bien c'est davantage que seulement rendre justice). En outre (mais le droit est une réalité que je comprends assez mal donc je m'avance à petit pas) le droit -ou plutôt le pouvoir politique dont le droit n'est qu'un outil parmi d'autres- doit être hiérarchiquement dépendant la morale* pour éviter le positivisme juridique. Par contre hiérarchisation ne veut pas dire absence d'autonomie ; ça semble valide de dire qu'un risque de confusion entre droit et morale existe. Tous les concepts moraux ne peuvent pas être transformés en concepts juridiques, ou l'être tels quels. Par exemple on pourrait soutenir que l'amour ou du moins certaines de ses formes sont moralement bonnes, mais on voit mal comment ça pourrait devenir un principe juridique, si tant est que l'effectivité du droit est garantie par la violence du pouvoir politique, et qu'un amour rendu effectif par de la violence apparaît comme une impossibilité. (D'une manière générale faire des obligations morales impliquant l'exercice d'une vertu des obligations juridiques -comme le préconisent les perfectionnistes politiques, généralement conservateurs- est contradictoire, parce qu'il n'y a pas de vertu contrainte -alors que la simple non-nuisance à autrui peut être garanti par la menace du gendarme, jusqu'à un certain point en tout cas).

Ça me semble tout à fait pertinent. Si Aurélien Biteau avait argumenté de la sorte, ça aurait été tout de suite plus intelligible.

 

Droit et morale sont donc autonomes, mais pas indépendants. Il me semble que l'idée nocive que tu vises ici renvoie à la croyance selon laquelle le pouvoir politique aurait notamment pour rôle d'inciter les hommes à agir en conformité avec certains principes moraux, alors que la morale est éminemment personnelle. Exemple : lutte contre le tabagisme et santé publique.

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17 hours ago, Johnathan R. Razorback said:

Je pense qu'on peut peut-être dire que la justice est une partie du Bien (ça semble valide de dire que faire le bien c'est davantage que seulement rendre justice).

Le droit (positif) est un ensemble de principes moraux solidifiés parce qu'ils sont considérés (par la population sur laquelle ce droit est appliqué) comme suffisamment importants pour être défendus par la force. Le droit naturel est un autre ensemble de principes qui permettent de juger et comparer normativement les droits positifs.

On dit qu'il ne faut pas confondre le droit et la morale et c'est vrai dans une certaine mesure (même si c'est un cliché) parce que les sentiments d'un péquenaud en particulier sur une situation ne sont pas opposable au cadre juridique du groupe entier (même dans le cas-limite où cette personne décide d'être "héroïque" au sens de @neuneu2k, elle accepte simplement les conséquences juridiques de son action). Seulement le système législatif qu'on se tape tombe très exactement dans cette confusion puisqu'il transmet le processus d'établissement des lois aux mains d'un groupe de péquenauds. Lié au positivisme juridique ça veut dire qu'on leur laisse carte blanche pour décider des principes moraux les plus importants pour toute la population et c'est n'imp. A fortiori quand des mecs prétendent définir des droits de l'homme qui cristalliseraient la morale de toute l'humanité.

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Il y a 22 heures, poincaré a dit :

1): Droit et morale sont donc autonomes, mais pas indépendants.

 

2): Il me semble que l'idée nocive que tu vises ici renvoie à la croyance selon laquelle le pouvoir politique aurait notamment pour rôle d'inciter les hommes à agir en conformité avec certains principes moraux, alors que la morale est éminemment personnelle. Exemple : lutte contre le tabagisme et santé publique.

 

1): Je dirais plus exactement que la morale et la politique (dont le droit est un outil) sont autonomes mais que la seconde est hiérarchiquement ordonnée à la première (et je serais tenté de soutenir que toutes les essences, au sens anthropologique de Freund, sont en fait hiérarchiquement subordonnées à la morale, car la morale étant ce que je dois faire, toute activité humaine imaginable en est de facto une partie, même s'il est important de saisir que toutes ces activités ou dimensions existentielles de l'être humain ont des buts ou des règles spécifiques. En ce sens, Machiavel -dont s'inspire explicitement Freund- demeure un penseur majeur en soulignant que les vertus politiques ne sont pas celles qu'on peut attendre d'une personne privée, leçon dont l'expérience quotidienne montre qu'elle n'est pas acquise):

 

"Au deuxième sens, l’essence a un caractère ontologique. Elle définit alors une des orientations et activités vitales ou catégoriques de l’existence humaine, sans lesquelles l’être humain ne serait plus lui-même. Toute essence en ce sens a pour fondement une donné de la nature humaine ; par exemple il y a une politique parce que l’homme est immédiatement un être social, vit dans une collectivité qui constitue pour une grande part la raison de son destin. La société est donc la donnée du politique, comme le besoin est la donnée de l’économique ou la connaissance celle de la science. Dans ce cas il ne s’agit plus seulement d’analyser l’essence du politique et nous dirons même que la politique est une essence. Nous croyons qu’il y a six essences de cette sorte : la politique, l’économie, la religion, la morale, la science et l’art. Comprises en ce deuxième sens les essences se distinguent de ce que nous appelons les dialectiques, comme le droit, la question sociale, l’éducation, etc. La caractéristique de ces dialectiques consiste en ce qu’elles ne se fondent pas sur une donnée de la nature humaine, mais sur deux ou plusieurs essences au sens ontologique. Ainsi le droit a pour fondement la morale et la politique, la question sociale a pour fondement la politique et l’économie." (p.5)

 

Le problème que j'ai avec Freund est qu'il est tellement engagé dans une lutte pour souligner l'autonomie des essences (typiquement: la politique est irréductible à la morale -d'où sa critique impitoyable du pacifisme, qui n'a rien à voir avec faire la paix), à lutter contre les confusions ou les prétentions abusives de l'une sur l'autre, qu'ils ne les pensent plus comme hiérarchisées (ce qui devait à mon avis être le cas dans la tradition aristotélo-thomiste). Il suppose en passant que « La confusion entre politique et morale est peut-être nécessaire à toute entreprise politique qu’elle soit de commandement ou de révolte. » (p.179), mais il considère justement ça (à tort) comme une confusion, pas comme un indice d'une primauté d'une dimension de l'existence humaine sur les autres, d'une dépendance de la politique envers quelque chose qui n'est pas elle et qui lui donne un sens hors duquel elle serait une activité vidée de sa finalité, réduite à la pure recherche et conservation du pouvoir, définalisée comme le serait une éducation qui se limiterait à contrôler les élèves sans les instruire ni les rendre autonomes, ou un art qui se limiterait à exprimer des émotions ou mobiliser une technique ou "créer du nouveau" ou "faire passer un message", sans souci pour la qualité proprement esthétique (c'est-à-dire la beauté) résultante de l'activité... (cette dernière phrase est dédiée à @NoName).

 

Il écrit au contraire que: "Entre politique et morale il y a une différence d’essence. L’une n’est pas le prolongement ni l’aboutissement ni le couronnement de l’autre." (p.42) -ce qui ouvre la voie au collectivisme en ce sens que, si on pose le bien moral et le bien politique comme séparés, on doit alors admettre qu'il y a des situations où les deux entrent en conflit sans pouvoir être réconciliés, on l'on se retrouve sans principes pour choisir ce qui serait préférable, où l'on doit préférer arbitrairement Créon ou Antigone sans qu'une objectivité puisse permettre d'argumenter et de légitimer nos préférences, et où l'on peut in fine choisir arbitrairement de privilégier un "intérêt général" hypostasié contre le bien de l'individu.

Or il me semble que la situation tragique ainsi définie n'existe en fait pas (parce qu'il ne peut y avoir de conflits entre différents biens qui sont réellement des biens, inter-individuels ou entre l'individu et la collectivité. Mais j'admets qu'à ce stade je ne saurais pas comment démontrer systématiquement cette thèse, et que d'aucun pourrait railler un libéralisme universalisme "naïf" et abusivement optimiste, qui se donne a priori des "harmonies" éthiques là où il n'y en a pas toujours).

 

2): Non. Je m'oppose au perfectionnisme politique, c'est-à-dire que je conteste que le pouvoir politique soit à la fois légitime et capable de rendre les individus bons, de les faire se conformer à un modèle de la vie bonne. D'une part parce qu'on ne peut pas rendre les gens bons par des moyens violents (et la Loi repose sur la force publique et non sur la seule autorité que nous sommes prêts à conférer à nos gouvernants) ; d'autre part parce que si on admet comme légitime de telles prétentions et une telle étendue au pouvoir politique, les conceptions de la vie bonne étant très différentes au sein de la société, tous les groupes dotés d'un idéal éthique chercheront à utiliser le pouvoir pour l'imposer aux autres, ou du moins à tenir le pouvoir pour empêcher les autres de les détruire. Il s'ensuivra une guerre de tous contre tous. C'est justement pour sortir de ce cercle vicieux que le libéralisme s'est développé comme solution politique aux guerres de religions.

 

Mais dire que le pouvoir politique ne peut ni ne doit chercher à rendre les individus bons, ce n'est pas dire qu'il ne peut pas obliger les hommes à agir en conformité avec certains principes moraux... Car dire cela serait rompre la subordination du politique à la morale, et vider la loi de tout contenu éthique (ce que fait le positivisme juridique. Ce n'est pas un hasard si Hobbes, observant les ravages des guerres de religion et donc du perfectionnisme politique, ait pensé trouvé la solution de la paix civile dans le relativisme moral et dans le fait de vider la loi de tout fondement moral pour la réduire à un impératif de survie en se subordonnant au pouvoir).

Hobbes (et Spinoza) avaient raison de dire (et étaient "pré-libéraux" en souhaitant) que le pouvoir politique doit se contenter de l'obéissance des gouvernés à la Loi, et non d'une adhésion en leur fort intérieur au contenu de la loi, d'une transformation de la qualité éthique des gouvernés par la Loi. Ce faisant, ils portèrent un coup puissant à l'encontre du perfectionnisme politique de la tradition occidentale (de Platon à la scolastique tardive). Mais ils le combattirent à partir de mauvaises prémisses (relativistes, contractualistes, et reconduisant une forme d'absolutisme positiviste-juridique). L'erreur, ce n'était pas de subordonner la politique à la morale, c'était et de se tromper sur la véritable morale, et de chercher à réaliser intégralement une moralisation des êtres humains par des moyens politiques (donc violents).

 

Si les gouvernés ne sont pas tenus d'adhérer à la loi ou de se laisser transformer qualitativement par elle, mais seulement de lui obéir pour assurer la continuité de l'ordre social et politique, ils ne sont plus empêchés de réfléchir et de discuter du bien-fondé de la Loi (et en ce sens Hobbes et surtout Spinoza sont "pré-libéraux" en ruinant la légitimité de la censure, qui est cohérente dans le cadre du perfectionnisme politique où l'on veut, depuis Platon, transformer les croyances intimes des gouvernés). Du coup, il devient possible de voir (mais ça implique de reconnaître la validité d'une certaine ontologie et d'une certaine anthropologie) que certaines lois sont objectivement meilleures que d'autres, que la Loi doit se subordonner à certains principaux moraux fondamentaux et que le pouvoir politique peut être renversé s'il les violent (et historiquement c'est là qu'arrive John Locke, qui n'est ni relativiste ni perfectionniste). On peut donc échapper à l'arbitraire positiviste sans retomber dans le perfectionnisme et son incapacité à faire coexister des groupes ayant des conceptions divergentes de la vie bonne.

 

Je soutiens donc que la morale est objective, universelle, rationnellement découvrable, et que le pouvoir politique doit s'y conformer (ce qui implique que les gouvernés, en suivant la Loi, suivront certains principes moraux, mais ce n'est pas une conception perfectionniste parce que ces principes se limitent à rendre la vie sociale possible malgré la conflictualité des idéaux et des valeurs, et non à faire en sorte que les individus suivent une conception de la vie bonne, qui a un caractère "totalisant" -elle ne définit pas seulement la justice mais la totalité de ce que je devrais faire et être). Je défends donc une conception libérale jusnaturaliste.

 

Je ne dirais pas non plus que la morale est personnelle. Je pense que les principaux moraux sont universellement valables et qu'il implique des vertus et des attitudes qui déterminent ce qu'est la vie bonne (la manière dont cet idéal général se décline en des vies particulières faites de goûts et d'activités diverses est un problème beaucoup moins sérieux que ne le croient les sceptiques ou les relativistes, mais je le traiterais une autre fois). Tout ce que je me borne à soutenir est que l'existence d'un genre de vie objectivement meilleur que les autres ne fonde pas les prétentions d'un pouvoir politique à chercher à l'imposer, et s'y opposerait même (parce que la rectitude morale conduit à s'opposer à un pouvoir politique abusif).

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Je n'ai pas eu le temps d'éditer mais l'extrait de Freund que j'ai cité (p.5) est bien sûr tiré de son indispensable opus magnum, L'Essence du politique.

 

Sinon je crois que c'est mon meilleur post depuis longtemps :D J'arrive de mieux en mieux à présenter "ma" philosophie (enfin j'espère que c'est aussi clair pour vous que pour moi ! XD).

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1 hour ago, Johnathan R. Razorback said:

Je dirais plus exactement que la morale et la politique (dont le droit est un outil)

Meh.

 

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la morale étant ce que je dois faire, toute activité humaine imaginable en est de facto une partie

Les humains évoluent dans le monde physique. Toute activité humaine imaginable est donc une partie de la physique.

 

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Or il me semble que la situation tragique ainsi définie n'existe en fait pas (parce qu'il ne peut y avoir de conflits entre différents biens qui sont réellement des biens, inter-individuels ou entre l'individu et la collectivité. Mais j'admets qu'à ce stade je ne saurais pas comment démontrer systématiquement cette thèse, et que d'aucun pourrait railler un libéralisme universalisme "naïf" et abusivement optimiste, qui se donne a priori des "harmonies" éthiques là où il n'y en a pas toujours).

Effectivement ça me semble relever de la foi.

 

Quote

Si les gouvernés ne sont pas tenus d'adhérer à la loi ou de se laisser transformer qualitativement par elle, mais seulement de lui obéir pour assurer la continuité de l'ordre social et politique, ils ne sont plus empêchés de réfléchir et de discuter du bien-fondé de la Loi (et en ce sens Hobbes et surtout Spinoza sont "pré-libéraux" en ruinant la légitimité de la censure, qui est cohérente dans le cadre du perfectionnisme politique où l'on veut, depuis Platon, transformer les croyances intimes des gouvernés). Du coup, il devient possible de voir (mais ça implique de reconnaître la validité d'une certaine ontologie et d'une certaine anthropologie) que certaines lois sont objectivement meilleures que d'autres, que la Loi doit se subordonner à certains principaux moraux fondamentaux et que le pouvoir politique peut être renversé s'il les violent (et historiquement c'est là qu'arrive John Locke, qui n'est ni relativiste ni perfectionniste). On peut donc échapper à l'arbitraire positiviste sans retomber dans le perfectionnisme et son incapacité à faire coexister des groupes ayant des conceptions divergentes de la vie bonne.

La tension est bien formulée ici (et dans le post en général) entre l'idée d'une nécessaire finalité morale du pouvoir et le rejet du perfectionnisme, mais je ne suis pas certain qu'elle soit tout à fait résolue... Il faudra qu'on en discute de manière plus approfondie dans le thread sur l'éthique (j'ai lu récemment un article rigolo contre le réalisme moral :mrgreen:).

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il y a 18 minutes, Lancelot a dit :

1): Effectivement ça me semble relever de la foi.

 

2):  Il faudra qu'on en discute de manière plus approfondie dans le thread sur l'éthique (j'ai lu récemment un article rigolo contre le réalisme moral :mrgreen:).

 

1): Disons que la plupart des soi-disant dilemmes moraux insolubles que j'ai pu croisé ne m'ont guère paru difficile à résoudre dans le cadre théorique que j'ai retenu, et donc a priori je suis optimiste sur le fait qu'il n'existe en fait pas de dilemmes insolubles ou de situations où toutes les parties auraient autant raison les unes que les autres (d'ailleurs je compte écrire un petit essai sur le cas paradigmatique de Créon et Antigone pour exposer cette idée). Mais je ne vois pas comment on pourrait établir définitivement et par avance qu'il en serait ainsi dans tous les cas conflictuelles imaginables. C'est plus une orientation de pensée qu'une position théorique en bonne et due forme.

 

2): Avec plaisir ;)

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il y a 28 minutes, Lancelot a dit :

Les humains évoluent dans le monde physique. Toute activité humaine imaginable est donc une partie de la physique.

 

Bon, sans en être une partie au sens disciplinaire, mes activités sont tout de même subordonnées aux lois physiques... Pourquoi n'en serait-ils pas de même avec la morale (ce qui présuppose certes que la morale est objective) ?

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D'ailleurs j'aurais bien voulu demander à @Mégille s'il n'existe pas un nom pour qualifier la différence entre ceux qui pensent que la politique est subordonnée à la morale (les "classiques" depuis Platon jusqu'aux néo-thomistes, mais aussi des libéraux jusnaturalistes comme Holbach ou Ayn Rand, ou utilitaristes comme Bentham, ou bien encore des socialistes non-marxistes comme Kant Proudhon, Péguy, Jaurès, Henri de Man, les soréliens...), et ceux qui pensent que non, soit parce qu'il y a un conflit impossible à résoudre rationnellement entre les deux (Machiavel, Rousseau, Max Weber et Julien Freund), soit parce qu'il n'y a même pas de bien moral auquel subordonner le politique (Hobbes, Sade, Stirner, etc).

 

Y a des pages fort intéressantes de Berlin là-dessus.

 

« Je me rendis compte que toutes ces conceptions [réalistes-morales] partageaient un même idéal platonicien : en premier lieu, comme dans les sciences exactes, toutes les vraies questions devaient avoir une bonne réponse et une seule, tout le reste était nécessairement erroné ; en deuxième lieu, il devait exister une voie sûre menant à la découverte de ces vérités ; en troisième lieu, les bonnes réponses, une fois trouvées, devaient nécessairement être compatibles entre elles et former une totalité unique, car une vérité ne pouvait en contredire une autre –cela, nous le savions a priori. Cette espèce d’omniscience était la solution du puzzle cosmique. Quant à la morale, nous pourrions alors déterminer ce que devait être une vie parfaite en nous fondant sur une exacte intelligence des règles qui régissent l’univers. » (Isaiah Berlin, « La recherche de l’idéal », 1988, in Le bois tordu de l’humanité. Romantisme, nationalisme et totalitarisme, Albin Michel, coll. Idées, 1992 (1990 pour la première édition britannique), 258 pages, p.19)

« A un certain stade de mes lectures, je rencontrai naturellement les œuvres majeures de Machiavel. Elles produisirent sur moi une impression profonde et durable, et m’ébranlèrent dans mes convictions. Je tirai d’elles non leurs enseignements les plus visibles […] mais autre chose. » (p.21)


« [Machiavel] ne condamne pas les vertus chrétiennes : il signale simplement que les deux morales sont incompatibles, et il ne reconnaît pas de critère supérieur qui nous permette de trancher entre elles. La combinaison de la virtu et des valeurs chrétiennes constitue pour lui une impossibilité. Il vous laisse simplement devant le choix –lui sait où vont ses préférences.
Ce fut pour moi la découverte –qui m’ébranla quelque peu- que toutes les valeurs suprêmes poursuivies par l’humanité aujourd’hui et par le passé n’étaient pas nécessairement compatibles les unes avec les autres. Cela sapa ma conviction antérieure, fondée sur la philosophia perennis, qu’il ne pouvait exister de conflit entre des fins authentiques, des bonnes réponses aux questions clés de la vie." (p.22)

 

Bien entendu il n'admet pas de bien objectif parce qu'il n'admet pas l'idée qu'il existe une nature humaine:

 

« L’hypothèse […] selon laquelle la nature humaine est fondamentalement [sic] identique en tout temps comme en tout lieu et obéit à des lois éternelles échappant à la maîtrise des hommes, est un postulat que seule une poignée de hardis penseurs ont osé mettre en doute. »
-Isaiah Berlin, « Giambattista Vico et l’histoire culturelle », 1983, in Le bois tordu de l’humanité. Romantisme, nationalisme et totalitarisme, Albin Michel, coll. Idées, 1992 (1990 pour la première édition britannique), 258 pages, p.78.

 

Le malheureux en est réduit au sophisme ad populum -comme le premier partisan de l'éthique de la discussion venu- comme outil de direction morale:


« Il nous faut pas dramatiser l’incompatibilité des valeurs ; il existe de larges zones de consensus parmi les gens de diverses sociétés durant de longues périodes de temps quant au bien et au mal, au vrai et au faux. »
-Isaiah Berlin, « La recherche de l’idéal », 1988, in Le bois tordu de l’humanité. Romantisme, nationalisme et totalitarisme, Albin Michel, coll. Idées, 1992 (1990 pour la première édition britannique), 258 pages, p.31.

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L'opposition est intéressante, mais je ne connais pas de paire de -isme qui lui corresponde. Il me semble que le premier à la dramatiser, avant Machiavel, est Augustin, lorsqu'il oppose cité terrestre et cité de Dieu... Mais pour rejeter toute la politique de ce bas monde.

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il y a 47 minutes, Mégille a dit :

L'opposition est intéressante, mais je ne connais pas de paire de -isme qui lui corresponde.

 

Pourtant ça me serait bien utile d'avoir un terme sous la main pour souligner que je suis, sur un point fondamental, d'accord avec Platon ou Kant, tout en ayant plein d'autres divergences fondamentales par ailleurs...

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Je pense de plus en plus que l'oubli ou la négation de la nature humaine à l’œuvre dans la philosophie moderne (particulièrement dans sa variante allemande) et le relativisme moral calamiteux qui en découle (violence incluse, Rothbard ayant raison de pointer qu'il est naïf de croire que le relativisme porte à la paix, il porte tout autant à la violence puisqu'il supprime la possibilité d'un accord et d'une obéissance rationnelle) trouve son origine dans la philosophie de Kant et avant lui de Rousseau.


"Kant et après lui le jeune Fichte déplacent l'idée de nature humaine et pensent l'unité de l'humanité en termes de destination: les Droits de l'Homme ne sont pas des droits originaires. Il est cependant possible d'arguer que la rationalité et la liberté, la capacité d'arrachement aux déterminations naturelles, caractérisent bien une sorte paradoxale de nature, mais dont l'ouverture, la perfectibilité la distingue de toute essence immuable et implique la "discutabilité" des propositions éthiques et politiques. En tout état de cause, le recours à la Nature n'est guère satisfaisant, puisqu'il paraît possible de lui faire dire à peu près ce que l'on veut*, comme le montre l'exemple du séduisant Calliclès. Le fondement du Droit ne peut qu'être lui-même de l'ordre de la convention, du discutable, même s'il s'agit d'une norme supérieure (universalisable), en ce sens qu'elle permet de critiquer les lois positives." (Alain Boyer, "Justice et égalité, in Denis Kambouchner (dir.), Notions de philosophie, III, Gallimard, coll Folio essais, 1995, 736 pages, pp.9-83, p.30).

 

* Vous aurez noté le côté sophistique de ce point. Comme disait Péguy: « S’il fallait renoncer à toutes les valeurs de l’homme et du monde à mesure que les politiciens s’en emparent et entreprennent de les exploiter, il y a longtemps qu’il n’y aurait plus rien. » (Charles Péguy, « Note sur M. Descartes et la philosophie cartésienne », Cahiers de la Quinzaine, 1er août 1914, repris in Note conjointe, Gallimard, NRF, 1935, 319 pages, p.150). Le fait qu'on se soit effectivement servi de la référence à la nature pour justifier tout et n'importe quoi ne prouve pas que tout ces usages contradictoires étaient en fait justifiés.

 

Comme Isaiah Berlin, comme tant de socdems, Boyer est lui même contraint de déduire de ses prémisses un démocratisme radical et nihiliste, érigeant le sophisme ad populum au rang de norme. Le bien, c'est ce sur quoi les gens se seront mis d'accord, peu importe le contenu: "Nous supposerons également comme peu contestables l'idée selon laquelle une situation dans laquelle tout le monde est plus satisfait que dans une autre est préférable à cette dernière (principe d'unanimité ou "de Pareto"). Si une situation A est plus inégalitaire que B, mais que tous les individus préfèrent pour ce qui les concerne A à B, alors A doit être "socialement" préférée à B." -Alain Boyer, "Justice et égalité, in Denis Kambouchner (dir.), Notions de philosophie, III, Gallimard, coll Folio essais, 1995, 736 pages, pp.9-83, p.51-52.

 

Les théoriciens néo-kantiens de l'éthique de la discussion (abusivement qualifiés de libéraux dans ce qui suit, une fois de plus par confusion avec les liberals) en sont au même point, c'est-à-dire au raz-des-pâquerettes: "La philosophie politique moderne tente de parer aux dangers du principe occamien et spinoziste par la doctrine du droit divin des rois, c’est-à-dire du fondement a priori d’un pouvoir politique absolu, elle conçoit aussi de remédier à l’anarchie qui peut découler du conflit du droit naturel de chacun par le contrat originaire constitutif de la société politique, comme il apparaît encore. L’éthique de la discussion présente un analogon de cette position, tout en maintenant le principe occamien d’une volonté, c’est-à-dire d’une liberté absolue de toute finalité naturelle ou commune. La fonction de l’éthique, c’est-à-dire en définitive de l’Etat minimal du libéralisme, est en effet de chercher à réguler les tendances indéfiniment multiples de la société en assurant leur co-existence pacifique par une procédure de concertation permanente. La condition de cet ordre apparent, de cette « stabilité » de la société, selon l’expression de Rawls, n’est pas une éthique « métaphysique » appuyée sur quelques principes « extérieurs » au conflit des intérêts humains, telles, pour faire court, la finalité du bien ou du moins l’utilité individuelle ou collective, mais un débat démocratique susceptible d’amener à un consensus social sur les règles sociales nécessaires, dans l’ « espace public » de la « communication langagière », qui joue dans le domaine pratique le rôle des conditions transcendantales de l’analyse kantienne. Ce sont ces règles qui pourront être alors considérées comme « bonnes », au moins pour un temps, jusqu’à ce que de nouveaux conflits exigent de nouvelles règles." (André de Muralt, L’unité de la philosophie politique. De Scot, Occam et Suarez au libéralisme contemporain, Librairie philosophique Vrin, coll. Bibliothèque d’histoire de la philosophie, 2002, 198 pages).

 

Vous remarquerez du reste que ces principes ont infusés la manière actuelle de gouverner en France. Quand le président dit: "Je crois au dialogue", ça signifie: "je ne sais pas comment argumenter pour légitimer mes décisions, alors on va créer un machin ad hoc pour faire discuter les citoyens ou des "experts indépendants", et ensuite ce sera du "ta gueule c'est démocratique" au menu". Brillant.

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