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Populisme Latino-américain


Dardanus

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Regain du populisme latino-américain, par Paulo A. Paranagua

LE MONDE | 23.06.06 |

Lors du second tour de l'élection présidentielle au Pérou, le 4 juin, l'ancien président Alan Garcia, qui l'a emporté face au nationaliste Ollanta Humala, a été, par souci pédagogique, étiqueté "social-démocrate". A vrai dire, le scrutin péruvien était un cas d'école, puisqu'il opposait deux représentants d'un même phénomène : le populisme. M. Garcia est en effet le leader de l'Alliance populaire révolutionnaire américaine (APRA). Fondée en 1924, l'APRA prônait la lutte contre "l'impérialisme américain" et "la nationalisation des terres et de l'industrie". Obligée de se battre sur deux fronts - à la fois contre les militaires et contre les communistes -, l'APRA préfigurait les mouvements nationalistes qui proliférèrent après la crise de 1929.

Au Mexique, les caudillos de la révolution de 1910 ont mis du temps à trouver la manière de se perpétuer sans recourir aux armes. Ainsi le général Lazaro Cardenas, président du Mexique de 1934 à 1940, a donné une base sociale au Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) par la réforme agraire et la nationalisation du pétrole. En contrepartie, l'Etat a assuré son emprise sur les syndicats. La vache à lait pétrolière a permis au PRI de régner sans partage pendant soixante et onze ans.

Au Brésil, Getulio Vargas, qui est parvenu au pouvoir par la force (1930-1945) puis y est revenu par les urnes (1950-1954), a joué la double carte du nationalisme et de la redistribution des revenus. Les partisans de ce président très charismatique, qui n'ont pas hésité à s'appeler eux-mêmes "getulistes", ont dominé la vie politique brésilienne pendant trois ou quatre décennies.

A l'instar de l'APRA, la dictature de Getulio Vargas s'est battue sur deux fronts : à gauche, contre le Parti communiste brésilien, qui a tenté un coup d'Etat militaire en 1935 ; à droite, contre la bourgeoisie libérale de Sao Paulo et le mouvement fasciste. A l'arrivée, M. Vargas a favorisé l'industrialisation, notamment dans la sidérurgie, en faisant jouer un rôle moteur à l'Etat. Face à la superproduction de café, après le krach de Wall Street, Getulio Vargas réoriente les investissements vers les manufactures, force la main des banques ou des chefs d'entreprise et contrôle les syndicats par une législation inspirée de la Carta del lavoro (charte du travail) mussolinienne.

L'Argentine représente le troisième cas. En première ligne dans le coup d'Etat militaire de 1943, le général Juan Peron, qui veut incarner la "troisième alternative" entre le capitalisme et le communisme, est président de 1946 à 1955 puis de 1973 jusqu'à sa mort, en 1974. "Grenier du monde", l'Argentine s'industrialise et s'urbanise et sort de la seconde guerre mondiale avec un trésor public pléthorique. Les premières années du péronisme sont considérées par les salariés comme un âge d'or. Mais elles seront suivies par dix-huit ans d'ostracisme.

Au pouvoir ou dans l'opposition, le péronisme marque la vie politique argentine depuis soixante ans. Durant ces dernières années, le parti péroniste a été incarné aussi bien par l'ancien président Carlos Menem, qui a mené des privatisations "néolibérales", voire mafieuses, que par l'actuel chef de l'Etat, Nestor Kirchner, qui a réhabilité les victimes de la dictature militaire.

La longévité des partis populistes montre que le président vénézuélien, Hugo Chavez, porté aux nues par l'extrême gauche européenne, n'a pas innové. Contrairement à l'Europe, où le terme populisme est souvent associé à des mouvements à droite de l'échiquier politique, en Amérique latine le phénomène a toujours été ambivalent.

Ainsi, au Pérou, M. Humala prétend n'être "ni de droite ni de gauche, mais d'en bas". En Colombie, le président conservateur Alvaro Uribe - qui s'est fait réélire haut la main le 28 mai - montre la même disposition que son homologue vénézuélien à s'adresser directement au peuple. La radio chère à Getulio Vargas et à Evita Peron a été remplacée par la télévision, mais la volonté de tisser un lien direct avec les "masses" perdure, dans un contexte de crise des partis traditionnels.

L'APANAGE DE DÉMOCRATIES FRAGILES

Le cours du baril de brut donne des ailes au "chavisme" et favorise son prosélytisme international. Sans la moindre transparence, l'argent du pétrole alimente les programmes sociaux et arrose les "amis de la révolution bolivarienne", au détriment d'investissements susceptibles de développer une économie qui ne dépendrait plus uniquement de la rente énergétique. Le populisme stimule la corruption, car les contrôles institutionnels sont court-circuités. La compagnie publique Petroleos de Venezuela (PDVSA) a pourtant des difficultés à atteindre les quotas de production de l'OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole) et à exploiter les réserves off shore ou le bassin de l'Orénoque, sans recourir à des investissements étrangers.

La rhétorique chaviste serait aussi risible que la péroniste, naguère, si les propos belliqueux du comandante Chavez n'étaient pas accompagnés d'une militarisation de la société, par l'embrigadement des partisans, la diabolisation et la marginalisation de l'opposition. Le populisme oscille entre l'autoritarisme et la dictature. "Les individus n'ont pas de droits, mais des devoirs ! Les droits appartiennent à la collectivité", proclamait déjà Getulio Vargas en 1938. "D'abord la patrie, puis le mouvement (péroniste), et ensuite les hommes", soutenait Juan Peron en 1950.

Toutefois, distinguer une gauche réformiste, qui privilégie le consensus et les coalitions, par rapport à un populisme enclin à la confrontation, n'épuise pas la question. Il ne permet pas de prévoir où va la Bolivie sous la présidence d'Evo Morales, tiraillé entre son envahissant mentor Hugo Chavez et ses voisins, Brésil et Argentine. Il ne permet guère d'anticiper l'orientation d'Andres Manuel Lopez Obrador, si le candidat de la gauche emporte l'élection présidentielle au Mexique, le 2 juillet.

Tendance inhérente à la politique latino-américaine, le populisme est l'apanage de démocraties fragiles. L'antidote reste une société civile vigoureuse, un système de partis et d'organisations sociales qui ne soient pas les instruments d'ambitions personnelles. Mais une évolution est toujours possible, dans un sens comme dans l'autre. Sans le soutien du Parti des travailleurs et du centre-gauche, une dérive populiste du président brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva, n'est pas impossible. Et inversement : à ce titre, l'étiquette "social-démocrate" accolée à M. Garcia s'applique bien à la transformation de l'APRA, à défaut de correspondre à l'origine de son parti.

Paulo A. Paranagua

En dépit de rigolotes (mais prévisibles) confusions (association libéralisme et fascisme, néolibéralisme et maffia) et des incohérences admirables (l'antifasciste Vargas qui reprend le programme mussolinien), voici une analyse intéressante et qui a le mérite de dire la vérité sur Hugo Chavez, ce qui n'est pas si fréquent dans la presse française en général et dans le Monde, en particulier.

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Sujet également traité dans Le Point cette semaine….

Certaines phrases font un peu sursauter…mais on a l'habitude

http://www.lepoint.fr/monde/document.html?did=180223

Amérique latine

La vague rose

L'Amérique latine fut pendant des lustres le paradis des dictateurs. Entre populisme et social- démocratie, elle est devenue, en peu de temps, le laboratoire de la gauche. Un continent qui, le 2 juillet, vivra au son des résultats électoraux du Mexique.

Dominique Audibert

Ce soir-là, ce n'est pas le Mondial qui clouera l'Amérique latine devant ses téléviseurs. Le 2 juillet, de La Havane à Caracas, de Buenos Aires à Brasilia, tous les leaders - le Cubain Castro, le Vénézuélien Chavez, l'Argentin Kirchner ou le Brésilien Lula… seront suspendus au résultat de l'élection présidentielle au Mexique. Si ce poids lourd de la région bascule lui aussi à gauche, avec ses 107 millions d'habitants et ses 6 000 kilomètres de frontière commune avec les Etats-Unis, le dernier domino sera tombé.

En l'espace de quelques années, tout l'équilibre géopolitique du continent latino-américain s'est modifié. Mis à part la Colombie, où la réélection d'Alvaro Uribe (droite) fait figure d'exception, tous les grands pays ont élu des dirigeants de gauche (voir carte). Dernier en date : Evo Morales, le nouveau président bolivien, qui incarne pour la première fois l'accession des Indiens au pouvoir. Et si son alter ego, Ollanta Humala, a été battu au Pérou, c'est au profit du social-démocrate Alan Garcia.

Hier encore, la région était l'arrière-cour des Etats-Unis. Elle fut le paradis des dictateurs avant de devenir le laboratoire du libéralisme le plus débridé, jusqu'au krach de l'Argentine en 2001. L'Amérique du Sud a pris son envol démocratique, mais elle l'a fait à gauche. Avec des nuances, et non des moindres. Michelle Bachelet, la nouvelle présidente du Chili, n'a pas grand-chose en commun avec Hugo Chavez. Son socialisme rose pâle est aux antipodes des rodomontades bolivariennes du nouveau roi du pétrole vénézuélien (voir portrait page 48). Mais, de Caracas au Cap Horn, sous des avatars divers et parfois hasardeux, c'est la même volonté de changement qui s'exprime.

Au Mexique, le suspense reste entier après une campagne au couteau entre les deux finalistes. Andres Manuel Lopez Obrador, dit Amlo, porte les couleurs de la gauche. Ancien maire de Mexico, candidat du petit peuple et bête noire des possédants dans ce pays où les inégalités sont abyssales, ce veuf austère a longtemps été en avance dans les sondages. Très populaire dans la capitale, il a été étiqueté populiste par ses adversaires, qui le dépeignent en Chavez mexicain. Amlo réfute mais répète qu'il a bien l'intention, en effet, de s'occuper du peuple.

A droite, Felipe Calderon porte les couleurs du PAN, le parti du président sortant Vicente Fox. Vainqueur lors des primaires contre le dauphin pressenti par Fox, Calderon a mené une campagne au canon contre Amlo. Sous l'égide de Dick Morris, un ancien conseiller de Bill Clinton, et à coups de publicités négatives, un tir de barrage a tenté de transformer Amlo en loup-garou. Mais si celui-ci finit quand même par l'emporter, sa victoire marquera une rupture pour le Mexique. En décembre 2000, déjà, après soixante-douze ans de monoculture politique sous l'emprise du vieux PRI, Vicente Fox faisait figure de rénovateur de la droite. Cette fois, si le Mexique élit pour la première fois de manière démocratique un président de gauche, la victoire d'Amlo serait historique.

Il reste qu'avec ou sans Lopez Obrador le virage à gauche de l'Amérique latine est déjà consommé. Mais c'est une réalité multiforme, parfois même contradictoire, où les pays ne marchent pas au même pas ni forcément vers le même objectif. « Il faut se garder d'une lecture hâtive des élections à la lumière des stéréotypes sur la région. Déjà on était passé du mythe du "bon révolutionnaire" des années 70 à celui du "bon libéral" des années 90. Aujourd'hui, la gauche en Amérique du Sud ne se réduit pas à Chavez ni à Evo Morales », souligne Javier Santiso, l'un des meilleurs experts sur la région, auteur d'un remarquable ouvrage sur les gauches au pouvoir en Amérique latine (1). Quoi de commun, par exemple, entre la Bolivie d'Evo Morales et le Chili de Michelle Bachelet ? Ces deux dirigeants incarnent des histoires et des options complètement différentes. D'un côté, Morales, ce président indien en pull ou en blouson de cuir, avec son cocktail de populisme-indigénisme-nationalisme, qui nationalise l'énergie et redistribue les terres. De l'autre, Michelle Bachelet, qui dirige un gouvernement de coalition où des démocrates-chrétiens occupent des postes aussi importants que l'Intérieur ou les Affaires étrangères.

Même hiatus entre Lula et Chavez. Lula, élu comme champion des pauvres en 2002, n'a pas renoncé à ses objectifs. Mais il a compris qu'il fallait d'abord restaurer les grands équilibres économiques du Brésil pour mieux redistribuer. Chavez, assis sur son baril de pétrole, se prend pour le nouveau Bolivar et donne des leçons de socialisme à tout le continent. Quitte à se faire rembarrer sèchement quand il veut jouer les roitelets du continent et imposer « son » candidat au Pérou. Au-delà des styles et des personnalités, ce sont deux grandes tendances qui émergent. « D'un côté, on a une gauche de rupture, souvent populiste, qui croit encore à la "boîte magique" pour résoudre les problèmes de la région. De l'autre, une gauche possibiliste, gradualiste, qui veut changer les choses à travers un modèle de développement plus durable », résume Javier Santiso.

Le Venezuela de Chavez et la Bolivie de Morales sont l'archétype du premier groupe. Le Chili, le Brésil et sans doute le Pérou d'Alan Garcia, reconverti en apôtre du raisonnable, s'inscrivent dans le second. L'Argentine de Kirchner, ce péroniste de gauche qui a récupéré un pays en faillite, navigue encore entre les deux. Le Mexique, si Lopez Obrador accède au pouvoir, reste une page blanche.

Dans ce paysage politique recomposé, trois mouvements de fond dominent. C'est d'abord que ce virage à gauche généralisé reflète à la fois une déception et un espoir. Une déception vis-à-vis du tout-libéral, qui était censé sortir l'Amérique latine du trou, mais qui a laissé peu ou prou les inégalités en l'état, quand il n'a pas mené certains pays, comme l'Argentine, au désastre. :icon_up: L'espoir est que la gauche fera mieux, mais ce n'est pas garanti sur les bulletins de vote. Sur ce continent qui reste celui des inégalités record, le plus grand défi des gouvernements de gauche est de trouver un pacte social qui réintègre les perpétuels exclus sans exclure les « possédants » ni décourager les investissements. Pas évident : même dans le Venezuela de Chavez, malgré la rente pétrolière, les inégalités ont empiré selon certains indicateurs officiels.

L'autre nouveauté, c'est le réveil indien sur la scène politique. Dans ces pays où les « indigènes », qui se comptent par dizaines de millions, n'ont jamais ou presque été partie prenante du pouvoir, c'est la revanche des « peuples premiers » chers à Jacques Chirac. La victoire d'Evo Morales en Bolivie, le score record d'Ollanta Humala dans certaines régions du Pérou ne sont pas autre chose. Ces deux pays cumulent à la fois la population indienne et le taux de pauvreté parmi les plus élevés du continent.

Enfin, et c'est le plus réjouissant pour des pays marqués dans l'Histoire par les coups d'Etat et les pronunciamientos, l'alternance démocratique a joué à plein. Les élections se sont déroulées à la régulière. On peut s'interroger sur Morales, mais, comme le soulignait Chirac lors de son récent voyage en Amérique latine, « il a rendu son honneur à un peuple meurtri pendant des siècles ». On peut trouver Chavez inquiétant, mais il a bel et bien été élu et réélu. On peut se poser des questions sur leurs méthodes, se demander si elles résisteront longtemps au principe de réalité, mais ils ont le droit de choisir leur mode de développement économique. Au Chili, c'est la fille d'un général assassiné par les sbires de Pinochet qui dirige le pays. Le Brésil a tranquillement choisi un président issu de la classse ouvrière. Combien de pays au monde peuvent en dire autant ? En Amérique latine, la démocratie balbutie encore, elle aura sans doute des sou-bresauts. Mais elle avance, et c'est là l'essentiel

Et aussi un article sur Chavez plutôt moins féroce que celui du Monde….payant malheureusement!

Et qui, notamment, souligne sa complicité avec Chirac bien plus qu'avec le PS français! :doigt::warez:

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Je "conseille" également le dernier numéro de Courrier International consacré à la présidentielle mexicaine et qui, cela ne surprendra personne, roule résolument pour le candidat de gauche…

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En fait Courrier International reste quand même franchouillard, le comble pour un journal qui se veut l'écho des tendances internationales résumées en Français. Avec des yeux socialistes on interprète à la socialiste, y a pas de miracle.

Si fait. Pour Courrier International, la presse britannique se limite à The Independent et au Guardian, la presse espagnole à El Pais, la presse américaine au New York Times et à American Prospect… Bon, on sort bien The Times, ABC ou le Wall Street Journal de temps en temps, mais c'est uniquement parce qu'il faut un quota de presse non-gauchiste. Quand on pense à ce que Courrier International était du temps où Adler tenait la barre, il y a de quoi pleurer.

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