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"la Formation De La Pensée Juridique Modernes" De Michel Villey


younglib

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« La formation de la pensée juridique moderne » de Michel Villey

Voici un ouvrage exeptionnel par sa richesse, sa qualité synthétique, et sa hauteur de vue.

Je vous le résume en quelques mots :

Michel Villey a réussis l’exploit de condenser dans ce livre toutes les tendances ayant contribuées à la naissance de l’esprit juridique moderne : stoïcisme, nominalisme, augustinisme, Lutherisme, Calvinisme, droit naturel subjectif, …

Pour l’auteur cet esprit juridique conduit inévitablement au positivisme juridique et à la toute puissance de l’Etat. Il confond droit et morale, et il part de l’individu (et non de la société) pour créer de toute pièce un droit nouveau systématique qui n’a aucun fondement dans la réalité. Les auteurs modernes influencés par cet esprit seront notamment Grotius, Hobbes, Locke, Pudendorf.

A cet esprit juridique moderne qu’il réprouve Villey oppose l’esprit juridique classique, celui du droit romain : l’aristotélisme juridique et son droit naturel classique (le fameux suum cuique tribuere : rendre à chacun le sien), repris au 13° siècle par Saint-Thomas d’Aquin après un oublis complet de plusieurs siècles. L’esprit classique se caractérise pour sa part par l’observation de la réalité des rapports sociaux (réalisme) pour y découvrir des règles de droit. Il fait du droit et de la morale deux domaines séparés. En France cet esprit a survécu chez les juges jusqu’à à peu près la fin de l’ancien régime.

Sont abordés dans ce livre des auteurs aussi divers que Platon, Aristote, Cicéron, Saint-Augustin, Saint-Thomas, Dun Scot, Guillaume d’Occam, Luther, Calvin, Vittoria, Suarez, Descarte, Grotius, Hobbes, et de nombreux autres auteurs ou écoles de pensées plus ou moins connus.

Remarque 1 :

Villey n’est pas un libéral (c’est le moins que l’on puisse dire – il rejète par ailleurs l’idée de droits de l’Homme), pour autant je pense qu’il a raison sur le fond. Le droit ne peut être fondé sur l’individu, il doit être fondé sur l’observation de la société. Il existe donc un droit naturel objectif. Il s’agit d’une méta-règle au-dessus des contrats ou autres actions des individus. Toutefois ce qu’il manque à Villey c’est la connaissance des mécanismes régulateurs du marché. Pour lui le marché libre c’est l’anarchie. Or nous savons tous ici qu’il n’en est rien. Je pense donc que l‘on peut soutenir la thèse de Villey de l’existence d’un droit naturel objectif (et non subjectif) tout en pensant que ce droit doit laisser les individus libres d’agir à leur guise, car c’est la seule manière de permettre la découverte des bonnes pratiques (par le biais des interactions sur le marché) et donc l’éclosion d’un société plus juste.

Remarque 2 :

Villey combat aussi une thèse assez répandu selon laquelle l’école de Salamanque aurait suivie l’enseignement de Saint-Thomas pour combattre le scotisme et le nominalisme. En fait, Villey nous montre que nombre d’auteurs de cette école (ex : Vittoria, Cajetan, Suarez) ont travestit l’enseignement de Saint-Thomas et ont intégrés beaucoup d’éléments de leur adversaires : Surez par exemple admet le nominalisme et la reconnaissance de droit subjectif. Ceci est incompatible avec la philosophie de Saint-Thomas. D’ailleurs beaucoup de Thomistes contemporains lisent toujours Saint-Thomas en fonction des interprétations que les auteurs de l’école de Salamanque en ont donné (ainsi que l’a demandé par ailleurs le pape léon XIII dans un de ces encycliques).

L’école de Salamanque, loin de rétablir les droits de la philosophie de Saint-Thomas (comme elle prétendait pourtant le faire) était déjà très éprise de modernisme.

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Le piètre résumé que je viens de faire ne rend pas assez hommage à ce grand ouvrage. Je pense vraiment que livre doit être lue par tout un chacun. C’est une des clé de lecture essentielles pour comprendre l’esprit classique (l’Antiquité et sa renaissance au Moyen-Age) et l’esprit moderne (à partir de la Renaissance), ainsi que le passage de l’un à l’autre. Ce livre fait beaucoups réfléchir. D’ailleurs depuis que je l’ai lu, mon esprit bouillonne !

Du même auteur j’ai lu aussi ces deux autres ouvrages. Je vous en recommande aussi la lecture. Toutefois ils peuvent faire doublons avec « La formation de la pensée… », et si vous ne deviez lire qu’un seul ouvrage de Michel Villey c’est « La formation de la pensée… » que je vous conseille de loin en premier.

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  • 2 weeks later...
Coïncidence, je lis actuellement le brillant Philosophie du droit, qui m'a fait lancer un topic sur la définition du droit :

Je voulais l'acheter, mais je trouve que c'est horiblement cher. Donc j'attend d'économiser un peu.

Au fait que pense-tu de ce livre ?

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Je voulais l'acheter, mais je trouve que c'est horiblement cher. Donc j'attend d'économiser un peu.

Au fait que pense-tu de ce livre ?

Beaucoup de bien (même si je ne l'ai pas encore fini). Il m'a fait créer l'entrée Michel Villey sur wikipédia. A propos tu devrais copier ton texte sur wikibéral.

Sur le fond, MV n'est certainement pas libéral mais il est encore moins collectiviste. Une constante est de trouver le juste milieu, on reconnait le bon disciple d'Aristote. Le livre présente un système complet bien que parfois un peu superficiel, la cohérence est remarquable, les idées sont très à contre-courant et nous sortent des lieux communs. Un bonheur.

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Invité jabial

Le juste milieu n'a jamais été un concept aristotélicien. Ce qui est juste est un équilibre stable et la courbe de sa probabilité de présence étant gaussienne, il est naturel qu'on le retrouve souvent au milieu ; pour autant, tout ne pèse pas le même poids et le curseur entre un criminel et sa victime se trouve parfois même au delà ce cette dernière.

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Le juste milieu n'a jamais été un concept aristotélicien. Ce qui est juste est un équilibre stable et la courbe de sa probabilité de présence étant gaussienne, il est naturel qu'on le retrouve souvent au milieu ; pour autant, tout ne pèse pas le même poids et le curseur entre un criminel et sa victime se trouve parfois même au delà ce cette dernière.

Aristote (le vrai, pas celui d'A. Rand :icon_up: ) est un penseur de la phronesis (la prudence) et de la vertu comme juste milieu.

http://www.philagora.eu/educatif/index.php…Aristote_page_2

Ainsi tout homme averti fuit l'excès et le défaut, recherche la bonne moyenne et lui donne la préférence, moyenne établie non relativement à l'objet, mais par rapport à nous. De même toute connaissance remplit bien son office, à condition d'avoir les yeux sur une juste moyenne et de s'y référer pour ses actes. C'est ce qui fait qu'on dit généralement de tout ouvrage convenablement exécuté qu'on ne peut rien lui enlever, ni rien lui ajouter, toute addition et toute suppression ne pouvant que lui enlever de sa perfection et cet équilibre parfait la conservant. Ainsi encore les bons ouvriers couvrent toujours les yeux fixés sur ce point d'équilibre. Ajoutons encore que la vertu, de même que la nature, l'emporte en exactitude et en efficacité sur toute espèce d'art ; dans de telles conditions, le but que se propose la vertu pourrait bien être une sage moyenne. Je parle de la vertu morale qui a rapport avec les passions et les actions humaines, lesquelles comportent excès, défaut et sage moyenne. Par exemple, les sentiments d'effroi, d'assurance, de désir, de colère, de pitié, enfin de plaisir ou de peine peuvent nous affecter ou trop ou trop peu, et d'une manière défectueuse dans les deux cas. Mais si nous éprouvons ces sentiments au moment opportun, pour des motifs satisfaisants, à l'endroit de gens qui les méritent, pour des fins et dans des conditions convenables, nous demeurerons dans une excellente moyenne, et c'est là le propre de la vertu : de la même manière, on trouve dans les actions excès, défaut et juste moyenne. Ainsi donc la vertu se rapporte aux actions comme aux passions. Là l'excès est une faute et le manque provoque le blâme ; en revanche, la juste moyenne obtient des éloges et le succès, double résultat propre à la vertu. La vertu est donc une sorte de moyenne, puisque le but qu'elle se propose est un équilibre entre deux extrêmes. […] La vertu est donc une disposition acquise volontaire, consistant par rapport à nous, dans la mesure, définie par la raison conformément à la conduite d'un homme réfléchi. Elle tient la juste moyenne entre deux extrémités fâcheuses, l'une par excès, l'autre par défaut.

(Ethique à Nicomaque, II, 5-6, 1106b-1107a)

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Invité jabial

Le vrai aristotélisme est celui d'Ayn Rand, de même que le vrai objectivisme est celui de Jabial :icon_up:

Le juste milieu en tant que tel est une théorie incohérente, et faré en a donné un excellent exemple sur son blog il y a peu. Et de toute façon dans ce texte, pour Aristote, le "juste milieu" n'est clairement pas au milieu.

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Le vrai aristotélisme est celui d'Ayn Rand, de même que le vrai objectivisme est celui de Jabial :icon_up:

Le juste milieu en tant que tel est une théorie incohérente, et faré en a donné un excellent exemple sur son blog il y a peu. Et de toute façon dans ce texte, pour Aristote, le "juste milieu" n'est clairement pas au milieu.

Je répondais simplement à ton affirmation quelque peu présomptueuse selon laquelle le juste milieu n'était pas un concept aristotélicien. Or j'ai apporté la preuve du contraire.

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Invité jabial
Je répondais simplement à ton affirmation quelque peu présomptueuse selon laquelle le juste milieu n'était pas un concept aristotélicien. Or j'ai apporté la preuve du contraire.

Le juste milieu dans son acception courante n'est pas un concept aristotélicien, comme tu l'as très bien montré :icon_up:

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