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Comportements et attribution causale


Fredo

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L'expérience du bon samaritain

Voici une présentation de l'expérience de Darley & Batson (1973) par Daniel Goleman :

Des étudiants de l’université de théologie de Princeton ont été confrontés, sans le savoir, à une mise en application de la parabole du bon samaritain.

Suite à une conférence, ils devaient préparer, individuellement, une émission de radio sur un thème choisi au hasard. La plupart des thèmes traitaient de l'altruisme et notamment de cette parabole, (dans une variante d'autres thèmes anodins serviraient de référence pour croiser les groupes témoins).

Les expérimentateurs ont ensuite réparti les sujets aléatoirement en trois groupes en fonction d'un facteur situationnel : la pression temporelle.

- Groupe 1 : On leur annonçait que le moment de leur prestation médiatique était venu mais qu'ils disposaient de tout le temps nécessaire pour se rendre tranquillement au camion-studio.

- Groupe 2 : On leur disait qu'ils disposaient de juste assez de temps pour aller au camion-studio.

- Groupe 3 : On leur déclarait avec surprise qu'ils étaient déjà en retard pour l'enregistrement, qui aurait du déjà commencer.

Sur le chemin entre l'université et le studio d'enregistrement était placé un compère des expérimentateurs, simulant un malaise : un homme visiblement souffrant, toussant et râlant.

On retrouve donc ici la parabole du bon samaritain, nom donné à l'expérience.

- Parmi les étudiants largement en avance sur l’heure de l’enregistrement de leur émission, 63% ont porté secours au pauvre homme.

- Chez ceux qui étaient tout juste à l’heure, 45% ont pris le temps de s’assurer que l’homme allait bien.

- Et dans ceux qui étaient en retard on ne trouve que 10% d'étudiants à avoir secouru le souffrant.

Il apparaîtrait donc que la nature psychique de l’homme (croyances, valeurs, système de représentations, etc.) entre moins en compte que certains déterminants situationnels, ici la pression temporelle, pour expliquer les pratiques. D'autant que leur esprit avait pourtant été préparé en leur faisant une piqûre de rappel sur cette même parabole.

L’expérience de Darley & Batson a montré que le thème préparé par les étudiants pendant les heures précédentes n’influait pas le moins du monde sur les réactions de ceux-ci. D'un autre côté ce qui influait le plus sur leur comportement altruiste était la pression temporelle.

A la suite des travaux de Milgram et de l'expérience du bon samaritain, Ross et Nisbett (1980, 1991) ont suggéré que nous avons tendance à commettre une erreur fondamentale appelée désormais l'erreur fondamentale d'attribution : celle d’expliquer l’action exclusivement ou principalement en termes des traits de caractère des agents, en omettant l’importance des facteurs circonstanciels.

Nous ne rappellerons jamais assez l'importance des relations interpersonnelles avant de juger des comportements observés, ni celle du contexte dans lequel ceux-ci prennent place.

En tout cas il est intéressant de faire remarquer à quel point dans certaines circonstances où des facteurs agissent sous forme de "pression" sur les décisions à prendre, notre personnalité peut se révéler incohérente.

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Merci pour ce poste, je trouve la psychologie sociale vraiment passionante, à chaque foi je me dis que nous devrions l'intégrer fortement dans nos réflexions sur la nature humaine, en particulier celles qui concernent les proposition politiques/institutionnelles.

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Je pense que si, il en existe forcément une puisque la piété se définit comme le respect scrupuleux des règles religieuses (elle est donc par définition morale). Que certains individus très pieux se détachent de cette morale quand ils sont au pieu, c'est autre chose, cela n'empêche pas que le plus grand nombre a une conduite morale, au minimum en public (et sans doute souvent en privé).

Pour la distinction entre attitudes et comportements public/privé tout dépendra de leur locus of control. Selon qu'il est plutôt interne ou externe tu peux très bien avoir des différences. Il y a des gens qui restent plus ou moins cohérents et d'autres qui se comporteront différemment en public et en privé. Le "politiquement correct", tout comme la désirabilité sociale, la conformité, le contrôle social par les autres, etc., sont autant de facteurs qui en effet peuvent amener à des comportements "moraux" ou en tout cas inhiber ceux négatifs.

En d'autres circonstances, ce peut être l'inverse (Milgram).

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Ah merci, je l'avais manquée du fait de la catégorie (Lecture et culture). C'est en effet intéressant. J'observe tout de même que dans le groupe I, qui avait donc tout le temps, 37% ont ignoré l'homme souffrant ! Pour des étudiants en théologie qui venaient tout juste d'avoir une piqûre de rappel sur ce thème, c'est assez considérable. Quant aux 90% des étudiants pressés, c'est en effet assez éloquent sur l'inscription pratique des comportements moraux.

Ça montre en effet la prépondérance des caractéristiques de la situation. Tout comme dans l'expérience de soumission à l'autorité, il ne faut peut-être pas en déduire que les gens ont un fond mauvais. Pour ma part je pense que cela relève d'une forme de "confusion mentale" qui inhiberait l'accès à des parties de notre personnalité, à des ressources. C'est d'ailleurs une technique très utile en hypnose ericksonienne (la confusion) pour court-circuiter la rationalisation quand il s'agit d'induire un état modifié de conscience, de débloquer cet accès à des potentiels de changement, ou s'adresser au "subconscient".

Dans le cas du bon samaritain, les sujets ont l'esprit absorbé. Ils sont moins "aware". Dans l'expérience de Milgram il y a un facteur puissant et redoutable qui joue sur le fait qu'on entre petit à petit dans le piège (la progression lente des punitions, à petits pas). Quand on veut se soustraire à la situation il faut admettre par conséquent qu'on a eu tord d'aller jusqu'au point où l'on est.

Par analogie j'aime à dire que l'honnêteté intellectuelle, comme échapper au déni ou reconnaître ses tords voire arrêter un projet qui ne mène plus à rien, exige un forme de courage.

Dans les deux cas -- ne pas saisir l'opportunité de soulager une souffrance, et prodiguer une souffrance à autrui -- on ne peut conclure que c'est à cause de traits de personnalité particuliers, ou d'attitudes. C'est plutôt la difficulté à prendre du recul par rapport à la situation.

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Pour la distinction entre attitudes et comportements public/privé tout dépendra de leur locus of control. Selon qu'il est plutôt interne ou externe tu peux très bien avoir des différences. Il y a des gens qui restent plus ou moins cohérents et d'autres qui se comporteront différemment en public et en privé. […]

La corrélation joue dans quel sens ?

Quand on veut se soustraire à la situation il faut admettre par conséquent qu'on a eu tord d'aller jusqu'au point où l'on est.

Par analogie j'aime à dire que l'honnêteté intellectuelle, comme échapper au déni ou reconnaître ses tords voire arrêter un projet qui ne mène plus à rien, exige un forme de courage.

Pas plus tard qu'hier soir, j'ai relu un passage de Constant qui portait précisément sur ce thème. :icon_up:

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Ça montre en effet la prépondérance des caractéristiques de la situation. Tout comme dans l'expérience de soumission à l'autorité, il ne faut peut-être pas en déduire que les gens ont un fond mauvais. Pour ma part je pense que cela relève d'une forme de "confusion mentale" qui inhiberait l'accès à des parties de notre personnalité, à des ressources. (…)

Dans les deux cas -- ne pas saisir l'opportunité de soulager une souffrance, et prodiguer une souffrance à autrui -- on ne peut conclure que c'est à cause de traits de personnalité particuliers, ou d'attitudes. C'est plutôt la difficulté à prendre du recul par rapport à la situation.

Je suis d'accord, cela en dit plus sur les processus attentionnels que sur les qualités morales. En fait, le problème posé est celui de l'applicabilité de nos préceptes moraux. J'aime à dire par exemple que la morale kantienne est une merveille de logique, mais qu'elle n'est pas faite pour un cerveau humain, à la fois parce que celui-ci juge une situation morale à partir de ses émotions et parce que qu'il ne dispose pas d'un module dédié au calcul de l'universalisation de la loi morale en chaque situation. On peut à la limite être kantien "sur le papier" (en analysant a priori ou a posteriori des dilemmes, à tête reposée, sans y être confronté), mais rarement dans l'existence. C'est aussi parce que la morale est d'ordre pragmatique avant que d'être analytique, elle s'est développée dans l'évolution comme réponse à des situations concrètes de l'individu dans le groupe. (On pourrait aussi appeler cela le syndrome des chiens de paille, pour ceux qui ont vu le film : un mathématicien aux convictions non violentes qui, plongé dans un milieu rural de brutalité et de prédation, va devenir lui-même brutal pour survivre).

Sur la difficulté à prendre du recul, est-elle totalement indépendante de facteurs de personnalité ? Ce n'est pas certain, tu parles toi-même du "courage" comme aptitude à dire non quand on aperçoit d'une disonnance entre l'évolution progressive des situations et le socle antérieur des convictions. On pourrait aussi parler de lucidité. Ces traits relèvent plus de la psychologie populaire pour le moment, mais on peut imaginer que ce sont des réalités objectivables. A moins que ce ne soit des variations d'autres traits. Par exemple le caractère consciencieux des Big Five, généralement positif, peut devenir négatif si cette autodiscipline est mise au service d'une autorité à finalité mauvaise (comme dans le cas Milgram, ce serait cette fois une sorte de syndrome Eichmann : des hommes ordinaires, gentils ou normaux dans l'existence de tous les jours, qui obéissent à l'autorité sans questionner ce que cette autorité leur enjoint de faire et qui le font d'autant plus qu'ils sont consciencieux).

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