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Des circonstances exceptionnelles et des filles publiques


Harald

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Pour planter le décor: 1916, le préfet de la base maritime de Toulon prend un certain nombre de mesures pour interdire l’activité des filles publiques dans les bars afin d'éviter qu’elles obtiennent des confidences des soldats, ce qui serait de nature à nuire à la défense nationale.

Arrêt du Conseil d'Etat, 28 février 1919, Dames Dol et Laurent



Vu la requête présentée par les dames Isabelle Dol se disant fille publique, inscrite sur le registre de la police des mœurs, à Toulon [Var], et Jeanne Laurent, inscrite sur le même registre et demeurant dans la même ville, ladite requête enregistrée au Secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat le 31 juillet 1916 et tendant à ce qu'il plaise au Conseil annuler, pour excès de pouvoir, trois arrêtés, en date des 9 avril, 13 mai et 24 juin 1916, par lesquels le vice-amiral préfet maritime, gouverneur de Toulon a réglementé, dans cette ville, la police des mœurs;

Considérant que par ses arrêtés en date des 9 avril, 13 mai et 24 juin 1916, le préfet maritime, gouverneur du camp retranché de Toulon, a interdit, d'une part, à tous propriétaires de cafés, bars et débits de boissons, de servir à boire à des filles, tant isolées qu'accompagnées et de les recevoir dans leurs établissements ; d'autre part, à toute fille isolée de racoler en dehors du quartier réservé et à toute femme ou fille de tenir un débit de boissons ou d'y être employée à un titre quelconque ; qu'il a prévu comme sanctions à ces arrêtés le dépôt au "violon" des filles par voie disciplinaire ainsi que leur expulsion du camp retranché de Toulon en cas de récidive et la fermeture au public des établissements où seraient constatées des infractions auxdits arrêtés ;

Considérant que les dames Dol et Laurent, se disant filles galantes, ont formé un recours tendant à l'annulation pour excès de pouvoir, des mesures énumérées ci-dessus comme prises en dehors des pouvoirs qui appartenaient au préfet maritime ;

Considérant que les limites des pouvoirs de police dont l'autorité publique dispose pour le maintien de l'ordre et de la sécurité, tant en vertu de la législation municipale, que de la loi du 9 août 1849, ne sauraient être les mêmes dans le temps de paix et pendant la période de guerre où les intérêts de la défense nationale donnent au principe de l'ordre public une extension plus grande et exigent pour la sécurité publique des mesures plus rigoureuses ; qu'il appartient au juge, sous le contrôle duquel s'exercent ces pouvoirs de police, de tenir compte, dans son appréciation, des nécessités provenant de l'état de guerre, selon les circonstances de temps et de lieu, la catégorie des individus visés et la nature des périls qu'il importe de prévenir ;

Considérant qu'au cours de l'année 1916, les conditions dans lesquelles les agissements des filles publiques se sont multipliés à Toulon ont, à raison tant de la situation militaire de cette place forte que du passage incessant des troupes à destination ou en provenance de l'Orient, présenté un caractère tout particulier de gravité dont l'autorité publique avait le devoir de se préoccuper au point de vue tout à la fois du maintien de l'ordre, de l'hygiène et de la salubrité et aussi de la nécessité de prévenir le danger que présentaient pour la défense nationale la fréquentation d'un personnel suspect et les divulgations qui pouvaient en résulter ; qu'il est apparu que les mesures faisant l'objet du présent pourvoi s'imposaient pour sauvegarder d'une manière efficace tout à la fois la troupe et l'intérêt national ;

Considérant que si, dans ce but certaines restrictions ont dû être apportées à la liberté individuelle en ce qui concerne les filles et à la liberté du commerce en ce qui concerne les débitants qui les reçoivent, ces restrictions, dans les termes où elles sont formulées, n'excèdent pas la limite de celles que, dans les circonstances relatées, il appartenait au préfet maritime de prescrire ; qu'ainsi, en les édictant, le préfet maritime a fait un usage légitime des pouvoirs à lui conférés par la loi ;

DECIDE :

Article 1er : La requête susvisée des dames Dol et Laurent est rejetée.

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Je relève l'assourdissant silence autour de ce petit bijou qui fait partie des grands arrêts du Conseil d'Etat.

Quel silence :icon_up: tu remarques toi-même que c'est un des grands arrêts de droit administratif. Portée limité à la période de guerre.

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Quel silence :icon_up: tu remarques toi-même que c'est un des grands arrêts de droit administratif. Portée limité à la période de guerre.

Encore qu'il y aurait certainement beaucoup à dire sur la notion de circonstances exceptionnelles. Ceci dit, je l'ai cité pour son côté insolite et amusant.

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Encore qu'il y aurait certainement beaucoup à dire sur la notion de circonstances exceptionnelles. Ceci dit, je l'ai cité pour son côté insolite et amusant.

Les arrêts amusants relèvent un peu l'intérêt de la discipline cf Morsang sur Orge.

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Dans un registre tout à fait différent encore qu'il s'agisse toujours de filles publiques, voici le feuillet qui était distribué aux prostituées par la préfecture de Paris à la suite de leur encartage (fin XIXème) :

Préfecture de police

1ère division, 2 ème bureau,

3 ème section (Modèle 49)

Obligations et défenses imposées aux femmes publiques.

Les filles publiques en carte sont tenues de se présenter au moins tous les quinze jours au Dispensaire de Salubrité pour y être visitées.

Il leur est enjoint d’exhiber leur carte à toute réquisition des officiers et agents de police.

Il leur est défendu de provoquer à la débauche pendant le jour ; elles ne pourront entrer en circulation sur la voie publique qu’une demi-heure après l’heure fixée pour le commencement de l’allumage des réverbères et, en aucune saison, avant sept heures du soir, et y rester avant onze heures.

Elles doivent avoir une mise simple et décente qui ne puisse attirer les regards, soit par la richesse ou par la couleur éclatantes des étoffes, soit par les modes exagérées.

La coiffure en cheveux leur est interdite.

Défense expresse leur est faite de parler à des hommes accompagnés de femmes ou d’enfants et d’adresser à qui que ce soit, des provocations à haute voix ou avec insistance.

Elles ne peuvent, à quelque heure et sous quelque prétexte que ce soit, se montrer à leurs fenêtres qui doivent être tenues constamment fermées et garnies de rideaux.

Il leur est défendu de stationner sur la voie publique, d’y former des groupes, d’y circuler en réunion, d’aller et venir dans un espace trop resserré et de se faire suivre ou accompagner par des hommes.

Les pourtours et abords des églises et temples, à distance de vingt mètres au moins, les passages couverts, les boulevards de la rue Montmartre à la Madeleine, les Champs-Élysées, les jardins et abords du Palais Royal, des Tuileries, du Luxembourg et le Jardin des Plantes leur sont interdits. L’esplanade des Invalides, les quais, les ponts et généralement, les lieux déserts et obscurs leur sont également interdits.

Il leur est expressément défendu de fréquenter les établissements publics ou maisons particulières où l’on favorise clandestinement la prostitution et les tables d’hôtes, de prendre domicile dans les maisons où existent des pensionnats ou externats, et d’exercer en dehors du quartier ou elles habitent.

Il leur est également défendu de partager leur logement avec un concubinaire, ou de loger en garni avec une autre fille, ou de loger en garni sans autorisation.

Dans le cas où elles obtiendraient cette autorisation, il leur est absolument interdit de se prostituer dans le garni.

Les filles publiques s’abstiendront, lorsqu’elles seront dans leur domicile, de tout ce qui pourrait donner lieu à des plaintes des voisins ou des passants.

Celles qui contreviendront aux dispositions qui précèdent, celles qui résisteront aux agents de l’autorité, celles qui donneront de fausses indications de demeures ou de noms encourront des peines proportionnées à la gravité des cas.

Avis important. - Les filles inscrites peuvent obtenir d’être rayées des contrôles de la prostitution, sur leur demande, et s’il est établi par une vérification, faite d’ailleurs avec discrétion et réserve, qu’elles ont cessé de se livrer à la débauche.

Il est à noter que lorsque ces demoiselles se faisaient désencarter, généralement lorsqu'elles avaient réussi à trouver un emploi régulier, la pratique voulait que l'enquête s'étale sur trois mois. En fait de discrétion, les agents allaient cuisiner le patron au sujet de la belle qui en général se faisait lourder. Ce dernier en ayant marre d'avoir ce type de visite. En conséquence de quoi il ne restait plus à cette dernière qu'à retourner arpenter le pavé.

Précision, lorsqu'elle se faisait encarter, l'hétaïre devait fournir à ses frais deux photographies (à partir du 1er janvier 1901). En outre, la visite au dispensaire leur coûtait 3 francs, tarif non négligeable pour l'époque et particulièrement exorbitant si l'on considère que le gynécologue préfectoral était un stakhanoviste qui pouvait examiner entre 100 et 120 patientes à l'heure.

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Considérant que si, dans ce but certaines restrictions ont dû être apportées à la liberté individuelle en ce qui concerne les filles et à la liberté du commerce en ce qui concerne les débitants qui les reçoivent, ces restrictions, dans les termes où elles sont formulées, n'excèdent pas la limite de celles que, dans les circonstances relatées, il appartenait au préfet maritime de prescrire ; qu'ainsi, en les édictant, le préfet maritime a fait un usage légitime des pouvoirs à lui conférés par la loi ;

J'avais envie de soulever ce passage en disant que nos ancêtres étaient de dangereux progs, paradoxale isnt't it ?

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Les arrêts amusants relèvent un peu l'intérêt de la discipline cf Morsang sur Orge.

L'arrêt de Morsang sur orge est effectivement amusant de prime abord. Pour autant les conclusions que je cite ci-dessous sont particulièrement brillantes et éclairantes à plus d'un point.

C.E., Ass., 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orge

***

1 - Conclusions de M. Frydman, commissaire du gouvernement

Par des arrêtés en date respectivement des 25 octobre 1991 et 23 janvier 1992, les maires des communes de Morsang-sur-Orge (Essonne) et d'Aix-en-Provence prononcèrent l'interdiction de spectacles dits de " lancer de nains " qui devaient se dérouler, à l'initiative de la société Fun Production, dans des discothèques de ces deux villes.

Venus des pays anglo-saxons et, en particulier, d'Australie, ces spectacles consistent à lancer le plus loin possible, au-dessus d'un tapis de réception, un nain vêtu d'un costume de protection copié sur celui des joueurs de football américain. Apparus en France au début des années 1990 ils ont aussitôt donné lieu à une vive polémique, dont les organes de presse se sont abondamment fait l'écho. Une grande partie de l'opinion publique n'a en effet pas manqué de voir dans cette étrange attraction une atteinte à la dignité de la personne humaine intolérable dans notre société contemporaine. Aussi bien le ministre de l'intérieur de l'époque avait-il d'ailleurs été amené à prescrire aux préfets, par une circulaire du 27 novembre 1991, d'intervenir auprès des maires pour en recommander l'interdiction systématique.

Cependant, la société Fun Production, et le nain qu'elle emploie M. Manuel Wackenheim qui affirment ne voir pour leur part rien de choquant dans un tel spectacle, ne manquèrent pas de contester les arrêtés précités des maires de Morsang-sur-Orge et d'Aix-en-Provence devant la juridiction administrative. Or, par des jugements en date des 25 février et 8 octobre 1992- auxquels la doctrine a d'ailleurs réservé d'abondants commentaires -, les tribunaux administratifs de Versailles et de Marseille annulèrent effectivement ces arrêtés, en se fondant à cet effet sur des terrains juridiques au demeurant distincts. Le second considéra en effet que le spectacle en cause ne portait aucune atteinte à la dignité de la personne humaine, cependant que le premier estima pour sa part qu'à supposer même qu'une telle atteinte eût bien existé en l'espèce, celle-ci ne pouvait cependant légalement justifier une mesure d'interdiction en l'absence de circonstances locales particulières. Ces tribunaux condamnèrent en outre les communes à verser aux demandeurs, dans chaque affaire, une indemnité de 10.000 F en réparation du préjudice commercial résultant de l'interdiction des spectacles envisagés.

Tels sont les deux jugements dont, sous les n° 136727 et 143578, les communes de Morsang-sur-Orge et d'Aix-en-Provence ont respectivement interjeté appel devant vous- étant observé que la société Fun Production et M. Wackenheim vous ont pour leur part demandé, par la voie de l'appel incident, de porter le montant des condamnations de première instance à 50.000 F.

Avant d'examiner la légalité des arrêtés litigieux, il convient d'abord de préciser que ceux-ci " ont été pris, ainsi qu'en témoignent d'ailleurs leurs visas, dans le cadre des pouvoirs de police " générale que le maire tient des articles L. 131-1 et L. 131-2 du code des communes.

On soulignera à cet égard, en particulier, que ces actes n'ont pas été édictés ainsi que cela aurait pu se concevoir, sur le fondement de l'ordonnance du 13 octobre 1945 relative aux spectacles. Ce texte soumet notamment à autorisation du maire, en vertu des dispositions combinées de ses articles 1er, 6° et 13, " ( les) spectacles forains et (…) spectacles de curiosités ou de variétés ". Et le pouvoir de police spéciale ainsi conféré au maire en la matière peut trouver à s'exercer concurremment avec son pouvoir de police générale (Cf., par exemple: 7 novembre 1924 Club indépendant sportif châlonnais, p. 863 Ou 1er juillet 1955 Société du Cirque Pinder, p.382). Or, si l'on pourrait peut-être hésiter à qualifier le spectacle en cause de " forain " - dans la mesure où celui-ci, bien qu'ambulant, se déroulait habituellement dans des discothèques -, il s'agit en tout cas, sans nul douce d'un " spectacle de curiosité ", au sens que revêtait cette expression à l'époque où fut rédigé le décret impérial du 6 janvier 1864 dont sont reprises, telles " quelles, les dispositions précitées de l'ordonnance de 1945.

Aussi les maires concernés, auxquels la société organisatrice n'avait en l'occurrence présenté aucune demande d'autorisation, auraient-ils pu légalement interdire les spectacles programmés pour le seul motif que ceux-ci n'avaient pas été préalablement autorisés (Cf., pour un cas de figure similaire: 14 février 1968, Ministre de l'économie et des finances c. Société C.H.A.R.M., p. 111). Mais telle n'est pas la démarche qu'ils ont suivie.

Il leur aurait aussi été possible- pour parvenir au même résultat que celui obtenu par les arrêtés attaqués - d'interdire ces spectacles pour un motif d'ordre public en refusant tout simplement de les autoriser au titre de ce pouvoir de police spéciale. Mais encore aurait-il fallu, précisément, qu'ils soient saisis d'une demande en ce sens. Et, à cet égard, nous ajouterons que vous ne pourrez ici suivre les communes lorsque celles-ci soutiennent que les arrêtés attaqués devraient être regardés, si besoin était, comme de tels refus autorisation. On sait, en effet, que le juge ne peut opérer de substitution de base légale que dans les seuls cas où la décision prise par l'administration aurait pu être adoptée, sur le fondement du nouveau texte, selon les mêmes formes et procédures que sur la base du texte d'origine (Cf., sur ce point le Traité de contentieux administratif du Professeur Chapus, p. 682 et 23 décembre 1988, Ministre de l'intérieur c. Ville " de Romans-sur-Isère, p. 471) . Or, même si l'on pourrait certes être tenté de tirer ici parti du fait que les deux pouvoirs de police en cause relèvent l'un et l'autre de la compétence du maire, force " est de constater que la condition ainsi requise ne se trouve pas pour autant remplie, dés lors précisément que l'un de ces pouvoirs s'exerce sur la base d'une demande, et l'autre sous forme de mesures spontanées.

Au demeurant, on observera que, sur le fond, les conditions de légalité auxquelles se trouve subordonné l'exercice du pouvoir de police spéciale des spectacles de curiosités ou de variétés régi par l'ordonnance du 13 octobre 1945 ne se distinguent guère de celles applicables aux mesures de police générale intervenant dans ce domaine. Sans doute ce pouvoir, qui s'explique historiquement par la volonté de contrôler plus particulièrement de tels spectacles- naguère souvent utilisés comme vecteurs de contestation politique ou sociale -, s'est-il vu reconnaître par la jurisprudence un caractère théoriquement très étendu (Cf., par exemple, en ce sens: S., 25 mars 1955, Société Mayol Cinéma, p. 181) . Mais le principe applicable en la matière, tel qu'il ressort notamment des arrêts Club indépendant sportif châlonnais, et Société du cirque Pinder, précités, est cependant que l'autorisation d'un tel spectacle ne peut être refusée que pour un motif touchant, de la même manière qu'en cas d'utilisation du pouvoir de police générale, à la sauvegarde de l'ordre public. Dans la mesure où, depuis un arrêt d'Assemblée du 11 juillet 1975, Sieur Clément et Association pour la défense de la culture et de la musique contemporaine, p. 427, aux conclusions du Président Denoix de Saint-Marc, vous exercez en outre un entier contrôle sur la qualification juridique de ce motif, l'assimilation des conditions de fond présidant à l'exercice de ces pouvoirs de police concurrents est donc, à la vérité, totale. Et il serait erroné de considérer que le maire aurait pu, en l'occurrence, plus commodément interdire un spectacle de lancer de nains sur le fondement de son pouvoir de police spéciale.

Enfin, et ceci explique d'ailleurs l'absence de toute demande d'autorisation préalable déposée par la société Fun Production dans notre espèce, il faut savoir que les dispositions précitées de l'ordonnance de 1945 sont, en pratique, largement tombées en désuétude, ce qui tient sans doute " en grande partie au fait que leur méconnaissance ne se trouve assortie d'aucune sanction administrative ou pénale concrète. Bien que le pouvoir d'autorisation ainsi prévu ait certes été incidemment confirmé par une disposition secondaire de la loi du 17 juillet 1978 relative aux relations entre l'administration et le public, il s'avérerait donc assez artificiel de chercher à y rattacher les présents litiges, ce qui ne ferait à tous égards que déplacer le problème posé sans pour autant le résoudre.

Nous indiquerons par ailleurs, à ce stade, que le fondement des arrêtés précités ne saurait .. davantage être recherché directement dans l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, aux termes duquel: " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. "

S'il est vrai que la circulaire du ministre de l'intérieur du 27 novembre 1991, déjà évoquée préconisait de motiver les mesures d'interdiction de spectacles de lancer de nains par référence à cette stipulation, et si les arrêtés en cause dans nos espèces mentionnent bien cette dernière dans leurs visas, il est clair que les maires n'ont pas entendu faire de ce texte la base légale de leur décision.

Au demeurant, et contrairement à ce que soutiennent devant vous, là encore, les communes il ne nous apparaît pas que cet article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme eût pu servir, en lui-même, de fondement à de telles mesures.

Sans doute peut-on certes penser - et cette question n'est pas ici, en soi, indifférente - que le lancer de nains entre effectivement dans le champ d'application du principe de prohibition des traitements dégradants ainsi posé. D'une part il est acquis que la Convention trouve bien à s'appliquer aux hypothèses où les violations les droits qu'elle institue sont commises- comme ce serait le cas en l'espèce - dans le cadre de rapports interindividuels, et non à l'initiative de la puissance publique elle-même. La Cour européenne des droits de l'homme en a en effet ainsi jugé, à propos des carences de la législation pénale d'un État partie à la Convention empêchant de poursuivre l'auteur d'un viol sur une mineure handicapée mentale, par un arrêt du 26 mars 1985, X et Y c. Pays-Bas, série A, n° 91. D'autre part, et comme l'avait notamment souligné le Professeur Flauss dans un commentaire du jugement du tribunal administratif de Versailles qui vous est aujourd'hui déféré, à la R.F.D.A. de 1992, p. 1026, on peut raisonnablement penser que les spectacles dégradants pour la personne humaine comptent effectivement au nombre des activités contraires à l'article 3. Bien que les organes de Strasbourg n'aient jamais eu à ce jour à se prononcer sur ce point précis, il convient en effet d'observer que, dans la célèbre affaire Tyrer c. Royaume-Uni, du 25 avril 1978, série A, n° 26, qui concernait les châtiments a judiciaires corporels de l'île de Man - et dont la problématique n'était pas sans lien avec la question ainsi soulevée -, la Cour européenne des droits de l'homme n'a pas manqué de sanctionner de tels châtiments comme constitutifs de traitements dégradants pour la personne qui les subissait. Or, s'il est vrai que cet arrêt avait été rendu dans une affaire où la victime n'était évidemment pas consentante à ces traitements, cet élément ne semble pas déterminant au regard a de la solution ainsi retenue. De fait, la Commission européenne des droits le l'homme a pour a sa part eu l'occasion d'admettre, dans un rapport du 14 décembre 1973, Asiatiques d'Afrique a orientale c. Royaume-Uni, qu'un traitement devait être regardé comme dégradant " lorsqu'il provoque un abaissement de rang, de la situation ou de la réputation de celui qui en est l'objet aux a yeux d'autrui, (aussi bien qu'à) ses propres yeux ". Et si la jurisprudence de la Cour reconnaît bien par ailleurs à toute personne la faculté de renoncer au bénéfice de certains des droits qu'elle garantit, il ne semble pas qu'une telle possibilité puisse trouver matière à s'appliquer s'agissant de droits substantiels tels que ceux mentionnés à l'article 3.

Mais, si on sait que la Convention est certes d'applicabilité directe dans les États qui y sont a parties (Cf. par exemple, en ce sens, votre décision d'Assemblée du 11 juillet 1984, Subrini, p. 259), il nous semble que celle-ci ne saurait pour autant avoir pour effet de déroger aux règles a de compétence résultant des textes de droit interne. Il n'est en effet guère possible d'admettre a qu'une autorité soit habilitée à prendre une décision dans un domaine étranger à ses pouvoirs a au seul motif que cet acte viserait à mieux assurer le respect de telle ou telle des stipulations de ladite Convention - ce qui ruinerait toute votre théorie de la compétence administrative et aurait d'ailleurs des conséquences pratiques absurdes. Ainsi, s'il appartenait bien aux maires de Morsang-sur-Orge et d'Aix-en-Provence de tenir compte, dans leur décision, de la nécessité de a faire respecter l'article 3, ceux-ci n'auraient cependant pas pu légalement se fonder sur cette a stipulation pour intervenir en dehors du domaine de leurs pouvoirs de police. Et c'est donc bien a dans ces seuls pouvoirs, tels qu'ils sont définis aux articles L. 131-1 et L. 131-2 du code des a communes, que réside la base légale des arrêtés litigieux. Cependant, si le fondement des mesures de police en cause est ainsi le plus classique qui soit, les motifs qui ont inspirés celles-ci le sont pour leur part beaucoup moins. Si l'article L. 131-2 du code dispose, comme on sait, que: " La police municipale a pour objet a d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques " et si le paragraphe 3° du a même article précise d'ailleurs que celle-ci comprend notamment " le maintien du bon ordre a dans les endroits où il se fait de grands rassemblements d'hommes, tels que les (…) spectacles, jeux, cafés ( …) et autres lieux publics ", ces dispositions sont généralement entendues, en matière a de police des établissements de spectacles, comme visant seulement à garantir la sécurité du a public ou à prévenir d'éventuels troubles matériels à l'ordre public.

Or, force est de constater que les arrêtés qui nous occupent ne se rattachaient - autrement que de manière très marginale - à aucune de ces missions traditionnelles de la police municipale Ainsi, si les communes font certes valoir que le spectacle litigieux aurait présenté un danger pour le nain lui-même et pour le public il n'apparaît pas qu'un tel motif ait été véritablement au nombre de ceux qui ont justifié ces décisions lorsqu'elles ont été prises. Du reste, nous avons déjà indiqué que M. Wackenheim disposait, pendant le spectacle, d'équipements de protection appropriés. Et, s'il a parfois été avancé que la configuration osseuse spécifique des nains pouvait a rendre leurs chutes particulièrement dangereuses, cet argument d'ordre médical n'a en tout état de cause jamais été invoqué par les communes concernées dans le cadre des présentes affaires.

Enfin les prétendus risques d'accident que le spectacle occasionnerait pour le public apparaissent des plus ténus, lorsqu'on sait que la longueur des lancers n'excède pas, si l'on s'en tient à ce qui a été présenté par la presse comme le " record de France " de cette spécialité, une distance de 3,30 mètres.

Quant aux risques de troubles matériels à l'ordre public, qui ne sont d'ailleurs véritablement invoqués que par la seule commune de Morsang-sur-Orge, ils ne sauraient être regardés en l'espèce comme de nature à justifier une mesure d'interdiction. Sans doute cette commune s'efforcera-t-elle certes de soutenir que le maire avait été saisi, à l'annonce du spectacle, de diverses protestations émanant de particuliers, et que le député de la circonscription, M. Julien Dray, avait lui-même publiquement fustigé l'organisation d'un tel événement, qualifié à cette occasion de " retour insupportable au Moyen-Age ". Mais le principe en la matière, tel qu'il résulte de votre célèbre jurisprudence Benjamin du 19 mai 1933 p. 541, est que la légalité d'une mesure d'interdiction se trouve subordonnée à l'existence dé risques d'une ampleur telle que les forces de l'ordre ne seraient pas en mesure d'y faire face. Or, il est clair que ces conditions exceptionnelles n'étaient en l'espèce pas réunies, en l'absence notamment de toute manifestation de protestation a concrète envisagée dans l'éventualité où le spectacle aurait eu lieu. Et il ne suffit évidemment a pas de quelques témoignages d'indignation isolés pour autoriser un maire à interdire un spectacle - faute de quoi l'exercice du pouvoir de police ne manquerait d'ailleurs pas de devenir le terrain a d'intervention privilégié des groupes de pression de tous bords.

Aussi le motif essentiel des arrêtés attaqués tient-il bien évidemment - et leurs auteurs n'en font d'ailleurs pas mystère - à ce que le spectacle en cause a été considéré comme attentatoire à la dignité de la personne humaine.

A cet égard, se pose d'abord une question préalable, qui ne peut d'ailleurs trouver sa solution que dans l'intime conviction de chacun, et qui est de déterminer si le lancer de nains encourt effectivement ou non, par sa nature même un tel reproche. Mais nous n'aurons, pour notre part, guère de doute à vous proposer de répondre par l'affirmative. En effet, le but du lancer de nains - et ce qui fait tout son intérêt pour le spectateur - n'est évidemment pas de lancer un poids le plus loin possible, mais de lancer avec violence, et sans aucun égard pour elle, une personne humaine qui se trouve ainsi traitée comme un simple projectile, c'est-à-dire rabaissée au rang d'objet. En outre, ce n'est pas n'importe quelle personne qui est lancée, mais, spécifiquement et exclusivement, un nain. Or, cet état de fait ne s'explique pas seulement bien entendu, par le faible poids d'un tel individu, qui rend possible l'exercice. Il tient essentiellement, ainsi qu'en attestent d'ailleurs sans fard les documents publicitaires de présentation du spectacle, à l'intérêt que suscite, chez un certain public, la mise en évidence d'anomalies physiques telles que l'achondroplasie, ou d'autres formes de nanisme. Aussi cette attraction renvoie-t-elle - fût-ce, chez la plupart des spectateurs, inconsciemment - au sentiment obscur et profondément pervers selon lequel certaines personnes constitueraient, du fait de leur handicap ou de leur apparence physique, des êtres humains de second rang, et susceptibles, dès lors, d'être traités comme tels. .Cette connotation de mépris se trouve d'ailleurs renforcée par la circonstance - sur laquelle il convient tout particulièrement d'insister - que les lancers sont pratiqués, non par des artistes professionnels, mais par des spectateurs eux-mêmes, auxquels est ainsi donnée la possibilité de se défouler en manipulant brutalement une personne handicapée, avec toute la cruauté inhérente à une telle démarche. Et cette observation prend toute son importance lorsqu'on connaît le contexte concret dans lequel s'insèrent les spectacles incriminés. Ceux-ci sont en effet habituellement organisés dans des discothèques à forte capacité, où les clients, plus ou moins ivres, sont invités à projeter le nain à la chaîne en s'en saisissant par une poignée à la manière d'une vulgaire valise - tous éléments qui ne manquent pas d'aggraver encore, à nos yeux, le caractère scandaleux de cette attraction. Sans aller jusqu'à évoquer ici les " Untermenschen " ou " sous-hommes " stigmatisés comme tels par l'Allemagne nazie - encore qu'il ne soit pas inutile de rappeler que les nains en faisaient précisément partie -, on ne peut qu'être frappé par la parenté unissant un tel spectacle avec les jeux du cirque de l'Antiquité, dont on connaît le rôle de canalisation des pulsions sadiques de la population. Et l'on ne peut davantage s'empêcher de comparer le sort du nain ainsi exhibé avec celui réservé aux phénomènes de foire, tels que les frères siamois, victimes de régressions génétiques ou autres monstres en tous genres, qui tendent aujourd'hui fort heureusement à disparaître, mais dont un film comme " Elephant Man " de David Lynch, a pu souligner, à juste titre, la situation de profonde détresse.

Aussi êtes-vous bien ici en présence, comme pouvait l'écrire un commentateur critique du jugement du tribunal administratif de Versailles, M. Christophe Vimbert, à l'A.J.D.A. de 1992, p. 52s, d'un " spectacle indigne (et) malsain ". Et il n'est à notre sens guère possible de voir dans celui-ci, comme voudraient vous en convaincre les défendeurs, un simple numéro de cascades ou de variétés, comparable à celui de " l'homme-obus " parfois pratiqué dans certains cirques.

Au demeurant il convient de souligner que les réactions des responsables politiques face au développement les spectacles de lancer de nains, se sont avérées unanimement hostiles. Sans revenir sur la prise de position du ministre de l'intérieur telle qu'elle s'est matérialisée par la circulaire déjà citée, on relèvera ainsi que le secrétaire d'Etat aux handicapés avait pris soin de féliciter le maire de Morsang-sur-Orge pour son arrêté d'interdiction, en qualifiant alors cette attraction, dans une lettre du 3 décembre 1991, de " spectacle indigne, (É) vulgaire et dégradant (…) fait pour une population voyeuriste ".En outre, et pour prendre ici un exemple étranger, il convient de signaler qu'aux États-Unis, le lancer de nains a notamment été interdit par le gouverneur de l'Etat de New-York comme attentatoire à la dignité de la personne humaine.

Enfin - et ce n'est pas là l'élément d'appréciation le moins éclairant -, on observera que les réactions à ce spectacle chez les nains eux-mêmes, ne sont, mise à part bien entendu celle de M. Wackenheim, pas moins défavorables. C'est ainsi que l'Association nationale des personnes de petite taille a fait connaître publiquement son indignation à ce sujet, en soulignant - de manière effectivement frappante - que la protestation de l'opinion publique face à une telle attraction serait unanime si c'était à un animal qu'on infligeait le traitement ainsi subi par le nain. Quant à la comédienne Mimie Mathy, artiste renommée et naine elle-même, qui s'est publiquement insurgée contre ce spectacle, elle n'a pas manqué d'en dénoncer également le caractère profondément dégradant à l'égard des personnes victimes de nanisme.

Au total, et bien que l'absence, à ce jour, de toute jurisprudence tant administrative que judiciaire ayant précisément défini les contours de cette notion vous prive ici d'éléments de comparaison utiles, il nous apparaît que le spectacle critiqué doit bien être regardé comme portant atteinte à la dignité de la personne humaine. Aussi étendue que soit la liberté d'expression, une attraction consistant ainsi, en vue de flatter les plus vils instincts, à ravaler au rang d'objet une personne handicapée à raison même de son handicap, ne nous paraît en effet pas pouvoir trouver sa place dans une société civilisée. Et les réactions du corps social précédemment évoquées, qui montrent à quel point ce spectacle a été ressenti comme une régression par rapport aux efforts d'intégration sociale des handicapés déployés dans les dernières décennies, ne font que renforcer cette analyse. Du reste, on pourrait être tenté de se demander si une attraction aussi méprisable que le lancer de nains ne porte pas, à la vérité, tout autant atteinte à la dignité des spectateurs qui y participent ou y assistent qu'à celle des nains eux-mêmes.

Il est vrai que l'argumentation que développe, de son côté, M. Wackenheim, telle qu'elle s'est notamment exprimée au travers de divers articles de presse contemporains des arrêtés d'interdiction n'en donne pas moins à réfléchir. L'intéressé fait en effet valoir qu'alors qu'il vivait précédemment dans la solitude et se trouvait au chômage, son engagement par la Société Fun " Production lui avait permis de s'intégrer à une troupe de spectacle de s'assurer un revenu mensuel de ~0.000 F et ainsi de nourrir pour la première fois de sa né de véritables ambitions, tant " personnelles que professionnelles, avant que le rêve ne se brise, par l'effet précisément de la " multiplication des mesures d'interdiction du spectacle, et qu'il ne soit alors rendu à son état initial. Aussi l'intéressé a-t-il beau jeu de faire valoir que le souci de protéger la dignité humaine " qui lui est ainsi opposé a, en ce qui le concerne, plutôt pour effet d'y porter atteinte, et que le .. ministre de l'intérieur, indirectement responsable de la perte de son emploi par l'effet de sa .. circulaire de 1991, serait maintenant bien en mal de lui en procurer un autre - alors surtout .. que l'accès à certains des corps administratifs placés sous son autorité, tels que la police, est .. précisément subordonné à une condition de taille minimale .. Mais, pour moralement embarrassante qu'elle soit, cette argumentation pathétique n'entame en rien la valeur des considérations qui précédent. Le respect de la dignité de la personne humaine, concept absolu s'il en est, ne saurait en effet s'accommoder de quelconques concessions en fonction des appréciations subjectives que chacun peut porter à son sujet. De même, par " exemple que la soumission délibérée d'une victime à des actes de violence n'a nullement pour " effet, se(on la jurisprudence judiciaire, de retirer à ceux-ci leur caractère pénalement répréhensible, le consentement du nain au traitement dégradant qu'il subit nous paraît donc ici juridiquement indifférent. Du reste, cette observation rejoint celles que nous avons déjà formulées quant à l'applicabilité en la matière, malgré ce consentement, de l'article 3 de la Convention " européenne des droits de l'homme, et on relèvera que tout autre raisonnement conduirait d'ail " leurs, en l'occurrence, à faire prévaloir de manière assez choquante un avantage procuré à un seul individu sur la nécessité de prévenir l'humiliation d'une communauté entière. Enfin, la " circonstance que la participation de l'intéressé aux spectacles incriminés donne lieu au versement " d'un salaire ne nous paraît nullement de nature - nous serions tentés d'ajouter au contraire "- à infléchir cette conclusion. De par sa nature même, la dignité de la personne humaine doit .. en effet être placée hors commerce. Et, sur un plan moral nous croyons précisément pouvoir .. déceler, pour notre part, une circonstance aggravante, plutôt qu'atténuante, dans le fait qu'une .. personne acceptant de se prêter à une attraction à caractère dégradant le fasse à titre de prestation .. rémunérée dans le cadre d'une exploitation commerciale. .. Enfin on ajoutera, dans le même ordre d'idées que vous ne pourrez accueillir l'argumentation .. des défendeurs selon laquelle les pouvoirs de police du maire ne sauraient ici trouver à s'appliquer, dès lors que, compte tenu là encore du consentement de M. Wackenheim, les mesures " prises à ce titre reviendraient à tenter de protéger un administré contre lui-même. Il est en effet, " précisément, tout à fait admis que des mesures de police administrative puissent légalement " avoir un tel objet, comme le montrent, entre autres, l'obligation du port de la ceinture de sécurité " pour les automobilistes, celle du port du casque pour les motocyclistes, ou encore, pour prendre " l'exemple d'une police municipale, la police des baignades et des activités nautiques prévue à " l'article L. 131-2-1 du code des communes.

Mais il vous restera alors à trancher une question de droit essentielle, qui est celle ayant plus " particulièrement justifié le renvoi des présentes affaires devant votre Assemblée, et qui tient à " juger si le maire d'une commune peut légalement décider, sur le fondement de son pouvoir de " police générale, d'interdire un spectacle au seul motif que celui-ci porte atteinte à la dignité de " la personne humaine.

Or, cette question, qui revient en définitive à déterminer si le respect de la dignité humaine figure ou non au nombre des composantes de l'ordre public prises en compte pour l'exercice de la police municipale, pourrait a priori sembler devoir appeler une réponse négative. La notion " d'ordre public ne saurait en effet, bien entendu, être abusivement tirée vers celle d'ordre moral. " Et, selon la conception classique de la police municipale, telle que l'entendait à l'origine la doctrine, la moralité publique était en principe envisagée comme un facteur externe à l'ordre " public proprement dit, sur lequel elle n'était susceptible de rejaillir que par le biais de risques " de désordres matériels. C'est ainsi qu'Hauriou pouvait écrire, par exemple, dans l'édition de 1927 " de son Précis de droit administratif p. 445 que: " L'ordre public, au sens de la police, est l'ordre matériel et extérieur. La police n'essaie point d'atteindre les causes profondes du mal social elle se contente de rétablir l'ordre matériel. En d'autres termes, elle ne poursuit pas l'ordre moral dans les idées ".

Mais un raisonnement en deux temps nous conduira cependant à vous proposer très fermement d'admettre la possibilité de faire usage des pouvoirs de police municipale en cas d'atteinte à la dignité de la personne humaine.

En premier lieu, nous soulignerons ici combien il apparaît nécessaire, si vous nous avez suivi " pour estimer indigne le spectacle litigieux, que vous adoptiez cette solution.

Il est à peine besoin de souligner, en effet, que l'impératif de respect de la dignité de la personne " humaine compte au nombre de ceux placés au sommet des exigences de notre système juridique. " C'est ainsi que, par une décision du 27 juillet 1994, le Conseil constitutionnel, appelé à se " prononcer sur la constitutionnalité des premières lois sur la bioéthique a solennellement érigé " en principe à valeur constitutionnelle " la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d'asservissement et de dégradation, à laquelle se réfère le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. Et ce principe s'est même trouvé depuis lors à nouveau réaffirmé par une autre décision du Conseil constitutionnel du 19 janvier 1995 relative à la loi sur la " diversité de l'habitat.

En outre, et sans même revenir ici sur les obligations qui s'imposent à la France en vertu de " l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, le respect de la dignité de la " personne humaine, sous toutes ses formes, est posé en principe par d'innombrables textes et " décisions de jurisprudence, qu'il s'agisse, par exemple, du respect de la dignité de la femme (Cf., en ce sens, la Convention de New York du 1er mars 1980), de la dignité de l'élève (à laquelle se réfère notamment votre avis d'Assemblée générale du 27 novembre 1989 relatif à l'affaire dite " du foulard islamique ", même s'il est vrai que les conséquences jurisprudentielles de cette affirmation de principe sont d'ailleurs restées assez timides), de la dignité de l'enfant (protégée par la Convention de New York du 26 janvier 1990), de celle du malade (visée à l'article 2 du nouveau code de déontologie médicale issu du décret du 6 septembre 1995), de celle du salarié (Cf., sur ce point votre décision du 11 juillet 1990 Ministre des affaires sociales c. Syndicat " C.G.T. de la Société Griffine-Maréchal, p. 215) ou encore de celle du détenu sur laquelle insistent les articles D. 189 et D. 275 du code dé procédure pénale).

Enfin et dans un domaine assez voisin de celui qui nous occupe, on relèvera que la loi du " 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication prévoit expressément, en son article " ler, que l'exercice de cette liberté par les diffuseurs de programmes audiovisuels peut se trouver " limité " dans la mesure requise 1) par le respect de la dignité de la personne humaine D- restriction qui figure d'ailleurs également, sous une forme analogue, dans la Convention européenne sur la télévision transfrontières du 5 mai 1989.

.. Or, l'objectif de sauvegarde de la dignité de la personne humaine qui se dégage ainsi de ce .. corpus juridique serait, s'agissant des spectacles de curiosités, purement et simplement anéanti, " si vous vous refusiez à reconnaître aux maires la possibilité d'interdire de tels spectacles sur le " fondement de leur pouvoir de police.

Il faut bien voir, en effet que, contrairement à ce qu'il en est notamment en matière de " spectacles cinématographiques - où un contrôle préventif des œuvres est organisé, sous l'égide " du ministère de la culture, par le biais du visa d'exploitation prévu à l'article 19 du code de " l'industrie cinématographique- il n'existe pas, en matière de spectacles vivants tels que celui " qui nous occupe de police exercée au niveau national. Cet état de fait - dont nous aurons plus " loin l'occasion dé souligner les inconvénients - a ainsi pour conséquence de faire peser le contrôle de tels spectacles sur les seuls maires. Et le rôle de ces derniers ne se limite donc pas ici, comme c'est le cas en matière de cinéma, à vérifier si des circonstances locales justifient des mesures plus restrictives que celles prononcées au niveau national - ainsi que l'autorise votre célèbre jurisprudence de Section Société Les films Lutetia du 18 décembre 1959, p. 693-, " mais les conduit en tant cette fois qu'autorité de police exclusive, à contrôler que les spectacles " en cause ne sont pas intrinsèquement de nature à troubler l'ordre public.

Par ailleurs, il convient en l'occurrence de souligner qu'aussi immorale qu'elle apparaisse, l'organisation de spectacles de lancer de nains n'entre pour autant dans le champ d'aucune incrimination pénale. Et la Chancellerie, qui semble avoir un temps envisagé de faire engager des poursuites par les parquets compétents à l'encontre des responsables de tels spectacles, a d'ailleurs rapidement dû renoncer à cette initiative en conséquence de ce constat.

Or, il résulte ainsi des effets combinés de l'absence de toute autre autorité de police compétente en la matière, d'une part, et de l'impossibilité de réprimer de tels agissements au plan pénal, " d'autre part que l'organisation de spectacles de lancers de nains ne saurait être prévenue autrement que par une mesure d'interdiction prononcée par le maire. Aussi voyons-nous mal, dans ce contexte, comment vous pourriez dénier à ce dernier la possibilité de prendre une telle décision, alors que l'enjeu est précisément ici de sauvegarder l'exigence morale particulièrement " solennelle que constitue le respect de la dignité de la personne humaine.

Or - et c'est là la seconde étape de notre raisonnement -, le but qu'il s'avère ainsi impératif d'atteindre n'apparaît nullement inaccessible, en dépit peut-être de certaines idées reçues, au regard de l'état actuel du droit.

D'une part, en effet, il faut bien voir que, même dans sa pureté d'origine - qui, comme on le verra dans un instant n'a au demeurant jamais coïncidé avec la jurisprudence -, la conception doctrinale de la police administrative n'excluait pas, en réalité, certaines incursions dans le domaine des acquis fondamentaux de la morale sociale. Dans la célèbre thèse qu'il a consacrée " en 1934 à " La police municipale ", M. Pierre-Henri Teitgen admettait ainsi l'existence d'une "police de la moralité publique ", ayant pour objet de prévenir " les scandales publics c'est-à-dire " les atteintes publiques au minimum d'idées morales naturellement admises, à une époque donnée, par la moyenne des individus.

Or, même en nous plaçant dans ce cadre relativement " restrictif, il nous apparaît que le respect de la dignité de la personne humaine constitue bien, précisément, l'une de ces " idées morales naturellement admises " dans la société française contemporaine, ainsi que suffisent à en témoigner les différents textes et décisions de jurisprudence que nous avons précédemment mentionnés.

D'autre part et surtout, il est clair que, bien qu'elle ne soit pas formellement comprise dans la trilogie traditionnelle définissant l'objet de la police municipale - à savoir sécurité, tranquillité et salubrité publiques -, la moralité publique constitue bien également, selon votre jurisprudence, un des buts en vue desquels cette police peut trouver à s'exercer.

C'est ainsi que vous avez toujours reconnu que les atteintes portées à la décence, sous toutes ses formes, justifiaient l'édiction par le maire de mesures de police qu'il s'agisse de décisions frappant les lieux de débauche ou de prostitution (Cf. par exemple: 17 décembre 1909 Chambre syndicale de la corporation des marchands de vins et liquoristes de Paris, p. 990; 11 décembre 1946, Dames Hubert et Crepelle, p. 300 ou 30 septembre 1960, Jauffret, p. 504) de la réglementation de la tenue des baigneurs sur les plages (Cf. 30 mai 1930, Beaugé, p. 582), du contrôle du caractère décent des inscriptions portées sur les monuments funéraires (Cf. Ass., 4 février 1949, Dame Veuve Moulis, p. 52) ou encore de la vérification de la conformité aux bonnes mœurs de la dénomination des voies, publiques ou privées, dans la commune (Cf. 18 juillet 1919, Dame Magnier, p. 646 et, plus récemment, 19 juin 1974, Sieur Broutin, p. 346).

De même, et s'agissant cette fois précisément, comme en l'espèce, d'un spectacle de curiosité, vous avez jugé, par votre arrêt du 7 novembre 1924, Club indépendant sportif châlonnais, déjà cité, qu'un maire avait pu à bon droit interdire un combat de boxe en se fondant sur le fait qu'une telle exhibition présentait " (un) caractère brutal, (…) parfois sauvage (et) contraire à l'hygiène morale ". Or si l'appréciation de fait ainsi exprimée a certes, en elle-même, quelque peu vieilli, la possibilité d'interdire un spectacle de curiosité à raison de son immoralité n'en a pas moins pour sa part, survécu dans son principe ainsi qu'en a notamment témoigné depuis lors une décision du 13 février 1953, Hubert de Temay, au Recueil Dalloz de 1953, p. 753.

Enfin, en ce qui concerne les spectacles cinématographiques, il convient de rappeler que l'innovation essentielle de votre jurisprudence Société " Les films Lutetia " de 1959, précitée, par rapport au droit antérieur, tenait précisément à ce que vous avez alors jugé que l'interdiction de la diffusion d'un film par un maire était possible, même en l'absence de tout risque de troubles " matériels, lorsque la projection de celui-ci était " préjudiciable à l'ordre public (…) à raison du caractère immoral dudit film et de circonstances locales ". L'idée présidant à cet arrêt était donc que, pour des raisons tenant à des seules considérations de moralité, il pouvait, par exemple, y avoir trouble à l'ordre public à diffuser une œuvre blasphématoire dans une ville de pèlerinage, ou un film évoquant une affaire criminelle dans la localité où celle-ci s'était déroulée. Et encore votre jurisprudence se montrait-elle, en un premier temps, particulièrement libérale dans l'appréciation de la spécificité des circonstances locales invoquées à ce titre. Du reste, celles admises par votre Section comme valables dans l'affaire Société Lutetia elle-même tenaient en l'occurrence " à une vague d'immoralité qui avait déferlé sur la ville de Nice en 1954 ", ce qui - en espérant que cette vague ait depuis lors reflué, ce que l'actualité judiciaire tend parfois à infirmer - témoigne en tout cas d'un faible degré d'exigence à cet égard. Or, si vous en avez certes fait par la suite une application plus nuancée, vous n'avez cessé depuis lors de vous en tenir aux principes de cette jurisprudence (Cf., par exemple, pour une série de décisions rendues à propos de la diffusion du film " Les liaisons dangereuses 1960 ": Ass., 19 avril 1963 Ville de Salon-de-Provence et autres, p. 228, ou, plus récemment, s'agissant de la projection du film " Le pull over rouge ": 26 juillet 1985, Ville d'Aix-en-Provence c. Société Gaumont-Distribution, p. 236).

Au total, et même si, compte tenu de l'évolution générale des mœurs, votre attention est moins souvent attirée sur ce point qu'elle ne l'était il y a quelques décennies, il est donc possible d'affirmer, comme le fait le Professeur Chapus dans son Traité de droit administratif général p. 596, que selon la jurisprudence, la moralité publique est la quatrième composante de la " notion d'ordre public ". Et cette conclusion est d'ailleurs unanimement partagée par les commentateurs autorisés en la matière (Cf. par exemple, en ce sens, l'opinion du Professeur Moreau au Jurisclasseur administratif, fascicule " Polices administratives ", n° 128 ou encore celle du Professeur Picard dans son ouvrage de référence sur "La notion de police administrative ", tome " 1, p. 217). Or, il n'est pas douteux, à notre sens, et eu égard à nos développements antérieurs, " que le respect de la dignité de la personne humaine constitue lui-même l'une des composantes essentielles de la moralité publique. Aussi la légalité des interdictions de spectacles de lancer de nains prononcées par les maires sur ce fondement nous semble-t-elle devoir être admise.

Il est vrai que la solution que nous vous proposons ainsi d'adopter ne va pas sans soulever quelques difficultés, qu'il convient à ce stade d'examiner, et qui nous paraissent être de deux types.

En premier lieu, on ne peut manquer de relever que le cadre juridique résultant des textes actuellement en vigueur, qui conduit à faire ainsi reposer sur chacun des 36.000 maires de France la responsabilité de se prononcer sur la nécessité d'interdire des spectacles de lancers de nains n'est en réalité guère adapté à la nature du problème posé.

De fait, les contours de la notion de dignité de la personne humaine ne varient évidemment pas d'une commune à l'autre, et il est clair que l'appréciation portée à cet égard par l'autorité de police municipale n'est nullement appelée à se fonder ici sur des circonstances à proprement parler locales - étant observé que la position de principe que nous avons esquissée devrait même en réalité logiquement conduire les maires à interdire systématiquement les spectacles en cause.

Or, cette anomalie trouve à nos yeux son origine dans une carence du droit existant. En effet dans la mesure où nombre de spectacles de curiosités ne sont plus aujourd'hui organisés à l'échelon local, mais prennent la forme - comme tel est précisément le cas s'agissant des lancers de nains - de spectacles itinérants montés par une même société à l'échelon national, l'attribution aux différents maires d'un rôle de contrôle au cas par cas n'a en réalité guère de sens. Et cette remarque vaut d'ailleurs aussi bien pour la mise en œuvre du pouvoir de police municipale générale que pour celle du pouvoir de police spéciale prévu par l'ordonnance du 13 octobre 1945.

En réalité, il conviendrait donc sans doute de mettre ici en place un dispositif juridique faisant coexister, à l'instar de celui prévu en matière de spectacles cinématographiques un contrôle préventif à caractère national, d'une part, et un contrôle exercé à l'échelon municipal, d'autre part, lequel n'aurait plus, dans ce cadre, qu'à tirer les conséquences d'éventuelles circonstances locales particulières.

Mais, pour regrettables qu'elles soient, les lacunes des textes actuels ne nous paraissent nullement devoir condamner notre solution. Il nous semble en effet qu'il appartient à votre jurisprudence, en cas de vide juridique ou d'inadaptation des textes en vigueur, de combler, autant que faire se peut, les carences du législateur ou de l'autorité réglementaire ainsi constatées. Et il suffira d'invoquer ici l'esprit de votre célèbre arrêt d'Assemblée Dehaene du 7 juillet 1950 p. 426, relatif aux conditions d'exercice du droit de grève dans les services publics, pour appuyer notre propos.

Or, en l'occurrence, l'anomalie résultant de l'absence de contrôle exercé au niveau national sur les spectacles de curiosités pourra se trouver aisément contournée pour peu que vous fassiez l'effort d'admettre que, compte tenu précisément de l'inexistence d'un tel contrôle, le pouvoir de police du maire doit pouvoir s'exercer sur la base d'autres éléments que les seules circonstances locales particulières à la prise en considération desquelles il serait autrement strictement cantonné.

Au demeurant, pareille solution n'apparaît, dans un tel cas de figure, nullement choquante car ce n'est pas parce qu'un problème de police se pose dans les mêmes termes dans toutes les communes du territoire national qu'il devrait être regardé comme ne se posant localement dans aucune d'entre elles. Et il appartient bien à chacun des maires concernés d'en tirer les conséquences à son niveau.

Enfin, on observera que cette solution peut également se prévaloir de l'idée souvent avancée selon laquelle les compétences dévolues au maire en matière de police générale s'analysent pour partie, en un pouvoir résiduel précisément appelé à suppléer l'absence de pouvoir de policé conféré à l'autorité supérieure.

Quant à la seconde série de difficultés que suscite notre proposition, celles-ci tiennent au risque de déviation vers certaines formes de censure que vous pouvez sans doute être tentés d'y déceler.

De fait, les contours du concept d'atteinte à la dignité de la personne humaine, auquel nous vous proposons de vous référer, sont loin d'être parfaitement intangibles ou immuables. L'exemple de la solution que vous avez pu adopter, s'agissant des combats de boxe, par votre décision de 1924, Club indépendant sportif châlonnais, précitée, suffit d'ailleurs à en témoigner. Et, de manière plus générale, on observera, pour nous en tenir à un exemple frappant, que nos ancêtres d'il y a un siècle étaient très certainement plus choqués par les spectacles d'inspiration érotique que par l'exhibition de phénomènes de foire, alors que l'ordre des valeurs à cet égard, dans la société contemporaine, nous paraît s'être très certainement inversé.

Or, même à une époque donnée - et c'est bien entendu là que réside toute la difficulté- la notion d'atteinte à la dignité de la personne humaine est également susceptible de varier, dans une certaine mesure, suivant les conceptions éthiques et les appréciations subjectives de chacun.

Aussi le danger d'une éventuelle utilisation abusive de votre jurisprudence d'aujourd'hui par certains maires, qui ne manquerait pas de mettre en péril la liberté d'expression, doit-il être sérieusement pris en considération.

Mais, en premier lieu, il nous apparaît que la notion précise d'atteinte à la dignité de la personne humaine s'avère en elle-même, si les mots ont un sens, assez restrictive. Si l'hypothèse de la présente espèce - à savoir celle de traitements dégradants infligés à une personne handicapée - nous paraît pouvoir s'y rattacher sans difficulté, tel ne serait ainsi sans doute notamment pas le cas de spectacles d'inspiration érotique ou pornographique qui, aussi peu délicats qu'ils soient, ne sauraient pour autant être considérés, selon nous, comme à proprement parler attentatoires à la dignité de la personne humaine. Et votre jurisprudence, qui aura à se prononcer progressivement, au cas par cas, sur les différents types de spectacles soulevant une difficulté d'appréciation à cet égard, conservera évidemment la possibilité de maîtriser la notion ainsi utilisée en en maintenant le caractère restrictif.

En deuxième lieu, on observera que l'article 1er de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, qui comme on l'a vu, se réfère également à la notion de respect de la dignité de la personne humaine, n'a jusqu'ici soulevé que peu de difficultés d'application. Il semble donc que les contours de cette notion admis par les diffuseurs coïncident bien, pour l'essentiel, avec ceux retenus par le Conseil supérieur de l'audiovisuel, ce qui tend à montrer que ceux-ci sont en pratique, assez faciles à délimiter.

En troisième lieu, il convient de souligner que les pouvoirs d'interdiction que nous vous proposons aujourd'hui de reconnaître aux maires s'établissent en réalité, à bien des égards, en deçà de ceux déjà admis par votre jurisprudence. Ainsi qu'il ressort de nombreux arrêts que nous avons précédemment cités, celle-ci permet en effet notamment d'ores et déjà à l'autorité municipale de s'opposer à de simples manquements à la décence somme toute assez bénins. Et le risque d'une éventuelle déviation vers l'ordre moral - à le supposer véritablement prononce- ne naîtra donc pas, en tout état de cause, avec votre décision d'aujourd'hui, mais lui préexistait en fait de longue date.

En quatrième lieu, il nous apparaît tout de même possible de faire confiance aux maires pour user de leur pouvoir de police avec la modération requise. Et, au demeurant, l'expérience qu'a constituée, dans le domaine voisin des spectacles cinématographiques, votre jurisprudence Société " Les Films Lutetia " s'est avérée à cet égard pleinement satisfaisante puisque les mesures d'interdiction prononcées à ce titre, loin de se banaliser, n'ont cessé de se raréfier progressivement.

Enfin, et en tout état de cause, les éventuelles décisions interdisant la tenue de spectacles jugés attentatoires à la dignité de la personne humaine seront évidemment soumises au contrôle du juge de l'excès de pouvoir, auquel sera ainsi donnée la possibilité de censurer celles de ces mesures qui procéderont d'une appréciation de fait abusive.

Si vous nous suivez pour censurer ainsi les motifs d'annulation des deux jugements attaqués, vous vous trouverez alors saisis, en vertu de l'effet dévolutif de l'appel, des autres moyens de première instance de la société Fun Production et de M. Wackenheim.

Mais, d'une part, si ceux-ci avaient alors fait valoir que les arrêtés litigieux portaient atteinte à la liberté du travail, ainsi qu'à la liberté du commerce et de l'industrie, on sait que votre jurisprudence admet qu'une mesure de police puisse avoir de tels effets, pour peu qu'il n'ait pas été possible de sauvegarder ou rétablir l'ordre public par des mesures moins contraignantes (Cf., sur ce point le Cours du Président Odent, p. 1718 et 26 février 1960 Ville de Rouen, p. 179 ou " S., 7 décembre 1979, Société " Les fils de Henri Ramel, p. 456). Or, en l'espèce, il est clair que " seule une mesure d'interdiction pure et simple était de nature à prévenir le trouble à l'ordre public occasionné par le spectacle litigieux. D'autre part, les intéressés soutenaient également que les arrêtés attaqués ne pouvaient trouver de base légale ni dans l'article 3 précité de la Convention européenne des droits de l'homme, ni dans la circulaire ministérielle du 27 novembre 1991 à laquelle ils reprochaient - d'ailleurs à tort, selon nous, eu égard à son caractère purement indicatif - d'être entachée d'incompétence. Mais, dans la mesure où ces arrêtés reposaient en réalité comme on l'a vu, sur les dispositions de l'article L. 131-2 du code des communes, qui suffisaient à elles seules a fonder une mesure d'interdiction du spectacle, les moyens ainsi formulés s'avèrent en tout état de cause inopérants.

Aussi les arrêtés litigieux devront-ils, au total, être confirmés.

Si vous nous suivez jusqu'ici, vous serez alors conduits à censurer également les jugements attaqués en tant qu'ils ont condamné les villes de Morsang-sur-Orge et d'Aix-en-Provence au versement d'indemnités à raison de la prétendue illégalité fautive de ces mêmes arrêtés, ainsi d'ailleurs qu'au paiement, dans la seconde affaire, d'une somme de 3.000 F au titre des frais irrépétibles.

Vous rejetterez en outre, a fortiori les conclusions incidentes de la société Fun Production et de M. Wackenheim tendant à l'augmentation des indemnités ainsi allouées en première instance, de même que des conclusions des intimés tendant à ce que les communes appelantes soient " condamnées à une amende pour recours abusif, et qui sont en tout état de cause, par leur nature même, irrecevables (Cf. 24 janvier 1986, Mme Rosset, T. p. 669).

Enfin, les parties vous ont saisis de conclusions croisées tendant au remboursement de leurs frais de procédure d'appel. A cet égard, si les demandes présentées contre les deux communes, qui n'ont pas la qualité de parties perdantes, sont évidemment vouées au rejet, nous pensons qu'il y a lieu, en revanche, d'accorder auxdites communes les sommes respectives de 10.000 F et 15.000 F qu'elles réclament à ce titre. Cependant, nous vous proposerons, dans les circonstances particulières de l'espèce, et eu égard à la situation sociale de M. Wackenheim, d'exonérer celui-ci des condamnations en cause en en faisant peser l'intégralité sur la seule société Fun Production.

Par l'ensemble de ces motifs nous concluons:

- à l'annulation des deux jugements des tribunaux administratifs de Versailles et de Marseille en date des 25 février et 8 octobre 1992;

- au rejet des demandes présentées devant ces tribunaux par la société Fun Production et par M. Wackenheim;

- au rejet des appels incidents formés par ces derniers dans les deux affaires

- à ce que la société Fun Production soit condamnée à verser les sommes respectives de 10 000 F et de 15.000 F aux villes de Morsang-sur-Orge et d'Aix-en-Provence au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991

- et au rejet des conclusions dé la société Fun Production et de M. Wackenheim tendant à la condamnation des deux communes en application de cette même disposition.

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