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Nudge


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Nudge : le livre dont l’Amérique parle

lundi 11 mai 2009, par Guillaume Daudin

Nudge est un formidable succès de librairie outre-Atlantique. « A New York Times Bestseller », selon la couverture. Richard H. Thaler, professeur à l’université de Chicago et Cass R. Sunstein, d’Harvard, y réfléchissent aux conditions dans lesquelles les individus font leur choix, et de quelle manière on pourrait orienter favorablement ceux-ci.

Vous êtes le directeur d’une cantine, et un beau jour, après un repas trop arrosé avec vos collègues, vous leur lancez un pari : vous êtes certains qu’un changement dans la façon dont vous présentez, durablement, les différents aliments aux employés, modifiera les choix alimentaires de ces mêmes employés. Stupide, non ? Si Jean-Pierre veut une salade, Paul une barquette de frites et Marie du poulet aux trois légumes, ce n’est sûrement pas le fait de le mettre à gauche ou à droite qui va les empêcher de s’en saisir.

Vous tentez l’expérience dès le lendemain, et là stupeur, vous vous rendez compte que d’avoir ôté les barres de Mars de la vue directe des consommateurs affecte leur choix. En effet, les deux clémentines mises en évidence ont été prises d’assaut. Le pari est perdu. L’intérêt de l’expérience est toutefois clairement acquis : la manière dont vous organiserez les possibles pour ceux qui auront à choisir les orientera dans un sens ou dans l’autre.

L’architecte du choix et le nudge

Le directeur de la cantine, comme de nombreuses autres personnes, est ce que les deux auteurs appellent un architecte du choix. Cet architecte peut « provoquer des améliorations majeures dans la vie des autres en élaborant des environnements favorables ». L’exemple du directeur de la cantine est assez évident. D’autres sont peut-être plus intéressants et ont une portée plus importante. Thaler et Sunstein nous montrent que dans beaucoup d’entreprises américaines, le choix par défaut lors de l’embauche est de ne pas souscrire à une assurance maladie. C’est alors à l’employé de se manifester, donc d’agir, pour pouvoir y souscrire. Par paresse, beaucoup ne le font pas. Le petit coup de pouce que l’on pourrait apporter à chaque employé est pour les auteurs de changer la règle par défaut : la souscription à l’assurance maladie serait par défaut, et il faudrait aux employés « se bouger » pour pouvoir se désinscrire.

Ce petit coup de pouce, c’est ce que les auteurs appellent le « nudge » (« to nudge » signifie « pousser doucement ou frapper légèrement dans les côtes, de préférence avec le coude »). C’est cette volonté de donner des nudges qui motive le livre, sous-titré « améliorer les choix concernant la santé, la richesse et le bonheur ». Et qui en donne de très nombreuses déclinaisons : investissements, choix alimentaires, mariage, etc…

Le paternalisme libertarien

Thaler et Sunstein fondent leur théorie sur certaines prémisses de l’analyse économique du comportement (behavioral economics). Mais à la différence des promoteurs de cette discipline, les deux auteurs de Nudge rejettent complètement l’existence d’un homo oeconomicus qui ferait ses choix en toute connaissance de cause, avec une information parfaite, et selon une rationalité idéale. L’homme qui leur sert de modèle, c’est votre voisin, celui que vous croisez dans la rue, un être humain lambda au fond, sympathique et un peu paresseux, de bonne volonté mais pas toujours très adroit, capable du pire comme du meilleur, qui peut donc se tromper.

Partant de ce modèle, ils élaborent leur théorie du nudge, qu’ils appellent un paternalisme libertarien. Ce « gros mot » a probablement beaucoup contribué à la renommée du livre, vu ce qu’il a de choquant. Concilier le paternalisme, une attitude qui consiste à infantiliser l’autre lorsqu’on exerce une autorité sur lui, et le libertarianisme, philosophie politique qui prône la liberté absolue des individus de faire ce qui bon leur semble de leur personne et de leur propriété, est quelque peu étrange. C’est ce que parviennent à faire, dans une certaine mesure, les deux auteurs.

Pourquoi un tel succès ?

Ce livre est simple, accessible au grand public, et parfois drôle. Cela explique peut-être les raisons de son succès. Surtout, se réclamer de cette proto-philosophie est forcément bénéfique : elle met en avant à la fois la liberté de l’individu, qui quoiqu’il arrive gardera sa liberté de choix, et son bien-être. Dans les journaux américains, on ne parle plus que de cet opuscule, qui serait le livre de chevet de Barack Obama et de plusieurs membres de son administration.

On peut se demander toutefois s’il n’y a pas quelque chose d’inquiétant ou plutôt de triste au succès de ce livre. Outre les dangers à voir cette théorie entre les mains de personnes mal intentionnées (mais celles-ci n’auront probablement pas attendu l’éclair de lucidité des deux universitaires américains pour voir que l’architecture des choix constitue une variable essentielle de ces mêmes choix), on peut se demander si l’on n’atteint pas ici le niveau zéro de la politique. Sur la quatrième de la couverture, il est écrit que ce « livre est à lire pour quiconque s’intéresse à notre bien-être individuel et collectif ».

Là où certains vont prôner une politique volontariste, des investissements, proposer d’élaborer des choix de société, ces auteurs se contentent d’inciter les « architectes » à réfléchir à la manière dont ils dessinent les choix des individus, et s’en remettent à de maigres décisions individuelles pour améliorer le bien-être collectif. Il ne fait guère de doute qu’un « effet papillon » peut se produire et que la petite décision d’un choice architect pourra influencer de nombreuses vies, mais il serait peut-être plus pertinent de réfléchir à un retour véritable du politique et du choix assumé et décidé. On ne voit que trop peu dans ce livre l’acceptation du fait qu’encourager tel comportement plutôt qu’un autre chez l’individu est déjà, en soi, un choix politique.

Guillaume Daudin

Richard H. Thaler and Cass R. Sunstein, Nudge, Improving Decisions About Health, Wealth and Happiness, New York, Penguin Books, 2009, 312 pages, $16,00.

http://www.lecourant.info/spip.php?article2265

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"La soumission librement consentie" et "Traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens" me font dire que ces sujets ont déjà été étudiés. La perspective utilisée et le fait que ce soit un best-seller rendent le livre attractif cependant. Je pense que s'il existe sur amazon.co.uk, je vais me l'acheter, tiens…

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A la relecture de vos remarques, je change d'avis. Je ne m'achèterai pas ce livre. Merci. Quelques euros d'économisés, quelques bonnes bières en plus pour ceux qui voudront en profiter :icon_up:

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A la relecture de vos remarques, je change d'avis. Je ne m'achèterai pas ce livre. Merci. Quelques euros d'économisés, quelques bonnes bières en plus pour ceux qui voudront en profiter :icon_up:

Si tu veux vraiment le lire, je te le prêterai à l'occasion, dès que j'en aurai trouvé un autre de la même épaisseur pour équilibrer ma table de chevet. Tu devrais survivre d'ici là.

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Si tu veux vraiment le lire, je te le prêterai à l'occasion, dès que j'en aurai trouvé un autre de la même épaisseur pour équilibrer ma table de chevet. Tu devrais survivre d'ici là.

Barnes que ne feriez vous pas pour une bière.

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