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Métaphysique de l'essoreuse


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L'agitation médiatique récente met en lumière un phénomène appelant à une métaphysique de l'essoreuse. J'avais abordé le sujet brièvement dans "Bien-pensance et adoption".

Il s'agit d'une caractéristique de la société d'information instantanée connexe à celle du procès Kafkaïen mais distincte. La figure du procès nous montre comment la société de l'information pousse à l'uniformisation (peur d'être jugé quand le monde entier peut vous regarder via Facebook) : il s'agit essentiellement d'une caractéristique statique. L'essoreuse est d'ordre dynamique : dès qu'un propos, une idée, un geste sort de la norme (qui est le centre immobile qui ne fait que tourner sur lui même) alors cet objet est extirpé du centre avec une force toujours plus importante (en web 2.0 on appelle ça le buzz). L'éjection hors les murs de la cité est alors inévitable, le phénomène échappant à toute raison et, semblable au cheval qui s'emballe, détruisant tout sur son passage.

Il y a eu récemment des exemples assez hallucinants (quasiment un par jour), je ne citerais que celui du psychodrame autour de la réforme d'Obama pour l'assurance santé (pour laquelle je ne suis absolument pas favorable soit dit en passant) laquelle allait déboucher sur "on va débrancher mamie". Obama répondant tout en finesse que l'alternative est de ne "rien faire". Le manque de proportion et de retenue dans le débat public devient la norme. C'est normal : le but est de mettre l'adversaire sur le bord et d'attendre que la force centrifuge fasse son effet. Reste à savoir comment initier le mouvement. Les ingrédients de base sont connus : racisme, écologie, solidarité, service public (en Fraônce surtout il faut bien reconnaitre que ça fonctionne bien : casser le service public).

Je crois que la vitesse est un point central, encore plus que celui de la circulation de l'information. Les journalistes, les acteurs de la sphère médiatique en général, recueillent aujourd'hui des "réactions" et non plus des "réflexions". Société du commentaire et de l'impatience plus que de l'argumentation ou même de la joute verbale : chaque petit mot ajouté au fait ne faisant finalement que lui donner un peu plus de vitesse jusqu'à ce qu'il disparaisse, satellisé et qu'on passe à autre chose.

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Oui.

Le journaliste, premier chouineur à reprocher aux autres de ne pas se poser pour réfléchir, et de vivre dans l'instantané, fait exactement ça lorsqu'il pond son petit article sur Libé. Chaque titre d'une édition courante subit ce biais : 0% réflexion, 100% émotion.

Et le fait d'avoir des blogues, des moyens qui donnent à n'importe qui le pouvoir d'amplifier le mouvement, ça accroît effectivement l'effet de vitesse.

Analyse intéressante.

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Il y a eu récemment des exemples assez hallucinants (quasiment un par jour), je ne citerais que celui du psychodrame autour de la réforme d'Obama pour l'assurance santé (pour laquelle je ne suis absolument pas favorable soit dit en passant) laquelle allait déboucher sur "on va débrancher mamie". Obama répondant tout en finesse que l'alternative est de ne "rien faire".

Ton exemple est assez mal choisi. Si "psychodrame" il y eut, c'est bien parce que le risque était bien réel : il suffit de voir ce qui se passe en Grande-Bretagne. Et si la procédure qui était prévue dans la section 1233 n'était pas obligatoire, elle n'était pas non plus volontaire, dans le sens que c'est au patient de consulter les médecins, à Mammie de se renseigner comment on fait pour être débranchée. La section 1233 poussait sérieusement à la charrette dans le débranchage décontracté et massif en subsidiant les medecins qui feraient la promo du passage à une meilleure vie et moins chère pour la sécurité sociale. Et Obama a beau eu ironiser ("on ne fait rien"), il l'a finalement retirée, cette section 1233 dans la nouvelle mouture du projet.

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  • 5 months later...

Quand l'essoreuse s'emballe, il peut arriver qu'on atteigne la vitesse de libération de la connerie : http://www.lemonde.fr/actualite-medias/art…10150_3236.html

L'histoire a fait le tour du monde. Un bataillon de soldats roumains envoyés en Haïti avec de l'aide humanitaire aurait atterri par erreur à Tahiti. Le soi-disant article, qui était une blague, a été publié sur un blog roumain, Times.ro, comme s'il s'agissait d'une information des plus sérieuses.

Illustré par une photo présentant les soldats roumains sur une plage tahitienne, il cite le ministre roumain de la défense : "Franchement, ce n'est pas la peine d'en faire un plat, aurait affirmé celui-ci, selon l'article. Haïti, Tahiti, Mahiti, Papiti, toutes ces îles ont des noms qui se ressemblent. Qu'elles aillent au diable."

Aussitôt, des dizaines de journaux russes, lettons, hongrois et italiens ont propagé la nouvelle. Celle-ci s'est également retrouvée sur les écrans de télévision. L'édition en espagnol de la chaîne internationale d'informations Russia Today a présenté un long reportage sur cette affaire qualifiée d'"incroyable mais vraie". La présentatrice résumait l'histoire à partir d'un montage d'images d'archive qui montraient des soldats roumains et des touristes surfant sur les eaux de la Polynésie française.

Explosion de l'audience

"Je n'en revenais pas, avoue Ionut Foltea, le blogueur qui est à l'origine de cette dérive médiatique. Notre site est une plate-forme de pamphlets, de faux sujets et de blagues, que les gens lisent pour s'amuser. Quand tu es journaliste, la première chose que tu fais c'est de vérifier tes informations. Personne ne s'est donné la peine de passer un coup de téléphone. Et voilà comment on peut montrer à la télé des histoires qui n'ont jamais eu lieu."

Lancé en 2008 par une société roumaine créant des sites Internet, le site Times.ro, qui n'a pas hésité à emprunter le nom d'un journal britannique sérieux, a vu le nombre de ses lecteurs exploser. Depuis l'affaire Haïti-Tahiti, quelque 25 000 internautes visitent désormais le site chaque jour, contre 4 000 précédemment.

Et l'aventure continue en France. Le 18 février, l'hebdomadaire Courrier international résume un article de la presse roumaine et révèle la bourde médiatique, mais sur Canal+ on ne lit que le début de l'article et on tombe dans le panneau. L'émission "L'édition spéciale" de la chaîne consacre plusieurs minutes à l'incroyable histoire roumaine, que le site Times.ro signale à sa manière : "Canal+ a reçu l'information de son correspondant local, le peintre Paul Gauguin, peut-on lire sur le site roumain. Il vit sur cette île et a été le témoin oculaire de l'arrivée du bataillon roumain." Une affaire que ce site, dont le slogan est "Not as seen on TV" ("Pas vu à la télévision"), promet de suivre.

Mirel Bran

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