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Pensée libérale vs pensée libertaire ?


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Normalisation & conditionnement par micropouvoir, cas pratique :

Moi identique à toi

On savait déjà que la Suède est un pays perdu pour les hommes. Julian Assange, porte-parole de Wikileaks, l’a appris à ses dépens avec le coup fumant du crime de «sexe par surprise» - entendez par là le fait de réveiller par ses ardeurs la femme avec qui on a déjà fait l’amour avant de dormir. Non, cela n’est ni un hommage, ni une connivence amoureuse: ce serait un viol.

On sait aussi qu’en Suède comme en Allemagne, il y a des féministes qui obligent les garçons àuriner assis. Pour deux raisons: une raison d’hygiène, les garçons étant accusés d’être sales et d’inonder les toilettes. Bonjour l’humiliation. L’autre étant la «sale posture macho», en anglais: «nasty macho gesture», ce qui en clair signifie: la posture de dominant. Double humiliation pour les garçons: hygiénique et de genre. Laissons-les libres, bon sang. Assis ou debout, cela ne regarde que l’homme.

L’article qui circule maintenant sur le net montre le cauchemar Gender. Le meilleur des mondes? On y est presque. Il s‘agit d’une expérience de déculturation - le mot est de moi, pas de l’article - sur des enfants de 1 à 6 ans. Les hommes et les femmes ont toujours été considérés comme différents? Balayons cela. L’égalité est ici le gommage de toutes les différences. Ce qui donne ceci:

«Dans le petit monde d'Egalia, le personnel évite les "lui" ou les "elle": les 33 enfants scolarisés dans cet établissement de Stockholm pas comme les autres sont des "amis" plutôt que des filles ou des garçons.»

Le gommage des différences commence avec la suppression de «il» et «elle». C’est-à-dire de la plus élémentaire classification dans toutes les espèces: le genre, fondé sur le sexe. C’est-à-dire ce qui donne identité et responsabilité. Car lui n’est pas elle. Ami c’est tout le monde, donc ce n’est personne. Lui et Elle impliquent Je et Tu, soit une individualisation responsable. Ami c’est neutre, c’est «il», c’est personne.

Le gommage des différences commence avec la suppression de «il» et «elle». C’est-à-dire de la plus élémentaire classification dans toutes les espèces: le genre, fondé sur le sexe. C’est-à-dire ce qui donne identité et responsabilité. Car lui n’est pas elle. Ami c’est tout le monde, donc ce n’est personne. Lui et Elle impliquent Je et Tu, soit une individualisation responsable. Ami c’est neutre, c’est «il», c’est personne.

A Egalia, les humains sont asexués. Le monde parfait. Le meilleur des mondes.

Premier constat: sous l’effet de la théorie du genre on appauvrit la capacité d’identité et la langue, donc la pensée. Moins d’identité ce sera plus de petits robots prêts à obéir à l’autorité. Les humains n’étant pas sexués et donc moins identifiés, la notion de responsabilité individuelle - qui va de pair avec l’identité individuelle - va également s’estomper. Cela compliquera la tâche des tribunaux: «Monsieur, vous avez fait un enfant avec cette femme, vous devez en prendre la paternité.» - «Non.» - «Comment non? Les tests génétiques prouvent que vous êtes le père.» - «Non. Je ne suis pas un homme. Je suis un ami.»

Le bébé avec l’eau du bain

«Ici, les clichés voulant que les filles soient jolies, gentilles et bien élevées, et que les garçons soient extravertis et forts sont balayés: Egalia offre aux enfants une "occasion fantastique d'être qui ils veulent", souligne Jenny Johnsson, enseignante de 31 ans.»

Cela revient à nier le fait qu’il y a naturellement des rapprochements de genre. Les filles n’oseront plus parler entre filles, de même pour les garçons. L’identité et l’intimité de genre est proscrite. Si les garçons veulent jouer des muscles - parce que genre ou pas, ils ont en moyenne plus de muscles que les femmes - ils ne seront pas autorisés à le faire. Ce serait encore une «sale posture machiste».

Je note que l’on est clairement dans la culpabilisation du masculin et que c’est le féminin qui est pris comme référence universelle et imposé aux garçons. Au fond c’est simple: s’il n’y a plus de garçons il n’y aura plus d’hommes.

Continuons. Vous allez pouvoir jeter quasiment toute la littérature tant elle regorge de différences stéréotypées forcément aliénantes entre hommes et femmes. Les contes de fées en premier.

«L'école entend tout particulièrement mettre l'accent sur la promotion d'un environnement tolérant envers les homosexuels, les bisexuels et les personnes transgenres, souligne sa directrice Lotta Rajalin. D'une bibliothèque, elle sort un livre sur deux girafes mâles en mal d'enfants jusqu'à ce qu'elles trouvent un oeuf de crocodile abandonné.

Quasiment tous les ouvrages pour enfants traitent de couples homosexuels, de parents célibataires ou d'enfants adoptés. Ici, point de "Cendrillon", de "Blanche-Neige" ou autres contes classiques considérés comme le ciment des stéréotypes.»

Donc aux oubliettes les contes de notre enfance. Et surtout, mise à égalité totale de l’homosexualité avec l’hétérosexualité. Or, statistiquement, il y a au moins 90 à 95% d’hétéros. Ce sont les hétéros qui à la base peuplent la Terre. Les couples lesbiens peuvent enfanter à condition qu’il y ait quand même des hommes qui donnent leur sperme. Il y a donc dans la grossesse d’une lesbienne quelque chose de l’ordre de l’hétérosexualité (elles ne font pas des bébés avec l’ovule de leurs compagnes). Pour les couples gays, ils ne peuvent qu’adopter, ou trouver une mère porteuse. Ce qui introduit là aussi une notion hétérosexuelle.

Il ne s’agit pas de méjuger l’homosexualité. Pour moi chacun est libre de ses partenariats, c’est l’un des acquis du libéralisme (je doute que l’homosexualité eût été aussi bien reconnue dans une société totalitaire). Homosexuel ou hétérosexuel, tout humain est d’abord et définitivement un humain. Par contre je doute que l’on puisse mettre à égalité de représentation les deux types de sexualités. On induit une fausse représentation du monde. Pour donner un exemple, imaginons un pays africain où il y ait 5% d’habitant de peau blanche. On ne vas pas les surreprésenter dans les médias ou les livres scolaires, en les mettant à égalité de représentation avec les habitants à peau noire.

Rebelles

Certains parents contestent de plus en plus les théories de genre.

«Les différents rôles de genre ne sont pas problématiques s'ils sont évalués de façon égale", observe Tanja Bergkvist, 37 ans, l'une des plus voix les plus fortes en Suède à s'élever contre ce qu'elle qualifie de folie de genre.»

Car c’est bien de cela qu’il s’agit: les différences ne doivent pas être hiérarchisées entre elles. Il n’est pas mieux d’être une fille qu’un garçon ou un garçon qu’une fille. Il n’est pas mieux d’être femme en politique qu’un homme. Il n’est pas mieux d’être homme dans un conseil d’administration qu’une femme. Le problème des différences n’est pas la différence, mais la valeur qu’on lui accorde. Et de ce point de vue, Egalia est le produit d’un échec intellectuel: incapable de promouvoir l’égalité dans l’altérité, il efface l’altérité. Il jette le bébé avec l’eau du bain. Accepter les différences en les respectant est un progrès de civilisation. Nier les différences est un recul intellectuel et relationnel.

On est devant un totalitarisme rampant, qui veut nous faire tou-te-s semblables. Alors allons au bout si c'est cela que l'on veut: plus de disciplines sportives séparées. Femmes et hommes ensemble au 100 mètres, ou au tennis, par exemple. Plus de vestiaires séparés, ni de toilettes non mixtes. Plus de prénoms masculins ou féminins. Nous nous appellerons tous ami Claude ou ami Dominique. Plus de robes ou de jupes.

Que l’on refuse l’obligation des destins tout tracés, j’en suis. Mais ici je pense que la méthode n’est pas la bonne. La différence est nécessaire à la vie, dans les relations humaines comme en biologie. Sans différence la vie même n’existe pas.

http://hommelibre.bl…s-la-folie.html

L’école maternelle Egalia, un nom qui ne fait pas secte du tout, mais du tout, tente de lutter contre non pas des clichés, mais contre ce qu’elle considère comme des clichés. Tout est passé au crible de sa paranoïa aiguë. De la réécriture des manuels scolaires à la décoration, de la bibliothèque égalitariste où trônent des ouvrages sur l’homosexualité, l’adoption ou le divorce (les mouflets ont au maximum six ans) à la sélection des jouets ( ??? ; les Barbies et les Big Jims sont-ils/elles remplacé(e)s par des poupées à l’effigie de Boy Georges ?) et jusqu’à la subrogation des pronoms personnels il/elle par le vocable ami (on se croirait dans l’excellent manga de Naoki Urazawa « 20th Century Boys », le créateur de « Monster » et de « Pluto » qu’il faut tous lire à tout prix, les mectons/gonzesses !). Lorsqu’un terrien externe, dont le métier est caractérisé par un terme machiste, comme technicien, débarque dans l'école, les enfants doivent l’appeler spontanément « une poule ! » (erreur de traduction du suédois vers l'anglais sur l'article source, voir plus bas), afin de ne pas se focaliser sur le sexe de Machin-Chouette. Il est formellement interdit de se retenir de la goinfrerie d’un succulent fou rire. Schnell !

On apprend aussi que des pédalegogues sont recrutés pour identifier les comportements risquant de renforcer les différenciations masculin/féminin et de les corriger. Ainsi le contrôle comportemental, autre que la bonne discipline à la baguette, est en vigueur dans cet asile de fous établissement expérimental. Mais ce n’est pas une secte, voyons, c’est de l’égalité des sexes ou plutôt de l’égalité des foufounes, puisque l’homme a une foufoune comme les autres désormais (faut que je pense à m’acheter des Tampax). « La société attend des filles qu'elles soient mignonnes, gentilles et jolies et des garçons qu'ils soient virils, rudes et souriants. Egalia leur donne l'opportunité fantastique d'être ce qu'ils veulent », déclare une enseignante de ce centre de rééducation égalitiste, l’oeil joyeux et humecté comme une raëlienne après la bénédiction sodomique de son messie. Elle élude surtout le fait qu’Egalia leur donne l’opportunité fantastique d’être ce qu’Egalia veut que les amis deviennent. Sans oublier la volonté débile des parents, complices dans cet homicide du réel, à faire de leurs enfants des bouts de choux de tolérance à tout prix, quitte à les plonger dans une vase mentale, parce qu’ils seront incapables de tendre vers le réel par la précision du langage et du concept.

http://www.culturalg…le-du-bien.html

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Normalisation & conditionnement par micropouvoir, cas pratique :

Je ne pense pas que ça soit dangereux, ça ne changera pas l’identité sexuelle des enfants.

C'est meme positif dans un sens: ca va permettre aux adultes de se rendre compte que leur modele est faux.

Exemple de quelqu'un qui est revenu de ce modèle une fois confronté a la réalité: Teacher Tom.

Comme il dit tout ça revient a vouloir faire remonter l'eau d'une rivière a contre courant, ils vont bien finir par s'en apercevoir.

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Je ne pense pas que ça soit dangereux, ça ne changera pas l’identité sexuelle des enfants.

C'est meme positif dans un sens: ca va permettre aux adultes de se rendre compte que leur modele est faux.

Je suis d'accord dans la mesure où il est improbable que ce pédagogisme du genre puisse modifier en profondeur les comportements, encore que les enfants aient un cerveau très malléable. Selon l'analyse de Foucault, le changement intervient sur un mode disciplinaire lorsque ces normes envahissent le domaine judiciaire (mettons, sous l'oeil bienveillant d'un commissariat de Bruxelles ou d'une Cour supranationale) en redéfinissant les bornes du licite et l'illicite, du normal et du pathologique par une criminalisation des préjugés. En ce sens il n'est pas anodin que ce soit la justice suédoise qui ait porté plainte contre Assange.

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L'objection que je fais à ce que tu présentes de Foucault ne s'adresse pas aux disciples que j'ai cité plus haut (Dardot/ Laval) qui eux désignent l'élément unifiant du pouvoir par le discours sur la "rationalité néolibérale" (qui n'a pas grand chose à voir avec le libéralisme classique, ils sont les premiers à le reconnaître). Pour eux, c'est le nouveau discours commun qui fait autorité et qui masque les rapports de domination contemporains. Et je pense qu'ils ont raison (même si là encore, j'insiste, le néolibéralisme n'est ni le libéralisme classique, ni le libertarianisme, et leur analyse converge avec celle d'auteurs libéraux et conservateurs).

Je suis en train de relire ses cours de février-mars 1979 consacrés à cette articulation entre libéralisme et néo-libéralisme que Foucault distingue également comme des paradigmes complètement différents. C'est intéressant, il y traite de l'ordo-libéralisme allemand, l'influence de l'école autrichienne, Hayek, Von Mises, Röpke, Schumpeter et même de l'impôt négatif de Friedman. Il explique que la critique autrichienne, symptôme d'une répulsion de l'Etat, s'est trompée dans son analyse du totalitarisme comme Etat omnipotent alors que les régimes totalitaires étaient plutôt une partitocratie (NSDAP, bolchévisme) confisquant l'Etat. Du coup les autrichiens se trompent en assimilant toute bureaucratie au totalitarisme et manquent la critique de la gouvernance qui se développe dans les sociétés de contrôle.

Il situe Von Mises et Hayek comme des intermédiaires entre l'ordolibéralisme allemand et l'anarcho-libéralisme américain (Ecole de Chicago, Milton Friedman, libertariens), ce qui n'est pas mal vu.

Il commence par repérer une première rupture avec le mercantilisme issu de la Raison d'Etat (qui restait liée à la sagesse du Prince) à l'âge classique, aux XVIe-XVIIe. Sous l'impulsion du jusnaturalisme la théorie du droit se retourne contre l'Etat pour protéger les individus (batailles politiques autour des lois fondamentales du royaume). Apparition de la pensée libérale classique, entendue comme critique des abus de pouvoirs et frugalité du gouvernement, constitution d'un droit oppositionnel à la Raison d'Etat, généralisation du contrat. Maxime : ne pas trop gouverner.

La seconde rupture viendrait du rationalisme des Lumières, avec la science de l'économie politique, qui en harmonisant les intérêts, répond aux 3 objectifs de l'Etat: croissance, police, stabilité.

L'économie politique fait appel à la raison instrumentale, le libéralisme n'est plus conçu comme une éthique mais devient un économisme. L'efficacité remplace la légitimité : philosophie utilitariste. Apparition de la technocratie économique qui se substitue à l'art de gouverner. Remarque pertinente : le laissez-faire ne s'oppose pas à l'Etat, il sert au contraire sa croissance, il est le moyen de sa puissance internationale.

Enfin, rupture néo-libérale avec l'introduction de l'homo-oeconomicus par les néo-classiques. Le néo-libéralisme (qui n'a plus rien à voir en effet avec l'idée de gouvernement frugal des classiques) ne serait pas un calcul politique ni une idéologie, mais une nouvelle programmation de la gouvernementalité selon une perspective de règlementation et d'intervention dans la société civile pour corriger les effets du marché. Mise en place d'institutions et d'appareils de contrôle pour réinventer le capitalisme.

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Je suis en train de relire ses cours de février-mars 1979 consacrés à cette articulation entre libéralisme et néo-libéralisme que Foucault distingue également comme des paradigmes complètement différents. C'est intéressant, il y traite de l'ordo-libéralisme allemand, l'influence de l'école autrichienne, Hayek, Von Mises, Röpke, Schumpeter et même de l'impôt négatif de Friedman. Il explique que la critique autrichienne, symptôme d'une phobie de l'Etat, s'est trompée dans son analyse du totalitarisme comme Etat omnipotent alors que les régimes totalitaires étaient plutôt une partitocratie (NSDAP, bolchévisme) confisquant l'Etat. Du coup les autrichiens se trompent en assimilant toute bureaucratie au totalitarisme et manquent la critique de la gouvernance qui se développe dans les sociétés de contrôle.

Cette finesse d'analyse est nécessaire, mais tout de même : le NSDAP sans l'Etat, c'est une bande de potes qui font des ratonnades; le NSDAP avec l'Etat c'est une situation toute autre, un monde en guerre totale. Le problème est que l'Etat n'a pas de mécanisme de défense contre sa colonisation par une partitocratie. En principe, si j'ai bien compris, ce mécanisme de défense devrait se trouver dans la Constitution normalement, mais le moins que l'on puisse dire est que les résultats historiques sont mitigés.

Les deux analyses ne me semblent pas contradictoires mais plutôt complémentaires, mais je me trompe certainement.

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FJ : Je te trouve un peu dur avec la tradition libérale, et je tends, à la présentation que tu me fais de Foucault, à lui reconnaître certaines qualités que tu lui dénies. Evidemment, les explications qu’on fait des phénomènes politiques dépendent beaucoup des auteurs que tu choisis pour les élcairer, et l’alternative dans les grilles interpétatives ne se fait pas entre libéraux et non libéraux, mais entre des auteurs qui réfléchissent et d’autres qui réfléchissent plus encore.

Il ne me semble pas que tous les libéraux nient les rapports de forces et de domination qui se jouent derrière les rapports de droit et l’organisation sociale visible de la politique. Je reconnais qu’il existe une tendance à rabattre la politique (la relation effective du pouvoir) sur les institutions publiques (l’Etat), au détriment d’autres lieux possibles (culturels, économiques et sociaux). Mais l’un des traits génériques qu’on peut prêter au libéralisme est la volonté non pas d’éliminer le rapport de force dans l’analyse comme dans l’existence réelle, mais d’en encadrer le plein déploiement, que ce soit par les artifices du droit, de la convention, du marché ou de la raison. Nous parlions de Hobbes : après tout, pour lui, le marché est un substitut à la guerre de tous contre tous, dont le ressort dernier est cette vainglory qui nous pousse à nous mesurer les uns aux autres, à vouloir dominer, et que seule la raison calculante en nous est en mesure de juguler. L’apparition du commonwealth ne se fait qu’au regard du désordre possible de la guerre de tous contre tous. Dire qu’il y a volonté d’encadrer et de substituer au pouvoir des relations de droit ne revient pas à nier en l’existence. Cette négation me semble être un trait caractéristique du libéralisme moderne, voire contemporain, et de certaines tendances du néolibéralisme (après tout l’appel à la technique et à science pour gouverner est aussi rationalisation de l’activité politique). Derrière le discours de Socrate sur la justice politique, il y a toujours celui de Thrasymaque sur l’intérêt.

Parmi les analyses libérales à considérer comme pas si naïves que ça, je retiens (à côté de Pareto que tu cites) celles de Tocqueville, Ortega y Gasset, Burnham, Oakeshott, de Jouvenel, Baechler et de Jasay. Le premier explique le rôle de l’idéologie égalitaire (diffuse, immanente, interindividuelle et verticale, poussant à l’indifférenciation et à la tyrannie du collectif) dans la transformation de l’activité de gouvernement, l’évolution démocratique vers le despotisme doux et la substitution de l’administration au politique. Le second décrit l’intrusion de la massification démocratique dans les processus de décisions publiques et les transformations qui en ressortent (ce qui expliquera par la suite en partie la « révolte des élites » décrite par C. Lasch). Le troisième la structure managériale commune à toutes les organisations politiques du XXeme siècle (démocratie comme totalitarismes) qui est aussi le résultat du triomphe de l’idéologie égalitaire et de la massification démocratique. Oakeshott dans différents textes explique en quoi cette dernière a obsolétisé le gouvernement représentatif du 19ème siècle, de Jouvenel et de Jasay ont expliqué que le mouvement démocratique ne pouvait déboucher logiquement que sur un tel rapport de pouvoirs.

Sur l’analyse du totalitarisme : Baechler ou Oakeshott ne se laissent pas prendre au piège de l’ « économisme », c’est-à-dire à la réduction du totalitarisme à une extension de l’Etat providence au-delà de ses limites « naturelles » (si limites naturelles il y a). Ils sont pourtant libéraux, tout comme Burnham, qui lui se concentre plus sur un aspect qu’il doit avoir retenu en mémoire après son passage chez les trotskistes, à savoir l’émergence d’une bureaucratie « scientifique » (sur ce point, voir autant Weber que Castoriadis, Adorno ou Claude Lefort) pour à la fois réguler l’économie, mais aussi réorganiser les relations sociales (l’ingénierie politique), qui me semble irréductible dans toutes les expériences totalitaires.

Pour que cette régulation soit possible, il faut qu’il y ait eu massification, destruction des solidarités traditionnelles, autorité imaginaire du plus grand nombre mais aussi expertise scientifique de l’administration, division et rationalisation des tâches, division entre une autorité directoriale et chaîne de commandement demandant obéissance aveugle, etc., bref des conditions sociales présentes autant en démocratie « libérale » qu’au sein des Etats totalitaires.

Mais là où Chitah a raison, et qui contribue à donner de la pertinence à l’analyse mesurée des libéraux en termes d’institutions publiques, c’est que sans la médiation de l’Etat en tant que monopoleur de la violence légale, le nazisme n’aurait pas été vraiment le nazisme. Ce qui caractérise le totalitarisme, ce n’est pas seulement l’anarchie au sommet (cf Kershaw) et l’uniformisation à la base de la société (cf Rauchning), c’est aussi la gestion bureaucratique de la terreur physique : des coalitions d’intérêts irrationnels au sommet (et des lieux de pouvoirs effectifs qui changent tout le temps), une bureaucratie efficace, un usage insane de la coercition physique. C’est les querelles incessantes autour d’Hitler d’un côté, la minutie et l’efficacité technique d’Eichmann et les camps de l’autre.

Tout ceci pour dire que Foucault m’intéresse, ce que tu m’en dis me semble extrêmement pertinent, sous réserve de ce qu’il dit de la rationalité bureaucratique et de la coercition physique inhérente au pouvoir politique. Sur ces deux éléments, Mises, les ex trotskos et les libertariens (je pense en particulier à ce qu’en dit J Narveson) sont loin de mettre à côté.

PS : sur la place de l'opinion, il a y une généalogie à faire depuis Locke, en passant par Montesquieu et Tocqueville jusqu'à Burnham qui reste effectivement à faire, de la liberté d'informer nécessaire à éclairer les individus jusqu'à son formatage par la propagande pour asseoir le consentement démocratique, et qui est à mettre en rapport avec la diminution du coût de la coercition (ce que fait par ailleurs de Jasay dans "L'état").

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Enfin, pour en finir avec Soral, je propose la lecture de ce que Castoriadis disait à propos de BHL en 1979, et qui à mon avis s'applique avec autant de force à cet énergumène aujourd'hui (après tout, ce n'est qu'une sorte de BHL d'extrême-droite). NB : Castoriadis, qui pourtant était plutôt pessimiste, se fait à la fin du texte un peu trop optimiste quant au cas BHL.

Je trolle mais c'est irrésistible…

prenant le Pirée pour un homme, il fait (p. 79) d’Halicarnasse un auteur grec ;
Mais je m’étonne, par contre, qu’il faille rappeler à un helléniste que Denys d’Halicarnasse est bel et bien un écrivain grec, originaire de Carie, fixé à Rome en 30 avant Jésus-Christ, et auteur de fameuses Antiquités romaines.
Ayant pris le Pirée pour un homme et Halicarnasse pour un nom de famille, comme on dit Chevreuse ou Saint-Simon, il croit m’apprendre qui est Denys d’Halicarnasse. Appellerait-on, en français, le romancier médiéval Chrétien de Troyes simplement : Troyes, ou le tyran Denys de Syracuse simplement : Syracuse ?

:lol:

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Je trolle mais c'est irrésistible…

:lol:

Cette passe d'armes bien connue avec Vidal-Naquet reste énorme, il faut avouer que BHL, maître en botulisme, n'est pas un cuistre de la dernière pluie.

Puisqu'on parle des critiques libertaires adressées au libéralisme, on peut aussi citer celle de Michéa.

« Que faut-il, d’un point de vue libéral, pour édifier une communauté moderne ? A ne considérer que l’exemple de la Communauté Européenne (mais cela vaudrait évidemment pour toute autre communauté, y compris la communauté nationale) la réponse semble simple. Il faut, d’un côté, un marché commun, c'est-à-dire un espace ou les monades humaines puissent échanger librement leurs biens et leurs services, selon les règles d’une concurrence libre et non faussée. Et, de l’autre, un ensemble de règlements juridiques (ou espace de Droit) permettant, pour une part, de protéger cette concurrence, et, pour une autre, de garantir à chaque monade (ou chaque libre association de monades) le droit de vivre selon sa définition privée de la vie bonne. Autrement dit, une société libérale cohérente se définit comme une agrégation pacifique d’individus abstraits qui, dés lors qu’ils en respectent globalement les lois, sont supposés n’avoir rien d’autre en commun (ni langue, ni culture, ni histoire) que leur désir de participer à la Croissance, en tant que producteurs et/ou consommateurs. Comme, par ailleurs, ces conditions très minimales d’appartenance sont désormais en voie de mondialisation (du fait de ce que Guy Debord appelait la dégradation spectaculaire –mondiale de toute culture) une société libérale développée doit donc logiquement finir par se considérer comme un simple site de passage, n’impliquant aucune allégeance morale particulière de la part de ceux qui ont provisoirement choisi d’y résider, et que chacun doit être libre de quitter pour un autre site, dès lors qu’un calcul quelconque lui en démontre l’avantage. Exemple (dans l’hypothèse où ce calcul serait de type fiscal) : est-il plus intéressant pour moi que je devienne citoyen belge, un citoyen suisse ou un citoyen monégasque ? C’est ce principe d’une liberté intégrale de circuler sur tous les sites de la planète (et celui, complémentaire, d’une régularisation automatique de toutes les installations passagères qui s’ensuivent) dont les partisans de gauche du capitalisme (qui sont, de loin, les plus cohérents) prétendent interdire toute critique philosophique, au prétexte qu’elle ne pourrait conduire qu’à des conclusions « racistes » ou « xénophobes » (on se souvient ainsi du rôle joué par la désormais célèbre figure du « plombier polonais » dans les formes de légitimations dites « anti racistes » du projet libéral de constitution européenne).

On peut découvrir sur le site internet de Bertrand Lemennicier (l’un des quatre membres de la secte libérale du Mont-Pèlerin que Luc Ferry a personnellement imposé, en 2003, au jury d’agrégation des sciences économiques), cette analyse exemplaire de Gérard Bramouillé (lui-même membre de la secte et du jury) : « L’immigré clandestin abaisse les coûts monétaires et non monétaires de la main d’œuvre. Il renforce la compétitivité de l’appareil de production et freine le processus de délocalisation des entreprises qui trouvent sur place ce qu’elles sont incitées à chercher à l’extérieur. Il facilite les adaptations de l’emploi aux variations conjoncturelles et augmente la souplesse du processus productif. »

Il est donc politiquement indispensable de veiller, insiste l’universitaire patronal, à ce qu’on en vienne pas, par xénophobie, à faire de l’immigré clandestin « le bouc émissaire facile d’un problème difficile ». On trouvera dans cette analyse, le fondement idéologique ultime (conscient ou inconscient) de tous les combats actuels de l’extrême gauche libérale (comme ceux, par exemple, du très médiatique « Réseau Education Sans Frontières ») pour légitimer l’abolition de tous les obstacles à l’unification juridique marchande de l’humanité. »

Michéa, L’empire du moindre mal, 2007.

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  • 5 weeks later...

Bonjour,

Pour ce que j'en ai compris de mes différentes lectures :

Les libéraux sont :

(1) pour limiter l'ingérence de l’État dans la vie des gens (libéraux classiques pour qui l’État doit se contenter d'assurer le respect des droits des individus, d'assurer éventuellement la construction et l'entretien de la voirie, voire à la rigueur de prendre des mesures d'urgence en cas de catastrophes naturelles ; et libéraux sociaux pour qui, en outre, l’État doit veiller à ce qu'une éducation de qualité soit accessible à tous via le "chèque éducation" et doit proposer un "filet de sécurité" à destination des plus démunis pour leur permettre de reprendre leur vie en mains, etc.) voire pour la suppression pure et simple de l’État (anarcho-capitalistes) ;

(2) pour garantir le droit de chacun de faire tout ce qui n'empêche pas autrui de jouir du même droit (liberté dite négative, car définie par une absence de contrainte exercée par des gens sur d'autres gens ; et "droits de" dits "droits-libertés") ; ce qui ne veut pas dire que la charité, l'entraide et la solidarité sont mauvais, bien au contraire, mais ils doivent être authentiques, c'est-à-dire non imposés par la contrainte, mais librement consentis.

Les libertaires sont :

(3) pour la suppression pure et simple de l’État (comme les anarcho-capitalistes) et son remplacement par un système fédératif d'auto-gestion basé sur la démocratie directe ;

(4) pour la suppression de tout rapport de domination, même librement (au sens de la liberté négative) consenti ; ils sont donc pour un égalitarisme des conditions matérielles (voire biologiques…) des gens et contre l'économie de marché, le capitalisme, etc. qu'ils souhaitent remplacer par le système coopératif et mutualiste (les libéraux ne sont pas contre le système coopératif et mutualiste, à partir du moment où il s'inscrit à l'intérieur de l'économie de marché, et n'est donc pas imposé par la contrainte). En effet, quand par exemple un patron veut embaucher quelqu'un, ce dernier n'a que le choix d'accepter les conditions du patron ou de ne pas travailler (le patron a d'autres candidats potentiels en attente, si celui-ci ne convient pas). S'il choisit de travailler, cela ne veut pas dire que c'est le choix qui, dans l'absolu, représente l'idéal de ses aspirations. C'est un compromis. De là, les libertaires généralisent un peu trop rapidement à mon sens, et tiennent qu'aucun rapport patron-employé ou marchand-client n'est légitime. Les libertaires vont même jusqu'à défendre une utopique liberté dite positive ("droits à" dits "droits-créances"), qui est la liberté pour chacun d'avoir la vie qu'il souhaite du plus profond de son for intérieur (mais parfois, cela est travesti en "liberté pour chacun d'avoir la vie qu'on souhaite pour lui…" ; puisque, par exemple, l'immense majorité des libertaires s'oppose à la prostitution, même lorsqu'elle est volontaire [pour eux, la prostitution volontaire, ça n'existe pas]). Mais cette liberté s'oppose à la liberté négative des libéraux. Car en effet, comment par exemple assurer l'égalité matérielle à tous, sans prendre aux uns pour donner aux autres ?

(5) pour l'émancipation des individus par rapport aux codes moraux imposés par la tradition, les conventions, les hiérarchies, etc. Ils se séparent là des anarchistes classiques au sens proudhonien. Ça ne veut pas dire qu'ils n'ont aucune éthique, mais c'est plutôt une éthique concrète, humaniste. Ainsi, chez les libertaires, on trouve nombre de pratiquants du naturisme, du pluriamour, etc. Notons quand même que l'immense majorité des libertaires sont contre la prostitution, à cause de (4).

Bien cordialement,

Mikaël

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