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Les indignés du Wisconsin


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Publié dans la version papier d'aujourd'hui, au format reportage :

Indignés dans le Wisconsin

Pour faire du porte-à-porte à Baraboo sous le soleil de juillet, il faut une certaine motivation, mais ce n’est pas ce qui manque au démocrate Mark Patton. Une petite queue de cheval grisonnante sous la casquette, de solides chaussures de marche (il a traversé l’Angleterre à pied l’an dernier), le militant fait campagne sans même une bouteille d’eau. Ce n’est pas la saison des élections, mais depuis que les républicains ont pris le pouvoir dans l’Etat en 2010, rien ne va plus, côté traditions. Le Wisconsin s’essaie au « recall », la procédure d’invalidation des élus, plutôt l’apanage, d’habitude, des originaux de Californie que des gens pondérés du Nord des grandes plaines.

Mark Patton est enseignant, tout juste retraité, ce qui est un avantage quand il s’agit de frapper aux portes. « Je ne vous ai pas eu comme prof » ? demande un jeune néo-hippie, assis devant une maison de bois, un joint à la main. « En effet », répond Mark, avant d’essayer de le convaincre de l’importance d’aller voter pour défendre des acquis sociaux qui datent de Roosevelt. « Je suis paresseux », s’excuse le fumeur. Mais comme il n’a pas que des mauvais souvenirs de l’école, il promet « d’y penser ».

Tous les anciens élèves de Mark Patton n'ont pas aussi "mal" tourné. L’un d’eux, John Meegan, est devenu le porte-drapeau du Tea Party dans le comté. Il a commencé par une bagarre anti-subventions au conseil du district scolaire, le tremplin traditionnel des activistes. Puis il a grimpé les échelons dans le parti républicain, et contribué au grand retour de bâton, qui, deux ans après la victoire de Barack Obama (14 points d’avance !), a porté en novembre 2010 des républicains à tous les échelons de l’appareil de l’Etat.

Pour la première fois depuis 1938, la droite s’est emparée en même temps du poste de gouverneur et de la majorité dans les deux chambres. Autant dire qu’elle s’en donne à cœur joie. Scott Walker, le nouveau gouverneur, a fait sauter tous les verrous. Pour équilibrer le budget, il s’est attaqué aux fonctionnaires, dont les bulletins de paie vont être amputés de 8% à partir du 1er août Il a coupé 800 millions dans les crédits pour l’éducation et 500 millions dans ceux de l’assurance santé pour les plus pauvres (Medicaid). Ce qui ne l’a pas empêché d’accordé des avantages fiscaux au secteur privé. Et de renvoyer à Washington les subventions du gouvernement fédéral pour la lutte contre l’obésité (28 millions) et pour le train à grande vitesse (810 millions).

Mais Scott Walker n’aurait été qu’un gouverneur républicain parmi d’autres, aux prises avec la crise budgétaire, s’il ne s’était attaqué aux syndicats. A la faveur du passage du budget, il a aboli le droit de négocier par conventions collectives dans la fonction publique, un acquis datant de 1959. « Il a changé fondamentalement cette idée que les syndicats de fonctionnaires ont le droit d’exister », indique le professeur Charles Franklin, de l’université du Wisconsin à Madison. Sentant le danger, les organisations de gauche se sont mobilisées et le Wisconsin est devenu une cause nationale. L’emblème du bras-de-fer historique qui oppose démocrates et républicains sur le modèle social à l’heure de la crise.

Mark Patton fait partie de ceux que l'on pourrait appeler les « indignés » du Wisconsin. Comme Blake Rodgers, qui n’avait jamais fait de politique avant, et qui a lancé un blog, appelé Rotundaville (en hommage à la Rotonde du Capitole occupée par des milliers de personnes en février). Dans son département de linguistique à l'université, trois profs assistants ont perdu leur emploi. Lui-même est en partance pour l'Allemagne où il a trouvé une bourse de recherche.

Les protestataires ne se sont pas donné ce nom "d'indignés", et Craig Hamilton qui fait du porte-à-porte avec Mark Patton fait plutôt référence au « printemps arabe ». Mais ils empruntent au mouvement de protestation européen la même volonté de défendre un modèle de protection sociale contre l’assaut des « puissants ».«Le Wisconsin a toujours été pionnier pour les conventions collectives, pour les indemnités chômage », dit Peter Barca, le chef de file des démocrates à l’assemblée. Tout le pays nous observe. Les gens se disent : si on peut changer les droits syndicaux dans le Wisconsin, on peut le faire n’importe où ».

Avec ses vertes collines et ses vaches noires et blanches (qui ont aussi donné leur nom à une marque de bière, la « Spotted Cow »), le Wisconsin a, il est vrai, des allures de Vieux Continent. On va de Fonds du Lac à Portage et Eau Claire. « La toponymie est française, les premiers immigrants étaient allemands et il y a une forte influence est-européenne dans les villes », explique John Wedge, membre d’un syndicat enseignant, et lui-même originaire de Grande Bretagne.

L’Etat a toujours été progressiste, et sa devise est « Forward » (en avant). Le système d’assurance-santé est jugé comme l’un des meilleurs du pays. « Nous sommes de souche européenne, dit le doyen du Sénat Fred Risser. Nous croyons à l’éducation publique, nous valorisons les syndicats, la classe ouvrière. Nous avons un excellent système universitaire. Notre taux de participation aux élections est l’un des plus élevés du pays». Fred Risser est l'un des 14 démocrates qui se sont allés se réfugier de l'autre côté de la "frontière" (dans l'Illinois) plutôt que de voter le budget contenant les dispositions "scélérates" sur le droit syndical. A 84 ans, il porte une chemise à rayures roses et une cravate bleu ciel. Dans ses tiroirs, il conserve des blocs-notes entiers où il consigne son opinion sur ses entretiens avec la presse (il a été cité jusqu'à Hong Kong).

Depuis que Scott Walker est arrivé, les citadins du Wisconsin ont vu leur mode de vie "européen" ébranlé. Le port d’armes à feu cachées a été légalisé le 7 juillet par le gouverneur lors d'une cérémonie en présence du président de la NRA, le lobby des armes à feu (Le Wisconsin était l’un des deux derniers Etats interdisant les "concealed weapons", avec l'Illinois). A Madison, l’ordonnance qui obligeait les propriétaires à rendre leur caution aux locataires en fin de bail, augmentée des intérêts, un traitement de faveur unique, il est vrai, a été révoquée, ce que les intellectuels ont pris comme une revanche de la part d’un homme qui n’a jamais fini l’université…

L’Etat n’a jamais été aussi divisé. On croise des habitants comme Rebecca Power, employée à l’université. Elle a vu ses horaires de travail augmenter et son salaire diminuer. Elle a reporté la réparation des fenêtres, changé d'épicerie. Mais ce qui lui a été le plus pénible: quand un "ami" de 25 ans l’a accusée d’avoir une « mentalité d’assisté ». Elle songe à déménager, peut-être au Canada. « Le fait de vouloir réduire le rôle du gouvernement, cela va totalement à l’encontre de que nous avons toujours été », dit-elle.

De l’autre côté: Julaine Appling, ancienne prof elle aussi, reconvertie dans une association de promotion de la famille et de la liberté, Wisconsin Family Action, qui soutient le gouverneur Walker. « Je l’ai dit un million de fois : nous ne sommes pas en Europe. J'aime votre pays. les gens sont gentils. J’adore l’Angleterre, j’ai étudié la littérature britannique. Mais je n’aime pas la structure du gouvernement. Si je voulais le modèle européen, j’irais m’installer en Europe ».

Julaine Appling estime que l’assurance santé n’est « pas un droit » et elle se procure la sienne auprès de la mutuelle chrétienne Samaritan Ministries (il faut la recommandation de son pasteur et n’être ni fumeur ni buveur). « Nous Américains, nous croyons fondamentalement dans la liberté économique. J’ai le droit de gagner de l’argent et rien ne peut m’obliger à le partager avec des gens que je n’ai pas choisis », dit-elle. « Les fonctionnaires vont trouver ça dur. Mais le secteur privé ne peut pas financer leur retraite ou leur assurance-maladie »

La Cour suprême a elle-même été le théâtre d’une empoignade, le 13 juin, lorsque le juge David Prossner, un républicain, a serré le cou de la juge de gauche Ann Bradley, à la veille de l’examen de la loi sur les droits syndicaux. L’enquête s'est révélée ardue. « Voilà deux juges qui ont une altercation, quatre autres en sont témoins, et il n’y a pas eu de compte-rendu cohérent de ce qui s’est passé. Cela montre dans quel état de dysfonctionnement nous sommes », soupire le professeur Franklin.

Les démocrates travaillent à obtenir l’invalidation de six républicains, lors d’une élection spéciale le 9 août. Ils espèrent reprendre la majorité au Sénat mais les républicains ont réussi à susciter, eux aussi, une procédure de « recall », contre trois démocrates (les "fake democrats" recrutés pour retarder le processus ont tous été battus). Et la première élection générale, mardi, a donné la victoire au sortant démocrate.

L’objectif de la gauche est surtout de « rappeler » le gouverneur lui-même, mais il faut attendre qu’il ait occupé ses fonctions au moins un an. « Ces élections vont changer le débat jusqu’à Washington, assure Charles Chamberlain, de Democracy For America, une association nationale venue aider les militants locaux. Les républicains, où qu’ils soient, ne seront plus si pressés de toucher aux programmes sociaux s’ils s’aperçoivent de la réaction violente qu’ils engendrent ». Tous les jours, quelques dizaines d’« indignés » occupent encore le Capitole. Sous la rotonde, ils viennent chanter des chansons du répertoire syndicaliste, sous la direction de Chris Reeder, comédien à la voix shakespearienne qui fait une nouvelle carrière. Pour le 100ème concert, ils étaient plus de 150 lors d’une soirée spéciale à la Essen Haus de Madison, un ancien hôtel allemand de 1863. Infirmières, éducateurs.. « Nous avons réveillé un géant endormi », assure le sénateur Risser.

C.L

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Tous les jours, quelques dizaines d’« indignés » occupent encore le Capitole. Sous la rotonde, ils viennent chanter des chansons du répertoire syndicaliste, sous la direction de Chris Reeder, comédien à la voix shakespearienne qui fait une nouvelle carrière. Pour le 100ème concert, ils étaient plus de 150 lors d’une soirée spéciale à la Essen Haus de Madison, un ancien hôtel allemand de 1863. Infirmières, éducateurs.. « Nous avons réveillé un géant endormi », assure le sénateur Risser.

Je me demande si le journaliste a réalisé le ridicule, du moins le manque de mesure de ces paroles avant de les rapporter ?

Encore un très bel article pour définitivement donner une image d'affreux capitalistes sans coeur (et bigots, qui plus est !) aux républicains. Le Monde ne changera jamais.

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