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Les villes flottantes : la dernière utopie des marxistes de droite


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Source: Slate

Les villes flottantes, c’est du sérieux. The Economist y dédie un dossier entier, leur principal financeur est Peter Thiel, le cofondateur multimillionnaire de Paypal, et le Seasteading Institute, un lobby de recherche et de promotion sur le «seasteading» («seasted communities» se réfère aux futures villes flottantes) se dédie complètement à leur réalisation technologique, légale et financière.

«Beaucoup de fous»

L’idée d’aller vivre au milieu de l’océan pour y développer «des communautés permanentes et autonomes dans l’océan pour permettre d’expérimenter divers systèmes sociaux, politiques et légaux innovants» n’a rien de burlesque ni d’utopique pour les fondateurs du Seasteading Institute.

D’ailleurs, sur le papier, on se demande presque pourquoi les futures villes flottantes ne comptent pas déjà des milliers d’inscrits sur liste d’attente. D’une part parce que le cofondateur de ce lobby n’est autre que Patri Friedman, le petit-fils du père du néolibéralisme Milton Friedman. De l’autre, parce que son principal créancier est Peter Thiel et que «si Peter Thiel finance quelque chose, ça va forcément être grandiose et de pointe», comme s’en enthousiasme la journaliste de Reasons.com avant d’énumérer son flair d’entrepreneur: outre PayPal, il a entre autres été impliqué dans Linked In et a été le premier investisseur de Facebook. Enfin, parce que cette fois, promis les gars, c’est du sérieux: «Il y a dans l’histoire beaucoup de fous qui ont essayé ce genre de trucs et l’idée est de le faire d’une manière qui ne soit pas folle», juge bon de préciser Joe Lonsdale, ex-président de l’Institut et directeur de hedge fund.

Car des projets de communautés libertariennes perdues au milieu de l’océan pour échapper aux griffes (et aux impôts) de l’Etat, l’histoire du XXe siècle en regorge. Si les nouveaux concepteurs des villes flottantes s’en démarquent en qualifiant leurs prédecesseurs de fous, c’est qu’aucun n’a jamais réussi à dépasser le stade de l’utopie.

«L’Amérique, tu la détestes, et tu la quittes!»

Le point commun des premiers adeptes de la possibilité d’une île libertarienne, c’est d’être assez farfelus et impatients pour désirer voir leur utopie se réaliser de leur vivant. Dans sa thèse sur «Le mouvement libertarien aux Etats-Unis», Sébastien Caré, professeur de sciences politiques à l’université catholique de Lille, n’aborde le cas des cités-flottantes qu’après avoir évoqué la «désagrégation annoncée» du mouvement libertarien, en introduisant cette «tentative de repli communautaire» de la sorte:

«
Rattrapés par leur penchant individualiste, que leur engagement dans un mouvement collectif les incitait à réprimer, certains libertariens n’ont pas voulu attendre que leurs congénères se convertissent à leur doctrine pour la réaliser.
»

Tom Marshall édite un magazine libertarien dans les années 1960, The Innovator. En 1969, il décide de mettre en pratique les conseils qu’il distille au fil des pages de son magazine et part vivre reclus dans les bois de l’Oregon, loin de la civilisation. Avant de disparaître, l’ermite avait pensé à fonder une île où tous les libertariens pourraient échapper à l’Etat américain, Preform.

En 1968, Werner Stiefel lance l’Opération Atlantis pour donner vie au projet Preform. Pour cela, il réunit de jeunes militants libertariens dans un hôtel de luxe et les fait bûcher pour «créer une île artificielle aussi proche des côtes états-uniennes que les lois internationales l’eussent permis, et l’Oncle Sam toléré». En 1970, il jette son dévolu sur les îles Prickly Pear Cays, puis sur les Silver Shoals, également revendiquées par les Bahamas et par le dictateur haïtien Jean-Claude Duvalier. Le début d’une suite d’échecs d’un projet dont la seule réalisation finale, après avoir fait échoué un bateau, sera sa constitution, Orbis.

C’est dans l’Etat autoproclamé indépendant de Somaliland (au nord-ouest de la Somalie) que la constitution Orbis a failli dépasser le stade de l’utopie. Mais là encore, la principauté de Freedonia ne sera rien de plus qu’un rêve dans l’imaginaire bien rempli d’un étudiant texan, John Kyle, qui se fait rebaptiser Prince John Ier pour l’occasion.

Mettre en application le titre du dernier numéro de The Illustrator, «L’Amérique, tu la détestes, et tu la quittes» et les préceptes de l’icône de la pensée libertarienne Ayn Rand, ce fut aussi le projet de Michael Oliver: la République de Minerve. Décidé à créer un Etat libertarien, il va d’abord essayer de l’implanter sur les îles de Turks et Caicos. Puis, après le refus des autorités britanniques, il se retourne vers un atoll situé à la limite du territoire de l’île Tonga. La République indépendante de Minerve est proclamée en novembre 1972 sur cet îlot inhabitable, mais peu après le roi des Tonga reprend la chose en main et l’île finit par se dissoudre dans l’océan… Et avec elle le rêve d’Etat libertarien de Michael Oliver.

D’autres tentatives plus ou moins farfelues connaîtront la même fin. Un projet se démarque: dans le Millennial Project, vivre au milieu de l’océan n’est pas une fin en soi mais la deuxième des huit étapes à suive pour coloniser la galaxie, théorisées par Marhall T. Sauvage dans le livre The Millennial Project: Colonizing the Galaxy in Eight Easy Steps, publié en 1992. Actuellement, Le Millenial Project 2.0 poursuit la vision de Marhsall T. Sauvage et les adeptes peuvent faire des donations… via PayPal.

«Gated-communities» sur mer

Outre le fait que toutes les tentatives plutôt extravagantes et mégalomanes de villes flottantes ont jusqu’ici échoué, certains libertariens critiquent l’essence même de ce projet, vu comme une perversion de leur idéal de liberté. Sébastien Caré, dont le dernier livre s’intitule Les Libertariens aux états-Unis: Sociologie d'un mouvement asocial, en souligne un élément majeur:

«
Les micronations libertariennes reprennent très souvent le modèle étatique auquel s’opposent les principes censés présider leur constitution.
»

Ainsi John Kyle devient Prince John Ier et Michael Olivier se rêve Prince Lazarus et leurs communautés plagieraient les monarchies d’antan. Mais surtout, ces projets ne sont possibles que selon «la conviction que l’Etat libertarien n’est applicable qu’à une communauté de libertariens», une conception qui, rappelle le chercheur, s’éloigne de la défense du pluralisme de la majorité des penseurs libertariens. A l’exception notable d’Ayn Rand.

Or c’est cette libertarienne, auteure d’Atlas Shrugged, le deuxième livre le plus influent pour les Américains selon une étude de la bibliothèque du Congrès en 1991 (après la Bible), dont la philosophie objectiviste fait l’objet d’un culte chez les adeptes du seasteading. Publié en 1957, ce récit dévoré par Alan Greespan et adapté au cinéma relate comment la vie en communauté séparée du reste du monde des entrepreneurs, scientifiques et créateurs les plus innovants fait sombrer le monde dans le chaos. L’influence du livre est soulignée par un article du Daily Mail qui revient sur le soutien de Peter Thiel à l’aventure des villes flottantes:

«
Peter Thiel, fondateur de PayPal, a été si inspiré par
Atlas Shrugged
–le roman d’Ayn Rand sur le capitalisme et le marché libre– qu’il essaye de faire de son titre une réalité.
»

Certains qualifient sa philosophie d’«égoïsme rationnel». China Miéville préfère y voir une «philosophie typiquement américaine de la dissidence petite-bourgeoise et vénale». Les libertariens «érigent une avarice toute banale –la réticence à payer des impôts– en combat de principe pour la liberté politique», écrit l’auteur britannique de romans de science-fiction dans le recueil Paradis infernaux dirigé par Mike Davis et Daniel B. Monk.

Selon l’écrivain, l’utopie qui pousse les libertariens à investir l’océan se résume au refus de payer des impôts et à la peur panique du conflit social qui pousse les classes moyennes américaines à s’isoler derrière les grilles de «gated-communities» pour vivre avec leur famille. Le dernier échec en date de ville-flottante en est un emblème peu flatteur.

Freedom Ship devait être plus gros que le Titanic, accueillir 50.000 locataires, tous exemptés d’impôts, pour la somme généreuse de 11 milliards de dollars. Le bateau de 25 étages aurait dû se balader sur les mers depuis 2003, mais aux dernières nouvelles, «la liberté est en retard», comme le résume China Miéville, qui s’est amusé à aller déceler les dessous peu reluisants de cet énième projet avorté d’utopie flottante.

«
Freedom Ship Inc. n’a rien caché de son arrangement avec les autorités du Honduras pour construire le vaisseau à Trujillo, invoquant les avantages géographiques et la main d’œuvre bon marché des dix à vingt mille ouvriers imaginaires qu’ils imaginent exploiter.
»

Une manifestation a même été organisée par la minorité garifuna, des descendants d’esclaves africains et améridiens, dénonçant les confiscations de leurs terres à cause de la construction du bateau. «Le Freedom Ship est et restera un château dans les airs –ou sur la mer– mais il a déjà posé ses fondations, sur la terre de quelqu’un d’autre», claironne l’écrivain britannique. Mais dans l’affaire, les garifunas ne risquent pas d’être les seuls à se plaindre: 4.000 personnes avaient déjà réservé leur ticket pour la liberté des mers pour des sommes allant de 80.000 à 5 millions de dollars.

«L’imagination utopique gratuite n’a pas bonne presse»

Tout reste donc à faire pour les adeptes d’Ayn Rand, ces «marxistes de droite» déçus du conservatisme politique américain et désireux de redonner au libéralisme ses lettres de noblesse. Et cette fois, il semble que les nouveaux penseurs du seasteading aient davantage les pieds sur terre. Pire, pour China Miéville, qui ne cache pas s’être délecté à la découverte des farfelues Millenial Project et autres opération Atlantis, «de nos jours, l’imagination utopique gratuite n’a pas bonne presse, il faut donc lui adjoindre une justification matérielle, aussi peu convaincante soit-elle».

Le Seasteading Institute la joue donc raisonnable: ils vendent une utopie pragmatique. L’idée est de «permettre aux futures générations de pionniers de tester de nouvelles idées de gouvernement. La meilleure peut ensuite inspirer des changements de gouvernements partout dans le monde». Un objectif louable, déjà visé par des think tanks dans le monde entier. Mais l’entreprise de Peter Thiel et Patri Friedman veut aller plus loin, car «la nature du gouvernement est sur le point de changer à un niveau fondamental», préviennent-ils.

Plus question donc de fuite petite-bourgeoise de la réalité ni de communauté réservée aux seuls libertariens, les futures villes flottantes promues par la recherche de l’institut accueilleront quiconque est intéressé par l’expérience, toute idéologie politique confondue.

«Nous n’avons pas de recommandation politique et je ne crois pas qu’une idéologie unique soit une bonne chose. L’idée serait donc d’expérimenter différentes formes de gouvernement et de garder la meilleure. Par exemple, une communauté avec des taxes, l’autre sans, une communiste, l’autre non», résume Michael Keenan, l’actuel président de l’institut.

Toujours est-il que l’anti-étatisme transpire dans le discours du jeune président qui confie voir «la société comme un système et la politique comme un problème technique»:

«
Le problème de fond est qu’il n’y a pas assez de place pour l’innovation dans un gouvernement qui n’est pas assez compétitif. Si tu considères l’Etat comme une entreprise, elle représente 50% du PIB. Or si on peut choisir ses chaussures et son parfum, pourquoi ne pas pouvoir choisir aussi son mode de gouvernement?
»

Après la disparition de l’île de la République de Minerve ou l’échec de Laissez-Faire City, une île privatisée qui devait être habitée par des entrepreneurs fans d’Ayn Rand, les concepteurs du Seasteading Institute se veulent prudents et les 2 millions de dollars de Peter Thiel sont dépensés avec parcimonie dans la recherche et développement. L’utopie doit prendre forme en trois temps, prophétise Michael Keenan:

«
Dans deux ans, des seasteds basés sur des bateaux accueilleront des communautés de mille personnes; dans dix ans, des plateformes maritimes pourront loger des petites villes. Dans quelques décennies, des millions de personnes vivront dans des villes de la taille de Honk-Kong au milieu de l’océan

«Rejoignez le monde réel et combattez pour la liberté chez vous»

Les limites légales et technologiques ne manquent pas avant le passage à la deuxième étape. The Economist souligne que les communautés auront intérêt à rester proches des limites des eaux territoriales d’un Etat (22km) pour faciliter les allers-retours, quand bien même la zone économique exclusive d’un Etat lui permet de réguler jusqu’à 200 miles (321,8km). Certains pays, dont les Etats-Unis, se réservent même le droit d’étendre leur juridiction sur toute la planète, rappelle l’hebdomadaire britannique. Quant aux limites technologiques, Michael Keenan les dit déjà dépassées, mais les risques d’ouragan et les vagues de fond seront des ennemis récurrents; le mal de mer un danger permanent.

Ce qui nous ramène à la première étape, plus pratique: faire vivre une petite communauté dans un bateau. Plus pragmatique encore, le site du Seasteading Institute précise que «les premiers seasteaders seront des entrepreneurs, des employés de station balnéaire, des marins, des ingénieurs et des membres d’autres professions liées à l’économie du seasteading».

Bluseed sera la première graine du rêve marin des libertariens. Ses fondateurs entendent éviter les lois américaines sur les visas pour permettre aux meilleurs entrepreneurs du monde entier de réunir leurs talents de créateurs sur une plateforme située au large de la Silicone Valley. Là encore, l’utopie est au service de l’intérêt général: «Blueseed bénéficiera à tout le monde en apportant des nouvelles technologies au marché, augmentant le niveau général de prospérité, et c’est pourquoi des gens de tous les moyens économiques supportent notre projet», nous explique son cofondateur Max Marty.

Il n'y a plus qu’à attendre 2014 pour savoir si le vaisseau Blueseed sera une utopie plus flottante que le Freedom Ship. Et continuer à se boucher les oreilles devant le négativisme du libertarien Murray Rothbard, qui clamait dès 1972, en plein fiasco de l’opération Atlantis:

«
Cela fait maintenant plus de dix ans que j’entends parler d’un nouvel Eden, d’une île, naturelle ou artificielle, qui vivrait de manière anarchique ou randienne. […] L’échec total et abject de toutes ces tentatives farfelues devrait envoyer un message à ses participants: rejoignez le monde réel et combattez pour la liberté chez vous.
»

Emmanuel Haddad

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De une, dans la réalité, le coût sera prohibitif. De deux, le premier Etat que ça agacera aura vite fait de te mettre tout ça sous embargo, surtout que tu voudras toujours rester juste en dehors des eaux territoriales.

ça sera : fait accompli contre mémémémé c'est trop inzuste, avec tous les terriens qui de toutes façons seront emplis d'aigreur pour les résidents de ces communautés.

ça ne marchera pas.

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Oui dans la vidéo Patri Friedman parle d'un bateau qui pratique des avortements. Il s'arrête dans des pays où l'avortement est interdit et pratique les avortements dans les eaux internationales. Patri Friedman précise que ce n'est pas le nombre d'avortements pratiqués qui comptent, qui doit être très faible, mais l'impact que ça peut avoir sur les discussion des gens. Pas besoin que ces villes flottantes aient des millions d'habitants. Si par exemple, ils arrivaient à attirer le nouveau Google ou le nouveau Facebook sur une de ces villes l'impact pourrait être mondial sans que la ville soit grande. D'ailleurs, on en parle bien alors qu'aucune ville de ce genre n'existe encore.

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Oui on peut imaginer 100 scénarios probables pour que ces villes flottantes foirent, mais l'avenir est imprévisible et ça vaut le coup d'essayer.

Et même si ça foire il peut en sortir quelque chose de bon.

Les villes libres du Honduras sont moins ambitieuses, mais ont a priori plus de chance d'aboutir.

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Pas si, justement, les états sont gavés de ce qu'ils fournissent.

Un peu comme les "paradis fiscaux" qui résistent malgré les attaques brutales de façade des Etats. La Suisse avait gardé son intégrité toute seule au milieu de l'Europe entière envahie par Hitler.

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Bon article, plutôt honnête et informé sur les libertariens, chose rare. L'auteur a même pris la peine d'interroger Sébatien Caré - mais je ne sais pas si la judicieuse expression "marxiste de droite" est de lui.

Comme S.C, cette contradiction m'avait aussi frappé :

certains libertariens critiquent l’essence même de ce projet, vu comme une perversion de leur idéal de liberté. Sébastien Caré, dont le dernier livre s’intitule Les Libertariens aux états-Unis: Sociologie d'un mouvement asocial, en souligne un élément majeur:

«Les micronations libertariennes reprennent très souvent le modèle étatique auquel s’opposent les principes censés présider leur constitution

Ainsi John Kyle devient Prince John Ier et Michael Olivier se rêve Prince Lazarus et leurs communautés plagieraient les monarchies d’antan. Mais surtout, ces projets ne sont possibles que selon «la conviction que l’Etat libertarien n’est applicable qu’à une communauté de libertariens», une conception qui, rappelle le chercheur, s’éloigne de la défense du pluralisme de la majorité des penseurs libertariens. A l’exception notable d’Ayn Rand.

On peut saluer la réaction de lucidité de Rothbard par rapport à ces utopies flottantes.

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Il y a un peu d'ironie derrière l'emploi du terme marxiste qui suggère sans doute que les libertariens ont un côté doctrinaire un peu square qui les différencie du commun des mortels…

PS : David, ton avatar, c'est plageman ? C'est vieux, ça !

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Je ne vois pas bien ce que l'expression "marxiste de droite" a de judicieux, à part peut-être si l'on se réjouit de toute forme de libertarian bashing…

C'est une provocation de FreeJazz, faut pas aller chercher plus loin.

L'expression est choquante par sa double absurdite: de "droite" et son association avec le libertarianisme.

C'est comme si on parlait de "conservatiste progressiste". Ça interpelle: "mais qu'a-t-il voulu dire" et puis on regrette d'avoir réfléchi sur une expression dont le seul but est de faire péter un pédant plus haut que son cul.

Je parle de l'auteur de l'article, pas de fj.

Modifié par Rocou
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Je parle de l'auteur de l'article, pas de fj.

Merci, trop aimable. :icon_ange:

Selon Sébastien Caré, il s'agit d'une expression courante aux Etats-Unis. Bien entendu c'est une caricature destinée à faire réagir, mais si elle est passée dans le sens commun, elle doit contenir quelque élément significatif ou révélateur de certaines tendances.

Des « marxistes de droite » ? L’expression est couramment employée pour désigner ceux que l’on appelle aux Etats-Unis les « libertariens ». L’analogie signale que le libertarianisme se présente comme une version subversive et utopique du libéralisme classique, auquel il associe une défense radicale des libertés individuelles et une position isolationniste en politique étrangère. Elle rappelle surtout que les libertariens ne se sont pas contentés de penser le monde, mais qu’ils se sont aussi employés à le transformer. C’est ce que cet ouvrage entend dévoiler au travers d’une enquête sociologique sur le mouvement libertarien contemporain.

https://www.contrepo…-sebastien-care

Passons sur la théorie libertarienne de la lutte des classes et de la disparition de l'Etat. Comment ne pas établir une analogie entre ces Cités flottantes et les projets de socialisme utopique fomentés au XIXè - phalanstères et autres expériences saint-simoniennes? Ces précédents expliquent sans doute le scepticisme de Rothbard.

http://fr.wikipedia….alisme_utopique

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Comment ne pas établir une analogie entre ces Cités flottantes et les projets de socialisme utopique fomentés au XIXè - phalanstères et autres expériences saint-simoniennes?

Justement : le socialisme utopique, c'est pas du marxisme. Donc, l’expression "marxistes de droite" pour décrire les libertariens et les projets de villes flottantes, c'est du nawak de compétition.

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La (non-)pensée marxienne est caractérisée par une croyance en la lutte des classes, un processus de dialectique historique qui doit tendre vers l'abolition du capitalisme et l'instauration d'un régime communiste sans classe et propriété privée.

Le libertarisme ne fait qu'une analyse entre classe au pouvoir (improductive) et classe dominée (productive), cf. Charles Dunoyer et Charles Comte. Le libertarisme n'a jamais fait le postulat d'une dialectique historique tendant inexorable vers son propre avènement. Tout au plus, certains penseurs, tels Friedrich Hayek, ont mis en avant l'idée d'une théorie évolutionniste des institutions ; seules les institutions ayant prouvé leur force restent au final. Le non-sens du communisme marxien est que la propriété privée est censée être abolie par l'Etat socialiste qui précèdera la dissolution de l'Etat, mais que la propriété sera miraculeusement détenue collectivement sous un régime communiste sans Etat. Le libertarisme a pour clé de voute la propriété privée. Le marxisme veut abolir celle-ci et la nie. Dès lors qu'il écrivait ce titre, l'auteur se condamnait au ridicule et démontrait admirablement son statut d'ignare.

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Cela ne change rien à l'analyse principale qui est que la classification arbitraire de la société en deux classes dans les faits non homogènes (les capitalistes en concurrence les uns avec les autres) met à bas la théorie marxiste de la lutte des classes. L'analyse de Murray Rothbard dans les derniers chapitres du Vol II, An Austrian Perspective on the History of Economic Thought retombe exactement sur ce que je viens de dire. Encore une fois, ces nomenclatures arbitraires de classes nient les individus, c'est pour cela que Ludwig von Mises parlait aussi plus volontiers de "castes" pour désigner la caste dirigeante et les autres subissant le joug, dans la ligne directe des théories de Charles Dunoyer et Charles Comte. D'ailleurs, en lisant rapidement, Hoppe n'a pas l'air de penser autrement dans les grandes lignes.

Corrigé.

La société communiste est, d'après la théorie marxiste, une société sans état.

Mixup en effet… J'ai inversé la chronologie ; je corrige.

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Levons un malentendu : pour moi la formule "marxiste de droite" n'est pas une insulte, car comme l'a montré R.Aron il y a des éléments de la sociologie marxiste qui demeurent pertinents, notamment dans la critique des monopoles ou sur le rôle révolutionnaire de la bourgeoisie. D'ailleurs f.mas m'accordera qu'il est beaucoup plus facile à un libertarien de discuter avec un marxiste analytique structuré qu'avec un social-démocrate bon teint adepte des bons sentiments.

Je n'ai aucun problème à affirmer que je crois en la lutte des classes et des castes comme principal moteur de transformation des sociétés, simplement la lutte des classes en version marxiste n'est qu'un cas particulier auquel les mythes et instincts socialistes donnent beaucoup trop d'importance, en y greffant une théologie millénariste.

Pareto a dit l'essentiel sur ce sujet:

La lutte des classes, sur laquelle Marx a particulièrement attiré l'attention, est un facteur réel, dont les marques peuvent être trouvées sur chaque page de l'histoire. Mais la lutte n'est pas limitée seulement à deux classes: le prolétariat et les capitalistes, elle a lieu entre un nombre infini de groupes avec des intérêts différents, et avant tout entre les élites rivalisant pour le pouvoir. L'existence de ces groupes peut varier en durée, ils peuvent être basés sur des caractéristiques permanentes ou plus ou moins temporaires. Chez les peuples les plus sauvages, et peut-être chez tous, le sexe détermine deux de ces groupes. L'oppression dont se plaint le prolétariat, ou qui l'a amené à s'en plaindre, n'est presque rien en comparaison de ce que subissent les femmes des Aborigènes australiens. Des caractéristiques réelles à un degré plus ou moins grand -- nationalité, religion, race, langue, etc. -- peuvent donner naissance à ces groupes. De nos jours [c'est-à-dire en 1902], la lutte entre les Tchèques et les Allemands en Bohème est plus intense que celle entre le prolétariat et les capitalistes en Angleterre. (…)

Les socialistes de notre époque ont clairement perçu que la révolution à la fin du dix-huitième siècle a simplement conduit au remplacement de la vieille élite par la bourgeoisie. Ils exagèrent largement le fardeau de l'oppression imposée par les nouveaux maîtres, mais ils croient sincèrement qu'une nouvelle élite de politiciens tiendra mieux leurs promesses que ceux qui sont venus et qui se sont maintenus jusqu'à nos jours. Tous les révolutionnaires proclament à leur tour que les révolutions précédentes ont fini par tromper le peuple; c'est leur révolution seule qui est la vraie révolution. «Tous les mouvements historiques précédents», déclarait le Manifeste communiste de 1848, «étaient des mouvements de minorités ou dans l'intérêt de minorités. Le mouvement prolétarien est le mouvement conscient et indépendant de l'immense majorité, dans l'intérêt de l'immense majorité». Malheureusement cette vraie révolution, qui doit apporter aux hommes un bonheur sans mélange, n'est qu'un mirage trompeur qui ne devient jamais une réalité. Elle est apparentée à l'âge d'or des millénaristes: toujours attendue, elle est toujours perdue dans les brumes du futur, échappant toujours à ses adeptes au moment où ils pensent la tenir.

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Levons un malentendu : pour moi la formule "marxiste de droite" n'est pas une insulte

Loin de moi l'idée de dire que ce que tu écris est inintéressant, au contraire, mais il faut tout de même une bonne dose de self control pour ne pas éclater de rire en lisant ceci. De même que "khmer vert" est une insulte lorsque l'on qualifie ainsi les écolos, "marxiste de droite" en est également une. Il s'agit de faire des libertariens des gens enclins à créer des systèmes imaginaires, et à tout faire pour les mettre en oeuvre dans la réalité avec le plus grand dogmatisme possible.

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Loin de moi l'idée de dire que ce que tu écris est inintéressant, au contraire, mais il faut tout de même une bonne dose de self control pour ne pas éclater de rire en lisant ceci. De même que "khmer vert" est une insulte lorsque l'on qualifie ainsi les écolos, "marxiste de droite" en est également une. Il s'agit de faire des libertariens des gens enclins à créer des systèmes imaginaires, et à tout faire pour les mettre en oeuvre dans la réalité avec le plus grand dogmatisme possible.

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Après, je l'ai déjà dit, mais un système de castes en conflit, ce n'est pas parce qu'un libertarien va l'admettre que cela fait de lui un marxiste. Nous n'avons pas l'obsession de l'"aliénation" (au sens vraiment marxien) comme les marxistes et nous ne sommes clairement pas en phase avec la vision millénariste (que freejazz mentionne). De plus, le système marxiste n'aboutit au final qu'à remplacer une caste dirigeante par une autre.

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Levons un malentendu : pour moi la formule "marxiste de droite" n'est pas une insulte…

Ce n'est peut-être pas une insulte, mais c'est toujours du nawak qui ne décrit rien de concret ni ne se réfère à quoi que se soit d'existant.

Autant dire que des moines chartreux sont des "marxistes de droite".

Par contre, parler de "socialistes de droite" a du sens : philosophiquement et politiquement comme descendance de l'hégélianisme de droite et comme réalité observable dans divers mouvements socio-politiques des 20e et 21e siècles.

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Pareto a dit l'essentiel sur ce sujet:

(…)

Un texte très éclairant, merci, décidément l'œuvre de Pareto semble vraiment méconnue en comparaison de la richesse de ses réflexions.

Loin de moi l'idée de dire que ce que tu écris est inintéressant, au contraire, mais il faut tout de même une bonne dose de self control pour ne pas éclater de rire en lisant ceci. De même que "khmer vert" est une insulte lorsque l'on qualifie ainsi les écolos, "marxiste de droite" en est également une. Il s'agit de faire des libertariens des gens enclins à créer des systèmes imaginaires, et à tout faire pour les mettre en oeuvre dans la réalité avec le plus grand dogmatisme possible.

A mon sens, c'est justement pour cela que l'expression est intéressante, en ce qu'elle soulève une critique implicite tout à fait pertinente à propos des libertariens américains (car je crois que dans cet article il n'est question que des états-Unis, le seul pays où l'on puisse parler d'un véritable mouvement libertarien).

Tout d'abord il ne fait aucun doute que les libertariens américains sont de droite. Si ce qualificatif peut se discuter pour la tradition libérale classique qui est extrêmement diverse, en revanche il est tout à fait approprié aux libertariens américains, dont les références politiques historiques, de John C. Calhoun à Robert Taft, sont clairement à droite, qui défendent des valeurs de droite, qui ont volontiers un discours droitiers, et qui ont toujours été proches des milieux conservateurs. L'escapade rothbardienne du côté de la gauche radicale n'est qu'une parenthèse à considérer dans le contexte de la guerre froide. Si l'on regarde les principales figures du mouvement aujourd'hui, de HHH (admirateur de Kuehnelt-Leddihn) à Tom Woods & Thomas DiLorenzo (proches de la Ligue du Sud), on a de la peine à voir des gens de gauche.

Ensuite, le qualificatif marxiste est pertinent pour décrire la méthodologie employée, ainsi que les stratégies adoptées (cf. le texte non publié mais néanmoins célèbre de Rothbard, Toward A Strategy for Libertarian Social Change, dans lequel il revendique la filiation avec le marxisme et déclare prendre modèle sur Lénine pour la stratégie du mouvement). Je pense que l'analogie avec le marxisme a donc du sens, pas forcément en termes d'idées mais plutôt en termes d'attitude et de posture intellectuelle.

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Tout d'abord il ne fait aucun doute que les libertariens américains sont de droite. Si ce qualificatif peut se discuter pour la tradition libérale classique qui est extrêmement diverse, en revanche il est tout à fait approprié aux libertariens américains, dont les références politiques historiques, de John C. Calhoun à Robert Taft, sont clairement à droite, qui défendent des valeurs de droite, qui ont volontiers un discours droitiers, et qui ont toujours été proches des milieux conservateurs. L'escapade rothbardienne du côté de la gauche radicale n'est qu'une parenthèse à considérer dans le contexte de la guerre froide. Si l'on regarde les principales figures du mouvement aujourd'hui, de HHH (admirateur de Kuehnelt-Leddihn) à Tom Woods & Thomas DiLorenzo (proches de la Ligue du Sud), on a de la peine à voir des gens de gauche.

Ensuite, le qualificatif marxiste est pertinent pour décrire la méthodologie employée, ainsi que les stratégies adoptées (cf. le texte non publié mais néanmoins célèbre de Rothbard, Toward A Strategy for Libertarian Social Change, dans lequel il revendique la filiation avec le marxisme et déclare prendre modèle sur Lénine pour la stratégie du mouvement). Je pense que l'analogie avec le marxisme a donc du sens, pas forcément en termes d'idées mais plutôt en termes d'attitude et de posture intellectuelle.

Si je comprends bien, pour expliquer le côté "de droite", Rothbard est un cas trop particulier donc on le zappe, mais pour expliquer le côté "marxiste" il redevient de manière capitale tout à fait pertinent?

C'est pas un peu de la pensée à géométrie variable tout ça?

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Tout d'abord il ne fait aucun doute que les libertariens américains sont de droite.

Ah bon ? Être pro-avortement, pro-légalisation des drogues, pro-immigration, etc. comme le sont beaucoup d'entre eux, c'est Être de droite ?

Il faudra te lever tôt pour trouver dans Reason un magazine de droite.

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Si je comprends bien, pour expliquer le côté "de droite", Rothbard est un cas trop particulier donc on le zappe, mais pour expliquer le côté "marxiste" il redevient de manière capitale tout à fait pertinent?

C'est pas un peu de la pensée à géométrie variable tout ça?

Rothbard a toujours été à droite, simplement la guerre froide et le triomphe des néocon (qui, eux, viennent de la gauche américaine) l'a poussé à effectuer des alliances plus ou moins exotiques.

Ah bon ? Être pro-avortement, pro-légalisation des drogues, pro-immigration, etc. comme le sont beaucoup d'entre eux, c'est Être de droite ?

Il faudra te lever tôt pour trouver dans Reason un magazine de droite.

Il est loin d'Être évident que les libertariens sont pro-avortement, je dirais mÊme qu'ils deviennent de plus en plus minoritaires au sein du mouvement (en tout cas beaucoup de leaders libertariens aujourd'hui sont pro-life : Paul, Woods, etc.). Sinon Être pro-légalisation des drogues n'est pas en soit une position de gauche, tout dépend l'argumentaire qui est employé pour défendre cela, et j'observe que mÊme des icônes de la droite américaine comme William Buckley étaient pro-légalisation.

Sinon, malgré son audience importante, Reason est une revue atypique, en conflit avec une grande partie du mouvement libertarien, qui ne s'est rallié que tardivement et timidement à Ron Paul après l'avoir conspué (ce sont les premiers à avoir ressorti des placards l'affaire des newsletters), bref pas vraiment représentatif.

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