Aller au contenu

Typologie de l'obéissance chez Pascal


Messages recommandés

J'ai trouvé ce commentaire des Pensées Pascaliennes très éclairant, sur l'analyse des différents caractères portés à l'obéissance ou à la révolte.

« Le monde juge bien des choses, car il est dans l’ignorance naturelle, qui est le vrai siège de l’homme. Les sciences ont deux extrémités qui se touchent. La première est la pure ignorance naturelle où se trouvent tous les hommes en naissant. L’autre extrémité est celle où arrivent les grandes âmes, qui, ayant parcouru tout ce que les hommes peuvent savoir, trouvent qu’ils ne savent rien, et se rencontrent en cette même ignorance d’où ils étaient partis ; mais c’est une ignorance savante qui se connaît. Ceux d’entre deux, qui sont sortis de l’ignorance naturelle, et n’ont pu arriver à l’autre, ont quelque teinture de cette science suffisante, et font les entendus. Ceux-là troublent le monde, et jugent mal de tout. Le peuple et les habiles composent le train du monde ; ceux-là le méprisent et sont méprisés. Ils jugent mal de toute chose, et le monde en juge bien». (PascalPensées, B327).

« Le peuple honore les personnes de grande naissance. Les demi-habile les méprisent, disant que la naissance n’est pas un avantage de la personne, mais du hasard. Les habiles les honorent, non par la pensée du peuple mais par la pensée de derrière. Les dévots qui ont plus de zèle que de science les méprisent, malgré cette considération qui les fait honorer par les habiles, parce qu’ils en jugent par une nouvelle lumière que la piété leur donne. Mais les chrétiens parfaits les honorent par une autre lumière supérieure. Ainsi vont les opinions succédant du pour au contre, selon qu’on a de la lumière ».

«L’attitude des sujets est présentée dans le chapitre « Raison des effets » des Pensées. Pascal [quel dommage qu'on ait si peu progressé en sagesse depuis 1660] distingue cinq catégories, selon une gradation ascendante. Au bas de l’échelle se trouve le peuple. En général, il n’entend guère finesse en politique : il croit fermement que les lois de son pays sont essentiellement justes (en général il n’en connaît pas d’autres), et que les « personnes de grande naissance » sont d’un caractère véritablement supérieur à la masse. Il est naïf au sens exact du mot, c’est-à-dire qu’il ne fait pas de différence entre les apparences et la réalité effective

Au second degré, les demi-habiles sont des « esprits déniaisés », qui ont compris qu’entre être et paraître il n’y a pas de liaison nécessaire. Persuadés que « la naissance n’est pas un avantage de la personne mais du hasard » (ce en quoi ils ont raison), ils refusent d’honorer les grands, et sont aussi portés à contester les lois établies, au nom de lois plus justes, les lois primitives et fondamentales de l’Etat, ou plutôt celles qu’ils imaginent telles : ce sont eux qui fomentent des révoltes pour renverser l’ordre politique et social. Mais ils ne sont qu’à moitié habiles, parce qu’ils ne voient qu’un côté du problème : ils ignorent ou ne veulent pas savoir que ces lois qu’ils veulent établir sont tout aussi arbitraires que celles qu’ils veulent supprimer ; et lorsqu’ils en établissent de nouvelles, le gain est la plupart du temps loin d’être évident, parce que la réalité ne se plie pas à leur fantaisie. Bref « ils jugent mal de tout », alors qu’au fond le peuple qu’ils méprisent (ceux qui prétendent guider le peuple ont pour lui le plus profond mépris dès qu’il ne suit pas leurs idées) en juge mieux, parce que son illusion sur la nature des lois préserve la paix.

Le troisième degré est celui des habiles, qui ont en commun avec les demi-habiles de savoir que les lois sont vides de justice effective, et les princes de grandeur naturelle. Mais ils savent reconnaître la force qui soutient les institutions : les demi-habiles ont beau dire qu’on n’a pas à saluer « un homme vêtu de brocatelle, et suivi de sept ou huit laquais. Eh, quoi ! Il me fera donner les étrivières, si je ne le salue. Cet habit, c’est une force » (L.89, S.123), à laquelle convient un respect extérieur. Cette concession d’établissement a l’avantage de prévenir les séditions. L’habile parle donc comme le peuple, mais par intérêt bien compris.

Quatrième degré : les dévots, des demi-habiles chrétiens, qui ont « plus de zèle que de science » (L.90, S.124). Ils méprisent les grands et sont souvent fauteurs de troubles religieux.

Enfin, au dernier degré, viennent les « Chrétiens parfaits », des habiles auxquels la foi donne une lumière supérieure : ils savent ce que valent réellement les princes et les lois ; ils leur accordent les mêmes respects que les habiles, avec cette différence qu’ils ne le font pas par intérêt, voire par égoïsme, mais parce que c’est l’ordre de Dieu qui a établi ces puissances humaines.

On reproche parfois à Pascal l’audace de sa pensée politique, qui peut le rapprocher parfois de Hobbes, mais aussi un certain conservatisme, à cause de la critique radicale qu’il oppose à la tentation révolutionnaire. Le fondement de sa doctrine est d’origine théologique : c’est parce que l’Etat a pour fin l’organisation pacifique des concupiscences que l’homme n’a pas intérêt, selon Pascal, à vouloir réaliser sur terre une société parfaite : ce serait prendre la cité terrestre pour la cité de Dieu, confusion qui conduit nécessairement tout droit à la catastrophe. Pascal aurait d’ailleurs la même hostilité envers les fanatiques qui tendraient à établir un pouvoir religieux pour faire ici-bas le salut des sujets dans l’au-delà : ce ne serait qu’une autre manière de chercher à obtenir par une voie ce qui ne peut s’obtenir que par une autre, c’est-à-dire une tyrannie. La politique de Pascal se résume au refus de la tyrannie dans un monde pourtant dominé par la concupiscence. »

Lien vers le commentaire

Créer un compte ou se connecter pour commenter

Vous devez être membre afin de pouvoir déposer un commentaire

Créer un compte

Créez un compte sur notre communauté. C’est facile !

Créer un nouveau compte

Se connecter

Vous avez déjà un compte ? Connectez-vous ici.

Connectez-vous maintenant
×
×
  • Créer...