Aller au contenu

TIL - today I learnt...


Hayek's plosive

Messages recommandés

On 3/15/2022 at 5:18 PM, Pelerin Dumont said:

Le vieux refrain de la civilisation commerciale matérialiste et corrompue (Athènes, Carthage, les cités italiennes/flamandes, la Hollande, les USA) face à la société militaire vertueuse et spirituelle (Sparte, Rome, la France, les Mongols). En plus d'être intrinsèquement contradictoire (el famoso cohabitation orthodoxe-musulmane et russo-asiatique :https://fr.wikipedia.org/wiki/Joug_tatar

 

JRML : Il y a une bonne dizaine d'années je fais la rencontre d'une étudiante en philo d'origine ukrainienne vivant à Paris. On discute et je lui demande plus précisément sur qui/quoi elle travaille et elle me répond "Platon".

Apparemment, ma façon d'acquiescer trahit le fait que je ne suis pas un grand fan du personnage. Elle me demande donc ce que je reproche à ce grand philosophe et je lui réponds que je suis de l'avis de Popper tel qu'il l'exprime dans "La société ouverte et ses ennemis". Comme souvent quand on parle de Popper à qqun qui a passé des années à étudier Platon, on a le droit au choix à un peu de condescendance, d'argument d'autorité ou de ad hominem plutôt qu'une réponse sur le fond.

Le sujet Platon/Popper reste longtemps un sujet de taquinerie entre nous, et il a fallu que récemment, l'influence de Douguine (ou de ses idées) devienne perceptible dans les discours de Poutine pour que je finisse par entendre "en fait tu avais raison sur Popper" ?

  • Yea 2
Lien vers le commentaire
il y a 43 minutes, Boz a dit :

Mais à une époque je me rappelle qu'on disait ici (je ne sais plus qui) que Platon était en fait ironique. Alors ?

 

Socrate, pas Platon.

 

Par exemple (sauf erreur de ma part, à la fin du Livre VII de la République, je cite de mémoire) :

Socrate Et là, le philosophe va dire aux habitants de la Cité : "hé, les loulous, maintenant qu'on a commencé à bien réformer la Cité, qu'on a établi un programme super solide, vous allez vous casser bosser dans les champs loin d'ici et me laisser avec vos mioches de moins de 10 ans pour qu'on puisse finaliser le tout et enfin avoir la Cité bonne attendue". Et les habitants de la Cité seront genre "Mais oui, mais c'est bien sûr" ;

Adimante, Glaucon et les autres : Ouah, trop fort Socrate, t'es vraiment le meilleur, le boss du game philosophique ;

Le lecteur un minimum critique : Wait a minute...

  • Yea 1
Lien vers le commentaire
Il y a 2 heures, Ultimex a dit :

 

Socrate, pas Platon.

 

Par exemple (sauf erreur de ma part, à la fin du Livre VII de la République, je cite de mémoire) :

Socrate Et là, le philosophe va dire aux habitants de la Cité : "hé, les loulous, maintenant qu'on a commencé à bien réformer la Cité, qu'on a établi un programme super solide, vous allez vous casser bosser dans les champs loin d'ici et me laisser avec vos mioches de moins de 10 ans pour qu'on puisse finaliser le tout et enfin avoir la Cité bonne attendue". Et les habitants de la Cité seront genre "Mais oui, mais c'est bien sûr" ;

Adimante, Glaucon et les autres : Ouah, trop fort Socrate, t'es vraiment le meilleur, le boss du game philosophique ;

Le lecteur un minimum critique : Wait a minute...

Oui en réalité Platon souhaite mettre en place un système de marché libre de l'enfance, et c'est pour cela qu'il a besoin de remettre en cause le modèle traditionnel grecque de la famille. D'ailleurs il attribue aux ames une forme de prix : or, argent, plomb donc cela implique une intention d'échanger ?

 

Lien vers le commentaire

Ça m'intéresse, j'ai jamais trop accroché à cette lecture straussienne. J'avais plutôt la position que la République était un modèle critique des constitutions existantes réellement (Sparte, Athènes), sans aucune indication de détail (juste l'éducation, le reste suivra), et donc à aucun moment un programme. On trouvera plus de détails dans les Lois, dont la seule lecture suffit à ridiculiser les inepties de Popper. La cité modèle est celle du communisme intégral, qui n'est pas la République, puisque dans la République, il est limité aux gardiens. Il faut arrêter avec le mythe de Platon, Rousseau totalitaires.

 

Cela dit (après avoir lu l'article) c'est intéressant que les critiques "libérales" de Platon viennent justement de dogmatiques qui s'attendent à ce que la philosophie ressemble à un livre de Rand. Popper le premier bien sûr, qui fait souvent dans ses livres les catalogues "listes de course" de positions (Descartes dit ça, Platon dit ça, Héraclite dit ça). Ce que Strauss pointe, c'est en fait une incapacité à lire de la philosophie (toute cette thématique straussienne du problème de l'éducation, de l'enseignement des humanités).

Lien vers le commentaire
Il y a 9 heures, Solomos a dit :

Le sujet Platon/Popper reste longtemps un sujet de taquinerie entre nous, et il a fallu que récemment, l'influence de Douguine (ou de ses idées) devienne perceptible dans les discours de Poutine pour que je finisse par entendre "en fait tu avais raison sur Popper" ?

Par pitié non, ne me forcer pas à lire Douguine pour y chercher du Platon !

 

Il me semble que Platon était réellement "totalitaire" dans la mesure où il voulait un état total, régissant chaque aspect de la société. Mais il n'a absolument rien à voir avec les totalitarismes historiques et leurs idéologies. Difficile d'imaginer quoi que ce soit de plus éloigné d'un éloge de la rationalité et de la modération. Si on se donne une définition plus substantielle du totalitarisme, à la Arendt, comme un certain mouvement de masse au sein duquel tout ordre est aboli, et gravitant autour de l'arbitraire individuelle d'un guide charismatique, alors ce que prône Platon en est même le stricte opposé.

Et il se trouve que les tyrans réels n'ont pas vraiment pour habitude de se revendiquer de Platon. Des trois "ennemis de la société ouverte" de Popper, le seul dont l'étendard est réellement brandi par les sauvages est Marx. J'ai l'impression que Popper essaie de le rattacher à une tradition rationaliste et spéculative justement parce que ça l'arrange, de pouvoir ranger avec les nazis ses adversaires en épistémologie. Mais Marx est justement le moins rationaliste des trois, puisqu'il voit dans l'idéalité de sa propre théorie un simple reflet de la matérialité du rapport de force réel en train de se jouer et de sa propre pratique révolutionnaire.

Même si c'est avec de l'approximation (et ça l'était pour Marx aussi), les tyrans aiment généralement beaucoup plus Nietzsche que Platon ou Hegel.

 

Il y a 1 heure, Vilfredo a dit :

Ça m'intéresse, j'ai jamais trop accroché à cette lecture straussienne. J'avais plutôt la position que la République était un modèle critique des constitutions existantes réellement (Sparte, Athènes), sans aucune indication de détail (juste l'éducation, le reste suivra), et donc à aucun moment un programme.

Ca reste un détail de la République. On oublie que toute la discussion politique est enclavé dans une discussion psychologique. C'est toujours de la "république" (ou plutôt, de la constitution) intérieur d'un individu dont il s'agit. La partie sur les autres formes de régimes (les livres VIII et IX principalement), chacun provenant de la décomposition du précédent, est en fait une forme de psychopathologie morale. Le renvoie de chaque type de cité à un certain type d'âme, de moins en moins heureux, est même explicite. 

On peut considérer que c'est bien la partie politique la plus importante, bien qu'elle soit contenue dans la partie psychologique, par exemple, en considérant que la psychologie n'était qu'une prétexte pour aborder cette grosse parenthèse. Mais il faut alors considérer que la partie politique n'était elle-même qu'un prétexte pour aborder la partie épistémo-ontologique qu'elle contient.

  • Yea 2
Lien vers le commentaire
Il y a 2 heures, Mégille a dit :

Difficile d'imaginer quoi que ce soit de plus éloigné d'un éloge de la rationalité et de la modération. Si on se donne une définition plus substantielle du totalitarisme, à la Arendt, comme un certain mouvement de masse au sein duquel tout ordre est aboli, et gravitant autour de l'arbitraire individuelle d'un guide charismatique, alors ce que prône Platon en est même le stricte opposé.

L'Idée se trouve toujours un Guide pour la faire advenir, c'est même en cela que l'idéocratie appliquée devient le totalitarisme. Il n'y a opposition entre les deux que dans le sens où les côtés pile et face d'une même pièce sont censés être opposés ; ils sont l'un contre l'autre, tout contre.

Lien vers le commentaire

Surtout pourquoi aller chercher Platon et Hegel quand on a des penseurs directement impliqués dans ces totalitarismes? Que Popper aille lire Schmitt! Pour un seul des livres duquel je donne toute l'oeuvre politique de Popper. Ce qui me plaît dans Popper politique c'est la théorie ultraconservatrice implicite dans son épistémologie. Pas les homélies prog de Open Society. Je n'ai pas lu The City and Man de Strauss comme le recommande @F. mas mais j'ai eu à lire Platon et sur Platon souvent cette année et j'ai eu cours dessus (notamment par un spécialiste de Platon que FMAs connaît peut-être, El-Murr) et si vous me permettez de partager ce que j'en ai tiré, qui répondra d'ailleurs au post de @Rincevent je crois

 

Sur Platon, comme le dit @Mégille je soulignerais le rôle de la rationalité dans la politique pour Platon et son opposition totale à toute forme d'analyse politique à partir des rapports de domination. La question est: La rationalité d’une principe suffit-elle à le faire accepter? La réponse de Platon est non, et pour la motiver, il invente la notion de "préludes législatifs". Les Lois distinguent deux approches de la législation (722b-c) : 1° la force, 2° la persuasion. Les Lois expliquent qu’il faut utiliser les deux, en précédant les lois d’un prélude. La loi prescrit ou interdit, le prélude prépare la réception de la loi dans l’esprit des gouvernés. Platon introduit cette différence avec une comparaison célèbre : les docteurs esclaves et les docteurs hommes libres (720c). Comme le médecin persuade le malade d’adopter le remède de son plein gré, le prélude doit persuader le citoyen d’adopter les lois. Les préludes sont les arguments qu’un citoyen doit pouvoir intégrer pour accepter la loi, et qui auraient été obtenus, dans des conditions idéales, par le dialogue socratique (sans qu'il faille s'imaginer que le dialogue soit une sorte d'espace habermassien d'intersubjectivité à la oui-oui). Les citoyens sont libres d’être persuadés et de devenir volontairement des esclaves de la loi ; sans cela, ils ne sont pas des esclaves de la loi mais des esclaves tout court. Ils consentiront à l’être (persuadés) s’ils sont rationnels. Ce n’est pas du tout un contrat comme on le trouve chez les sophistes, mais un rapport entre persuadant et persuadé pour sortir du rapport dominant/dominé ou exploitant/exploité. L’idée centrale est la liberté rationnelle. De ce point de vue, les Lois sont en continuité avec la République, puisque les gardiens sont gardiens parce qu’ils sont persuadés du bien public et du bien que les autres citoyens veulent sans le savoir. L'organisation hiérarchique de la R découle en fait d'un souci de penser la politique hors des rapports de domination, contre Thrasymaque, pour qui il y a des dirigeants et des dirigés, des exploitants et des exploités, et (ajout crucial) il doit en être ainsi. Dans un passage fameusement commenté par Foucault, T soutient que le dirigeant est un expert et qu'il ne fait jamais que ce qui est bon pour lui, comme le berger avec les moutons. Socrate lui retourne l'argument: l'expert a un salaire en compensation qu'il satisfait l'intérêt des autres. C'est parce que Platon refuse la domination de l'homme par l'homme qu'il est anti-démocrate. Il y a beaucoup à apprendre des Lois pour penser la politique aujourd'hui (beaucoup plus que des tartines de Popper).

 

Par contre, contrairement à @Mégille, je ne dirais pas que c'est "psychologique et pas politique". Le régime politique fabrique son anthropologie. L'homme démocratique est déterminé par ses désirs. Il fait une chose puis une autre, puis encore une autre. C'est un peu ce que décrit Heidegger dans Qu'appelle-t-on penser? quand il fait l'étymologie (fantasmée) d'"intérêt": être mû par l'intérêt, c'est être dans un état intermédiaire: être entre (inter-esse). C'est exactement cet étant pauvre qu'incarne l'homme démocratique. Une sorte de truc pas fini. Mon voisin disait l'autre jour quelque chose d'extrêmement juste sur la "psychologie" du tyran dans Platon (il commentait République 571c-d): le tyran est incestueux => désordre dans la société, il est parricide => rejet de l'origine, de la continuité entre les régimes, infanticide => refus de la descendance et de la succession, bref, l'epithumia manifeste les tendances politiques du gouvernement tyrannique.

 

Dans le livre de Popper, ce qui est avant tout reproché à Platon est d'être anti-démocrate (c'est the spell of Plato), même si Popper identifie un anti-démocrate avant lui, Héraclite (le ridicule de cette espèce de généalogie anhistorique est total). Il se trouve toutefois que les Grecs parlaient moins de "démocratie" que d'"isonomie", qui est une question d'égalité de tous plutôt que de pouvoir de tous. Pour J Ober le mot "démocratie" signifiait sans doute originellement non le monopole des charges par certains membres du peuple mais la capacité collective de décision du peuple. Et ce seraient les critiques de la démocratie qui auraient fait évoluer le sens vers : le pouvoir du nombre, et du nombre dans un sens négatif. Le mot démocratie a donc probablement été forgé par les critiques de l’isonomie. Et Popper comprend démocratie comme "rationalité collective", ce qui n'a rien à voir.

 

Donc Popper ne sait pas du tout de quoi il parle. D'autant qu'il ne parle pas dans mon souvenir du Protagoras, qui contient pourtant un argument développé sur la démocratie. Le commentaire de Protagoras sur son mythe répond à 2 objections : 1) il est normal que chacun prenne une part égale à l’expérience politique. 2) Puisque la vertu politique a été également répartie entre tous, il n’y a pas qu’un seul maître pour l’enseigner : tout le monde est maître, à tous les niveaux, à tous les âges ! Mais l’objection est toujours là : à quoi sert Protagoras ? Il est seulement meilleur maître que les autres, mais les autres sont maîtres aussi ! Pour les interprétations des conséquences du mythe sur la démocratie : cf. F Rosen, “Did Protagoras Justify Democracy?”, Polis (présente les deux réponses possibles : Protagoras défendait la démocratie, ou Protagoras ne la défendait pas, comme le pense P Nicholson). Selon Nicholson, l’argument de Protagoras est très différent des autres défenses de la démocratie (oraison funèbre de Périclès, Hérodote, Aristote).

  • Le sujet du grand mythe, c’est la possibilité de l’enseignement de la vertu, et pas la démocratie.
  • Protagoras s’intéresse dans son mythe à la question des constitutions en général, et pas de la démocratie.
  • Enfin, Protagoras était relativiste, donc il ne défend pas la démocratie plutôt qu’autre chose.

On peut répondre à ces objections : (ici je reprends le cours de El-Murr)

  • la question de l’enseignement de la vertu n’est pas étrangère à celle de la démocratie, puisqu’on parle spécifiquement de l’enseignement de la vertu politique. Quand Socrate dit que la vertu politique ne s’enseigne pas, il fait une critique implicite de la démocratie (qui deviendra explicite dans la République et le Politique, avec l’analogie du navire). La réponse à ça de Protagoras est que nous nous enseignons tous la politique. L’analogie de Socrate ne marche pas : c’est quelqu’un d’autre qui nous enseigne la flûte et la voile, mais la flûte et la voile n’ont rien à voir avec la politique, pour laquelle nous naissons avec des aptitudes égales, alors que nous naissons avec des aptitudes inégales pour la flûte.
  • La critique qui consiste à dire que Protagoras parle de la constitution en général, elle ne fonctionne pas non plus : Protagoras parle bien des pauvres et des riches dans ses assemblées.
  • La dernière objection, sur le relativisme, est la meilleure : dans le Théétète, Protagoras se présente comme un relativiste conventionnaliste : ce que chaque société considère comme bon l’est (pour elle). Toutes les opinions se valent sous le rapport de la vérité mais pas sous le rapport de la valeur : certaines choses sont bonnes pour nous et d’autres non. Mais on ne peut pas savoir si on peut passer, pour Protagoras, de : l’homme est la mesure de toute chose à : tous les hommes sont la mesure de toute chose. Mais le relativisme n’est-il pas le meilleur argument pour la démocratie ? Certes, les hommes pourraient choisir la tyrannie, mais une tyrannie acceptée par le peuple n’est plus une tyrannie.

Autre remarque : on peut distinguer des défenses du principe démocratique et des défenses des valeurs démocratiques (discussion, rotation des charges etc.). Protagoras défend aussi les principes (et non la forme… puisqu’il est relativiste). Et peut-être que c’est ça, la démocratie : une discussion continuelle sur la forme que le régime doit prendre. Bien sûr ça ne veut pas dire que je suis démocrate.

 

Le plus drôle, c'est que Popper retrouve avec sa défense de la démocratie (no bloodshed, la rationalité collective) des arguments déjà lus et relus dans Platon. Sauf que sa version est auto-contradictoire (on ne peut pas réformer toute la société parce qu'on n'a pas la connaissance, mais on peut réformer des petits bouts par magie, ou alors il explique qu'on peut pas et qu'on va se planter, se replanter et se rereplanter, ce qui est effectivement un programme politique très attrayant; ou alors: on ne peut jamais savoir que quelque chose marche mais on peut savoir qu'une réforme ne marche pas, ce sophisme absolu). Le vrai penseur "totalitaire", comme Jasay l'a bien montré dans The State, c'est bien sûr Popper lui-même.

 

Un point qui me vient pour finir, bien ennuyeux et histoire des idées mais nécessaire: Il n'y a pas d'Etat en Grèce antique, a fortiori pas d'Etat total. La Cité-Etat peut être comprise comme un mélange d’Etat et d’Eglise (c'est bien développé par Passerin d'Entrèves dans son livre que j'ai déjà eu l'occasion de recommander) : toute la destinée de l’homme y est contenue. L’époque romaine, en plus d’élargir considérablement l’unité politique, y ajoute l’élément légal : avec Cicéron, l’attention est déplacée de la fin (le souverain bien) au moyen (le droit) de la politique. Le mot d’Etat, dont la paternité est attribuée avec quelque raison à Machiavel, vient du latin status, qui signifie un état de choses, notion assez vague, qui évolue pour désigner une classe de la population (c’est l’origine du français Tiers-Etat), mais aussi et surtout pour désigner la structure légale particulière d’une communauté, sa "constitution". La parution du Prince, qui semble entendre par "Etat" la même chose que par république ou principauté, n’empêche pas Bodin de parler de "République" et les Anglais de "Commonwealth" ou "body politic". La distinction est clairement faite avec Pufendorf et Montesquieu, à partir de qui république ne désigne plus qu’un type d’Etat, par opposition à la monarchie. Mais il faut nuancer ce tournant, car les Anglais, précisément, ne l’ont jamais vraiment pris, de même que les Américains (qui parlent plus volontiers de country, federal government etc.). Il n'y a pas non plus de vérité construite, il n'y a que de que ma référence appelle la vérité factuelle ou révélée, et qui n'est pas une vertu politique. Popper veut nous faire croire qu'il n'est pas totalitaire parce qu'il ne veut ni reconnaître que la vérité existe mais ne doit pas être dite, ni qu'elle existe et qu'elle doit être l'étalon de la politique, mais qu'il n'y a que le faux et la réfutation. Sauf que si on sait que telle réforme ne marche pas, on sait qu'il est vrai qu'elle ne marche pas. Donc c'est idiot.

 

Par association d'idées @Anton_K en écho à notre discussion sur l'évolution culturelle et Hayek, voici l'article de J Gray dont je t'avais parlé (pour une fois que le MI publie un truc bien) https://cdn.mises.org/4_2_1_0.pdf C'est un peu long et je regrette qu'il passe la moitié de son article à nous paraphraser DLL mais la fin est bien. Si ça te plaît tu vas passer du côté obscur du scepticisme nihiliste conservateur.

  • Yea 2
  • Post de référence 1
Lien vers le commentaire
Le 17/03/2022 à 22:27, Rincevent a dit :

L'Idée se trouve toujours un Guide pour la faire advenir, c'est même en cela que l'idéocratie appliquée devient le totalitarisme. Il n'y a opposition entre les deux que dans le sens où les côtés pile et face d'une même pièce sont censés être opposés ; ils sont l'un contre l'autre, tout contre.

Je ne suis pas sûr qu'il faille un guide chez Platon, pas individuel en tout cas. Dans la Rep, il se montre indifférent à ce que sa cité idéale soit une aristocratie ou une monarchie, mais il me semble en général plutôt partisan d'un mode collégial de gouvernement (dans les lois, il propose un système électoral qu'on pourrait presque qualifier de démocratie, mais qui était aristocratique à ses yeux).

Et il n'est pas clair qu'il ait cru possible de transformer un régime préexistant en un régime idéal. Dans la Rép, on a une théorie du déclin, mais aucune théorie du retour en arrière. Dans le politique, il faut littéralement qu'une intervention divine retourne les lois de la nature pour que l'on espère revenir à un état proche de l'idéal, et dans les Lois, on a un programme pour créer une nouvelle cité à partir de rien, et toutes ses institutions ont pour vocation à empêcher son changement, étant donné que celui-ci ne pourrait être qu'un déclin.

Ca fait une autre grosse différence entre les utopies platoniciennes et les totalitarismes historiques : ceux là étaient des mouvements vers un futur fantasmé, alors que le fantasme politique de Platon n'est projeté que dans le passé pour permettre de juger le présent. Toute tentative de faire advenir quoi que ce soit de neuf, en particulier de la part d'un guide charismatique, semble condamner à tirer le monde vers la tyrannie.

 

Le 17/03/2022 à 23:11, Vilfredo a dit :

Ce qui me plaît dans Popper politique c'est la théorie ultraconservatrice implicite dans son épistémologie.

Je ne l'ai sans doute pas assez étudié, mais je trouve sa politique assez cohérente avec son épistémo. Dans les deux cas, on a une certaine forme de progrès qui avance par la négation des vieux trucs trop fermés, et à la fois, forte méfiance envers les systèmes progressistes dogmatiques qui se présentent comme porteurs de certitudes définitives sur bien.

 

Le 17/03/2022 à 23:11, Vilfredo a dit :

un contrat comme on le trouve chez les sophistes

On est sûr d'avoir clairement cette idée là chez les sophistes ? 

 

Le 17/03/2022 à 23:11, Vilfredo a dit :

L'organisation hiérarchique de la R découle en fait d'un souci de penser la politique hors des rapports de domination, contre Thrasymaque, pour qui il y a des dirigeants et des dirigés, des exploitants et des exploités, et (ajout crucial) il doit en être ainsi.

Remarque que la domination devient le fin mot de l'histoire à partir du moment où c'est la partie désirante qui règne, c'est à dire, à partir de l'oligarchie. A partir du moment donc où le pouvoir n'est plus fondé sur un vrai système de valeur, on ne peut plus voir les choses autrement qu'en terme de rapport de force entre multiples composantes de la cité, et la domination devient alors un fait. 

 

Le 17/03/2022 à 23:11, Vilfredo a dit :

Par contre, contrairement à @Mégille, je ne dirais pas que c'est "psychologique et pas politique".

Je me contente là dessus de suivre le texte. On s'interroge d'abord sur la justice comme vertu, et pour ça, sur la constitution de l'âme juste. Les considérations sur la cité juste ne sont introduitent qu'en tant que vaste analogon de l'âme juste, parce que plus facile à étudier. Et par la suite, non seulement les retours au niveau de l'âme individuelle sont constant (elle n'est pas perdue de vue, c'est toujours elle qu'il s'agit de comprendre), notamment au livre IV sur les parties de la cité et au livre VIII sur ses formes corrompues, mais en plus, la partie proprement politique s'achève avec la théorie de la tyrannie, qui devient très vite essentiellement une théorie de l'état de malheur dans lequel est plongé l'âme tyrannique (qui est très exactement 729 fois moins heureuse que l'âme aristocratique du philosophe). 

D'ailleurs, dans le livre IV, Platon nous dit grosso modo que la cité juste respecte le NAP vis-à-vis des autres cités, mais parvient à se défendre quand même. Et les cités ne sont que des âmes individuelles, en plus gros. Donc...

(suggestion de lecture absolument hérétique, je sais)

  • Love 1
Lien vers le commentaire
il y a 19 minutes, Mégille a dit :

Je ne suis pas sûr qu'il faille un guide chez Platon, pas individuel en tout cas.

Marx pensait que les sociétés les plus avancées aboutiraient en premier à la révolution, contredit par Lénine et Mao qui ont montré que les plus susceptibles d'y arriver étaient au contraire les plus arriérées. L'incarnation de l'Idée contredit parfois (voire souvent) les idées qui gravitent autour de l'Idée centrale.

 

(Je ne dis pas que Platon est marxiste, hein, je ne suis pas Popper. :lol: )

Lien vers le commentaire
il y a 2 minutes, Mégille a dit :

Oui bon, on attend encore le fasciste qui prétendra avoir le platonisme comme idéologie officielle ! 

Le fasciste, non. Le totalitaire ou l'idéocrate, en revanche...

Lien vers le commentaire
Il y a 1 heure, Mégille a dit :

dans les lois, il propose un système électoral qu'on pourrait presque qualifier de démocratie, mais qui était aristocratique à ses yeux

Dans les lois il propose que ma cité soit régie par un conseil nocturne qui s'assemble la nuit pour parler des vrais affaires loin du peuple et qui organise de fausses reunions sur des sujets triviaux le jour pour faire illusion. Donc en gros faire des élections pour décider de choses inutiles et entretenir l'illusion démocratique, tandis que les membres du conseil nocturne se co optent entre eux. 

Il veux également isoler la cité du monde extérieur et encadrer strictement les voyages à l'étranger (pour s'enquerir de l'etat des lois etrangeres et voir si une amélioration est possible) et les ambassades de visiteurs extérieurs (qui ne doivent pas côtoyer les citoyens de base afin de ne pas les corrompre). 

Il dit aussi que l'on peut enfermer arbitrairement pendant 5 ans des individus non conformes (au milieu du village puis en banlieu loin des yeux), au dela de cette periode de repentance, celui ci est absous, re enfermé ou simplement exécuté.

De plus, la propagande d'État et les mensonges/réécriture des mythes sont pour lui des moyens politiques légitimes.

Il veut aussi censurer les arts, notamment la musique où certains airs seront bannis et s'il accepte la propriété dans les lois, c'est une pure conception pragmatique, qui ne devrait pas exister dans sa cité idéale. 

Donc au final ce n'est peut etre pas un état proto totalitaire au sens exact mais cela en a l'esprit, non?

Lien vers le commentaire

En bref, si on prend le sens premier de "totalitarisme" comme étant un "état total", sans aucune séparation entre la société et l'état, ou encore à la Hayek comme étant tout simplement l'opposé du libéralisme (perpendiculairement à l'opposition démocratie/autoritarisme) alors oui, Platon est totalitaire.

 

Par contre, si on prend les mécanismes qui ont pu être identifiés comme essentiels aux totalitarismes historiques (dissolution des structures de la société en une masse informe, mouvement perpétuel, personnalisation du pouvoir, etc) alors non, Platon n'a rien à voir avec ça.

 

Aussi, il ne faut pas perdre de vue que Platon cherchait spécifiquement à trouver le régime le plus éloigné possible de la tyrannie, et que c'est spécifiquement parce que la démocratie de son temps y était trop encline qu'il s'y opposait. Faire de lui un simple avocat de l'autoritarisme en général serait donc tout à fait inapproprié.

  • Yea 5
Lien vers le commentaire
il y a 10 minutes, Mégille a dit :

En bref, si on prend le sens premier de "totalitarisme" comme étant un "état total", sans aucune séparation entre la société et l'état, ou encore à la Hayek comme étant tout simplement l'opposé du libéralisme (perpendiculairement à l'opposition démocratie/autoritarisme) alors oui, Platon est totalitaire.

 

Par contre, si on prend les mécanismes qui ont pu être identifiés comme essentiels aux totalitarismes historiques (dissolution des structures de la société en une masse informe, mouvement perpétuel, personnalisation du pouvoir, etc) alors non, Platon n'a rien à voir avec ça.

 

Aussi, il ne faut pas perdre de vue que Platon cherchait spécifiquement à trouver le régime le plus éloigné possible de la tyrannie, et que c'est spécifiquement parce que la démocratie de son temps y était trop encline qu'il s'y opposait. Faire de lui un simple avocat de l'autoritarisme en général serait donc tout à fait inapproprié.

Je suis plutôt d'accord (et on pourrait aussi enrichir le premier sens que tu donnes par l'idée d'une société intégralement ordonnée par la raison explicite).

Lien vers le commentaire
Le 19/03/2022 à 12:56, Mégille a dit :

Je ne l'ai sans doute pas assez étudié, mais je trouve sa politique assez cohérente avec son épistémo. Dans les deux cas, on a une certaine forme de progrès qui avance par la négation des vieux trucs trop fermés, et à la fois, forte méfiance envers les systèmes progressistes dogmatiques qui se présentent comme porteurs de certitudes définitives sur bien.

Oui c'est une lecture un peu à contrepied. Disons que dans Objective Knowledge, il y a un long passage dans lequel il explique le besoin biologique qu'a l'homme de percevoir des régularités dans la nature, et son incapacité à s'en défaire quelles que nombreuses que soient les déceptions. A partir de là je voyais une sorte de cohérence Popper/Gehlen sur le rôle des institutions dans la stabilisation de ce qui, dans la constitution biologique de l'homme, reste "ouvert" (son comportement exploratoire). On peut trouver quelque confirmation de cet esprit dans Conjectures and Refutations (le chapitre consacré à la tradition, qui explique que le libéralisme est une pensée évolutionnaire, pas révolutionnaire). Mon argument est que cette interprétation ultraconservatrice est plus cohérente que le progressisme de Open Society, puisqu'à mon avis, celui-ci est en fait in fine utopique (modeler la discussion publique et l'espace public sur la discussion et le débat scientifique) et totalitaire (le sophisme du piecemeal social engineering). Après, j'admets que le scepticisme de Gehlen sur les vertus de la discussion rationnelle est si radical qu'il ne peut être réconcilié avec Popper. Needless to say, je suis du côté de Gehlen.

 

D'ailleurs quand je lis ce bouquin (peut-être le meilleur de Popper avec celui que je citais juste avant), j'ai une énorme @Rincevent vibe

Citation

Institutions alone are never sufficient if not tempered by traditions. Institutions are always ambivalent in the sense that, in the absence of a strong tradition, they also may serve the opposite purpose to the one intended. For example, a parliamentary opposition is, roughly speaking, supposed to prevent the majority from stealing the taxpayer's money. But I well remember an affair in a south-eastern European country which illustrates the ambivalence of this institution. There, the opposition shared the spoils with the majority. To sum up: Traditions are needed to form a kind of link between institutions and the intentions and valuations of individual men. (6) A Liberal Utopia--that is, a state rationally designed on a traditionless tabula rasa--is an impossibility. For the Liberal principle demands that the limitations to the freedom of each which are made necessary by social life should be minimized and equalized as much as possible (Kant). But how can we apply such an a priori principle in real life? Should we prevent a pianist from practising, or prevent his neighbour from enjoying a quiet afternoon? All such problems can be solved in practice only by an appeal to existing traditions and customs and to a traditional sense of justice; to common law, as it is called in Britain, and to an impartial judge's appreciation of equity. All laws, being universal principles, have to be interpreted in order to be applied; and an interpretation needs some principles of concrete practice, which can be supplied only by a living tradition. And this holds more especially for the highly abstract and universal principles of Liberalism.

 

  • Yea 1
Lien vers le commentaire
il y a une heure, Vilfredo a dit :

j'ai une énorme @Rincevent vibe

Heuuuuu, dit comme ça, ça a l'air un peu louche, mais après lecture du passage que tu cites je me sens plutôt flatté. :)

Lien vers le commentaire
Le 19/03/2022 à 05:56, Mégille a dit :

J

Et il n'est pas clair qu'il ait cru possible de transformer un régime préexistant en un régime idéal. Dans la Rép, on a une théorie du déclin, mais aucune théorie du retour en arrière. Dans le politique, il faut littéralement qu'une intervention divine retourne les lois de la nature pour que l'on espère revenir à un état proche de l'idéal, et dans les Lois, on a un programme pour créer une nouvelle cité à partir de rien, et toutes ses institutions ont pour vocation à empêcher son changement, étant donné que celui-ci ne pourrait être qu'un déclin.

Ca fait une autre grosse différence entre les utopies platoniciennes et les totalitarismes historiques : ceux là étaient des mouvements vers un futur fantasmé, alors que le fantasme politique de Platon n'est projeté que dans le passé pour permettre de juger le présent. Toute tentative de faire advenir quoi que ce soit de neuf, en particulier de la part d'un guide charismatique, semble condamner à tirer le monde vers la tyrannie.

 

 


C’est très juste. 

Lien vers le commentaire

Créer un compte ou se connecter pour commenter

Vous devez être membre afin de pouvoir déposer un commentaire

Créer un compte

Créez un compte sur notre communauté. C’est facile !

Créer un nouveau compte

Se connecter

Vous avez déjà un compte ? Connectez-vous ici.

Connectez-vous maintenant
×
×
  • Créer...