Aller au contenu

L'origine Du Libéralisme Et De L'individualisme


Messages recommandés

Les libéraux (en particulier les libéraux conservateurs) sont souvent méfiants vis à vis des projets politiques "nouveaux", indépendants de toute expérience.
Pourtant le libéralisme et l'individualisme étant le fruit de la philosophie moderne, ils semblent être apparus relativement récemment.
 
C'est ce qui m'a frappé après la lecture de plusieurs ouvrages : L'inexistence de l'individualisme avant les modernes.
 
Dans De la liberté des Anciens comparée à celles des Modernes, Benjamin Constant explique qu'au fond la liberté individuelle est une invention moderne. Que c'est la modernité qui a différencié la liberté et le pouvoir. Auparavant, la liberté était comprise comme un pouvoir de décision au sein de la communauté. 
 
Dans les ouvrages de Villey et de Sériaux sur le Droit naturel, on retrouve un peu ce genre de problématique : l'opposition entre individualisme et holisme :

 

Dans la conception classique, la loi et le droit participent de ce que l'on peut appeler une vision holiste de la société. Le droit y est en effet conçu comme un principe d'harmonisation d'une pluralité de personnes dans leurs multiples rapports mutuels. Dans la conception moderne, au contraire, la loi et le droit sont des commandements adressés à des individus singuliers. La recherche d'un ajustement harmonieux entre les membres du corps social passe au second plan. Cette harmonie ne sera que le résultat éventuel découlant du fait que chacun des membres du corps social obéit aux injonctions qui lui sont adressées par les pouvoirs publics. La conception moderne de la loi et du droit est donc fondamentalement individualiste. Elle aboutit à l'atomisation de la société. Ainsi apparaît le lien intime qui unit le droit comme règle de conduite obligatoire (loi) à l'avènement du droit comme prérogative subjective.

 

C'est d'ailleurs à ce titre que Villey est critique vis à vis de la notion individualiste de "droit de l'homme"...
 
Dans l'Empire du moindre mal, c'est au fond cette critique qui traverse tout l'ouvrage de Michéa :
 

La doctrine libérale n'est pas apparue dans l'Histoire comme un coup de tonnerre dans un ciel serein. La logique qui en commande les réponses ne prend, en réalité, tout son sens qu'une fois réinscrite à l'intérieur du projet occidental moderne et des questions qui le définissent. Le libéralisme, en effet, n'est pas seulement inséparable de ce projet. Il en constitue, à vrai dire, le seul développement théorique cohérent puisqu'à la différence, par exemple, de l'idéal républicain — qui continue d'accorder une place importante aux vertus antiques — ou encore du socialisme originel — qui maintient une référence essentielle aux idées de morale et de communauté — il n'entend emprunter aucune de ses articulations majeures aux traditions philosophiques antérieures. Contrairement à l'idée absurde, mais particulièrement répandue à gauche, selon laquelle les politiques libérales seraient par essence « conservatrices » ou « réactionnaires » (classifications qui remontent d'ailleurs en grande partie, ironie de l'Histoire, à Benjamin Constant), il convient de voir dans le libéralisme l'idéologie moderne par excellence. Il est donc indispensable, si l'on veut en exposer la logique, de revenir brièvement sur les sources du projet moderne lui-même.

 

 
Comment et pourquoi le libéralisme, l'individualisme (ou la philosophie moderne en général) sont-ils apparus ? Pourquoi n'en trouve t-on pas vraiment de théories avant ? Comment est-on passé de la guerre au commerce ?
Ne serait-il pas simpliste de dire que toutes les sociétés avant la modernité étaient mauvaises ? Ou bien, peut-on parler de progrès moral ? (Car sinon, en quoi cette évolution vers la modernité serait-elle justifiée ?) Constant lui, n'hésite pas à employer ce mot.
Lien vers le commentaire

Comment et pourquoi le libéralisme, l'individualisme (ou la philosophie moderne en général) sont-ils apparus ? Pourquoi n'en trouve t-on pas vraiment de théories avant ? Comment est-on passé de la guerre au commerce ?

Si tu trouves les réponses ça m'intéresse aussi. ;)

 

Ne serait-il pas simpliste de dire que toutes les sociétés avant la modernité étaient mauvaises ? Ou bien, peut-on parler de progrès moral ? (Car sinon, en quoi cette évolution vers la modernité serait-elle justifiée ?) Constant lui, n'hésite pas à employer ce mot.

La morale est ce qui permet de juger ce qui est bien et ce qui est mal. La morale est culturelle donc dépendante du lieu et de l'époque. On ne peut pas juger d'une morale avec une autre morale. On peut juger une culture et sa morale sur des critères non moraux. Par exemple l'individualisme favorise le développement économique, c'est un fait, sachant que le jugement de si le développement économique est une bonne ou une mauvaise chose dépend de la culture (si si).

 

 

Et question subsidiaire : Peut-on juger la modernité et ses mérites sans passer par les biais de la modernité ?

Pour juger la modernité, il faut s'écarter de la modernité. Étudier le passé ou bien - parce que la modernité est occidentale - s'éloigner de l'Occident. Oui c'est possible. Mais alors on s'aperçoit que la société occidentale moderne est délirante et ça rend conservateur.

Lien vers le commentaire
Comment et pourquoi le libéralisme, l'individualisme (ou la philosophie moderne en général) sont-ils apparus ? Pourquoi n'en trouve t-on pas vraiment de théories avant ? Comment est-on passé de la guerre au commerce ?

 

J'ai lu récemment un résumé de Les origines du capitalisme de Jean Baechler. Je ne l'ai pas (encore) lu mais il répond sans doute à tes questions. Il insiste apparemment beaucoup sur l'émergence de Cités-Etats en Europe pendant la Renaissance.

http://www.wikiberal.org/wiki/Jean_B%C3%A6chler

 

Lien vers le commentaire

Le texte de Constant est intéressant en ce qu’il distingue deux conceptions opposées de la liberté. En revanche, je ne suis pas certain que chacune de ces conceptions appartienne en propre à une époque bien déterminée, à l’Antiquité ou à la modernité. Selon Hayek, s’il est vrai que Sparte répondait à la conception « ancienne », Athènes, en revanche, était proche de la conception « moderne ».

 

Par ailleurs, je pense qu’il est excessif de dire que le libéralisme serait une idée et une réalité neuves. Là où deux hommes échangent le fruit de leur travail, il y a du libéralisme. Ce n’est pas parce que l’attention des historiens et chroniqueurs se focalise sur les rois et l’action politique que les marchands et le commerce n’existent pas et n’occupent pas une place essentielle.

 

De même, je doute sincèrement qu’il n’y ait pas eu de théorie de la liberté antérieurement à la période moderne. Je laisse aux érudits de ce forum le soin de citer les textes des Grecs, des Romains et des Pères de l’Eglise qui s’y rapportent.

 

Il faut aussi se rappeler que, avant l’invention de l’imprimerie, la reproduction d’un livre demandait un travail considérable. Il fallait donc choisir avec soin les œuvres à recopier. Ce choix était d’autant plus important qu’il se posait fréquemment, la durée de conservation des livres étant assez réduite.

 

Par conséquent, les œuvres qui ne revêtaient pas d’intérêt aux yeux des copistes, ou qui n’allaient pas dans le sens de leurs idées, étaient vouées à la disparition. C’est du moins la thèse que Popper que soutient pour expliquer que si peu des grands textes libéraux nous soient parvenus. 

Lien vers le commentaire

Ah, le cas Villey… Je ne suis pas en mesure de juger son travail de romaniste, ni celui d’historien de la pensée, mais l'appréciation qu’il porte sur la modernité et l’individualisme me semble absurde.

 

L’opposition entre holisme et individualisme est effectivement fondamentale… Mais comment Villey peut-il affirmer que c’est pour l’école individualiste que le droit serait fait de commandements et d’injonctions ? C’est exactement l’inverse ! C'est la conception holiste qui veut ça !

 

Sa critique des droits de l’homme m’a également beaucoup déçu. Il a traité le sujet en un bloc, sans même opérer la distinction élémentaire entre droits de première et de seconde génération ! L’une relève pourtant de l’individualisme, et l’autre, de la logique holiste

 

Je termine en citant un extrait d’un de ses livres où Villey semble se déclarer partisan des droits de l’homme de première génération :

 

Nous lui reconnaîtrons [à ce droit] deux qualités fort importantes, et d’ailleurs solidaires. En premier lieu, il reconnaît et favorise la liberté, la véritable liberté, celle qui consiste, pour chaque père de famille […], à posséder une sphère d’activité indépendante ; [l’individu] est seul responsable de la façon dont il exerce ses droits sur sa propriété, sur sa famille. L’Etat lui reconnaît sans réserve et sans nuance sa zone propre d’autonomie dont il use à sa guise, en homme indépendant et libre. Sauf la contrainte de la morale, des mœurs, de l’opinion publiques : mais ces contraintes non juridiques, extérieures au domaine judiciaire, ne visent guère que son honneur et respectent en somme sa liberté.

 

Aux prérogatives du pater familias près, on serait exactement dans la logique droit-de-l’hommiste individualiste, celle de 1789. Seul problème : l’extrait cité a trait à l’ancien droit romain. Villey n’a pas vu qu’il louait et critiquait une seule et même chose sous des noms différents. 

Lien vers le commentaire

Par ailleurs, je pense qu’il est excessif de dire que le libéralisme serait une idée et une réalité neuves. Là où deux hommes échangent le fruit de leur travail, il y a du libéralisme.

Pas seulement. Les libéraux s'opposaient au pouvoir féodal.

Que des penseurs de temps anciens aient eut des pensées libérales on peut le concevoir. Gio a raison de soulever le biais introduit par la modernité, c'est-à-dire par une société influencée par les idéaux libéraux. Le monde moderne est inédit avec ses administrations et autres assurances qui rendent obsolète la solidarité familiale. Jamais nulle part cela s'était produit et c'est en passe de devenir la norme à l'échelle de la planète. La manière moderne de vivre est devenue un sous-jacent à notre compréhension des idées modernes et ce sous-jacent est une "réalité neuve".

Lien vers le commentaire

Ce que Villey reprochaient aux Droits de l'Homme c'est le fait que ses créateurs n'avaient pas compris que un droit n'existe que dans la relation entre deux personnalités juridiques. On ne peut pas concevoir le droit en dehors de la société et de la relation entre les personnes. Je suis seul sur mon île ben mon droit à la vie est inexistant.

 

 

Sur l'individualisme, à partir du moment où le Christianisme invite chaque homme a chercher son salut personnellement et où la Religion est séparée du Temporelle je pense que l'on peut dès lors considérer que l'individualisme est né.

Lien vers le commentaire

Ce que Villey reprochaient aux Droits de l'Homme c'est le fait que ses créateurs n'avaient pas compris que un droit n'existe que dans la relation entre deux personnalités juridiques. On ne peut pas concevoir le droit en dehors de la société et de la relation entre les personnes. Je suis seul sur mon île ben mon droit à la vie est inexistant.

 

Voilà. D'ailleurs la perspective de Villey immunise contre pas mal de tentations progressistes (au pif, les "droits des animaux").

  • Yea 1
Lien vers le commentaire

Par exemple l'individualisme favorise le développement économique, c'est un fait, sachant que le jugement de si le développement économique est une bonne ou une mauvaise chose dépend de la culture (si si).

 

Si la culture de la société concernée ne valorise pas le développement économique (ex: les individus préfèrent jouer, fumer ou se reposer dès qu'ils ont satisfait à leurs besoins physiologiques), il n'y a pas de raison particulière pour que l'individualisme favorise la production matérielle. 

 

Gio a raison de soulever le biais introduit par la modernité, c'est-à-dire par une société influencée par les idéaux libéraux. Le monde moderne est inédit avec ses administrations et autres assurances qui rendent obsolète la solidarité familiale.

 

Les institutions qui tendent à ruiner la solidarité familiale sont bien loin d'être d'essence libérale de nos jours. 

Lien vers le commentaire

Si la culture de la société concernée ne valorise pas le développement économique (ex: les individus préfèrent jouer, fumer ou se reposer dès qu'ils ont satisfait à leurs besoins physiologiques), il n'y a pas de raison particulière pour que l'individualisme favorise la production matérielle. 

 

 

Les institutions qui tendent à ruiner la solidarité familiale sont bien loin d'être d'essence libérale de nos jours. 

 

+1 à tout ce post et en fait à toutes les contributions de Raoul sur ce fil (fort intéressant au demeurant).

Lien vers le commentaire

Ce que Villey reprochaient aux Droits de l'Homme c'est le fait que ses créateurs n'avaient pas compris que un droit n'existe que dans la relation entre deux personnalités juridiques. On ne peut pas concevoir le droit en dehors de la société et de la relation entre les personnes. Je suis seul sur mon île ben mon droit à la vie est inexistant.

 

Que le Droit n'ait de sens que dans le cadre des relations sociales, c'est évident, mais l'on n'a pas attendu Villey pour le savoir, et je ne vois pas ce qui vous fait dire que les créateurs des différentes chartes de droits de l'homme l'auraient ignoré. 

 

Les DH de première génération visaient à limiter les pouvoirs de l'Etat : ils supposaient donc l'existence de ce dernier. 

 

Les DH de deuxième et troisième génération visent à accorder des créances ou à rendre indisponibles certains droits (ex : droit de grève) : ils supposent donc l'existence de débiteurs ou (pour ce qui est des droits rendus indisponibles) de partenaires contractuels.

 

Mes deux seuls points d'accord avec Villey sur cette question sont 1° que les DH de première génération diffèrent de ce que l'on appelait jusqu'alors des "droits" et 2° que les DH des générations suivantes sont un mal. 

Modifié par Raoul.
Lien vers le commentaire

Sur l'individualisme, à partir du moment où le Christianisme invite chaque homme a chercher son salut personnellement et où la Religion est séparée du Temporelle je pense que l'on peut dès lors considérer que l'individualisme est né.

Dans sa version catholique, la séparation du spirituel et du temporel n'empêche pas la vision très communautaire au sein du catholicisme - on est dans l'Eglise. 

 

Il y a là un progrès vers l'individualisme, mais dire qu'il naît là me paraît un peu court. A la limite la Réforme me paraît plus proche de l'individualisme.

Lien vers le commentaire

Sur l'individualisme, à partir du moment où le Christianisme invite chaque homme a chercher son salut personnellement et où la Religion est séparée du Temporelle je pense que l'on peut dès lors considérer que l'individualisme est né.

 

L'importance de la séparation du Spirituel et du Temporel me paraît difficile à analyser, mais l'exigence d'un salut personnel représente clairement à mes yeux un grand pas dans la direction de l'individualisme (même si le christianisme n'est pas la seule religion à avoir fait ce pas). 

 

Pour reprendre un intéressant témoignage cité par Guillaumat :

 

"L’éthique du christianisme est une norme de salut personnel, c’est-à-dire d’égoïsme… le christianisme place le moi au centre de la pensée. Pour sa part, une éthique völkisch allemande éduque les hommes pour faire que ce soit le peuple le centre de leur pensée".

 

Professor Ernst Bergman, intellectuel nazi.

 

 

Lien vers le commentaire

Si la culture de la société concernée ne valorise pas le développement économique (ex: les individus préfèrent jouer, fumer ou se reposer dès qu'ils ont satisfait à leurs besoins physiologiques), il n'y a pas de raison particulière pour que l'individualisme favorise la production matérielle. 

Si je résume l'argument, des individus culturellement paresseux, laissés à eux-même par l'individualisme, ne produiraient rien. Sauf que l'assertion est basée sur rien. Tu serais probablement en peine de me citer un exemple de culture qui aurait valorisé "jouer, fumer ou se reposer" (je passe sur le mépris des autres manières de penser) mais bref.

Tu sous-entends que l'opiniatreté dans le labeur engendrerait le développement économique. La paresse n'était pas l'élément bloquant dans les sociétés non modernes.

 

Les institutions qui tendent à ruiner la solidarité familiale sont bien loin d'être d'essence libérale de nos jours. 

Elles sont directement issues des idéaux libéraux. Mieux : elles maintiennent par la force l'individualisme occidental.

Lien vers le commentaire

Sauf que l'assertion est basée sur rien. Tu serais probablement en peine de me citer un exemple de culture qui aurait valorisé "jouer, fumer ou se reposer" (je passe sur le mépris des autres manières de penser) mais bref.

 

Je suis désolé, mais je n'ai absolument pas besoin de vous citer des cas concrets. Vous avez évoqué l'existence de cultures pour lesquelles le développement économique serait un mal. Personnellement je doute qu'il y en ait beaucoup. Néanmoins, je n'ai pas contesté cette hypothèse (que j'ai essayé de détailler en parlant des peuples qui préféreraient jouer, etc) pour me focaliser sur les conséquences qui en découlent.

 

A vrai dire, j'ai même du mal à voir ce que vous contestez ici. Par définition, si 1° un individu (ou un peuple) place les richesses matérielles en bas de son échelle de valeur, et 2° qu'il lui est donné pleine liberté de se comporter comme il l'entend, cet individu travaillera peu à produire des richesses matérielles (Cela n'implique aucun "mépris" de ma part).

 

Tu sous-entends que l'opiniatreté dans le labeur engendrerait le développement économique. La paresse n'était pas l'élément bloquant dans les sociétés non modernes.

 

Je n'ai jamais dit le contraire. Sans individualisme, i.e., sans liberté, le travail est peu productif. En revanche, l'absence de liberté favorise la paresse. 

 

 Elles sont directement issues des idéaux libéraux. Mieux : elles maintiennent par la force l'individualisme occidental.

 

La Sécu ???

Lien vers le commentaire

Il est important de distinguer le bon et le mauvais individualisme.

 

L'individu isolé dans la foule du troupeau anonyme, vulnérable au contrôle social, ou l'individu Festivus demandeur d'hédonisme sécuritaire et de droits nouveaux, sont plus malléables dans les mains d'un gouvernement débordant de la sphère politique pour discipliner la sphère privée.

Lien vers le commentaire

Il est important de distinguer le bon et le mauvais individualisme.

 

L'individu isolé dans la foule du troupeau anonyme, vulnérable au contrôle social, ou l'individu Festivus demandeur d'hédonisme sécuritaire et de droits nouveaux, sont plus malléables dans les mains d'un gouvernement débordant de la sphère politique pour discipliner la sphère privée.

 

Je vais faire le même commentaire que pour le texte de Constant : l'article de Hayek a le mérite d'isoler deux courants de pensée (quoique je ne pense pas qu'il soit légitime de regrouper les deux sous le terme d'"individualisme" - Le vrai et le faux individualisme aurait constitué un meilleur titre selon moi), mais il fait fausse route quand il attribue le "bon" aux pays anglo-saxons et le "mauvais" aux pays continentaux. De nos jours, les économistes autrichiens ont d'ailleurs tendance à se revendiquer davantage du libéralisme français. 

 

Edit : en fait, le titre exact est bien Vrai et faux individualisme...

Modifié par Raoul.
Lien vers le commentaire

Je vais faire le même commentaire que pour le texte de Constant : l'article de Hayek a le mérite d'isoler deux courants de pensée (quoique je ne pense pas qu'il soit légitime de regrouper les deux sous le terme d'"individualisme" - Le vrai et le faux individualisme aurait constitué un meilleur titre selon moi), mais il fait fausse route quand il attribue le "bon" aux pays anglo-saxons et le "mauvais" aux pays continentaux. De nos jours, les économistes autrichiens ont d'ailleurs tendance à se revendiquer davantage du libéralisme français. 

 

J'ai remplacé vrai et faux par bon et mauvais à dessin. La distinction est féconde mais la généalogie de Hayek est douteuse. Je suis pleinement d'accord avec ta remarque, pour l'avoir formulée dans les mêmes termes lors d'une récente discussion avec F.mas. Et pour cause, pris dans sa critique du rationalisme, Hayek surestime le pouvoir d'influence cartésien à qui il prête l'origine des dérives néo-libérales sur la pente de la présomption fatale. Mais il s'agit d'un Descartes en partie fantasmé, si l'on relit attentivement le Discours de la méthode. Dans le même mouvement il sous-évalue l'importance du libéralisme anglo-saxon, surtout l'utilitarisme de Bentham et Mill, si l'on considère l'augmentation hygiéniste de l'Etat thérapeutique contemporain au moyen du contrôle social des individus.

Lien vers le commentaire

Mais il s'agit d'un Descartes en partie fantasmé, si l'on relit attentivement le Discours de la méthode.

C'est intéressant ça, tu peux en dire plus ? Personnellement, j'ai toujours considéré le Discours de la méthode comme un essai particulièrement vicié.

Lien vers le commentaire

Je suis désolé, mais je n'ai absolument pas besoin de vous citer des cas concrets. Vous avez évoqué l'existence de cultures pour lesquelles le développement économique serait un mal. Personnellement je doute qu'il y en ait beaucoup. Néanmoins, je n'ai pas contesté cette hypothèse (que j'ai essayé de détailler en parlant des peuples qui préféreraient jouer, etc) pour me focaliser sur les conséquences qui en découlent.

 

A vrai dire, j'ai même du mal à voir ce que vous contestez ici. Par définition, si 1° un individu (ou un peuple) place les richesses matérielles en bas de son échelle de valeur, et 2° qu'il lui est donné pleine liberté de se comporter comme il l'entend, cet individu travaillera peu à produire des richesses matérielles (Cela n'implique aucun "mépris" de ma part).

La richesse est presque partout une valeur positive. Lorsque je parlais de développement économique j'incluais le bouleversement continu de l'ordre établi, une chose qui était partout une valeur négative.

 

Je n'ai jamais dit le contraire. Sans individualisme, i.e., sans liberté, le travail est peu productif. En revanche, l'absence de liberté favorise la paresse. 

L'axe n'est pas productivité / paresse. Il est innovation / ordre établi. 

 

 

La Sécu ???

La sécurité sociale a précisément pour but de rendre l'individu indépendant de sa famille. Elle est un avatar des idées individualistes. Et la plupart des libéraux contemporains qui aimeraient la voir disparaitre ne seraient pas prêts à rebasculer dans une société où les familles seraient plus fortes. Ils s'imaginent gratuitement le même contexte qu'aujourd'hui mais avec des assurances privées à la place du public.

Lien vers le commentaire

Le texte de Constant est intéressant en ce qu’il distingue deux conceptions opposées de la liberté. En revanche, je ne suis pas certain que chacune de ces conceptions appartienne en propre à une époque bien déterminée, à l’Antiquité ou à la modernité. Selon Hayek, s’il est vrai que Sparte répondait à la conception « ancienne », Athènes, en revanche, était proche de la conception « moderne ».

Constant conteste justement dans son texte le fait qu'Athènes soit une exception :

 

"Je vous ai dit, Messieurs, que je vous reparlerais d’Athènes, dont on pourrait opposer l’exemple à quelques-unes de mes assertions, et dont l’exemple, au contraire, va les confirmer toutes.
(...)
A Lacédémone, dit un philosophe, les citoyens accourent lorsque le magistrat les appelle ; mais un Athénien serait au désespoir qu’on le crût dépendant d’un magistrat. Cependant, comme plusieurs des autres circonstances qui décidaient du caractère des nations anciennes existaient aussi a Athènes ; comme il y avait une population esclave, et que le territoire était fort reserré, nous y trouvons des vestiges de la liberté propre aux anciens. Le peuple fait les lois, examine la conduite des magistrats, somme Périclès de rendre ses comptes, condamne à mort les généraux qui avaient commandé au combat des Arginuses. En même temps, l’ostracisme, arbitraire légal et vanté par tous les législateurs de l’époque ; l’ostracisme, qui nous paraît et doit nous paraître une révoltante iniquité, prouve que l’individu était encore bien plus asservi à la suprématie du corps social à Athènes, qu’il ne l’est de nos jours dans aucun état libre de l’Europe.
(...)
L’ostracisme d’Athènes reposait sur l’hypothèse que la société a toute autorité sur ses membres. Dans cette hypothèse, il pouvait se justifier, et dans un petit état, où l’influence d’un individu fort de son crédit, de sa clientelle, de sa gloire, balançait souvent la puissance de la masse, l’ostracisme pouvait avoir une apparence d’utilité. Mais parmi nous, les individus ont des droits que la société doit respecter, et l’influence individuelle est, comme je l’ai déjà observé, tellement perdue dans une multitude d’influences égales ou supérieures, que toute vexation, motivée sur la nécessité de diminuer cette influence, est inutile et par conséquent injuste."
 

Par ailleurs, je pense qu’il est excessif de dire que le libéralisme serait une idée et une réalité neuves. Là où deux hommes échangent le fruit de leur travail, il y a du libéralisme. Ce n’est pas parce que l’attention des historiens et chroniqueurs se focalise sur les rois et l’action politique que les marchands et le commerce n’existent pas et n’occupent pas une place essentielle.

Cette vision du libéralisme me semble bien insuffisante et superficielle. Si on comprend le libéralisme comme étant la théorie des limites du pouvoir de l'État afin de respecter les droits des individus, il ne suffit pas qu'il y ait du commerce pour qu'il y ait du libéralisme. Ce serait une conception bien superficielle. Ou alors toutes les sociétés du monde (à part les soviétiques, et encore) ont toujours été libérales...et la philosophie politique qu'est le libéralisme n'a pas beaucoup de sens.

 
Il me semble bien que le libéralisme et l'individualisme sont des théories assez neuves, qui caractérisent précisément la philosophie moderne. Ce que je cherche à savoir, c'est comment et pourquoi la rupture s'est opérée.

 

De même, je doute sincèrement qu’il n’y ait pas eu de théorie de la liberté antérieurement à la période moderne. Je laisse aux érudits de ce forum le soin de citer les textes des Grecs, des Romains et des Pères de l’Eglise qui s’y rapportent.

Je serais intéressé en effet de trouver des textes antérieures à la période qui puissent s'apparenter au libéralisme. J'avais d'ailleurs déjà fait moi-même une proposition.
Mais quand bien même on trouverait quelques textes avec des traces d'une théorie qui ressemblerait un peu au libéralisme, comment se fait-il qu'il ait fallu attendre la modernité pour que les idées d'individualisme ou de liberté individuelle ait fait leur chemin ?

 

L’opposition entre holisme et individualisme est effectivement fondamentale… Mais comment Villey peut-il affirmer que c’est pour l’école individualiste que le droit serait fait de commandements et d’injonctions ? C’est exactement l’inverse ! C'est la conception holiste qui veut ça !

L'extrait que j'ai cité n'était pas de Michel Villey, mais d'Alain Sériaux. (Dans le Que sais-je sur le Droit naturel.) Ceci dit, il marche dans les pas de Villey.

Il montre clairement dans cet ouvrage l'évolution du sens du droit. Pour les Anciens, le droit était la règle ou la mesure permettant d'ajuster deux ou plusieurs personnes en relation d'altérité. Pour les Modernes au contraire, il s'agit d'une contrainte, d'un pouvoir, d'une faculté morale ou d'une liberté de l'individu.

Je ne vais pas recopier tout le livre, mais si tu le trouve, je te conseille de lire le chapitre sur le DN moderne, où il explique de façon convaincante (nombreux exemples à  l'appui) en quoi c'est bien la conception moderne et individualiste qui est basée sur l'impératif et la contrainte.

Les mots changent de sens : la règle devient ce qu'il faut faire ou ne pas faire pour être dans la norme, c'est-à-dire un impératif assorti de sanctions. Le terme de mesure acquiert lui-même la valeur d'un impératif, comme lorsqu'on "prend des mesures". Ordre devient synonyme de commandement alors chez chez les Anciens il avait le sens d'un agencement correct des choses ou des personnes entre elles.

 

Sur l'individualisme, à partir du moment où le Christianisme invite chaque homme a chercher son salut personnellement et où la Religion est séparée du Temporelle je pense que l'on peut dès lors considérer que l'individualisme est né.

Mais pas forcément la liberté individuelle au sens de la philosophie politique.

Lien vers le commentaire

Et dans le texte de Hayek "vrai et faux individualisme", on se cantonne toujours à la modernité dans les deux cas. Il me semble qu'on ne trouve dans ce texte aucune référence pré-moderne.

Lien vers le commentaire

 

Les libéraux (en particulier les libéraux conservateurs) sont souvent méfiants vis à vis des projets politiques "nouveaux", indépendants de toute expérience.
(...)
C'est ce qui m'a frappé après la lecture de plusieurs ouvrages : L'inexistence de l'individualisme avant les modernes.
(...)
Dans les ouvrages de Villey et de Sériaux sur le Droit naturel, on retrouve un peu ce genre de problématique : l'opposition entre individualisme et holisme :

(...)

Dans l'Empire du moindre mal, c'est au fond cette critique qui traverse tout l'ouvrage de Michéa : (...)
 
Comment et pourquoi le libéralisme, l'individualisme (ou la philosophie moderne en général) sont-ils apparus ? Pourquoi n'en trouve t-on pas vraiment de théories avant ? Comment est-on passé de la guerre au commerce ?
Ne serait-il pas simpliste de dire que toutes les sociétés avant la modernité étaient mauvaises ? Ou bien, peut-on parler de progrès moral ? (Car sinon, en quoi cette évolution vers la modernité serait-elle justifiée ?) Constant lui, n'hésite pas à employer ce mot.

 

 

Le terme "conservateur" a décidément autant de sens que la France comporte de fromages. J'en relève au moins ici deux, à savoir la catégorie de personnes qui se méfie des idées qui n'ont jamais été expérimentées, et la critique épistémologique de Villey portant sur la subjectivation moderne du droit (qui le fait glisser subrepticement vers la morale). Bien entendu, rien n'indique que Villey soit conservateur au premier sens du terme, et que le premier sens posé embrasse la position de Villey. 

 

Plutôt que conservatrice, la critique de Villey, tout comme celle d'un Strauss, est antimoderne. Son propos n'est pas de renâcler devant une science politique moderne qui s'est de toute façon imposée depuis plus de cinq siècles, mais de souligner qu'elle ne permet pas de comprendre ce qu'est le droit, et que sur bien des points elle est inconsistante. Pour juger de cette inconsistance, il faut un point de comparaison, que Strauss comme Villey retrouvent chez Aristote (+ Platon pour Strauss, + St Thomas pour Villey).

 

Pour Strauss, que je connais mieux que Villey, le retour à l'épistémologie classique est un bon moyen de mettre en perspective ce qu'il y a de commun à toute la science politique moderne, de Machiavel à celle d'aujourd'hui, et de la juger comme un échec global, ou une suite de théorisations et d'échecs jusqu'à la quasi disparition contemporaine de la discipline. Villey était catholique, antimoderne et thomasien, Strauss "libéral ancien" et acceptait du bout des lèvres le libéralisme lockien comme participant de l'esprit du constitutionnalisme américain, qu'il a plusieurs fois défendu. Villey rejette totalement la modernité en politique, Strauss l'accepte en pratique. On pourrait ajouter à Villey et Strauss la critique de McIntyre, qui voit dans l'esprit des Lumières l'échec d'un projet, celui de construire une morale rationnelle déliée des autorités politiques et religieuses traditionnelles. Mais McIntyre n'est pas réellement conservateur, c'est même un ex marxiste.

 

Maintenant, il existe des "conservateurs" ou étiquetés comme tels qui acceptent la Modernité, c'est à dire ne rejettent pas la science politique qui s'est construite après Machiavel et Hobbes. J'en vois au moins deux : Schmitt et Oakeshott, qui partagent le même attachement pour la philosophie politique de Thomas Hobbes. L'un est un antilibéral de choc, l'autre un quasi-libertarien. Parmi tous les auteurs que j'ai cité, il est le seul à se qualifier lui-même de conservateur. En règle générale, les autres sont qualifiés de "conservateurs" par les commentateurs et les adversaires. On manque de critère qui fasse autorité pour juger de ce qui a en commun à tous ces conservateurs.

 

Pour faire plus court, et après cet aparté, il serait bon je pense de laisser tomber le terme "conservateur" histoire d'aller plus rapidement au coeur du sujet :) Ou alors de ne pas trop lui accorder d'importance.

 

Il me semble difficile de séparer radicalement la théorisation politique de son expérience, c'est à dire des conditions sociales, historiques et lexicales qui ont permis sa formation. Il y a comme un aller-retour permanent entre pratique et théorique, et se demander si l'un est premier par rapport à l'autre est comparable à la question portant sur l'antériorité de la poule ou de l'oeuf. Le contexte forme l'humus du discours commun, et du discours commun naît la théorie (la réflexion critique sur le discours) qui elle-même tend à s'autonomiser pour peser sur le contexte (la réflexion "pour elle-même" en gros). Sans doute est-ce lié au caractère de l'activité politique elle-même, qui cherche à mettre des mots sur une situation contingente pour tenter d'en maîtriser la destinée (ou d'en limiter le caractère aléatoire).

 

Dire donc de l'individualisme qu'il apparaît avec la modernité suppose donc d'apporter quelques précisions. S'il se définit en s'opposant au "holisme" de la période précédente, alors il faut bien préciser que ce qu'il y a de nouveau dans cet "individualisme" en politique et en science politique. On parle d'individualisme parce que les conditions sociales et politiques ont changé, et que le changement a ouvert la voie à de nouvelles représentations de l'activité de gouvernement et même du gouvernement de soi. Locke ou Rousseau n'auraient pas pu écrire au Xe siècle, et si d'aventure il existait des théoriciens comparables, ils n'auraient eu aucun écho (enfin sur le moment).

 

Oakeshott, qui n'est pas seulement philosophe mais aussi historien, estime que l'individuation de la politique (la constitution des conditions sociales et morales nécessaires à la constitution des discours individualistes) apparaît vers le 15ème siècle. Cela correspond en gros à l'émergence des Etats, et donc en science politique à la dissociation entre Etat et société : d'un côté la soumission à une autorité politique, de l'autre l'émergence d'une sphère dans laquelle les individus sont libres de commercer au sens large, c'est-à-dire d'échanger et d'interagir sans le deux ex machina politique.

 

D'un côté subordination et hiérarchie, de l'autre relative liberté et relative égalité (formelle) entre les individus. C'est à ce moment que la dynamique capitaliste se met en place d'après Baechler, comme l'a rappelé très opportunément un forumeur. L'apparition des villes, des cités commerciales musclent un peu les sociétés civiles et les relations de commerce, ce qui augmente la plausibilité des discours naturalisant son existence et les dispositions individuelles nécessaires à son bon fonctionnement (plausibilité aux sein des élites essentiellement). La queue de comète de cette prise de conscience des modes de fonctionnement de la société civile, c'est la naissance de la sociologie et de l'économie comme disciplines autonomes à côté de la philosophie et de la science politique. Apparaissent aussi au même moment ce que Oakeshott appelle les "morales de l'individualité", ces idiomes éthiques qui font du Sujet autonome son acteur principal (par opposition aux idéologies collectivistes de l'"individu manqué"). L'enrichissement des villes, l'émergence de la bourgeoisie et de son éthique, le quadrillage progressif de l'offre politique par les Etats nations (et donc l'autonomisation de la société) sont à mon avis les grandes lignes qui expliquent l'émergence d'une expérience de l'individualisme, puis sa théorisation première au 18eme à travers les différents écrits des libéraux et protolibéraux. 

 

Nous ne sommes pas passés de la guerre au commerce, les deux continuent de coexister, hélas. Les guerres modernes n'ont rien à envier à celles antérieures.

 

Maintenant, les sociétés modernes sont-elles supérieures à celles prémodernes ? Ca dépend sur quel plan, je ne pense pas qu'on puisse faire de réponse univoque : n'étant pas progressiste (quel avenir radieux tout tracé ?), ni conservateur (conserver quoi exactement ?), je ne crois pas que ce qui précède le monde moderne soit de l'ordre de l'enfance de l'humanité, et qu'il soit possible de mesurer objectivement ce que nous avons gagné et perdu en nous détachant du "monde traditionnel" (si monde traditionnel ou "holiste" il y a : rassembler sous cette étiquette la vie des chasseurs cueilleurs, l'antiquité le moyen âge peut être utile pour souligner les traits caractéristiques de la Modernité, il ne faut quand même pas lui donner une consistance trop solide).

 

Il y a amélioration des conditions matérielles de l'homme ordinaire européen, mais aussi extension de sa domination politique et de son contrôle social (mais c'est plus récent que la Modernité). Il est mieux soigné, mieux éduqué, moins policé, mais aujourd'hui le niveau chute, il est infantilisé, materné jusqu'à l'état larvaire. En d'autres termes, l'essor du capitalisme en Europe a sans doute été une bonne chose, mais a eu comme contrecoup un certain nombre d'effets indésirables qu'il est difficile de positiver à mort : le collectivisme (l'individualisme manqué), les régimes totalitaires, la possibilité de l'anomie sociale, l'Etat de surveillance, etc. Curieusement, au cœur de tous ces problèmes, il y a l'Etat et son évolution.

 

Je remarque au passage que Michéa fait du libéralisme l'idéologie moderne par excellence, et pas le communisme ou le socialisme, dont les racines et les visées sont pourtant aussi modernes politiquement et moralement. C'est sans doute parce qu'il ne parvient pas à distinguer la science politique moderne de l'"idéologie libérale", la matrice commune à toutes les idées modernes et celles spécifiques au libéralisme. Quitte à lire un gauchiste, autant lire Christian Laval ;) 

 

http://www.amazon.fr/Lhomme-%C3%A9conomique-Essai-racines-n%C3%A9olib%C3%A9ralisme/dp/2070783715

  • Yea 1
Lien vers le commentaire
Merci F.mas pour ta réponse qui apporte de nombreux éclairages.
On pourrait presque faire du "matérialisme historique" marxiste en disant que c'est un certain contexte économique et social qui explique l'émergence de certaines théories.
 

Dire donc de l'individualisme qu'il apparaît avec la modernité suppose donc d'apporter quelques précisions. S'il se définit en s'opposant au "holisme" de la période précédente, alors il faut bien préciser que ce qu'il y a de nouveau dans cet "individualisme" en politique et en science politique. On parle d'individualisme parce que les conditions sociales et politiques ont changé, et que le changement a ouvert la voie à de nouvelles représentations de l'activité de gouvernement et même du gouvernement de soi. Locke ou Rousseau n'auraient pas pu écrire au Xe siècle, et si d'aventure il existait des théoriciens comparables, ils n'auraient eu aucun écho (enfin sur le moment).

 
Oakeshott, qui n'est pas seulement philosophe mais aussi historien, estime que l'individuation de la politique (la constitution des conditions sociales et morales nécessaires à la constitution des discours individualistes) apparaît vers le 15ème siècle. Cela correspond en gros à l'émergence des Etats, et donc en science politique à la dissociation entre Etat et société : d'un côté la soumission à une autorité politique, de l'autre l'émergence d'une sphère dans laquelle les individus sont libres de commercer au sens large, c'est-à-dire d'échanger et d'interagir sans le deux ex machina politique.

Mon interrogation était la suivante : qu'est ce qui a changé et pourquoi ?

Tu as donné pas mal de pistes, mais il me semble que la réponse la plus simple et la plus concise serait : si le libéralisme n'existait pas avant la modernité, c'est simplement parce qu'il n'y avait pas les États. (Ergo, une théorie politique visant à limiter les pouvoirs de l'État ne pouvait pas exister.)
 

Nous ne sommes pas passés de la guerre au commerce, les deux continuent de coexister, hélas.

Je cite Constant dans De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes :

 
"Toutes les républiques anciennes étaient renfermées dans des limites étroites. La plus peuplée, la plus puissante, la plus considérable d’entre elles, n’était pas égale en étendue au plus petit des états modernes. Par une suite inévitable de leur peu d’étendue, l’esprit de ces républiques était belliqueux, chaque peuple froissait continuellement ses voisins ou était froissé par eux. Poussés ainsi par la nécessité, les uns contre les autres, ils se combattaient ou se menaçaient sans cesse. Ceux qui ne voulaient pas être conquérants ne pouvaient déposer les armes sous peine d’être conquis. Tous achetaient leur sûreté, leur indépendance, leur existence entière, au prix de la guerre. Elle était l’intérêt constant, l’occupation presque habituelle des états libres de l’antiquité. Enfin, et par un résultat également nécessaire de cette manière d’être, tous ces états avaient des esclaves. Les professions mécaniques, et même, chez quelques nations, les professions industrielles, étaient confiées à des mains chargées de fers. Le monde moderne nous offre un spectacle complètement opposé. Les moindres états de nos jours sont incomparablement plus vastes que Sparte ou que Rome durant cinq siècles. La division même de l’Europe en plusieurs états, est, grâce aux progrès des lumières, plutôt apparente que réelle. Tandis que chaque peuple, autrefois, formait une famine isolée, ennemie née des autres familles, une masse d’hommes existe maintenant sous différents noms, et sous divers modes d’organisation sociale, mais homogène de sa nature. Elle est assez forte pour n’avoir rien à craindre des hordes barbares. Elle est assez éclairée pour que la guerre lui soit à charge. Sa tendance uniforme est vers la paix.
 
Cette différence en amène une autre. La guerre est antérieure au commerce ; car la guerre et le commerce ne sont que deux moyens différents d’atteindre le même but, celui de posséder ce que l’on désire. Le commerce n’est qu’un hommage rendu à la force du possesseur par l’aspirant à la possession. C’est une tentative pour obtenir de gré à gré ce qu’on n’espère plus conquérir par la violence. Un homme qui serait toujours le plus fort n’aurait jamais l’idée du commerce. C’est l’expérience qui, en lui prouvant que la guerre, c’est-a-dire, l’emploi de sa force contre la force d’autrui, l’expose à diverses résistances et à divers échecs, le porte à recourir au commerce, c’est-à-dire, à un moyen plus doux et plus sûr d’engager l’intérêt d’un autre à consentir à ce qui convient à son intérêt. La guerre est l’impulsion, le commerce est le calcul. Mais par la même il doit venir une époque où le commerce remplace la guerre. Nous sommes arrivés a cette époque.
 
Je ne veux point dire qu’il n’y ait pas eu chez les anciens des peuples commerçants. Mais ces peuples faisaient en quelque sorte exception à la règle générale. Les bornes d’une lecture ne me permettent pas de vous indiquer tous les obstacles qui s’opposaient alors aux progrès du commerce ; vous les connaissez d’ailleurs aussi bien que moi : je n’en rapporterai qu’un seul. L’ignorance de la boussole forçait les marins de l’antiquité à ne perdre les côtes de vue que le moins qu’il leur était possible. Traverser les Colonnes d’Hercule, c’est-à-dire, passer le détroit de Gibraltar, était considéré comme l’entreprise la plus hardie. Les Phéniciens et les Carthaginois, les plus habiles des navigateurs, ne l’osèrent que fort tard, et leur exemple resta longtemps sans être imité. A Athènes, dont nous parlerons bientôt, l’intérêt maritime était d’environ 60 pour %, pendant que l’intérêt ordinaire n’était que de douze, tant l’idée d’une navigation lointaine impliquait celle du danger.
 
De plus, si je pouvais me livrer à une digression qui malheureusement serait trop longue, je vous montrerais, Messieurs, par le détail des mœurs, des habitudes, du mode de trafiquer des peuples commerçants de l’antiquité avec les autres peuples, que leur commerce même était, pour ainsi dire, imprégné de l’esprit de l’époque, de l’atmosphère de guerre et d’hostilité qui les entourait. Le commerce alors était un accident heureux, c’est aujourd’hui l’état ordinaire, le but unique, la tendance universelle, la vie véritable des nations. Elles veulent le repos, avec le repos l’aisance, et comme source de l’aisance, l’industrie. La guerre est chaque jour un moyen plus inefficace de remplir leurs voeux. Ses chances n’offrent plus ni aux individus, ni aux nations des bénéfices qui égalent les résultats du travail paisible et des échanges réguliers. Chez les anciens, une guerre heureuse ajoutait en esclaves, en tributs, en terres partagées, à la richesse publique et particulière. Chez les modernes, une guerre heureuse coûte infailliblement plus qu’elle ne vaut. Enfin, grâce au commerce, à la religion, aux progrès intellectuels et moraux de l’espèce humaine il n’y a plus d’esclaves chez les nations européennes. Des hommes libres doivent exercer toutes les professions, pourvoir à tous les besoins de la société."
Lien vers le commentaire

 

Merci F.mas pour ta réponse qui apporte de nombreux éclairages.
 

Mon interrogation était la suivante : qu'est ce qui a changé et pourquoi ?

Tu as donné pas mal de pistes, mais il me semble que la réponse la plus simple et la plus concise serait : si le libéralisme n'existait pas avant la modernité, c'est simplement parce qu'il n'y avait pas les États.
 

Je cite Constant dans De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes :(...)

 

 

 

Je pointais plusieurs facteurs éco, soc et politiques. Mais pour savoir ce qui a changé, les historiens ne sont pas tous d'accord. Pour Baechler, l'embellie économique de la fin du moyen âge a permis la création des villes et d'une classe bourgeoise qui a bousculé l'ordre tripartite du moyen âge. La conjonction d'un monde politique européen morcelé, et donc d'une domination politique faible, et du boom économique porté par la naissance d'un appareil de production plus raffiné l'a accéléré, enfonçant les derniers clous du cercueil du moyen âge tardif (ce qui est flou, puisque c'est quand même mille ans le moyen âge, mais bon). Il faut un lexique pour rendre compte à la fois de l'émergence de ces organisations politiques nouvelles (les Etats) et pour dessiner les contours de leurs prérogatives nouvelles. On justifie son existence (Hobbes), puis les limites de son action (Locke), et certains autres l'extension de son rôle (Mill).  

 

Merci pour cette longue citation de Constant, qui tend à indiquer que même les plus grands peuvent se tromper :) Le long chemin qui nous sépare des républiques anciennes nous devait nous amené à la paix a fait un détour vers les guerres napoléoniennes et la guerre civile européenne quand même. Sans compter les guerres de décolonisation et les conflits contemporains dans lequel les principales puissances occidentales sont impliquées.

 

Quant à l'absence de commerce chez les Anciens, c'est plus que discutable. Tout ne se ramenait pas à Sparte quand même. 

  • Yea 1
Lien vers le commentaire

J'ai remplacé vrai et faux par bon et mauvais à dessin. La distinction est féconde mais la généalogie de Hayek est douteuse. Je suis pleinement d'accord avec ta remarque, pour l'avoir formulée dans les mêmes termes lors d'une récente discussion avec F.mas. Et pour cause, pris dans sa critique du rationalisme, Hayek surestime le pouvoir d'influence cartésien à qui il prête l'origine des dérives néo-libérales sur la pente de la présomption fatale. Mais il s'agit d'un Descartes en partie fantasmé, si l'on relit attentivement le Discours de la méthode. Dans le même mouvement il sous-évalue l'importance du libéralisme anglo-saxon, surtout l'utilitarisme de Bentham et Mill, si l'on considère l'augmentation hygiéniste de l'Etat thérapeutique contemporain au moyen du contrôle social des individus.

 

+1

Lien vers le commentaire

La sécurité sociale a précisément pour but de rendre l'individu indépendant de sa famille. Elle est un avatar des idées individualistes. Et la plupart des libéraux contemporains qui aimeraient la voir disparaitre ne seraient pas prêts à rebasculer dans une société où les familles seraient plus fortes. Ils s'imaginent gratuitement le même contexte qu'aujourd'hui mais avec des assurances privées à la place du public.

 

Je ne sais pas. J'explique souvent que la solidarité familiale a été ébranlée par la sécurité sociale et d'une part c'est un bon déclencheur d'indignation chez les gens ("mais c'est vrai, c'est horrible d'atomiser les familles comme ça"), d'autre part la perspective de recourir à plus de solidarité familiale tend à plaire.

 

C'est vrai qu'il y a des libéraux qui fantasment l'individu-île, mais je les trouve plus rares que ce que tu sembles penser, et souvent des victimes de Rand.

Lien vers le commentaire

Créer un compte ou se connecter pour commenter

Vous devez être membre afin de pouvoir déposer un commentaire

Créer un compte

Créez un compte sur notre communauté. C’est facile !

Créer un nouveau compte

Se connecter

Vous avez déjà un compte ? Connectez-vous ici.

Connectez-vous maintenant
×
×
  • Créer...