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Marxisme et postmodernisme : les aventures de la superstructure


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Cette partie n'est même pas rééditée, en tout cas pas dans la version GEME que j'ai acheté.

 

Sinon je lisais ça dernièrement

[spoiler] "La pensée post-moderne a tendance à nier l'existence de tout élément général ou systématique dans l'histoire, à mêler images et idées comme si les critères de cohérence n'avaient aucune importance: elle souligne la séparation, la fragmentation, l'éphémère, la différence et ce que l'on appelle désormais l' "altérité" (mot étrange, principalement utilisé pour indiquer que je n'ai pas le droit de parler pour les autres, peut-être même pas celui de parler d'eux, ou que, lorsque je parle d'eux, c'est à mon image que je les "construis").
En outre, certains théoriciens postmodernes affirment que le monde n'est pas connaissable parce qu'il est impossible d'établir la vérité de façon certaine, que la seule prétention de connaître ou, pire, la défense de quelque version que ce soit de la "vérité universelle" constitue la matrice des goulags, génocides et autres désastres sociaux. [...]
Ce type de pensée s'est ensuite étendu à l'architecture, aux arts, à la culture populaire, aux nouveaux styles de vie et à la politique du genre.
" (p.23)

"Puisque cette mutation de la sensibilité culturelle s'est effectuée en parallèle des transformations assez radicales de l'organisation du capitalisme consécutives à la crise capitaliste de 1973-1975, il paraît plausible d'affirmer que le post-modernisme est lui-même un produit du procès d'accumulation du capital.
On constate par exemple qu'après 1973, le mouvement ouvrier a adopté une posture défensive, avec la hausse de l'insécurité de l'emploi, le ralentissement de la croissance, la stagnation des salaires réels et la mise en place de toutes sortes de substituts de l'activité industrielle réelle pour compenser les vagues successives de désindustrialisation. La folie des fusions-acquisitions, l'ivresse du crédit, tous les excès des années 1980 dont nous payons désormais le prix, étaient les seules activités vitales dans une époque marquée par le démantèlement progressif de l'Etat social, l'essor du laissez-faire et des politiques particulièrement conservatrices. Les années Reagan-Thatcher exaltèrent l'individualisme, la cupidité et le désir d'entreprendre. En outre, la crise de 1973 déclencha une quête frénétique de nouveaux produits, de nouvelles technologies, de nouveaux styles de vie et de nouvelles babioles culturelles susceptibles de rapporter quelque profit. Ces mêmes années furent aussi marquées par une réorganisation radicale des rapports de force à l'échelle internationale: l'Europe et le Japon commencèrent à contester la domination états-unienne sur les marchés économiques et financiers.
Cette mutation de la forme de l'accumulation, je l'appelle passage du fordisme (travail à la chaîne, organisation politique de masse, interventionnisme de l'Etat social) à l'accumulation flexible (recherche de marchés de niche, décentralisation couplée à une dispersion spatiale de la production, désengagement de l'Etat combiné avec des politiques de dérégulation et de privatisation).
Par conséquent, il me paraît tout à fait plausible d'avancer que le capitalisme, lors de cette transition, a produit les conditions de l'essor de modes postmodernes de pensée et de fonctionnement.

Mais comme il est toujours dangereux de traiter la simultanéité comme causalité, j'ai entrepris de rechercher une sorte de lien entre ces deux tendances. L'accumulation de capital a toujours impliqué l'accélération (voyez l'histoire des innovations technologiques dans les processus de production, le marketing, les échanges monétaires) et des révolutions dans les transports et les communications (chemin de fer et télégraphe, radio et automobile, transport aérien et télécommunications), qui ont pour effet de réduire les barrières spatiales.
Périodiquement, l'expérience de l'espace et du temps a subi des transformations radicales. On en a des exemples particulièrement saillants depuis le début des années 1970: impact des télécommunications, fret aérien, conteneurisation du fret routier, ferroviaire et maritime, développement du marché des
 futures, transactions bancaires électroniques et systèmes de production assistés par ordinateur. Nous traversons depuis quelque temps une phase forte de "compression spatio-temporelle": soudain, le monde nous apparaît bien plus petit et les horizons temporels dans lesquels nous concevons l'action sociale se raccourcissent considérablement.
La perception que nous avons de qui nous sommes, de notre lieu d'appartenance, de l'étendue de nos obligations -en un mot, de notre identité- est profondément affecté par la perception de notre position dans l'espace et le temps. En d'autres termes, nous situons notre identité à partir de l'espace (je suis
 d'ici) et du temps (c'est ma biographie, mon histoire). Les crises d'identité (où est ma place dans ce monde ? Quel avenir puis-je avoir ?) découlent de phases fortes de compression spatio-temporelle. De plus, je crois plausible d'affirmer que la toute dernière phase a tellement bouleversé notre perception de qui nous sommes et de ce que nous sommes qu'elle a entraîné une sorte de crise de la représentation en général [...] Par exemple, le désir d'éphémère dans la production culturelle correspond aux rapides mutations des formes et des techniques de la mode et de la production qui se sont développées en réaction à la crise d'accumulation d'après 1973.
Lorsque l'on revient sur d'autres phases de rapide compression spatio-temporelle -l'après 1848 en Europe, la période qui précède immédiatement la Première Guerre mondiale et la période de la guerre elle-même, par exemple-, on constate que des changements similaires se sont aussi produits dans le domaine des arts et de la culture.
" (pp.23-26)

-David Harvey, extraits de Spaces of Capital, 2001, in Géographie de la domination, Paris, Les prairies ordinaires, 2018, 118 pages.

[/spoiler]

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C'est quand même marrant les marxo.

Harvey met le doigt sur un truc très juste et cherche une explication de manière absolument téléologique : c'est forcément la faute du capitalisme. D'ailleurs, admirez ma corrélation, hein, et comme je sais qu'on me tombera dessus avec "correlation =/= causalité", paf, je fais des chocapics.

 

Faudrait lui dire que les post-modernistes qu'il dégueule ici sont plus ses petits-enfants à lui , même s'ils ont bien tué le père, qu'au capitalisme et qu'ils se revendiquent tous haut et forts anticapitalistes.

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Quote

tous les excès des années 1980 dont nous payons désormais le prix, étaient les seules activités vitales dans une époque marquée par le démantèlement progressif de l'Etat social, l'essor du laissez-faire et des politiques particulièrement conservatrices.

 

C'est marrant, sur la même période j'y vois plutôt un poids grandissant de l'Etat social, une inflation législative et réglementaire, et une libération des moeurs.

L'exact opposé de ce qu'il raconte.

J'imagine que chacun voit midi à sa porte...

  • Yea 1
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il y a 22 minutes, Mister_Bretzel a dit :

sur la même période j'y vois plutôt un poids grandissant de l'Etat social, une inflation législative et réglementaire, et une libération des moeurs.

Ça dépend où. Sous Mitterrand oui. Pas sous Reagan et Thatcher.

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1 minute ago, Vilfredo Pareto said:

Ça dépend où. Sous Mitterrand oui. Pas sous Reagan et Thatcher.

Je vois ça comme des phases descendantes d'une tendance montante.

Mais effectivement ma représentation allait jusqu'à aujourd'hui alors que texte a été écrit en 2001. D'où l'écart d'observation.

Le contre argument reste : si l'on s'en tient qu'à une seule période sans regarder les autres, sont constat tient. Si on élargit un poil, ça ne marche plus.

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Le 09/06/2021 à 13:59, Vilfredo Pareto a dit :

Ça dépend où. Sous Mitterrand oui. Pas sous Reagan et Thatcher.

Il n’y a pas non plus eu démentèlement. Plutôt reculer pour mieux sauter. 

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  • 1 month later...

Pendant ce temps en "sociologie" des sciences...

 

« Bruno Latour dans un texte concernant la mort de Ramsès II vers 1213 avant J.-C.. À la fin des années 1990, l’hôpital du Val-de-Grâce (Paris) établit qu’il est probablement mort de la tuberculose, mais B. Latour s’interroge très sérieusement sur la possibilité de dire que le pharaon est « décédé d’un bacille découvert par Robert Koch en 1882 ». B. Latour entretient clairement ici la confusion entre la connaissance scientifique de la cause de la maladie et la réalité des faits. Ramsès II est bien mort d’une maladie dont les causes ne seront connues qu’en 1882, soit environ 3 000 ans plus tard. Il n’y a aucun paradoxe, aucun anachronisme, ni aucun scientisme à affirmer cela. 

 

Comparer le « bacille de Koch » à une « rafale de mitrailleuse » pour dénoncer l’anachronisme de ceux qui prétendent que Ramsès II est mort de la tuberculose et prétendre que, « avant Koch, le bacille n’a pas de réelle existence », c’est confondre le concept scientifique et la réalité physique. Car, si la mitrailleuse a bien été inventée plusieurs milliers d’années après la mort de Ramsès II, les virus n’ont pas attendu la venue de savants pour être actifs. Ils étaient réellement agissants sans être pour autant observés, reconnus, nommés. Il est d’ailleurs assez paradoxal qu’un chercheur qui proclame haut et fort que les non-humains sont des acteurs comme les autres, fasse dépendre la réalité de l’existence de virus de leur perception et de leur nomination par des humains. C’est, en l’occurrence, accorder aux humains un pouvoir bien supérieur à celui qu’ils possèdent en réalité. Et si l’on poussait jusqu’à l’absurde l’hypothèse consistant à lier l’existence réelle d’une chose à sa reconnaissance par des humains, on pourrait en conclure que, pour éradiquer les virus, il suffit d’éradiquer les savants qui les découvrent."

-Bernard Lahire, Ceci n'est pas qu'un tableau : essai sur l'art, la domination, la magie et le sacré, Paris, La Découverte, 2015.

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Très intéressant cet article: Norbert Bandier, « Perry Anderson, Les Origines de la postmodernité. Les Prairies ordinaires, 2010 », Sociologie de l'Art, 2011/3 (OPuS 18), p. 117-127. DOI : 10.3917/soart.018.0117. URL : https://www.cairn.info/revue-sociologie-de-l-art-2011-3-page-117.htm 

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Il y a 7 heures, Johnathan R. Razorback a dit :

 

Le mec pense vraiment que Latour est con au point de croire ce qu'il croit qu'il croit? Edit je suis allé lire l'article de Latour (dont je crois que @Anton_K avait parlé dans ce thread en plus), voici ce qu'il écrit: "Koch bacillus can be extended into the past to be sure -contrary to the radical anti-wiggish position - but this cannot be done at no cost." C'est une réflexion sur l'anachronisme et les changements de paradigmes. Un peu d'humilité de temps en temps et de non-prenage d'autrui pour des idiots ça ferait du bien. (Plus je lis l'article plus Latour remonte dans mon estime)

  • Yea 2
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Ce qu'il dit sur les réseaux de faits qui font exister les théories (comme Pasteur et le lait pasteurisé) comme pour une convention en laquelle on a confiance et qui existe tant que c'est le cas est vraiment bien. Non en y réfléchissant maintenant que je l'ai lu, ce que je me demande plutôt, c'est: si tous les faits sont institutionnellement produits (en vertu de quoi, par exemple, Ramsès II est mort de "Saodawoth" dans un certain paradigme, celui de l'Egypte ancienne, et d'un bacille de Koch dans un autre, celui de la médecine moderne et les deux paradigmes sont incommensurables, Kuhn etc), à moins de considérer que nous sommes tous des institutions sur pattes avec nos propres outils (nos yeux principalement), il ne se passe absolument rien dans nos vies, i.e. aucun fait. Ou alors, comme je pense que Latour le dirait plutôt, nous faisons exister certains paradigmes plutôt que d'autres de façon un peu anarchique (on assiste à la génération spontanée dans le frigo quand on a oublié la date de péremption de x item de bouffe), un peu comme Nietzsche écrit qu'on ressuscite dans nos rêves de très anciennes conceptions du monde (Jung dirait pareil).

 

Hmm, deep.

 

Edit ou plutôt en effet aucun fait ne se déroule dans nos vies car ce mot "fait" a le sens d'une entité produite par une institution scientifique. L'institution modèle la réalité dans laquelle ensuite nous, nous vivons (réalité sociale ou réalité tout court, pour Latour, c'est tout un, ce avec quoi Searle ne serait pas d'accord du tout tiens). Nous ne buvons pas de l'H2O, nous buvons de l'eau, m'voyez? Et depuis qu'on a découvert que l'eau était de l'H2O depuis toujours, c'est de l'H2O (depuis toujours; ça fait un peu comme un voyage dans le temps, d'ailleurs il fait un schéma à la fin).

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Le 21/07/2021 à 08:19, poney a dit :

Je te propose d'aller en séminaire avec Latour, s'il en fait encore, et d'engager la conversation sur ce point.

 

Je sais que Lahire l'a fait.

 

1/ sur quel point précisément? Et tu as des liens/bouquins/articles?

2/ il n’est pas à l’article de la mort Latour ?

3/ j’espère que ce n’était pas du sarcasme :’( 

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  • 1 year later...

@Johnathan R. Razorback

 

Comment tu situes l'école de Francfort, les Critical Theories (Marcuse, Adorno) par rapport au postmodernisme ?

 

J'ai l'impression que les critical theories et le postmodernisme sont arrivés au même moment (vers les années 60), à l'aune de mouvements politiques majeurs (les mouvements pour les droits civiques aux US, Mai 68 en France), ont eu les mêmes conséquences au niveau des théories politiques de gauche (passage du communisme ouvrier, vers l'identity politics de gauche), que historiquement ils sont indépendants, mais aujourd'hui plus ou moins main dans la main

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  • 1 month later...
Le 15/01/2023 à 16:25, Paperasse a dit :

@Johnathan R. Razorback

 

Comment tu situes l'école de Francfort, les Critical Theories (Marcuse, Adorno) par rapport au postmodernisme ?

 

Il y a pas spécialement de liens, en tout cas dans le contexte intellectuel français (l'école de Francfort n'a jamais été très connue). Pour les USA, je ne sais pas.

 

Je ne vois pas vraiment de continuité idéologique, l'école de Francfort est hégéliano-marxiste, tandis que les post-modernes sont des relativistes en rupture avec l'héritage intellectuel des Lumières, et donc aussi avec le marxisme (qui est universaliste, rationalisme, qui croit à l'objectivité possible de la science, au progrès, à la technique, à la maîtrise rationnelle du monde de façon générale, au collectif plutôt qu'à l'individu en perpétuel changement, etc.). 

 

En revanche il y a un lien qui relève plutôt de la psychologie ou de l'humeur / émotion: les marxistes de Francfort sont assez pessimistes sur l'évolution culturelle et politique des sociétés capitalistes (industries culturelles qui dominent la vie des masses, interruption du mouvement révolutionnaire dans l'entre-deux-guerres, montées des fascismes, etc) ; et plusieurs penseurs post-modernes sont des marxistes déçus ou qui n'y croient plus (typiquement Lyotard ou Baudrillard ; dans une certaine mesure Foucault qui a été au PCF dans les années 1970...). 

 

Marcuse individuellement est important en effet dans ce changement de générations et d'idéologies, car c'est l'un des premiers à soutenir que les ouvriers ne sont plus une classe révolutionnaire et qu'il faut s'appuyer sur les luttes des minorités. En France on trouve des thèses similaires chez Alain Touraine, qui a influencé le Parti "socialiste" dans les années 1970. 

 

Le succès du post-modernisme ne peut pas être compris sans prendre en compte le déclin rapide du marxisme à partir du milieu des années 1970, l'ouverture à la mondialisation, le déclin numérique et politique des classes ouvrières européennes, l'accroissement de l'abstention, le désintérêt pour la vie politique et la "fuite vers la résidence privée" (dixit Aron à propos des lendemains de Mai 68). 

C'est aussi lié aux mouvements d'immigration transnationaux qui vont amener à privilégier les thématiques culturelles et identitaires par rapport à l'économico-social ; à l'arrivée d'Internet qui fait qu'on accorde de plus en plus de place et de réflexions aux images plutôt qu'à la réalité elle-même (d'où le thème très post-moderne d'une perte de contact avec le réel, l'idée de simulacres et de simulation généralisés, le scepticisme vis-à-vis de la vérité et de la science, plus tard l' "ère post-vérité" et les fake news... etc). 

Il y a plein de causes historiques enchevêtrées, c'est passionnant. 

  • Yea 1
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