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Éthique et tac


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Le 18-4-2018 à 17:28, Rincevent a dit :

Non. Si la morale était aléatoire et issue d'une négociation, alors on pourrait très bien avoir des morales pour lesquelles violer ses enfants serait une chose hautement morale. Est-ce un acte susceptible d'être moral, à tes yeux ?

Pour le moment j' adore l' opinion de Binmore, qui insiste sur l' importance de l' empathie. C' est-à-dire, violer des enfants n' est pas une situation optimale. De plus, selon Binmore la constitution (donc la base des droits) est établie derrière le voile d' ignorance. Donc on risque d' être enfant soi-même.

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il y a 46 minutes, TheRedBaron a dit :

 derrière le voile d' ignorance.

 

J'ai lu aujourd'hui que ce truc était en fait un nouvel avatar de l'état de nature. Je ne comprends pas comment cette idée loufoque fait pour remonter à la surface à chaque fois. Exception faite de l'hypothèse marxiste d'une catégorie structurante de la pensée bourgeoise-individualiste.

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C'est le problème avec un forum remplit d'INTPs, un bot leur lance en pâture trois concepts au pif et ils tombent dans le piège d'essayer d'y trouver du sens.

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Il y a 21 heures, ttoinou a dit :

En violant des enfants on risque de devenir soi même enfant alors c'est sous optimal et mal. Le ban n'est pas loin

 

 Jusqu'à preuve du contraire. Cette décision nous revient. 

 

 Et on se détend, la remarque caricaturale de TheRedBarron n'est qu'un levier pédagogique. On y est habitué en ces lieux. 

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C'est sûr. Inscrit depuis plus d'1 an, plus de 100 messages ... et toujours pas grand chose d'intelligible.

On va mettre ça, généreusement, sur le compte du language.

Ces "participants" sont (pendant un temps) la preuve de la tolérance de liborg.

Une épreuve que le ciel nous envoie.

 

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Le 19-4-2018 à 19:54, Johnathan R. Razorback a dit :

 Exception faite de l'hypothèse marxiste d'une catégorie structurante de la pensée bourgeoise-individualiste.

Qu'est-ce qui c'est passé?

 

Citation

J'ai lu aujourd'hui que ce truc était en fait un nouvel avatar de l'état de nature

Le voile de l'ignorance est une idée de Rawls. Il ne s'intéresse pas du tout pour l'état de nature. Au contraire, il a proposé une procédure pour développer un système de justesse.

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Il y a 5 heures, TheRedBaron a dit :

Le voile de l'ignorance est une idée de Rawls. Il ne s'intéresse pas du tout pour l'état de nature.

 

Je pense pourtant que c'est à lui que devait penser @Lancelot quand il s'étonnait de mon étonnement s'agissant de la survie de ce concept dans les théories politiques contemporaines.

 

Je cite le texte que j'évoque:

"Comment Rawls va-t-il s’y prendre pour produire cet accord raisonnable sur les règles de justice ? Dans le choix de sa méthode réside l’apport majeur du philosophe américain. En un sens, Rawls va radicaliser, c’est-à-dire conduire jusqu’aux racines, l’attitude d’ « un spectateur désintéressé et bienveillant » que revendiquait Mill dans l’extrait précédent, puisque cette méthode permet un jugement « rigoureusement impartial » . Il imagine une situation purement hypothétique, qu’il nomme la « position originelle », et qu’il choisit pour méthode afin de la placer au fondement de sa théorie de la justice. Dans cette situation, les êtres humains seraient placés derrière un « voile d’ignorance ». Ils ne connaitraient rien de leur identité, de leurs talents, de leur place sociale, de leurs goûts, et des fins de leur vie. Ils sauraient seulement que certains « biens premiers (primary goods) », qui sont la liberté, la richesse, le revenu et le respect de soi, sont nécessaires pour mener une vie bonne. Le savoir de ces biens premiers interdit aux êtres humains d’agir de façon uniquement partiale et de ne favoriser que leur propre situation particulière. Rawls suppose ensuite qu’on demande aux partenaires en « position originelle » de choisir les principes de justice à partir desquels ils seront gouvernés quand ils retourneront dans le monde social réel.

On voit que l’hypothèse de la « position originelle » est une nouvelle conception de l’état de nature qui précéderait l’état civil ou social, tel que l’ont élaboré les philosophes du « Contrat », de Hobbes à Rousseau en passant par Locke. On voit surtout que l’abstraction, qui consiste à faire le plus possible abstraction de l’expérience, particulièrement historique, et donc à simplifier notre pensée, est nécessaire pour arriver à une pensée impartiale. La différence entre ces philosophes et Rawls est que ce dernier ne s’appuie pas sur le contrat pour légitimer l’autorité politique ou celle de la loi, mais pour déduire les principes de la justice sociale."

-Jean-Michel Pouzin, « L’idée de justice selon Jaurès et d’équité selon le philosophe contemporain John rawls », dans le cadre de la semaine Jaurès, du lundi 25 au vendredi 29 janvier 2016, Jeudi 28 janvier 2016 à 18h 30 au Centre culturel Didier Bienaimé, 12 pages, p.6.

 

Les kantiens sont vraiment des tordus.

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C'est pratique quand même : imaginons qu'on mette les gens dans une situation où ils ignorent tout sauf mon système de valeurs, et ensuite demandons-leur de se mettre d'accord sur un système de valeurs. De toute évidence ils choisiraient le mien. CQFD j'ai résolu le problème de la morale.

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Yep. Je lirais la Théorie de la justice un de ces jours par acquis de conscience (je lis beaucoup trop de choses par acquis de conscience :D ), mais la masse de discussions qu'elle soulève me semble effarante compte tenu de toutes les bonnes objections qu'on peut trouver.

 

De mon côté je fais de tout petit pas.

 

Il y a dénommé Tom Clark qui pense que soutenir un conséquentialisme est logiquement nécessaire si l'on soutient le naturalisme moral en méta-éthique (ce qui me rassurerait sur la cohérence de mes positions): "On a naturalistic understanding of ourselves that discounts supernatural foundations for morality, it’s the beneficial consequences of a moral system that ultimately ratify it in the eyes of its subscribers." (http://www.naturalism.org/philosophy/morality/naturalism-and-normativity ). Bon après il ne donne pas de preuve et je ne vois pas vraiment d'où viendrait la nécessité. Je soumets la question à l'attention du public.

 

Il semble aussi, comme tu le disais @Lancelot, que réduire les propriétés morales à des propriétés naturelles face bien de la recherche morale une science (https://www.philosophybasics.com/branch_ethical_naturalism.html ) -Holbach parlait déjà en 1773 de la morale comme une "science des mœurs"-, ce qui m'interroge toujours sur le statut de la normativité dans une telle activité. Après on peut résoudre radicalement la question en envoyant balader Weber et en disant que la science ne peut pas être exempte de jugements de valeur, comme le fait par exemple Lordon Leo Strauss.

 

Sinon j'ai trouvé cet article qui parle du rôle de la science pour l'avancement de l'éthique normative, mais c'est hyper coriace à lire... : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3068523/

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Le 21/04/2018 à 12:40, TheRedBaron a dit :

Qu'est-ce qui c'est passé?

 

Le voile de l'ignorance est une idée de Rawls. Il ne s'intéresse pas du tout pour l'état de nature. Au contraire, il a proposé une procédure pour développer un système de justesse.

 

Une question au passage : quelqu'un a-t-il déjà fait remarquer que Rawls avait piqué le concept de voile d'ignorance à Platon? Cf le mythe d'Er, développé au livre X de la République, lui même issu de vieux mythes orphiques et Pythagoriciens. 

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10 minutes ago, Drake said:

 

Une question au passage : quelqu'un a-t-il déjà fait remarquer que Rawls avait piqué le concept de voile d'ignorance à Platon? Cf le mythe d'Er, développé au livre X de la République, lui même issu de vieux mythes orphiques et Pythagoriciens. 

 

Quelle déchéance pour Socrate. Se faire repomper par un social-démocrate à tête de golfeur.

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il y a 24 minutes, Drake a dit :

quelqu'un a-t-il déjà fait remarquer que Rawls avait piqué le concept de voile d'ignorance à Platon ?

 

Non, pour le coup c'est différent. Le propos de Glaucon est de dire que le juste n'est juste que par crainte du chatîment (donc pas juste au sens propre, par amour de la justice): http://hydre-les-cahiers.blogspot.fr/2016/01/lanneau-de-pouvoir-et-lanthropologie.html?q=Platon

 

Mais ça ne permet pas de dégager des critères du juste (le but de Rawls), ils sont ici purement conventionnels et indéterminés.

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il y a 31 minutes, Johnathan R. Razorback a dit :

 

Non, pour le coup c'est différent. Le propos de Glaucon est de dire que le juste n'est juste que par crainte du chatîment (donc pas juste au sens propre, par amour de la justice): http://hydre-les-cahiers.blogspot.fr/2016/01/lanneau-de-pouvoir-et-lanthropologie.html?q=Platon

 

Mais ça ne permet pas de dégager des critères du juste (le but de Rawls), ils sont ici purement conventionnels et indéterminés.

 

Tu confonds le mythe d'Er (dans le Livre X) avec celui de l'anneau de Gygès (dans le Livre II).

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il y a 5 minutes, Johnathan R. Razorback a dit :

Mais je ne vois toujours pas le rapport avec le voile d'ignorance.

 

1) Que font les âmes des morts avant de se réincarner ?

2) Je soupçonne Drake de faire preuve d'ironie. ;)

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il y a 43 minutes, Ultimex a dit :

1) Que font les âmes des morts avant de se réincarner ?

2) Je soupçonne Drake de faire preuve d'ironie. ;)

 

1): Mais qu'est-ce qu'on s'en f... Hum, ils choisissent de respawn dans telle classe / fonction sociale... ou en animaux ? https://fr.wikipedia.org/wiki/Mythe_d'Er_le_Pamphylien#Résumé

Ce n'est pas vraiment comme Rawls parce que les âmes ne sont pas informés de la désirabilité a priori de tel et tel biens, et elles ne savent pas ce qu'impliquent comme avantages / inconvénients les genres de vie qu'elles tirent. Ou peut-être qu'elles le savent partiellement si il lui reste une connaissance de leur vie antérieure, je ne sais pas.

 

2): Comme Platon tu veux dire ? :D

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il y a 1 minute, Johnathan R. Razorback a dit :

2): Comme Platon tu veux dire ? :D

 

Comme Socrate plutôt. ;)

Pas encore lu les Lettres de Platon pour juger de l'ironie de ce dernier par contre.

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Je vais revenir, peut-être en fin de semaine, dire un mot sur l'Éthique à Nicomaque et ultérieurement sur les éthiques de la vertu. Conceptions plus stimulantes et aussi plus difficiles à critiquer que ce que j'ai pu dire du déontologisme et de l'utilitarisme, puisque qu'il s'agit d'eudémonismes concurrents de ce que je voudrais proposer.

 

Une première opposition, déjà évoquée brièvement dans le fil, est que les éthiques de la vertu (sauf variante hétérodoxe dont je serais ravi d'apprendre l'existence) semble défendre une (étrange) conception antique du bonheur et de la vie bonne que l'on pourrait qualifier de continuiste. Je trouve des traces de cette conception dans le compte rendu de ce livre de Laurence Devillairs (qui n'a pas l'air intéressant): https://la-philosophie.com/critique-bonheur-sans-mesure-laurence-devillairs

 

"Il n’y a pas d’expériences ou de moments heureux." (p.29)

 

« Il n’y a aucune passivité dans le fait d’être heureux, mais bien plutôt un réveil, une prise de conscience, qui est compréhension profonde : être heureux n’est pas un état dans lequel je me trouve plus ou moins souvent, c’est ce que je suis réellement, c’est ce que vivre signifie. » (page 179)

 

"Le bonheur n’appartient pas au monde fini du plaisir. Son espace serait davantage celui de l’infini, du mouvement perpétuel de l’inquiétude jamais longtemps apaisée. Il y a dans le fait d’être heureux un changement de régime, non pas un simple événement, mais une transformation de notre manière d’être et d’exister. Le bonheur ne vient pas remplir une existence ; il vient la restituer à elle-même. Sa particularité n’est pas de durer mais de tout changer." (p.191)

 

Malgré l'identité nominale, le bonheur de l'eudémonisme continuiste diffère notablement de ce qu'on entend couramment par bonheur (et de la définition que j'ai pu proposer dans ce fil). Ce n'est pas sans raison que les virtue ethicists parlent de flourishing (épanouissement) plutôt que de bonheur:

 

"Flourishing is not a state of myself, as it is for hedonists, nor it is a matter of my good as opposed to yours, as it arguably has to be for Epicurus. For, if i achieve flourishing through being virtuous, my flourishing will be constituted by my virtuous activity, which is focused on others as much as on myself. In this is is unlike a pleasant state of myself, which i might well aim to produce in a way which focuses on me at the expense of others." (p.214)

 

"It is, then, problematic for us to use the notion of happiness at this point, and many modern virtue ethicists avoid confusion by talking of flourishing instead."(p.216)

-Julia Annas, 'Virtue Ethics and the Charge of Egoism' in Morality and Self-Interest, edited by Paul Bloomfield, Oxford University Press, 2008, pp. 205-221.

 

On peut rapprocher ça de l'idée d'Aristote suivant laquelle la vertu acquise ne peut pas se perdre (le vertueux diffère donc du bon qui peut devenir mauvais).

 

"On peut dire en gros que, pour les Anciens, le bonheur est un état de la personne qui ne peut pas être complètement réduit à des sensations corporelles de plaisir ou d'absence de peine, à des émotions élémentaires de joie ou d'enthousiasme, ou à des satisfactions produites par le bien-être matériel.
Le bonheur comme ils le conçoivent ne consistent pas à jouir sans entraves ou à se laisser emporter par des joies intenses mais éphémères comme les enfants ou les idiots.
C'est une certaine
manière de vivre sous la direction de la vertu et de la raison, dans une relation indifférence à l'égard des aléas liés aux possessions matérielles et aux succès mondains.
Au fond, ce que les philosophes anciens voulaient démontrer contre l'opinion commune, c'est qu'il n'y a pas et ne peut pas pas y avoir de canaille heureuse ou d'imbécile heureux.
Ce bonheur raisonné, comme les Anciens le comprenaient, ne pouvait être que parfait, sans tache. C'est d'ailleurs pourquoi il leur était difficile de le concevoir comme un état purement individuel et transitoire. Comment, se demandaient-ils, pourrions-nous être pleinement heureux si ceux auxquels nous sommes attachés ne le sont pas ? Comment pourrions-nous être pleinement heureux en sachant que ce bonheur aura une fin ?
Le véritable bonheur, pour eux, ne pouvait être purement individuel, et paraissait inconvenable en dehors de la croyance en une certaine forme d'éternité ou d'immortalité.
Finalement, le bonheur des Anciens étaient relativement ascétique, en ce sens qu'il était jugé irréductible aux plaisirs corporels, aux émotions élémentaires, et au bien-être matériel.
Il était susceptible de recevoir un sens religieux, car il semblait incompatible avec l'idée qu'il pourrait avoir une fin et n'être qu'un bien terrestre.
Il était élitiste en ce sens qu'il était réservé aux plus sages, c'est-à-dire, selon leur vision du monde, aux philosophes les plus contemplatifs.
Cette conception ancienne du bonheur souffre de plusieurs défauts logiques que Kant, entre autres, a mis en évidence.
Pour les Anciens, nous cherchons tous naturellement et inévitablement à être heureux. Si c'est vrai, il est absurde de prétendre que la recherche du bonheur pourrait être une sorte de devoir moral. Pourquoi ? Parce qu'il est inutile d'obliger les gens à faire ce qu'ils font naturellement d'eux-mêmes. C'est un principe de raisonnement juridique et moral général
."

-Ruwen Ogien, Philosopher ou faire l'amour, Éditions Grasset & Fasquelles, Le livre de poche, 2014, 234 pages, p.196-197.

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Quelques infos assez réjouissantes sur la philosophie morale de Spinoza:

 

1: A la suite de Hobbes et à l'instar de La Rochefoucauld, Holbach, Bentham ou Mises*, la psychologie morale de Spinoza est un égoïsme psychologique, c'est-à-dire la doctrine suivant laquelle: "il n’est aucun comportement, fût-il apparemment désintéressé et altruiste, qui ne puisse ultimement être rapporté à l’intérêt, à l’avantage ou au bénéfice du sujet, quelle que  soit la nature de ce bénéfice, matérielle ou symbolique (que La Rochefoucauld appelait des intérêts de « bien » ou de « gloire »). Le défenseur de l’égoïsme psychologique soutient qu’aucune preuve ne peut être apportée à l’existence de comportements qui auraient uniquement pour fin le bien d’autrui." (Michel Terestchenko, « Égoïsme ou altruisme ? Laquelle de ces deux hypothèses rend-elle le mieux compte des conduites humaines ? », Revue du MAUSS, 2004/1 (no 23), p. 312-333).

 

*ça me semble du moins impliqué par son ontologie de l'action (praxéologie).

 

« [Spinoza] soutient également la thèse du caractère résolument égoïste de la motivation. Toute l’activité humaine (et même, toute activité d’un individu de la nature, quel qu’il soit) dérive de l’effort de chacun pour persévérer dans son être et maximiser sa puissance d’agir. » (Steven Nadler, « Acte et motivation dans la philosophie morale de Spinoza », Philonsorbonne [En ligne], 9 | 2015, mis en ligne le 11 janvier 2015, consulté le 25 avril 2018).

 

2): Ensuite, la critique de l'objectivité des valeurs de Spinoza ne le conduit pas au relativisme (impression qu'on peut avoir par moment et reproche explicite de Schopenhauer à Spinoza):

 

« Il y a des choses qui sont correctes, ou bonnes, pour tous les êtres humains. Et ce, parce que nous partageons une certaine nature, en tant qu’êtres humains, et qu’il y a des actions qui contribuent naturellement et objectivement à la conservation et à l’effort de cette nature. De telles actions seront « vertueuses » dans un sens général, et seront accomplies par une personne vertueuse. » (ibid)

 

« Comme les impératifs catégoriques de la morale kantienne, les prescriptions de la raison transcendent les différences individuelles et formulent des exigences universelles pour la conduite humaine, dans la mesure où tous les êtres humains partagent la même nature fondamentale. »

 

3): Si l'intention a une certaine importance (au moins dans certains cas) pour déterminer la valeur morale de l'action, la moralité de l'action dépend de sa conformité à l'intérêt de l'agent. Il semble donc que le spinozisme soit un conséquentialisme centré sur l'agent (cf: https://fr.wikipedia.org/wiki/Conséquentialisme#Agent_intéressé_? ) -conséquentialisme de type égoïsme éthique (égoïsme rationnel dit significativement un commentateur):

 

« L’action bienveillante envers autrui peut naître aussi bien de la pitié que de la vertu, autrement dit d’une motivation émotionnelle aussi bien que d’un désir guidé par la connaissance de ce qui nous est véritablement utile ; et il semblerait que cela ne fasse aucune différence au regard de la qualité morale de l’action elle-même. Elle reste bonne, droite, dans la mesure où elle est dans l’intérêt de celui qui l’accomplit. »

 

« Selon l’éthique ordinaire, tuer ou voler quelqu’un est une mauvaise chose ; faire l’aumône et traiter les autres avec justice est une bonne chose. Ce que Spinoza répond à Blyenbergh est que le caractère bon et mauvais de ces actions ne réside pas dans les actions « considérées seules », indépendamment de leurs motivations – puisque dans cette perspective elles sont « également parfaites », c’est-à-dire contiennent la même quantité de réalité ; mais ce caractère bon ou mauvais réside dans le fait que l’une dérive d’idées adéquates et l’autre de l’ignorance, et donc, que l’une consiste en un accroissement de la puissance de l’agent et l’autre, en une diminution de cette puissance. »

 

Tout ça est finalement très proche de ce que je crois moi-même, ce qui n'est pas très étonnant compte tenu de l'influence de Spinoza sur Holbach:

 

« En plein accord avec l’Ethique spinozienne, qui figurait dans sa riche bibliothèque, et que sûrement le baron a compulsé plus qu’on ne pourrait le penser si l’on ne s’en tenait qu’aux citation explicites du philosophe hollandais, d’Holbach, pour ériger sa « science des mœurs », part du principe d’autoconservation inhérent à tout être et de la nature désirante propre à chaque individus. »  (Tomaso Cavallo, « Méconnaissance » et « reconnaissance » dans l’œuvre philosophique de d’Holbach, http://www.consecutio.org, 31 ottobre 2016).

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Le 21-4-2018 à 18:39, Johnathan R. Razorback a dit :

On voit que l’hypothèse de la « position originelle » est une nouvelle conception de l’état de nature qui précéderait l’état civil ou social, tel que l’ont élaboré les philosophes du « Contrat », de Hobbes à Rousseau en passant par Locke. On voit surtout que l’abstraction, qui consiste à faire le plus possible abstraction de l’expérience, particulièrement historique, et donc à simplifier notre pensée, est nécessaire pour arriver à une pensée impartiale. La différence entre ces philosophes et Rawls est que ce dernier ne s’appuie pas sur le contrat pour légitimer l’autorité politique ou celle de la loi, mais pour déduire les principes de la justice sociale.

Ici l'état de nature signifie, que la nature humaine permet de formuler des principes artificiels. Il n'est pas une référence à quelconque temps primitifs. Rawls décrit une procédure, qui fait appel au bon sens.

 

Pour Binmore le voile d’ignorance est simplement une parabole, qui figure la façon humaine de juger la réalité. En considérant et en pesant la situation actuelle, l'individu utilise sa capacité de se mettre dans la peau d'autrui (empathie). Binmore n'abstrait pas de l'expérience historique. Pour lui, la situation initiale est le présent.

  • Nay 1
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Donc, mes remarques (et mes incompréhensions) sur l'Éthique à Nicomaque :

 



L’Éthique à Nicomaque n’est pas un livre facile. Entre les distinctions faussement simples, le vocabulaire aristotélicien (que Richard Bodéüs s’efforce d’éclairer par les innombrables notes qui accompagnent sa traduction), les renvois internes aux autres œuvres du système (Politiques, Physique, Métaphysique, etc.), on ne peut pas dire que l’on s’amuse tous les jours. Je ne dirais pas non plus qu’il s’agit d’un livre bouleversant ; en ce qui me concerne, ma conception du bien et du mal n’en est pas sortie transfigurée. Mais comme toutes les grandes œuvres se prêtent à approfondissement (surtout lorsqu’elles on eut une postérité aussi riche que celle de l’EN), il n’est pas exclu que je change d’avis ultérieurement. On peut d’ores et déjà faire quelques remarques sur la nature de la philosophie morale proposée par Aristote et quelques problèmes qu’elle soulève.



Au livre I, Aristote s’interroge sur le souverain bien. C’est là qu’on trouve son propos -à mon sens brillant- sur la dimension téléologique de l’action et de l’existence humaine, laquelle est nécessairement, logiquement, recherche du bonheur :



"Par ailleurs, est final, disons-nous, le bien digne de poursuite en lui-même, plutôt que le bien poursuivi en raison d'un autre ; de même, celui qui n'est jamais objet de choix en raison d'un autre, plutôt que les biens dignes de choix et en eux-mêmes et en raison d'un autre ; et donc, est simplement final le bien digne de choix en lui-même en permanence et jamais en raison d'un autre. Or ce genre de bien, c'est dans le bonheur surtout qu'il consiste, semble-t-il. Nous le voulons, en effet, toujours en raison de lui-même et jamais en raison d'autre chose. L'honneur, en revanche, le plaisir, l'intelligence et n'importe quelle vertu, nous les voulons certes aussi en raison d'eux-mêmes (car rien n'en résulterait-il, nous voudrions chacun d'entre eux), mais nous les voulons encore dans l'optique du bonheur, dans l'idée que, par leur truchement, nous pouvons être heureux, tandis que le bonheur, nul ne le veut en considération de ces biens-là, ni globalement, en raison d'autre chose." (Éthique à Nicomaque, Livre I, traduction Richard Bodéüs, GF Flammarion, 2004, 560 pages, p.67)

"Le bonheur paraît quelque chose de final et d'autosuffisant, étant la fin de tout ce qu'on peut exécuter." (p.68)




"Le bonheur est ensemble la chose la meilleure, la plus belle et la plus plaisante." (p.77)



On peut toujours hausser les épaules en disant que c’est une observation de bon sens (sur laquelle s’accordent nombre de philosophes, aussi différents que peuvent l’être Épicure, Sénèque et Pascal), il me semble néanmoins qu’elle est riche de conséquences, en particulier sur l’idée qu’on se fait de la morale (et de la politique). Mais qu’est-ce qu’en tire Aristote ?



Il précise plus loin sa conception en disant que le bonheur est inaccessible « un bœuf, un cheval ou n'importe quel autre animal », et, plus surprenant peut-être, aux enfants (« un enfant n'est pas heureux », p.81). L’écart entre l’homme et l’animal tient évidemment à ce que seul le premier est un être rationnel qui s’élève au-dessus de la « vie sensitive » (p.70). D’où il suit selon Aristote que son bonheur réside ou découle d’un type d’activité qu’il est seul propre à accomplir. Or la bonté et l’exécution de « ce qui est beau » (p.81) sont inaccessibles aux enfants en raison des limitations de leur âge. On voit donc que bonheur définit le bonheur comme une activité ou –je ne suis pas bien sûr- comme quelque chose qui présuppose 1) : la raison humaine pleinement développée ; 2) : l’accomplissement de certaines activités.



Ensuite Aristote affirme qu’on ne peut pas qualifier un homme vivant d’heureux car « on se fait du bonheur l'idée d'une chose ferme et malaisée à renverser de quelque façon que ce soit, alors que la roue de la fortune tourne souvent pour les mêmes individus. Il est clair, en effet, que si nous suivons pas à pas les caprices de la fortune, nous allons souvent dire que le même individu et heureux et malheureux tour à tour, donnant de l'homme heureux l'image d'une sorte de caméléon et d'édifice branlant. » (p.83-84). Donc, le caractère final du bonheur chez Aristote ne semble pas une simple affaire de logique. Ce qu’il appelle le « bonheur » est quelque chose d’acquis et de définitif. C’est une conception « continuiste » du « bonheur ».



Le côté « stoïcien » de l’homme heureux va dans le même sens : « [L'homme heureux] supportera aussi les caprices de la fortune avec le plus beau visage. » (p.85)



Mais ce caractère « continuiste » semble explicitement contredit à la page suivante : « On ne peut être, en effet, arraché au bonheur aisément, ni par n'importe quel revers. Au contraire, cela nécessite de grandes infortunes, qui se multiplient. Après de telles infortunes, on ne peut pas non plus recouvrer le bonheur en peu de temps. »



Au livre II, Aristote dit que les vertus morales ne sont pas données naturellement mais sont acquises par imitations. Ceci ferme peut-être la voie aux théories du sens moral inné. Quant à savoir comment les thomistes font pour faire tenir le péché originel avec l’affirmation suivante (« nous ne naissons pas naturellement bons ou mauvais. », p.112), je me le demande…



Au livre III, Aristote affirme l’objectivité des valeurs et fait du mal une conséquence de l’ignorance (deux thèses socratiques) : « Tout méchant ignore ce qu'il doit réellement accomplir et ce dont il lui faut se garder ; c'est même en raison de ce genre de déviation que les hommes deviennent injustes et globalement mauvais. [...] L'ignorance impliquée dans la décision d'agir du méchant n'entraîne pas son non-consentement à l'action ; au contraire, elle est seulement responsable de sa méchanceté. » (p.136)



« Dans l'absolu et en vérité l'objet du souhait, c'est le bien, mais chaque particulier trouve souhaitable ce qui lui paraît bon. Ainsi donc, le vertueux trouve souhaitable ce qui est véritablement bon, tandis que le vilain trouve souhaitable n'importe quoi. » (p.152)



Il nie ensuite que la vie morale se réduise à la poursuite du plaisir et à l’évitement de la douleur (ce que soutient par exemple l’utilitarisme) : « Le grand nombre, en revanche, est en proie, semble-t-il, à l'illusion due au plaisir, car celui-ci n'est pas un bien mais paraît l'être. La masse prend donc l'agrément pour le bien et fuit le chagrin comme le mal. » (p.152). Aristote reconnaît néanmoins plus loin qu’un tel comportement est favorisé par la nature : « La pente la plus manifeste de la nature est de fuir ce qui chagrine et de viser l'agréable. » (p.421). Ce qui ne semble pas contradictoire car l’acquisition de la vertu morale, on l’a vu, exige d’imiter les hommes vertueux, et relève donc en partie (sinon totalement) de la culture et de l’éducation.



Au livre V, le bonheur est désigné comme le contenu de la justice, non plus seulement pour la vie morale individuelle mais pour la vie civique : « Nous appelons justes les prescriptions susceptibles de produire et de garder le bonheur et ses parties constituantes au profit de la communauté des citoyens. » (p.229).



Est distingué le juste par nature du juste qui prend son importance « une fois établi » (p.260). Aristote est donc jusnaturaliste : la justice ne se confond pas avec la loi ou la convention (cf aussi : « Tout ce qui est juste s'entend de deux façons (ce qui n'est pas écrit d'une part, et ce que dit la loi d'autre part). », p.447).



Au livre VII, Aristote rejette l’anti-hédonisme radical : « On ne peut pas soutenir que le plaisir est essentiellement un mal. » (p.398). Le plaisir, un certain nombre de biens « externes » (notamment des biens matériels, mais aussi l’amitié, étudiée au livre VIII), sont des conditions de l’obtention de la vie heureuse. La vertu seule est insuffisante (contrairement à ce que soutiennent par exemple les stoïciens) : « L'homme heureux a besoin, par surcroît, des biens corporels, des biens extérieurs et de la fortune, afin de ne pas avoir d'entraves venant de là. Et ceux qui prétendent que le supplicié sur sa roue ou la victime de grandes infortunes sont heureux pourvu qu'ils soient hommes de bien, ces gens-là, bon gré mal gré, parlent pour ne rien dire. » (p.399)



[Notons que ces remarques de bon sens contredisent le passage p.85, et pose aussi problème au regard de la conception « continuiste » du bonheur.]



L’homme de bien jouit également de sa propre vertu (seconde objection à l’anti-hédonisme radical) : « L'homme vertueux souhaite passer du temps à s'entretenir avec lui-même, car il a du plaisir ce faisant. En effet, les actions accomplies lui laissent des souvenirs ravissants et celles qu'il s'apprête à faire suscitent en lui de bons espoirs ; or ce genre choses est agréable ; et de plus, sa pensée abonde en vues de toutes sortes. » (p.464)



Le rapport éthique à soi-même rend possible le rapport éthique à l’autre :
« Il faut fuir la méchanceté sans relâche et tâcher d'être honnête, car c'est ainsi qu'on peut à la fois entretenir envers soi-même des dispositions amicales et devenir pour autrui un ami. » (p.467). On trouve ainsi au livre IX une importante fin de non-recevoir aux anathèmes lancés contre l’amour de soi : "On fait honte en effet à ceux-là qui sont attachés en tout premier lieu à leurs propres personnes et l'on prend en mauvaise part l'amour de soi pour les dénoncer. L'opinion aussi va dans le même sens. Le vilain, d'après elle, n'agit que pour soi et plus il est méchant, plus c'est évident ; donc on lui reproche en quelque sorte de ne jamais se départir de lui-même lorsqu'il agit, alors que l'honnête homme est motivé par ce qui est beau et plus il est il est vertueux, plus il se laisse guider par ce mobile, qui le fait agir dans le souci de son ami et il laisse de côté son avantage personnel.

Mais ce sont là des arguments avec lesquels les faits sont en désaccord. Et ce n'est pas sans raison. On prétend en effet qu'on doit aimer avant tout la personne qui est notre meilleur ami. Et le meilleur ami de quelqu'un, c'est celui qui lui souhaite du bien en se souciant de cette personne-là, même si nul ne doit le savoir. Or ce sont les dispositions qu'on a avant tout envers soi-même.
Et c'est vrai par conséquent aussi de toutes les autres dispositions, qui permettent de définir l'ami puisque, on l'a dit, c'est de là que toutes les attitudes amicales en arrivent à concerner les autres personnes. [...] Tout cela est en effet susceptible de s'appliquer avant tout à quelqu'un dans sa relation avec lui-même, car on est avant tout cher à soi-même. Donc, il faut aussi soi-même par-dessus tout
." (p.475-476)




"Par conséquent, l'homme bon, pour sa part, doit avoir l'amour de soi parce qu'il peut en tirer personnellement profit, vu ses belles actions, et rendre service aux autres." (p.479)



L’eudémonisme d’Aristote n’est donc pas une éthique sacrificielle ou une exhortation à l’abnégation au mépris du « moi » (haïssable suivant Pascal…).



Le bonheur est à nouveau défini à la fin du livre IX comme « une sorte d'activité ; et l'activité, évidemment, s'inscrit dans le devenir ; autrement dit, elle n'est pas donnée comme un objet de possession. » (p.483). On voit mal comment cette définition peut s’accorder avec celle du bonheur comme dans un état final (livre I).



Le livre X revient sur la question du plaisir. Aristote s’oppose à ceux qui affirment qu’il y a contradiction entre la vie morale et le plaisir. Mais, comme on l’a déjà vu, cela ne le conduit pas à une éthique hédoniste, le bien et le plaisant reste deux choses distinctes (même si elles peuvent se recouper) : « Il y a ceux qui mettent de l'avant les plaisirs répréhensibles.
On pourrait leur rétorquer qu'il n'y a pas là de quoi tirer un vrai plaisir. Ce n'est pas en effet parce que les sujets mal disposés les trouvent agréables qu'il faut croire que ces choses le sont aussi dans la réalité quand on fait exception de ces sujets. Il en va ici comme ailleurs: on ne s'en remettra pas non plus aux malades pour juger de ce qui est sain, doux ou amer et, de leur côté, les objets blancs ne sont pas ceux qui apparaissent ainsi aux personnes souffrant des yeux. [...]
Ou plutôt, il faut dire qu'il y a différences formes de plaisirs. Ceux que procurent les belles actions sont en effet d'une tout autre nature que ceux que procurent de laides actions.
 » (p.507)




"Personne ne voudrait d'une vie où, gardant une intelligence de petit enfant toute son existence, il trouverait dans les plaisirs de l'enfance toute la joie possible ; ni de la joie qu'il y aurait à faire l'une des pires choses qui soient sans jamais risquer d'en être peiné.
Ajoutons enfin qu'il y a beaucoup de choses que nous pouvons prendre aucun plaisir: par exemple, voir, nous souvenir, savoir, posséder les vertus... Le fait par ailleurs que ces choses entraînent nécessairement des formes de plaisir n'a aucune importance, car nous pouvons les apprécier quand même ne s'ensuivrait pas de plaisir. [...]
Ainsi donc, le plaisir n'est ni le bien, ni une chose toujours appréciable, c'est un fait semble-t-il évident.
" (p.508)




Toutefois ces distinctions n’expliquent pas pourquoi il faut préférer le plaisir issu de l’action juste à celui que –Aristote l’admet- peut procurer l’action injuste. Car Aristote semble dire que la vertu est elle-même digne de choix, indépendamment de ses bienfaits (qui existent puisqu’elle s’accompagne d’un plaisir propre, on l’a vu. Voir aussi : « Nous croyons qu'un plaisir doit être inextricablement mêlé au bonheur. [...]
Il semble en tout cas que la poursuite de la sagesse implique d'étonnants plaisirs par leur pureté et leur stabilité.
 », p.526).




La relation entre vertu et bonheur n’est pas claire. Aristote écrit que « le bonheur est une activité traduisant la vertu » (p.524), laquelle activité est de nature méditative. Comme la vertu est définit comme « chose stable », acquise, le bonheur doit donc aussi être continu, ce qui semble contredit par certains passages précités. En outre, cette définition semble faire de la vertu une condition suffisante du bonheur, hors on a déjà vu qu’Aristote rejetait cette position…



La lecture de l’Éthique à Nicomaque laisse donc un sentiment mitigé à cause des problèmes ci-dessus. S’il semble clair que l’eudémonisme téléologique d’Aristote apporte de bonnes objections aux formes d’anti-hédonisme les plus radicales, sa conception continuiste et active du « bonheur » semble l’écarter des eudémonismes n’accordant qu’un rôle instrumental à la vertu, au profit d’une conception perfectionniste de la morale (soit la thèse qui fait de la vie bonne ou du souverain bien ce qui permet le « développement de la nature humaine » ou encore l’obtention d’une forme d’ « excellence »).



https://study.stanley-cavell.org/Le-perfectionnisme-en-philosophie



Cette hypothèse suivant laquelle l’éthique aristotélicienne ne vise pas tant (pas du tout ?) le bonheur qu’à rendre vertueux est d’ailleurs renforcée par le fait qu’Aristote soutient une position perfectionniste (et donc anti-libérale) en politique. Les dernières pages de l’Éthique à Nicomaque appellent d’ailleurs à la mise en place d’une éducation publique obligatoire :



"Mais il n'y a que dans la Cité de Lacédémone ou peu s'en faut que le législateur semble s'être préoccupé de la manière d'élever les enfants et de règler leurs conduites. Dans la grande majorité des Cités, en revanche, ce genre de choses ne fait l'objet d'aucune préoccupation et chaque particulier y vit comme il le souhaite. [...] Le mieux est que voit le jour une préoccupation commune de l'éducation. [...] Quand les préoccupations sont communes [...] elles s'exercent évidemment par le moyen de lois. [...] On peut penser qu'on tient un compte plus exact des particularités lorsque l'instruction est privée, car chacun peut mieux avoir le traitement adéquat. [...] Néanmoins [...] c'est par le moyen de lois que nous pouvons devenir bons." (p.543-545)



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Il y a 5 heures, Johnathan R. Razorback a dit :

Donc, mes remarques (et mes incompréhensions) sur l'Éthique à Nicomaque :

 

 

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La lecture de l’Éthique à Nicomaque laisse donc un sentiment mitigé à cause des problèmes ci-dessus. S’il semble clair que l’eudémonisme téléologique d’Aristote apporte de bonnes objections aux formes d’anti-hédonisme les plus radicales, sa conception continuiste et active du « bonheur » semble l’écarter des eudémonismes n’accordant qu’un rôle instrumental à la vertu, au profit d’une conception perfectionniste de la morale (soit la thèse qui fait de la vie bonne ou du souverain bien ce qui permet le « développement de la nature humaine » ou encore l’obtention d’une forme d’ « excellence »).

 

 

 

En lisant E.N, j'avais cru comprendre que la remarque du livre I servait surtout à montrer que le bonheur n'est pas une chose que l'on possède (que l'on peut perdre et gagner) mais une actualisation permanente du bonheur, cause finale de notre action. Ce qui explique la vertu soit stable, c'est que l'on dit de quelqu'un qu'il est vertueux uniquement si il actualise la vertu dans les cas qui le nécessite (sauver quelqu'un ou que sais-je). Du coup, c'est bien une conception active (actualiste) du bonheur mais le bonheur impliquant une sorte de continuité, on ne peut donc dire, de manière certaine, de quelqu'un qu'il fut heureux que rétrospectivement.
Sinon, je n'ai pas compris pourquoi tu rapprochais la thèse aristotélicienne du mal comme conséquence de l'ignorance de celle de Socrate alors que j'ai lu cette partie du livre III comme une critique de la thèse socratique justement, en distinguant deux types d'ignorances. Certes le mal est la conséquence de l'ignorance mais nous sommes nous même cause de cette ignorance, on peut se préparer comme l'athlète à la moralité en évitant de boire par exemple.

 

PS : Je suis loin d'être un spécialiste hein donc j'ai peut-être eu une mauvaise lecture, une explication m'intéresse donc bien aussi :)

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Il y a quelques ouvrages spécialisés sur ces questions, mais je n'en dispose pas chez moi. Hum, sinon j'ai trouvé ceci:

 

"Pour Aristote, le bonheur se trouve dans l’activité rationnelle. Qu’est-ce que cela signifie ? D’abord que le bonheur n’est pas un état stable et passif où l’activité de penser serait suffisante pour apporter le bonheur. Au contraire, le bonheur est action, activation permanente de la fonction propre de l’individu. Le bonheur survient quand on agit selon la raison.

 

Agir selon la raison, c’est donc agir de façon raisonnée, selon un certain nombre de principes et de valeur. Vous l’aurez compris, la vertu joue un grand rôle dans l’accès au bonheur. La vertu, dans le vocabulaire d’Aristote, n’est pas à comprendre dans son sens judéo-chrétien, comme une chasteté ou encore comme une propension compassée à faire le bien. La vertu, chez Aristote, se trouve entre connaissance et action : c’est une volonté de bien agir qui, à force de s’actualiser, devient une habitude. La vertu est donc à comprendre comme une tendance à bien agir soutenue par la volonté de bien faire. « Nous sommes ce que nous répétons sans cesse. L’excellence n’est donc pas un acte, mais une habitude » . Il y a donc en fait deux éléments dans la vertu : une vertu intellectuelle, qui s’acquiert par l’éducation et une vertu morale, qui s’acquiert par l’habitude de bien agir. La vertu qui conduit au bonheur est donc l’habitude d’une activité bien pensée.

 

Et c’est ici que le plaisir revient dans la pensée d’Aristote. Il ne s’agit pas ici du plaisir hédoniste, mais au contraire du plaisir à agir selon sa nature, à actualiser ses potentialités d’homme rationnel. C’est un plaisir comme complétude de notre nature, c’est donc le plus humain des plaisirs. Aucune contrainte dans le bien agir de l’homme vertueux, au contraire, il ressent du plaisir en agissant bien. Plaisir et vertu se renforcent donc l’un l’autre. Le bonheur est donc une activité qui apporte un plaisir constant. Ce plaisir continu ne peut être apporté que par un plaisir intellectuel, intérieur, stable et non par un plaisir sensible, lié  un objet extérieur et qui s’épuise vite. Nous retrouvons ici le caractère autosuffisant qui doit caractériser le bonheur. Le bonheur ne peut venir que de nous-même. Tous les autres plaisirs conformes à ces critères sont donc des biens qui peuvent nous soutenir sur le chemin-habitude du bonheur (l’amitié, l’art, un bon repas sans excès…)." (cf: http://www.philo-du-bonheur.fr/aristote/ )

 

Ce commentaire confirme que la vertu n'est pas une condition suffisante du bonheur. Par contre sur la nature de celui-ci (c'est le principal problème que j'ai avec Aristote je pense. Typiquement je nie que le bonheur ne vienne que de nous-même)...

On a l'impression que le bonheur est "dissous" dans la notion d'acte vertueux, c'est l'acte vertueux qui produit le bonheur (sauf que comme la vertu est stable, habituelle, on a l'impression que c'est contradictoire avec l'idée que le bonheur peut être perdu. A MOINS que ce ne soit que l'actualisation de la vertu dans une situation concrète qui produise le bonheur. Mais si on évite le problème du "continuisme" en disant ça, on retombe sur l'idée qu'il y a une manière garantie et automatique de se rendre heureux, ce qui me semble difficilement admissible.

De plus -et ça me semble une objection encore plus forte- Aristote soutient que le bonheur s'accompagne de plaisir -ce avec quoi je suis d'accord et que je souligne pour @Mégille qui avait eu l'air la dernière fois de trouver cette idée originale- or on a l'impression qu'il a des actes vertueux qui susciteraient bien plutôt du déplaisir, quand bien même ils seraient favorable au bonheur de l'agent à plus long terme. Typiquement le courage ou toute vertu martiale en général. Si ces actualisations sont déplaisantes, elles ne rendent pas heureux -suivant la question même du bonheur chez Aristote- et on peut légitimement contester l'équivalence entre actualisation d'une vertu et bonheur).

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il y a une heure, Johnathan R. Razorback a dit :

Ce commentaire confirme que la vertu n'est pas une condition suffisante du bonheur. Par contre sur la nature de celui-ci (c'est le principal problème que j'ai avec Aristote je pense. Typiquement je nie que le bonheur ne vienne que de nous-même)...

On a l'impression que le bonheur est "dissous" dans la notion d'acte vertueux, c'est l'acte vertueux qui produit le bonheur (sauf que comme la vertu est stable, habituelle, on a l'impression que c'est contradictoire avec l'idée que le bonheur peut être perdu. A MOINS que ce ne soit que l'actualisation de la vertu dans une situation concrète qui produise le bonheur. Mais si on évite le problème du "continuisme" en disant ça, on retombe sur l'idée qu'il y a une manière garantie et automatique de se rendre heureux, ce qui me semble difficilement admissible.

C'est la cas uniquement si l'actualisation de la vertu est une action simple, or comme le montre le livre VI, c'est au contraire très difficile de savoir comment bien agir. C'est toute la question autour de la phronesis, cette vertu qui correspond à une sorte de "sagesse pratique", qui ne s'acquiert qu'avec l'expérience et qui s'applique de manière ponctuelle. Cela implique que l'agent ne peut pas uniquement se fier à des lois morales, il n'y a pas de recette magique et automatique pour atteindre le bonheur.

il y a une heure, Johnathan R. Razorback a dit :

De plus -et ça me semble une objection encore plus forte- Aristote soutient que le bonheur s'accompagne de plaisir -ce avec quoi je suis d'accord et que je souligne pour @Mégille qui avait eu l'air la dernière fois de trouver cette idée originale- or on a l'impression qu'il a des actes vertueux qui susciteraient bien plutôt du déplaisir, quand bien même ils seraient favorable au bonheur de l'agent à plus long terme. Typiquement le courage ou toute vertu martiale en général. Si ces actualisations sont déplaisantes, elles ne rendent pas heureux -suivant la question même du bonheur chez Aristote- et on peut légitimement contester l'équivalence entre actualisation d'une vertu et bonheur).

Cela tient peut être à la signification qu'a le mot de vertu pour nous à cause de l'influence chrétienne. Malgré leur nombre réduit, les vertus chez Aristote peuvent correspondre à des domaines très différents et leur actualisation peut être très plaisante : profiter d'un bon repas implique l'actualisation d'une vertu de médité par exemple. C'est une idée qui me vient sur le coup, mais je trouve que ça colle bien avec l'actualisation car les occasions d'être vertueux deviennent bien plus nombreuses.

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Il y a 12 heures, RayRhacer a dit :

 leur actualisation peut être très plaisante

 

Oui, mon objection ne vaut bien sûr que pour certains cas. Mais il suffit d'un seul pour établir qu'il n'y a pas de relation nécessaire entre actualisation d'une vertu et obtention du bonheur. A moins que cette obtention surviennent à un moment ultérieur, mais ce n'est pas ce que dit Aristote.

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J'allais mettre ça dans les phrases qui font plaisir (et venant d'Augustin, c'est rare !), mais vu que pour moi c'est un fondement naturaliste de la morale, je le met ici:

 

"Tous sans exception, nous voulons être heureux ! [...]

Mais qu’est ceci ? Que l’on demande à deux hommes s’ils veulent être soldats, et il peut se faire que l’un réponde oui, l’autre non ; mais qu’on leur demande s’ils veulent être heureux, et tous les deux aussitôt sans la moindre hésitation disent qu’ils le souhaitent, et même, le seul but que poursuive le premier en voulant être soldat, le seul but que poursuive le second en ne le voulant pas, c’est d’être heureux. Serait-ce donc que l’on prend sa joie, l’un ici, l’autre là ? Oui, tous les hommes s’accordent pour déclarer qu’ils veulent être heureux, comme s’ils s’accorderaient pour déclarer, si on le leur demandait, qu’ils veulent se réjouir, et c’est la joie elle-même qu’ils appellent vie heureuse. Et même si l’un passe ici, l’autre là pour l’atteindre, il n’y a pourtant qu’un seul but où tous s’efforcent de parvenir : la joie."

- Saint Augustin, Les Confessions, 354-430.

 

En parlant de naturalisme, je signale ce très bon article de méta-éthique, très clair, qui défend le naturalisme moral contre plusieurs objections: https://philpapers.org/rec/COPVOM

 

Du coup je vais demander à @Lancelot ce qu'il voulait dire avec son histoire d'argent à donner ou pas, parce que je n'ai pas bien compris sa question.

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