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Éthique et tac


Messages recommandés

il y a 47 minutes, Pegase a dit :

Mais je pense que pour un utilitariste tout ça a assez peu d'importance.

Pour un utilitariste, la réalité a assez peu d'importance. L'important c'est la maximisation sous contraintes d'une quantité imaginaire issue d'un modèle qui n'a rien à voir avec la nature humaine (et qui doit primer sur elle en cas de désaccord).

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Tant que la recherche du bonheur ou du bien-être de chacun ne nuit pas à celui des autres, ma foi, je n'y vois pas d'inconvénient. Mais dès qu'elle passe par l'emmerdement de son prochain, c'est effectivement pas terrible.

 

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Il y a 15 heures, Pegase a dit :

J'ai instinctivement la conviction que l'utilitarisme mène à une impasse, mais je ne suis pas sûr de pouvoir expliquer cette intuition.

 

Donc ce texte d'introduction au libéralisme, j'écris (note 6 page 22): "C’est une doctrine éminemment contestable, pour de nombreuses raisons : l’arbitraire des prémisses (les philosophes utilitaristes n’expliquent pas pourquoi toutes les utilités sont moralement aussi importantes -pourquoi la vie d’un inconnu devrait autant vous importer que celles de vos proches ? Et pourquoi devrais-je vouloir maximiser le greater good, plutôt que de ne pas le faire ?), son caractère inapplicable (le temps de calcul de l’utilité générale est incompatible avec toute espèce d’action -le temps de faire l’estimation, les conditions auront changé. Seul Dieu pourrait se comporter de façon utilitariste…), et enfin le fait qu’elle contrevienne violemment à certaines évidences du sens commun (par exemple, l’utilitarisme étant une forme de conséquentialisme, c’est le fait que la conséquence -le plus grand bien du plus grand nombre- soit réalisée qui fait la moralité de l’agent, et non ses intentions ou les vertus qu’il mettrait en oeuvre dans son action. On aboutit alors à la possibilité étrange qu’une personne n’ayant jamais de bonnes intentions et ne pratiquant aucune vertu puisse être une bonne personne, uniquement parce qu’elles produiraient -par exemple accidentellement- des actions qui s’avèreraient bonnes…)."

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Je me permets de poster cette vidéo qui reprend certaines critiques de l'utilitarisme et fait assez bien le tour de la question (le reste de la chaîne est vraiment bien également).

 

Globalement, j'ai l'impression que l'utilitarisme se décline en plusieurs considérations morales assez vastes (globalement, même les utilitaristes les plus obtus ne parlent pas de mettre 20% de l'humanité en esclavage pour améliorer le bonheur collectif) ce qui me questionne sur la pertinence de ce terme englobant.

 

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Le 08/08/2020 à 14:31, Pegase a dit :

Dans une vidéo récente de Monsieur Phi ( https://www.youtube.com/watch?v=DY_X8szLrbU&feature=youtu.be )

 

 

C'est dans la même veine que ce qu'il développait dans son "altruisme efficace" en expliquant qu'on avait le devoir moral de donner une partie de son salaire à des associations altruiste car l'éloignement de la souffrance n'est pas une excuse pour l'ignorer. Je ne m'identifie pas comme utilitariste, mais comment répondre à tout ça (sans utiliser Nietzsche).

 

Il n'y a pas que les utilitaristes qui prônent l'altruisme, hein. (et ce n'est pas anti-libéral non plus) Mon principal problème avec cette théorie est qu'elle ne se fonde pas elle-même (elle repose sur un impératif catégorique caché), et qu'elle peut donc être aveugle à ses conditions de possibilité... Les conséquences contre-intuitives peuvent être accepté par des benthamites fanatiques, j'en connais.

 

Sur le sujet de la vidéo elle-même, j'ai tendance à croire que l'éthique (la discipline) est à la morale (le comportement réel) ce que les mathématiques sont au calcul mental, tout simplement. Les calculateurs prodiges ne sont que rarement des mathématiciens géniaux, et inversement.

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Spoiler

Peter Singer, un des philosophes les plus influents dans le domaine de l'éthique (il est notamment  le théoricien de l'anti-spécisme), s'amuse souvent à argumenter que la vaste majorité de l'humanité est hypocrite et immorale. Dans un de ses textes les plus influents, "Famine, affluence, and morality", il développe l'expérience de pensée suivante : Pendant une promenade je me retrouve près d'un étang peu profond dans lequel j'aperçois un enfant en train de se noyer. Dans cette situation je me dois de sortir l'enfant de l'eau pour le sauver. Jusqu'ici rien de très controversé. Cependant, si je pense que j'ai une obligation morale de payer un coût relativement insignifiant (comme salir mes vêtements) pour aider un enfant en train de se noyer sous mes yeux, alors j'ai la même obligation morale de payer un coût insignifiant (comme faire un don à une association caritative) pour aider un enfant en train de mourir de faim à l'autre bout du monde. Privilégier une personne proche par rapport à une personne distante serait purement et simplement une forme de discrimination. Bien sûr, admet Singer, on pourrait argumenter que nous sommes mieux placés pour évaluer ce qui doit être fait pour aider une personne proche, mais cette excuse ne tient plus dans notre monde moderne où on peut trivialement soit se renseigner, soit trouver des experts pour gérer nos dons.
 
Pourtant la distance est un élément fondamental en éthique normative, qu'il est normal et important de prendre en compte. C'est la position que je vais m'employer à défendre ici en ignorant les autres arguments et conclusions de Singer, qui découlent de son argument sur la distance. Dans ce but je vais introduire deux notions : celle d'obligation morale de moyen et celle de limitation des ressources mentales.
 
Dans l'exemple de Singer la situation est un enfant en danger de mort, et nous jugeons qu'il faut l'aider. Tout se passe bien tant qu'on reste au niveau de ce jugement théorique (il est moral d'aider cet enfant), cependant il faut que ce jugement se traduise en un moyen d'action concret (je dois faire telle et telle chose pour aider cet enfant). Cette conversion, quand nous avons une connaissance imparfaite de la situation, fait que nous agissons parfois, et malgré nos meilleures intentions, de manière contre-productive. Considérons un cas concret. En 2010 une catastrophe naturelle ravage Haïti. Des enfants sont en danger de mort et, étant disciple de Singer, je décide qu'il est de mon devoir de payer un coût insignifiant pour les aider. N'étant pas un expert moi-même, je fais un modeste don à l'ONG Oxfam qui saura gérer cet argent au mieux. En 2011 des responsables d'Oxfam sur le terrain utilisent mon argent pour organiser des orgies avec de jeunes prostituées. Ce n'est ni le premier scandale impliquant des ONG, ni le dernier, et c'est très loin d'être le pire. De toute évidence les experts ne sont pas toujours aussi fiables que prévu.
 
Se pose alors la question suivante : mon obligation morale d'aider un enfant en danger de mort s'accompagne-t-elle d'une obligation morale de m'assurer que le moyen que je choisis pour l'aider est efficace ? Si c'est le cas, par exemple, face à un enfant malade avec une boîte remplie de médicaments, mon devoir moral ne se limite pas à en lui donner un au hasard dans l'espoir de l'aider, il s'accompagne d'une obligation de lire les étiquettes et généralement faire ce qui est en mon pouvoir pour trouver un médicament qui arrange la situation (ou qui ne l'aggrave pas). C'est ce que j'appelle l'obligation morale de moyen. Dans le cas de l'enfant à l'autre bout du monde, comme nous l'avons vu, s'assurer d'avoir respecté l'obligation de moyen peut impliquer de se familiariser avec le sujet, les associations concernées et leur passif, bref de rendre la situation, intellectuellement au moins, moins distante. L'équivalence postulée par Singer avec le cas de l'enfant qui se noie, où de tels efforts ne sont pas nécessaires, est donc brisée rien qu'au niveau individuel. Mais le problème est plus profond.
 
Nous vivons dans un âge où, que nous le voulions ou non, nous sommes constamment abreuvés de nouvelles situations moralement saillantes en provenance du monde entier (guerres, catastrophes naturelles, accidents...). La position de Singer nous dit que nous devrions entreprendre de payer un prix insignifiant pour aider chaque personne affectée par ces situations comme si elle était devant nous (Singer nous refuse la possibilité de choisir a priori). L'obligation morale de moyen ajoute que nous devrions alors devenir raisonnablement experts dans toutes ces situations. Acquérir cette expertise demanderait une quantité de temps et de ressources mentales (telles que l'attention ou la mémoire) colossale, bien au-delà de celle dont dispose un être humain. Or, à l'impossible nul n'est tenu.
 
En bref, plus une situation m'est familière, moins mes jugements moraux et les actes qui en découlent seront susceptibles d'être rendus contre-productifs par mon ignorance. Associée à l'obligation morale de moyen cette proposition peut avoir deux conséquences : soit je dois suspendre mon jugement concernant les situations qui me sont trop étrangères, soit je dois devenir raisonnablement expert dans tous les domaines où, malgré moi, mon jugement se porte, avant de confirmer ce jugement et d'agir. La seconde solution peut sembler plus attirante pour un adepte de Singer mais elle a le défaut de nécessiter que nous soyons des surhommes aux ressources mentales illimitées.
 
Une ressource mentale particulièrement intéressante est la faculté morale elle-même. Dans un travail empirique récent, Süssenbach (2018) présente une expérience lors de laquelle les participants confrontés à de multiples démarchages pour des œuvres de charité présentent une baisse de leur capacité à reconnaître les émotions et de leur considération pour autrui, un phénomène nommé fatigue morale. Le fait que la faculté morale ne soit pas illimitée est parfaitement logique si on considère que notre espèce a évolué au sein de groupes sociaux restreints à quelques centaines d'individus seulement (Dunbar, 1993). Cela implique aussi que trop éparpiller nos ressources, en plus de produire des jugements médiocres ou nuisibles pour les situations qui nous sont lointaines, réduit aussi la qualité de nos jugements pour les situations qui nous sont proches. Conséquence logique d'un jeu à somme nulle, mais encore un clou dans le cercueil de la position de Singer.
 
Si je devais résumer ce qui précède en une seule proposition, ce serait que l'acte même d'exprimer un jugement moral n'est pas moralement neutre. Quelles leçons pouvons-nous en tirer d'un point de vue pragmatique ?
 
L'obligation morale de moyen implique qu'il est moralement inutile ou même contre-productif de se lancer dans des jugements et des actes hâtifs concernant des situations trop lointaines, l'exemple typique étant une démonstration purement symbolique sans autre utilité que celle d'instrumentaliser ces situations à son propre profit. Il est au contraire nécessaire de se renseigner au cas par cas afin de déterminer de manière éclairée ce qui se passe et quelle est la meilleure option. La limitation des ressources mentales, notamment la faculté morale, ajoute qu'il est d'une importance capitale de gérer correctement ces ressources. Il faut choisir ses batailles, appliquer nos jugements là où ils sont le plus nécessaires, bref se concentrer sur ce qui nous est familier, ou avec quoi nous devrions de toute manière tâcher de nous familiariser au maximum : notre situation et celle de nos proches.
 
Ce principe n'a rien de très original. On le retrouve dans des formules telles que "charité bien ordonnée commence par soi-même", "que celui d’entre vous qui n’a jamais péché lui jette la première pierre", "il faut cultiver notre jardin", ou encore "occupe-toi de tes oignons". La division du travail étant un fondement de l'organisation sociale de notre espèce, il correspond aussi au comportement humain normal plutôt que d'exiger que nous changions notre nature quand bien même nous en aurions la capacité.
 
La morale est aussi une entreprise éminemment sociale, et certains principes moraux ont vocation à être appliqués à l'échelle d'une société. Lorsque certaines manières de penser s'imposent dans un groupe elles deviennent des normes qu'il est acceptable de faire respecter a priori au sein de ce groupe. Les lois sont le sous-ensemble de ces normes suffisamment cristallisé (ne pas tuer, ne pas voler, etc.) pour que le groupe trouve légitime de les faire respecter au besoin par la force (du moins c'est le cas quand le processus n'est pas perverti par des législateurs trop zélés). La société peut alors se mêler des affaires d'un de ses membres dans la mesure où il ne respecte pas la loi.
 
Notre sensibilité morale a été forgée par les normes (civilisationnelles, culturelles, familiales...) de l'environnement dans lequel nous avons été élevés. Cependant nous avons la capacité, en notre âme et conscience et d'après notre familiarité avec une situation particulière, de ne pas être d'accord avec certaines de ces normes, de juger qu'elles sont mal représentées par telle ou telle loi ou qu'elles ne devraient pas s'appliquer dans un cas précis. Au niveau collectif les systèmes juridiques incluent typiquement des recours et une prise en compte des circonstances au cas par cas. Les normes évoluent d'ailleurs continuellement.
 
Un des principaux moteurs de l'évolution des systèmes de normes est qu'ils sont en concurrence. Dans une perspective évolutionniste, les bonnes lois constituent un avantage et les mauvaises lois un désavantage pour les nations qui les adoptent. Si on admet qu'il existe des caractéristiques suffisamment invariantes dans toutes les sociétés humaines, l’étude comparative et historique du Droit doit donc mener à la découverte de principes qui, lorsqu'ils sont pris en compte par les lois, nous permettent de survivre et prospérer. Cela ne signifie pas qu'il existe un système de normes idéal unique. Certains principes, comme celui de non-agression, peuvent avoir une portée très générale tandis que d'autres sont plus dépendants du contexte. Par ailleurs l'existence d'un principe ne veut pas dire qu'il n'y a qu’une seule manière d’implémenter ce principe.
 
D’un point de vue politique, la ramification la plus évidente est la défense dans la mesure du possible de l'absence d'interventionnisme. En effet un politicien qui m'est étranger n'a pas de légitimité pour prendre mes décisions morales à ma place. On peut généraliser cette remarque sur la distance en disant que la légitimité a priori des décisions politiques est inversement proportionnelle à la distance de celui qui prend les décisions par rapport à l'objet de cette décision. Notons qu'il ne s'agit pas d'une défense de la démocratie directe, où dans la plupart des cas chaque votant est individuellement éloigné de l’essentiel des enjeux du vote. On pourrait être tenté de les pousser à s'en rapprocher, mais on retomberait alors dans une version faible de la position de Singer avec tous ses problèmes. De manière mécanique, plus le nombre de personnes touchées est élevé, moins la décision sera légitime, ce qui favorise la subsidiarité et a l'avantage d'encourager la concurrence des normes pour que les meilleures puissent émerger et s'imposer.
 
 
Dunbar, R. I. (1993). Coevolution of neocortical size, group size and language in humans. Behavioral and brain sciences, 16(4), 681-694.
Singer, P. (1972). Famine, affluence, and morality. Philosophy & public affairs, 229-243.
Süssenbach, P. (2018). When They Come in Crowds: Charity appeals and moral fatigue. Basic and Applied Social Psychology, 40(4), 171-179.

 

La fin est surtout là pour illustrer des applications et est plus schématique qu'autre chose, mais ce ne sont pas des notions controversées ici (du moins j'imagine).

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On 8/8/2020 at 7:58 PM, Rincevent said:

Pour un utilitariste, la réalité a assez peu d'importance. L'important c'est la maximisation sous contraintes d'une quantité imaginaire issue d'un modèle qui n'a rien à voir avec la nature humaine (et qui doit primer sur elle en cas de désaccord).

 

Notons qu'un viol collectif est utilitariste et démocratique, puisqu'il augmente le bonheur de la majorité des participants.

 

L'argument peut sembler trollesque, mais l'idée que les individus ont des droits opposables à un groupe n'a rien d'évident pour certains (dont les utilitaristes). De façon générale, à supposer que les modèle soit justes (ce qui est une énorme supposition, on a plus de chance de gagner deux fois de suite la cagnotte de l'Euromillions), un système d'optimisation sous contraintes utilitariste risque d'aboutir à une maximisation du nombre de bénéficiares en sacrifiant quelques victimes. Un peu comme quand LFI propose de spolier les milliardaires. Il faut donc rajouter à un système moral utilitariste une exigence de consentement des utilisateurs, et notamment des "perdants" du système, à la légitimité dudit sytème. Pas certain que l'envoi de thune en Afrique pour éradiquer le trachome fonctionne aussi bien (même si je veux bien qu'on dépense la fortune de Peter Singer pour cette cause) .

 

Device shadocks, taper toujours sur les memes

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Le problème de l’utilitarisme c’est pour les meurtres : comme le mort n’a plus d’utilité vu qu’il est mort, son point de vue ne compte plus. Il ne reste plus que celui des survivants et mieux vaut être populaire. 

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Le problème de l'utilitarisme c'est que c'est fondamentalement court-termiste. Un utilitarisme long-terme devient une position éthique normale qu'on connaît ("tu ne tueras point" et pas "tu ne tueras que si le somme d'utilité blabla...")

 

  

Il y a 7 heures, Lancelot a dit :

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Peter Singer, un des philosophes les plus influents dans le domaine de l'éthique (il est notamment  le théoricien de l'anti-spécisme), s'amuse souvent à argumenter que la vaste majorité de l'humanité est hypocrite et immorale. Dans un de ses textes les plus influents, "Famine, affluence, and morality", il développe l'expérience de pensée suivante : Pendant une promenade je me retrouve près d'un étang peu profond dans lequel j'aperçois un enfant en train de se noyer. Dans cette situation je me dois de sortir l'enfant de l'eau pour le sauver. Jusqu'ici rien de très controversé. Cependant, si je pense que j'ai une obligation morale de payer un coût relativement insignifiant (comme salir mes vêtements) pour aider un enfant en train de se noyer sous mes yeux, alors j'ai la même obligation morale de payer un coût insignifiant (comme faire un don à une association caritative) pour aider un enfant en train de mourir de faim à l'autre bout du monde. Privilégier une personne proche par rapport à une personne distante serait purement et simplement une forme de discrimination. Bien sûr, admet Singer, on pourrait argumenter que nous sommes mieux placés pour évaluer ce qui doit être fait pour aider une personne proche, mais cette excuse ne tient plus dans notre monde moderne où on peut trivialement soit se renseigner, soit trouver des experts pour gérer nos dons.
 
Pourtant la distance est un élément fondamental en éthique normative et qu'il est normal et important de la prendre en compte. C'est la position que je vais m'employer à défendre ici en ignorant les autres arguments et conclusions de Singer, qui découlent de son argument sur la distance. Dans ce but je vais introduire deux notions : celle d'obligation morale de moyen et celle de limitation des ressources mentales.
 
Dans l'exemple de Singer la situation est un enfant en danger de mort, et nous jugeons qu'il faut l'aider. Tout se passe bien tant qu'on reste au niveau de ce jugement théorique (il est moral d'aider cet enfant), cependant il faut que ce jugement se traduise en un moyen d'action concret (je dois faire telle et telle chose pour aider cet enfant). Cette conversion, quand nous avons une connaissance imparfaite de la situation, fait que nous agissons parfois, et malgré nos meilleures intentions, de manière contre-productive. Considérons un cas concret. En 2010 une catastrophe naturelle ravage Haïti. Des enfants sont en danger de mort et, étant disciple de Singer, je décide qu'il est de mon devoir de payer un coût insignifiant pour les aider. N'étant pas un expert moi-même, je fais un modeste don à l'ONG Oxfam qui saura gérer cet argent au mieux. En 2011 des responsables d'Oxfam sur le terrain utilisent mon argent pour organiser des orgies avec de jeunes prostituées. Ce n'est ni le premier scandale impliquant des ONG, ni le dernier, et c'est très loin d'être le pire. De toute évidence les experts ne sont pas toujours aussi fiables que prévu.
 
Se pose alors la question suivante : mon obligation morale d'aider un enfant en danger de mort s'accompagne-t-elle d'une obligation morale de m'assurer que le moyen que je choisis pour l'aider est efficace ? Si c'est le cas, par exemple, face à un enfant malade avec une boîte remplie de médicaments, mon devoir moral ne se limite pas à en lui donner un au hasard dans l'espoir de l'aider, il s'accompagne d'une obligation de lire les étiquettes et généralement faire ce qui est en mon pouvoir pour trouver un médicament qui arrange la situation (ou qui ne l'aggrave pas). C'est ce que j'appelle l'obligation morale de moyen. Dans le cas de l'enfant à l'autre bout du monde, comme nous l'avons vu, s'assurer d'avoir respecté l'obligation de moyen peut impliquer de se familiariser avec le sujet, les associations concernées et leur passif, bref de rendre la situation, intellectuellement au moins, moins distante. L'équivalence postulée par Singer avec le cas de l'enfant qui se noie, ou de tels efforts ne sont pas nécessaires, est donc brisée rien qu'au niveau individuel. Mais le problème est plus profond.
 
Nous vivons dans un âge où, que nous le voulions ou non, nous sommes constamment abreuvés de nouvelles situations moralement saillantes en provenance du monde entier (guerres, catastrophes naturelles, accidents...). La position de Singer nous dit que nous devrions entreprendre de payer un prix insignifiant pour aider chaque personne affectée par ces situations comme si elle était devant nous (Singer nous refuse la possibilité de choisir a priori). L'obligation morale de moyen ajoute que nous devrions alors devenir raisonnablement experts dans toutes ces situations. Acquérir cette expertise demanderait une quantité de temps et de ressources mentales (telles que l'attention ou la mémoire) colossale, bien au-delà de celle dont dispose un être humain. Or, à l'impossible nul n'est tenu.
 
En bref, plus une situation m'est familière, moins mes jugements moraux et les actes qui en découlent seront susceptibles d'être rendus contre-productifs par mon ignorance. Associée à l'obligation morale de moyen cette proposition peut avoir deux conséquences : soit je dois suspendre mon jugement concernant les situations qui me sont trop étrangères, soit je dois devenir raisonnablement expert dans tous les domaines où, malgré moi, mon jugement se porte, avant de confirmer ce jugement et d'agir. La seconde solution peut sembler plus attirante pour un adepte de Singer mais elle a le défaut de nécessiter que nous soyons des surhommes aux ressources mentales illimitées.
 
Une ressource mentale particulièrement intéressante est la faculté morale elle-même. Dans un travail empirique récent, Süssenbach (2018) présente une expérience lors de laquelle les participants confrontés à de multiples démarchages pour des œuvres de charité présentent une baisse de leur capacité à reconnaître les émotions et de leur considération pour autrui, un phénomène nommé fatigue morale. Le fait que la faculté morale ne soit pas illimitée est parfaitement logique si on considère que notre espèce a évolué au sein de groupes sociaux restreints à quelques centaines d'individus seulement (Dunbar, 1993). Cela implique aussi que trop éparpiller nos ressources, en plus de produire des jugements médiocres ou nuisibles pour les situations qui nous sont lointaines, réduit aussi la qualité de nos jugements pour les situations qui nous sont proches. Conséquence logique d'un jeu à somme nulle, mais encore un clou dans le cercueil de la position de Singer.
 
Si je devais résumer ce qui précède en une seule proposition, ce serait que l'acte même d'exprimer un jugement moral n'est pas moralement neutre. Quelles leçons pouvons-nous en tirer d'un point de vue pragmatique ?
 
L'obligation morale de moyen implique qu'il est moralement inutile ou même contre-productif de se lancer dans des jugements et des actes hâtifs concernant des situations trop lointaines, l'exemple typique étant une démonstration purement symbolique sans autre utilité que celle d'instrumentaliser ces situations à son propre profit. Il est au contraire nécessaire de se renseigner au cas par cas afin de déterminer de manière éclairée ce qui se passe et quelle est la meilleure option. La limitation des ressources mentales, notamment la faculté morale, ajoute qu'il est d'une importance capitale de gérer correctement ces ressources. Il faut choisir ses batailles, appliquer nos jugements là où ils sont le plus nécessaires, bref se concentrer sur ce qui nous est familier, ou avec quoi nous devrions de toute manière tâcher de nous familiariser au maximum : notre situation et celle de nos proches.
 
Ce principe n'a rien de très original. On le retrouve dans des formules telles que "charité bien ordonnée commence par soi-même", "que celui d’entre vous qui n’a jamais péché lui jette la première pierre", "il faut cultiver notre jardin", ou encore "occupe-toi de tes oignons". La division du travail étant un fondement de l'organisation sociale de notre espèce, il correspond aussi au comportement humain normal plutôt que d'exiger que nous changions notre nature quand bien même nous en aurions la capacité.
 
La morale est aussi une entreprise éminemment sociale, et certains principes moraux ont vocation à être appliqués à l'échelle d'une société. Lorsque certaines manières de penser s'imposent dans un groupe elles deviennent des normes qu'il est acceptable de faire respecter a priori au sein de ce groupe. Les lois sont le sous-ensemble de ces normes suffisamment cristallisé (ne pas tuer, ne pas voler, etc.) pour que le groupe trouve légitime de les faire respecter au besoin par la force (du moins c'est le cas quand le processus n'est pas perverti par des législateurs trop zélés). La société peut alors se mêler des affaires d'un de ses membres dans la mesure où il ne respecte pas la loi.
 
Notre sensibilité morale a été forgée par les normes (civilisationnelles, culturelles, familiales...) de l'environnement dans lequel nous avons été élevés. Cependant nous avons la capacité, en notre âme et conscience et d'après notre familiarité avec une situation particulière, de ne pas être d'accord avec certaines de ces normes, de juger qu'elles sont mal représentées par telle ou telle loi ou qu'elles ne devraient pas s'appliquer dans un cas précis. Au niveau collectif les systèmes juridiques incluent typiquement des recours et une prise en compte des circonstances au cas par cas. Les normes évoluent d'ailleurs continuellement.
 
Un des principaux moteurs de l'évolution des systèmes de normes est qu'ils sont en concurrence. Dans une perspective évolutionniste, les bonnes lois constituent un avantage et les mauvaises lois un désavantage pour les nations qui les adoptent. Si on admet qu'il existe des caractéristiques suffisamment invariantes dans toutes les sociétés humaines, l’étude comparative et historique du Droit doit donc mener à la découverte de principes qui, lorsqu'ils sont pris en compte par les lois, nous permettent de survivre et prospérer. Cela ne signifie pas qu'il existe un système de normes idéal unique. Certains principes, comme celui de non-agression, peuvent avoir une portée très générale tandis que d'autres sont plus dépendants du contexte. Par ailleurs l'existence d'un principe ne veut pas dire qu'il n'y a qu’une seule manière d’implémenter ce principe.
 
D’un point de vue politique, la ramification la plus évidente est la défense dans la mesure du possible de l'absence d'interventionnisme. En effet un politicien qui m'est étranger n'a pas de légitimité pour prendre mes décisions morales à ma place. On peut généraliser cette remarque sur la distance en disant que la légitimité a priori des décisions politiques est inversement proportionnelle à la distance de celui qui prend les décisions par rapport à l'objet de cette décision. Notons qu'il ne s'agit pas d'une défense de la démocratie directe, où dans la plupart des cas chaque votant est individuellement éloigné de l’essentiel des enjeux du vote. On pourrait être tenté de les pousser à s'en rapprocher, mais on retomberait alors dans une version faible de la position de Singer avec tous ses problèmes. De manière mécanique, plus le nombre de personnes touchées est élevé, moins la décision sera légitime, ce qui favorise la subsidiarité et a l'avantage d'encourager la concurrence des normes pour que les meilleures puissent émerger et s'imposer.
 
 
Dunbar, R. I. (1993). Coevolution of neocortical size, group size and language in humans. Behavioral and brain sciences, 16(4), 681-694.
Singer, P. (1972). Famine, affluence, and morality. Philosophy & public affairs, 229-243.
Süssenbach, P. (2018). When They Come in Crowds: Charity appeals and moral fatigue. Basic and Applied Social Psychology, 40(4), 171-179.

 

La fin est surtout là pour illustrer des applications et est plus schématique qu'autre chose, mais ce ne sont pas des notions controversées ici (du moins j'imagine).

 

je lis régulièrement des articles de blogs plutôt en vogue ou de journaux qui valent pas un dixième de ça

  • Yea 1
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10 hours ago, NoName said:

je lis régulièrement des articles de blogs plutôt en vogue ou de journaux qui valent pas un dixième de ça

Merci ! C'était cool de rédiger un peu en français pour changer.

On verra dans trois ans si j'ai des trucs intéressants à dire sur l'esthétique :lol:

 

(et je n'oublie pas l'intelligence non plus, là je suis en train de me remettre à niveau sur Sternberg pour me préparer au dernier Murray)

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  • 2 months later...
  • 3 months later...
21 minutes ago, Rincevent said:

Et un vice, ce n'est pas simplement quelque chose dont on ne veut pas pour soi.

Alors justement parlons-en : dans "les vices ne sont pas des crimes" la notion de crime est assez clairement un comportement qu'il est légitime d'interdire par la force, et on peut faire appel à des moyens comme le PNA ou le DN en général pour juger de cette légitimité, mais qu'est-ce qu'un vice exactement ?

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il y a 13 minutes, Lancelot a dit :

qu'est-ce qu'un vice exactement ?

L'opposé d'une vertu, i.e. ce qui t'éloigne de tes valeurs ("tes" n'est pas nécessairement entendu au sens individuel, d'ailleurs).

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il y a 3 minutes, Lancelot a dit :

Quand c'est entendu au sens individuel, du coup, ça revient à "quelque chose qu'on ne veut pas pour soi", non ?

Le fait est que les valeurs sont rarement individuelles. Et même du point de vue individuel, on peut vouloir se rapprocher d'une valeur, et y échouer de manière générale : c'est quand même autrement plus compliqué que ne pas aimer les bonbons à la fraise. Si il y a vice, c'est qu'il y a tentation, parce que vouloir un truc est très loin de suffire à s'en rapprocher.

 

(On pourrait ajouter à la discussion la notion d'horizon temporel, et ce serait fort pertinent, mais pas suffisant parce que ladite notion s'applique aux vices/vertus mais aussi aux valeurs, et ça compliquerait aussi pas mal les choses).

  • Yea 1
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il y a 43 minutes, Rincevent a dit :

Si il y a vice, c'est qu'il y a tentation, parce que vouloir un truc est très loin de suffire à s'en rapprocher.

It's a sin!

Pour Aristote, qui me semble un peu incontournable sur la question, l'âme a 3 parties:

  • la partie appétitive
  • la partie active
  • la partie rationnelle

A chaque partie correspond une vertu:

  • la tempérance
  • le courage
  • la sagesse (sophia ou phronesis)

La justice est la 4e vertu, qui harmonise l'ensemble. Elle consiste à agir selon le juste milieu (entre deux vices, l'excès et la déficience) et le critère du juste milieu est la droite règle (orthos logos). Pour atteindre le juste milieu, ce qui n'est pas chose facile, il faut s'écarter de ce qui nous emporte facilement (le plaisir et toutes les choses pas propres). La prudence (phronesis) est le type spécial d'habileté qui distingue l'homme vertueux, qui est la mesure du juste (et pas l'inverse, tiens). L'idée d'Aristote ici, c'est que la vertu n'est pas seulement une disposition cultivée mais une situation, le caractère résultant d'un ensemble d'actions continuellement itérées et non d'une seule décision fatale faite avant de boire le Léthé (version pas du tout caricaturale de Platon). On voit donc que la prudence n'est pas tant une vertu morale que ce qui nous permet d'adopter le bon moyen pour atteindre la fin, que la vertu morale, elle, nous permet d'atteindre. Au passage, il y a une distinction entre vertus morales (générosité, tempérance), fruits de l’habitude, et vertus intellectuelles (sagesse, sagacité, compréhension), fruits de l’enseignement. Ces dernières demandent du temps et de l’expérience avant d’être enseignées, c’est pourquoi elles viennent après les vertus morales. Ethos ("habitude") a justement donné êthikê ("morale"). De là il suit que la vertu n’est pas naturelle sinon on ne pourrait rien y changer. Ce n’est pas parce qu’on fait souvent l’acte de voir que nous disposons de la vue mais parce qu’on dispose de la vue que l’on peut voir. En revanche, c’est en faisant de la cithare que l’on devient cithariste et c’est en agissant justement que l’on devient un homme juste. C’est le rôle du politique, ainsi, d’instiguer chez ses citoyens le sens du juste. "Toute vertu met finalement en bon état ce dont elle est vertu et en même temps, lui permet de bien remplir son office." (1106a16) La vertu d’un cheval fait qu’il est un bon cheval (porte bien son cavalier, galope vite). Pareillement, la vertu d’un homme est ce qui le rend bon et "lui permet de bien remplir son office propre".

 

Le vice, comme la vertu, relève d'une décision, d'une délibération (contrairement à la bestialité, qui se trouve toutefois chez les hommes, mais seulement les barbares). Si, quand je trompe chouchou, le principe de mon acte est mon désir, ce n'est pas un vice. "Si personne, en effet, n'est bienheureux à contecoeur, par contre la perversité est bien volontaire." (1113b16) NB qu'on ne délibère pas sur les fins mais sur les moyens (1112b12). C'est, avec l'incontinence, un exemple de mauvaise régulation des parties de l'âme. Mais l'incontinence est consciente, alors que le vice est inconscient (1150b35):

Citation

The profligate, as we said, does not feel remorse, for he abides by his choice; the unrestrained man on the other hand invariably repents his excesses afterwards. Hence the objection that we stated does not hold good; on the contrary, it is the profligate who cannot be cured, whereas the unrestrained man can; for Vice resembles diseases like dropsy and consumption, whereas Unrestraint is like epilepsy, Vice being a chronic, Unrestraint an intermittent evil. Indeed Unrestraint and Vice are entirely different in kind, for Vice is unconscious, whereas the unrestrained man is aware of his infirmity.

Je mets en cache à la fin le passage entier (qui est absolument prodigieux à tous égards). L'idée étant que l'incontinence est à mettre sur le compte de la tyrannie des affections, et que l'intempérant n'a pas l'excuse de l'appétit: il se livre à l'excès en toute conscience, le regrette plus tard et évite systématiquement le moindre mal. Aristote fait un parallélisme entre l'intempérant et la Cité qui a de bonnes lois mais ne les applique pas, tandis que le vicieux fait carrément appliquer des lois pourries: il ne voit pas le bien et fait le mal, c'est plutot qu'il n'a que le mal pour horizon, souvent parce qu'il a cultivé de mauvaises habitudes (culture dont il est reponsable, par exemple s'il a passé sa vie à boire, cf. le livre III). Ca me rappelle un cours de JBP sur le refoulement où il critique la version de Freud, en disant que quand tu commences à te mentir à toi-même, ce n'est pas inconscient every step of the way: you knew once, and then you made it into a routine. But you knew! (Malheureusement je n'arrive pas à retouver cette excellente vidéo.) Mais en gros, pour prendre un exemple amusant d'Aristote, on ne blâme pas l'aveugle de naissance mais celui qui est devenu aveugle par abus de vin (sic). C'est la différence entre l'action et la disposition. La disposition n'est pas exactement volontaire au sens où elle n'est pas sous mon contrôle du début à la fin, mais elle émerge d'actions entièrement volontaires, et donc elle m'est in fine imputable.

 

C'est pourquoi il ne suffit pas de connaître le bien, il faut aussi le pratiquer. C'est son désaccord avec Platon ; j'aime bien le passage en 1109a23 où Aristote écrit que "c'est tout un travail d'être vertueux". On peut y voir une connexion avec Kant, pour qui il y a deux façon de se mettre hors-la-loi : 1) soit en contournant la loi, dont on reconnaît néanmoins la validité, quitte à avoir honte de son action, soit 2) ce qui est pire, en faisant de la violation de la loi la règle de son action : c’est la différence entre tuer le roi dans une émeute et organiser sa condamnation à mort au terme d’un procès (ce qui horrifie Kant au dernier degré comme le sommet du non-droit et "le Mal le plus extrême"). Bon le rapprochement vaut ce qu'il vaut et bien sûr c'est pas tous les jours qu'on a l'occasion de mettre Aristote et Kant du même côté du filet mais je crois que ça éclaire l'idée. Pour Aristote, résister à la tentation ne rend donc pas vertueux: le vertueux est plutôt celui pour qui le mal n'est même pas une tentation, qui a appris à faire coïncider le bien et le plaisir: selon le P. Gauthier, Aristote corrige Socrate: l'intelligence du bien ne suffit pas à déterminer l'action vertueuse, il faut y ajouter l'appoint d'un désir subordonné à la détermination intellectuelle de la fin. (Il y a un passage dans Docteur Faustus de Mann qui dit exactement le contraire, quand Schlepfuss dit que quand on résiste à la tentation, ce n'est pas un péché mais un test de la vertu. Eh bien Aristote dirait exactement le contraire: ça prouve que tu n'es que modéré, et qu'avec un peu d'habileté (pure potentialité, talent, étranger à la morale et capable d'être employé pour le bien comme pour le mal), tu pourrais te faire passer pour vertueux.) C'est pourquoi la continence ou l'incontinence ont une position intermédiaire entre le vice et la vertu.

 

Je pense que ça nous a permis de distinguer un peu les torchons des serviettes et de poser les bonnes questions sur l'action, la disposition, le rapport à l'ignorance, à la volonté, la théorie/la pratique et le bonheur. Dans un esprit très McIntyrien, si l'on comprend bien le bien, la poursuite de mon bien ne peut être antagoniste à la poursuite du bien de @Lancelot parce que c'est LE bien que je poursuis, tandis que dans le domaine des vices, le conflit peut émerger (et on retrouve le problème de la justice, de la nécessité d'harmoniser (cf. petit exposé du début du message)). Dans Après la vertu, si mes souvenirs sont bons (parce que j'avais bossé tout ça en 1e année de prépa), il y a l'exemple du grand joueur d'échecs vicieux qui n'atteint pas le bien interne au jeu d'échecs, car, étant vicieux, le bien qui l'intéresse est externe ($) et donc nullement spécifique au jeu d'échecs. On peut ainsi considérer que la vertu est une façon de vivre le plaisir et d'être heureux de façon constante. La stabilité du bonheur ne tient pas à la fortune, qui est changeante, mais à l’activité vertueuse. De la sorte, le bonheur n’est pas assombri par l’infortune. "Si ce sont les actes qui décident souverainement de la vie, personne, s’il est bienheureux, ne peut devenir un misérable." (1100b33)

 

La petite lecture du soir:

Révélation

One who is deficient in resistance to pains that most men withstand with success, is soft or luxurious (for Luxury is a kind of Softness): such a man lets his cloak trail on the ground to escape the fatigue and trouble of lifting it, or feigns sickness, not seeing that to counterfeit misery is to be miserable. The same holds good of Self-restraint and Unrestraint. It is not surprising that a man should be overcome by violent and excessive pleasures or pains: indeed it is excusable if he succumbs after a struggle, like Philoctetes in Theodectes when bitten by the viper, or Kerkyon in the Alope of Karkinos, or as men who try to restrain their laughter explode in one great guffaw, as happened to Xenophantus. But we are surprised when a man is overcome by pleasures and pains which most men are able to withstand, except when his failure to resist is due to some innate tendency, or to disease: instances of the former being the hereditary effeminacy of the royal family of Scythia, and the inferior endurance of the female sex as compared with the male.

People too fond of amusement are thought to be profligate, but really they are soft; for amusement is rest, and therefore a slackening of effort, and addiction to amusement is a form of excessive slackness.

But there are two forms of Unrestraint, Impetuousness and Weakness. The weak deliberate, but then are prevented by passion from keeping to their resolution; the impetuous are led by passion because they do not stop to deliberate: since some people withstand the attacks of passion, whether pleasant or painful, by feeling or seeing them coming, and rousing themselves, that is, their reasoning faculty, in advance, just as one is proof against tickling if one has just been tickled already.4 It is the quick and the excitable who are most liable to the impetuous form of Unrestraint, because the former are too hasty and the latter too vehement to wait for reason, being prone to follow their imagination.

The profligate, as we said, does not feel remorse, for he abides by his choice; the unrestrained man on the other hand invariably repents his excesses afterwards. Hence the objection that we stated does not hold good; on the contrary, it is the profligate who cannot be cured, whereas the unrestrained man can; for Vice resembles diseases like dropsy and consumption, whereas Unrestraint is like epilepsy, Vice being a chronic, Unrestraint an intermittent evil. Indeed Unrestraint and Vice are entirely different in kind, for Vice is unconscious, whereas the unrestrained man is aware of his infirmity.

 

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Il y a 4 heures, Lancelot a dit :

 qu'est-ce qu'un vice exactement ?

 

Un vice est une activité qui ne nuit qu'à celui qui accomplit l'action, comme abuser de sa consommation de MMORPG.

 

Après y a des petits malins qui soutiennent que toute action entraîne in fine des conséquences sur autrui -_-

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2 hours ago, Johnathan R. Razorback said:

 

Après y a des petits malins qui soutiennent que toute action entraîne in fine des conséquences sur autrui -_-

 

Salut @Johnathan R. Razorback , cette ligne m'intéresse, tu aurais un petit développement succinct ou un lien intelligible par un profane sur le sujet ?

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@Lancelot je réponds ici à ton commentaire sur Murray du thread sur le diabète et tout, que j'ai enfin compris, merci.

L'idée de la baseline est d'abord très aristotélicien (Nicomaque, 1100b), mais en fait pas tellement. D'abord Aristote:

 

Citation

 

If we are to look to the end, and congratulate a man when dead not as actually being blessed, but because he has been blessed in the past, surely it is strange if at the actual time when a man is happy that fact cannot be truly predicated of him, because we are unwilling to call the living happy owing to the vicissitudes of fortune, and owing to our conception of happiness as something permanent and not readily subject to change, whereas the wheel of fortune often turns full circle in the same person's experience. For it is clear that if we are to be guided by fortune, we shall often have to call the same man first happy and then miserable; we shall make out the happy man to be a sort of ‘chameleon, or a house built on the sand.

But perhaps it is quite wrong to be guided in our judgement by the changes of fortune, since true prosperity and adversity do not depend on fortune's favours, although, as we said, our life does require these in addition; but it is the active exercise of our faculties in conformity with virtue that causes happiness, and the opposite activities its opposite.

And the difficulty just discussed is a further confirmation of our definition; since none of man's functions possess the quality of permanence so fully as the activities in conformity with virtue: they appear to be more lasting even than our knowledge of particular sciences. And among these activities themselves those which are highest in the scale of values are the more lasting, because they most fully and continuously occupy the lives of the supremely happy: for this appears to be the reason why we do not forget them.

The happy man therefore will possess that element of stability in question, and will remain happy all his life; since he will be always or at least most often employed in doing and contemplating the things that are in conformity with virtue. And he will bear changes of fortunes most nobly, and with perfect propriety in every way, being as he is ‘good in very truth’ and ‘four-square without reproach.

But the accidents of fortune are many and vary in degree of magnitude; and although small pieces of good luck, as also of misfortune, clearly do not change the whole course of life, yet great and repeated successes will render life more blissful, since both of their own nature they help to embellish it, and also they can be nobly and virtuously utilized; while great and frequent reverses can crush and mar our bliss both by the pain they cause and by the hindrance they offer to many activities. Yet nevertheless even in adversity nobility shines through, when a man endures repeated and severe misfortune with patience, not owing to insensibility but from generosity and greatness of soul. And if, as we said, a man's life is determined by his activities, no supremely happy man can ever become miserable.

 

 

Ensuite sur un plan psychologique, est-ce que la baseline ne se "réduit" pas à des traits du big five? Bas degré de neurotisme + stabilité émotionnelle? Pour être plus clair, est-ce que cette tendance dont Murray parle corrèle étroitement, disons, avec le neurotisme, de telle sorte que celui-ci est un bon prédicteur, ou est-ce que le neurotisme explique cette tendance, par exemple parce qu'une plus grande sensibilité à l'émotion négative augmente le désir d'en échapper par tous les moyens (d'où l'addiction; je ne dis pas que c'est ça, je donne juste un exemple)? My understanding est que si l'individu ne peut s'en écarter que temporairement (de la baseline), il faut que ce soit qqch de hardwired, enfin je ne vois pas d'autre explication. Cela correspond à une façon de voir le monde, qui est inséparable de la structure de la personnalité. Soit la moralité s'ajoute aux autres traits de personnalité, soit elle constitue une disposition que les traits de personnalité exemplifient, la vertu d'un individu étant un indicateur selon lequel l'individu sera plus ou moins prompt à faire ceci ou cela. Le problème est qu'il y a mille façons d'être immoral, compatibles avec à peu près tous les types de personnalité. On peut être pas vertueux et neurotique (je pense aux "victimes" par exemple) ou psychopathe (et donc pas vertueux, mais pas non plus neurotique), et la vertu serait plutôt la propriété émergente d'une personnalité bien régulée. Tout ceci suppose que la vertu soit personnelle et non contextuelle, un attribut des personnes et pas des actions.

 

La vertu est donc soit une disposition à avoir tel ou tel profil de big 5, une sorte de matrice de personnalités, qui à leur tour sont des prédictifs du cours d'action ou des décisions pris dans certaines circonstances, soit une disposition directement à agir d'une certaine façon dans certaines circonstances, décorrélée du big 5 (comprendre: de la personnalité, je prends le big 5 comme mesure reconnue et scientifique de sa distribution). Dans le premier cas, je vois bien comment ça pourrait être une "baseline". Dans le second cas, pas vraiment, ça me paraît beaucoup plus fluide, et ça se rapproche d'une perspective aristotélicienne ou ryléenne, où la "vertu" serait définie dans les mêmes termes dispositionnels qu'il emploie pour définir l'esprit, qui n'est pas hardwired (mais qui est simplement mon inclination à faire et être ceci ou cela et rien d'extérieur à ces proclivités). Pour rendre le deuxième cas plus transparent, je pourrais écrire que plusieurs big 5 pourraient partager certaines proclivités et pas d'autres, ce qui détache la vertu de son ancrage dans l'agent pour la placer dans ses actions. Pour éviter toute confusion, je reprends ma distinction autrement:

  • dans le premier cas, on comprend que les actions de l'individu puissent difficilement s'écarter de la baseline (entendue comme ce complexe d'interaction entre le big 5 et sa "vertu", qui est elle-même un complexe dispositionnel pas extérieur à mais exprimé dans sa personnalité, laquelle a des "racines" biologiques très complexes)
  • dans le deuxième cas, les actions de l'individu ne sont pas distinctes de la vertu, puisque celle-ci est directement une disposition d'ensemble à entreprendre telle ou telle action/entreprise, donc on ne peut plus penser la relation en termes d'attachement à une baseline. Le slogan de cette option ça serait le "das Thun ist alles" de Nietzsche (l'action est tout, en allemand).
  • worth noting, si, comme je l'imagine, chaque trait du big 5 est distribué sur toute l'étendue du continuum vertu/vice (càd qu'on trouve des individus hauts et bas dans chaque variable aux deux bouts du continuum dans des proportions semblables), la baseline peut se comprendre de deux façons:
    • soit c'est plus ou moins déterminé, comme l'addiction à l'alcool, par des informations génétiques (grosso modo => premier cas)
    • soit c'est plus qqch qui, l'influence des différents traits de personnalité s'annulant entre eux (hypothèse du point 3), se cristallise au fil des choix et des entreprises poursuivies par l'individu, qui créent une sorte de path dependence le nichant quelque part dans le continuum, après quoi il peut effectivement difficilement bouger beaucoup. (Je n'ajoute pas une 3e option complètement indéterminée parce que ça serait un peu jeter toute la psycho de la personnalité par la fenêtre. J'ajoute que ça n'aurait plus aucun sens de parler de tempérament si la vertu était strictement un attribut des actions et qu'il n'existait pas de disposition à agir comme ci ou comme ça, ce que le sens commun nie.)

Là où je me pose des questions, c'est qu'Aristote défend l'idée que la vertu est néanmoins cultivée par l'habitude ou l'enseignement (cf. mon premier post), donc une morale naturelle ou avec une base génétique serait étrangère à son esprit. Je ne suis évidemment pas grand clerc en psychologie de la personnalité mais j'ai l'impression qu'il y a de la recherche là-dessus (une histoire de pléiotropie évidemment).

 

A partir de là, si on adopte l'idée qu'une action est morale à proportion de l'abnégation qu'elle exige de l'agent, il faudrait pondérer la moralité de l'action en fonction du type de personnalité de l'agent (roughly speaking), et la catégorie "vice" et "vertu", en plus de se déployer en un continuum, dépend maintenant en partie des agents (contrairement à un point de vue qui ne reconnaîtrait que l'action vertueuse ou non). Par ailleurs, le fait que les gènes qui entrent en compte dans l'expression d'un tempérament plus ou moins neurotique soient pléiotropiques semble indiquer qu'il faille élargir le champ des actions morales, non au sens où elles sont volontaires mais au sens où elles sont statistiquement plus ou moins révélatrices d'un tempérament plus ou moins vertueux. Je note qu'outre l'alternative utilitariste/déontologique qui attribue la moralité à des actions, l'éthique des vertus insiste plutôt sur le caractère moral de la personne en général, sans, par exemple, s'intéresser à ce qu'elle ferait dans un dilemme particulier (distinction qu'il me paraît important de garder à l'esprit, mais j'ai peu lu de cette tradition à part les classiques (Hursthouse me fait envie par exemple)). Le problème de l'hypothèse de Murray est de prendre dès le départ position dans ce débat.

 

TL;DR:

  1. la vertu s'applique aux personnes VS la vertu s'applique aux actions
  2. la baseline détermine les actions des individus VS la baseline est déterminée path-dependence wise par les actions des individus
  3. la vertu corrèle avec certaines dispositions de personnalité VS il n'y aucune corrélation entre les proclivités personnelles/les scores au big 5 et les proclivités morales, càd que la vertu n'est pas une propriété émergente ou une méta-disposition de la personnalité.
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3 hours ago, Vilfredo Pareto said:

Ensuite sur un plan psychologique, est-ce que la baseline ne se "réduit" pas à des traits du big five?

Pour certains aspects peut-être. Note qu'il y a d'autres dimensions qui différencient les gens sans être particulièrement corrélées (à un certain niveau tout est corrélé à tout) aux big 5. Le QI est l'exemple le plus évident mais on pourrait aussi citer le masculin/féminin (pour rester dans Murray) ou les différents "spectres" pathologiques.

Maintenant, est-ce qu'on a besoin d'une corrélation ou d'une explication causale précise pour soutenir qu'il y a des baselines ? Je ne pense pas. Montrer l'existence d'une chose et expliquer pourquoi/comment elle est apparue sont deux questions différentes. Après tout le QI ou les big 5 peuvent également être considérés comme des baselines (i.e. des traits cognitifs/comportementaux stables dans le temps, ou des "dispositions d'ensemble à entreprendre telle ou telle action/entreprise").

 

3 hours ago, Vilfredo Pareto said:

My understanding est que si l'individu ne peut s'en écarter que temporairement (de la baseline), il faut que ce soit qqch de hardwired, enfin je ne vois pas d'autre explication.

Par "hardwired" tu entends "inné" ? Mon avis est que le débat entre inné et acquis est rarement enrichissant car les deux sont quasiment toujours indissociables en pratique. Par exemple savoir lire le français est un trait stable et hardwired dans le sens où tu auras du mal à t'en débarrasser sauf en cas de lésion cérébrale, mais complètement acquis.

 

3 hours ago, Vilfredo Pareto said:

 Le problème est qu'il y a mille façons d'être immoral, compatibles avec à peu près tous les types de personnalité.

 

De la même manière qu'il y a différentes formes de vices, il serait d'ailleurs peut-être pertinent de parler de vertus au pluriel. Je connais mal cette littérature mais j'imagine que les philosophes de l'éthique de la vertu admettent qu'on puisse être, par exemple, courageux mais pas prudent ?

 

3 hours ago, Vilfredo Pareto said:

la vertu serait plutôt la propriété émergente d'une personnalité bien régulée

[...]

la vertu soit personnelle et non contextuelle, un attribut des personnes et pas des actions.

[...]

élargir le champ des actions morales, non au sens où elles sont volontaires mais au sens où elles sont statistiquement plus ou moins révélatrices d'un tempérament plus ou moins vertueux. Je note qu'outre l'alternative utilitariste/déontologique qui attribue la moralité à des actions, l'éthique des vertus insiste plutôt sur le caractère moral de la personne en général, sans, par exemple, s'intéresser à ce qu'elle ferait dans un dilemme particulier (distinction qu'il me paraît important de garder à l'esprit, mais j'ai peu lu de cette tradition à part les classiques (Hursthouse me fait envie par exemple)).

Alors encore une fois sans connaître très bien la littérature c'est comme ça que j'ai toujours compris le principe de l'éthique de la vertu, et c'est de ce point de vue-là que j'en parlais. J'ai l'impression que si on se concentre à la place sur les actions on retombe sur du "bête" déontologisme ou conséquentialisme.

 

3 hours ago, Vilfredo Pareto said:
  • soit c'est plus qqch qui, l'influence des différents traits de personnalité s'annulant entre eux (hypothèse du point 3), se cristallise au fil des choix et des entreprises poursuivies par l'individu, qui créent une sorte de path dependence le nichant quelque part dans le continuum, après quoi il peut effectivement difficilement bouger beaucoup. (Je n'ajoute pas une 3e option complètement indéterminée parce que ça serait un peu jeter toute la psycho de la personnalité par la fenêtre. J'ajoute que ça n'aurait plus aucun sens de parler de tempérament si la vertu était strictement un attribut des actions et qu'il n'existait pas de disposition à agir comme ci ou comme ça, ce que le sens commun nie.)

Je pense qu'ici tu résous toi-même le problème en le posant :lol:

Tu as juste besoin d'ajouter que la personnalité, entre autres, a une influence sur les choix et les entreprises poursuivies. Et que ce n'est pas un système qui ne va que dans un sens puisque les dispositions éthiques peuvent elles aussi influencer les choix une fois qu'elles sont suffisamment définies.

 

3 hours ago, Vilfredo Pareto said:

Là où je me pose des questions, c'est qu'Aristote défend l'idée que la vertu est néanmoins cultivée par l'habitude ou l'enseignement (cf. mon premier post), donc une morale naturelle ou avec une base génétique serait étrangère à son esprit. Je ne suis évidemment pas grand clerc en psychologie de la personnalité mais j'ai l'impression qu'il y a de la recherche là-dessus (une histoire de pléiotropie évidemment).

[...]

A partir de là, si on adopte l'idée qu'une action est morale à proportion de l'abnégation qu'elle exige de l'agent, il faudrait pondérer la moralité de l'action en fonction du type de personnalité de l'agent (roughly speaking), et la catégorie "vice" et "vertu", en plus de se déployer en un continuum, dépend maintenant en partie des agents (contrairement à un point de vue qui ne reconnaîtrait que l'action vertueuse ou non).

Oui ce sont les points qui m'intriguent.

Corriges-moi si je me trompe mais il me semble que d'après Aristote quelqu'un de véritablement vertueux n'a pas besoin de faire des efforts pour être vertueux, donc il n'y a pas d'abnégation à considérer (à la limite plus il y a d'abnégation, moins il y a de vertu).

Je ne pense pas que Murray dise qu'il est complètement impossible de changer ses habitudes (après tout 5% des gens arrivent à maintenir leur régime durablement) mais que c'est exceptionnel, et que ça demande d'autant plus d'efforts, et que c'est d'autant plus improbable, qu'on part de loin. Je ne suis pas sûr qu'Aristote serait tant que ça en désaccord. Ça introduit par contre une notion de coût-bénéfice. Toutes les baselines ne valent peut-être pas le coup d'être abandonnées pour quelque chose de juste marginalement meilleur (et qui ne s'intégrera peut-être pas aussi harmonieusement au reste des baselines). Bref le travail sur soi c'est compliqué.

Ce qui m'amène à mon dernier point, qui est qu'on est sans doute très rarement bien placés pour juger de la vertu d'autrui puisque c'est déjà rare d'avoir accès à ces informations et un recul suffisant pour nous juger nous-mêmes.

  • Yea 1
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il y a une heure, Lancelot a dit :

De la même manière qu'il y a différentes formes de vices, il serait d'ailleurs peut-être pertinent de parler de vertus au pluriel.

Je pense même que c'est le cas historiquement ; éthique de la vertu est, je crois une traduction de la reconceptualisation de Anscombe d'un truc très ancien qui se basait sur des vertus au pluriel. Genre, quatre cardinales et trois théologales, tout ça. ;)

 

Pour ma part, je ne pense pas avoir causé de "vertu" en général ; soit je parle d'une vertu donnée, soit je parle des vertus au pluriel. "La" vertu, c'est un truc de dame patronesse c'est complètement con, parce que ça suppose que les différentes vertus convergent toutes naturellement vers la même direction, et plus encore ça suppose qu'il n'existe qu'un seul système de valeurs.

  • Yea 1
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il y a 33 minutes, Lancelot a dit :

Maintenant, est-ce qu'on a besoin d'une corrélation ou d'une explication causale précise pour soutenir qu'il y a des baselines ? Je ne pense pas. Montrer l'existence d'une chose et expliquer pourquoi/comment elle est apparue sont deux questions différentes. Après tout le QI ou les big 5 peuvent également être considérés comme des baselines (i.e. des traits cognitifs/comportementaux stables dans le temps, ou des "dispositions d'ensemble à entreprendre telle ou telle action/entreprise").

Oui, je comprends, je suis sans doute trop influencé par le cours de psychométrie de Peterson qui explique que, pour savoir si quelque chose est réel, en gros, il faut trouver une corrélation entre ce truc et qqch de réel (par exemple, le QI est réel parce qu'il est très hautement corrélé à la réussite professionnelle ou aux résultats scolaires; de façon un peu différente, le politiquement correct existe parce que des corrélations/tendances ressortent d'une factor analysis d'un questionnaire sur-échantillonné).

il y a 36 minutes, Lancelot a dit :

Par "hardwired" tu entends "inné" ?

Ce n'était pas un choix de mot très heureux, j'aurais juste dû écrire "indépendant de la volonté".

il y a 36 minutes, Lancelot a dit :

De la même manière qu'il y a différentes formes de vices, il serait d'ailleurs peut-être pertinent de parler de vertus au pluriel. Je connais mal cette littérature mais j'imagine que les philosophes de l'éthique de la vertu admettent qu'on puisse être, par exemple, courageux mais pas prudent ?

Alors justement ça prête à débat. Il y a plusieurs façons d'être immoral, mais je ne sais pas s'il y a un gros consensus sur l'idée qu'il y aurait plusieurs façons d'être moral ou vertueux, bien qu'il y ait incontestablement plusieurs vertus. Il y a bien dans Aristote l'idée importante que l'homme vertueux est la mesure du juste. C'est un peu comme un modèle. Maintenant, on ne peut devenir prudent (càd vertueux, la traduction de phronimos prête à débat mais il faut être un peu obtus pour traduire autrement) en appliquant des règles. La vertu ici s'entend comme un savoir, mais un savoir personnel, qu'il a acquis en exerçant en situation cette vertu. Le problème, c'est qu'être vertueux suppose d'avoir des qualités naturelles et des vertus morales, à savoir le courage, la pudeur et la tempérance, qui est en qq sorte le gardien de la vertu. Il y a une sorte de cercle vicieux, relevé par P. Aubenque. Ce n'est pas forcément dirimant, parce que dans l'Ethique comme dans la Politique, Aristote n'a de cesse de souligner qu'il existe plusieurs types de vertus, ajustées à l'activité considérée ou à l'être (une vertu de la femme, une vertu de l'esclave etc.), à côté de l'"homme prudent". Dans l'Ethique à Eudème, il y a un passage où Aristote écrit que l'homme prudent est celui qui désire ce qui convient quand il convient et comme il convient. On verra plus loin, à la fin du post, un exemple: l'homme courageux est courageux où il faut quand il faut etc., thereby appliquant le modèle de l'homme prudent. Il y a là-dedans un élément d'élite naturelle (car réagir à l'imprévu ne s'apprend pas), et par conséquent, pas besoin de délibérer, en théorie. En fait, le monde est si incertain qu'on a bien besoin de délibérer, mais seulement sur les moyens, pas sur les fins, ce qui rend le statut moral (par opposition à scientifique) de la délibération douteux. En effet, aussi bizarre que ça puisse nous paraître, Aristote ne pense pas que les moyens aient un quelconque poids moral (seulement les fins). Un point important ici est que, pour Aristote, alors que la vertu est louable parce qu'elle est du ressort de la morale, l'habileté ne l'est pas particulièrement, parce qu'elle est du ressort de la science, et donc qu'elle est neutre. Ce sont deux domaines bien distincts.

 

La vertu naturelle (les qualités naturelles) est donc dépassée dans la vertu morale (la prudence), qui a à voir avec le caractère, qui est cet ensemble de dispositions que j'ai décrit plus haut. Aubenque écrit éloquemment: "L'éthique d'Aristote est peut-être la seule éthique grecque pour laquelle il n'yait pas que des bons et des méchants, bien plus, pour laquelle il n'yait pas de bons ni de méchants absolument, mais seulement des hommes en chemin vers le bien ou vers le mal." L'indéterminisme moral d'Aristote est un peu étrange, parce que, comme j'ai dit, il y a un élément "naturel" dans la vertu. Mais il faut voir deux choses: d'abord, Aristote s'oppose consciemment à Platon, pour qui le déterminisme moral a eu une toute autre figure (le mythe d'Er). Ensuite, il faut résoudre le cercle des vertus naturelles et morales: comme je l'ai écrit dans mon premier post, la vertu n'existe pas hors de la situation dans laquelle elle est exercée, et Aristote distingue les vertus (comme le courage) de la vertu rectrice (la prudence). Les éléments naturels en question entrent en jeu donc, mais ne contredisent pas l'idée que la vertu rectrice, la prudence, soit issue de l'habitude. Ils entrent aussi en jeu dans la question du rapport entre vertu et bonheur. Socrate disait qu'on ne peut être heureux si l'on est méchant (notamment dans le Gorgias), mais Aristote pense que la vertu n'est pas une condition suffisante. Il faut aussi être beau garçon :lol: (le passage vient juste avant celui que j'ai cité dans mon précédent post)

Citation

also there are certain external advantages, the lack of which sullies supreme felicity, such as good birth, satisfactory children, and personal beauty: a man of very ugly appearance or low birth, or childless and alone in the world, is not our idea of a happy man, and still less so perhaps is one who has children or friends that are worthless, or who has had good ones but lost them by death. As we said therefore, happiness does seem to require the addition of external prosperity, and this is why some people identify it with good fortune (though some identify it with virtue)

Aristote écrit encore, très en phase avec son insistance sur le rôle de la responsabilité, au sujet du bonheur:

Citation

And also on our view it will admit of being widely diffused, since it can be attained through some process of study or effort by all persons whose capacity for virtue has not been stunted or maimed. Again, if it is better to be happy as a result of one's own exertions than by the gift of fortune, it is reasonable to suppose that this is how happiness is won; inasmuch as in the world of nature things have a natural tendency to be ordered in the best possible way, and the same is true of the products of art, and of causation of any kind, and especially the highest. Whereas that the greatest and noblest of all things should be left to fortune would be too contrary to the fitness of things.

A un moment, je ne vais pas citer tout le livre I de l'Ethique, mais je précise aussi, en passant, que si Aristote considère qu'il y a une "baseline" de la vertu, il n'y a pas une "baseline" pour le bonheur:

Citation

Happiness, as we said, requires both complete goodness and a complete lifetime. For many reverses and vicissitudes of all sorts occur in the course of life, and it is possible that the most prosperous man may encounter great disasters in his declining years, as the story is told of Priam in the epics; but no one calls a man happy who meets with misfortunes like Priam's, and comes to a miserable end.

Précisons donc, comme j'avais commencé à le faire, sur vertu et bonheur: Aristote inclut les "biens extérieurs" dans les conditions du bonheur, et ceux-ci, bien sûr, ne s'acquièrent pas par habitude ou enseignement. La vertu a besoin de conditions pour s'exercer qu'on pourrait séparer en (1) conditions "négatives", càd un monde imprévisible réglé par la contingence (raison pour laquelle Aristote pense que les dieux sont amoraux) et (2) conditions "positives", càd par exemple être beau garçon, et, plus sérieusement, avoir de l'argent et des amis. Le bonheur est soumis à ces conditions car il suppose la stabilité: c'est la stabilité qui crée le bonheur, ce n'est pas que le bonheur est qqch de stable (une "baseline"). Au passage, je pense que c'est un des points sur lesquels Nietzsche est si différent du reste de la philosophie morale, parce qu'il rejette toute quête de bonheur et de stabilité (en faveur de celle de la puissance).

 

L'idée est donc qu'on a besoin de certaines qualités naturelles pour exercer certaines vertus morales, qui permettent, avec d'autres biens extérieurs, d'être heureux, mais que la vertu seule, pratiquée dans l'habitude, ne suffit pas à rendre heureux, même si elle donne à l'homme vertueux une stabilité. J'espère avoir répondu

  1. A la question de savoir s'il y avait un type d'homme vertueux
  2. A la question de savoir s'il y avait un vice/des vices, une vertu/des vertus
  3. A la question du rapport entre vertu et bonheur.

Je passe, tant qu'on est dans le texte d'Aristote, à la question du courage. Non, Aristote ne pense pas qu'on puisse être courageux sans être prudent, même si ça dépend ce qu'on entend par prudent. Aristote a une définition très complexe de "prudent" dont j'ai déjà parlée, et c'est une vertu rectrice, si l'on veut "supérieure" à toute vertu comme celle du courage. Dans la définition commune, il dirait qu'un "courageux non-prudent" est un téméraire, ce qui n'est pas une vertu. Mais je ne fais que supposer, malgré les apparences, la dernière fois que j'ai lu l'Ethique en entier, c'était il y a deux ans :lol: et j'alterne dans mes réponses entre la traduction anglaise qu'a chouchou chez elle et ma traduction Tricot selon celle que j'ai sous la main. Mais ça ne fait rien, car Aristote traite spécifiquement du problème du courage dans le livre III.

 

Il commence par rappeler que vices et vertus sont volontaires (plus besoin qu'on s'y attarde maintenant), mais émet aussitôt la nuance que nos dispositions ne le sont pas (je crois que j'avais déjà écrit ça dans le 1er post), ce qui veut dire que la vertu n'est pas une disposition mais une action (je clarifie par rapport à la fin de mon 2e post), enfin pour Aristote dans ce texte bien sûr. Ma définition de la vertu comme disposition en situation reste celle qui capture le mieux sa pensée, mais c'est intéressant de voir les nuances. On peut d'ailleurs aisément voir comment réconcilier les deux points de vue en rappelant que la disposition est cristallisée à partir d'actions volontaires.

 

Le courage est la 1e vertu évoquée par Aristote; il la définit comme le fait de garder le juste milieu (mésothès) en situation de peur comme de confiance. Aristote insiste que certaines peurs seyent à l'homme vertueux. "One who is fearless in regard to these things is not courageous either (although the term is applied to him, too, by analogy)". La chose la plus digne d'être crainte est la mort, pour la raison qu'après la mort, plus rien de bon ou de mauvais ne peut t'arriver. Ça a l'air d'une lapalissade, mais Kant élévera un fameux argument contre ce point de vue dans la Doctrine du droit (disant qu'on peut encore salir ta réputation, à laquelle tu as un droit qui dérive de la présomptions d'innocence). L'homme courageux doit surmonter sa peur, tout en ayant peur des trucs qui méritent qu'on en ait peur, mais ni trop peu ni trop beaucoup et au bon moment et de la bonne façon :icon_tourne: (Aristote écrit souvent comme ça, mais à sa décharge, ce sont souvent des notes et pas un texte écrit de sa main.) : c'est ainsi qu'il faut comprendre "le fait de garder le juste milieu." Finalement, Aristote s'en prend une nouvelle fois à Socrate, en distinguant le courage de la connaissance, car des soldats très expérimentés peuvent se montrer de complets lâches.

 

TL;DR sur les vertus: il y en a plusieurs, mais d'ordres différents et qui ne se combinent pas n'importe comment. Je connais un peu Aristote mais, comme je l'ai dit (et à mon regret), assez mal les auteurs "aristotéliciens" modernes, à part McIntyre, mais j'ai juste lu After Virtue. On va y remédier.

 

Il y a 2 heures, Lancelot a dit :

Corriges-moi si je me trompe mais il me semble que d'après Aristote quelqu'un de véritablement vertueux n'a pas besoin de faire des efforts pour être vertueux, donc il n'y a pas d'abnégation à considérer (à la limite plus il y a d'abnégation, moins il y a de vertu).

Oui c'est comme ça que je comprends aussi.

Il y a 2 heures, Lancelot a dit :

Je ne suis pas sûr qu'Aristote serait tant que ça en désaccord.

Je ne sais pas, je pense qu'Aristote dirait quand même que la vertu est le Souverain Bien et que tout doit lui être sacrifié (et ne ferait pas un calcul de coût-bénéfice). La vertu est plutôt vue comme un truc qualitativement incomparable.

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il y a 25 minutes, Vilfredo Pareto a dit :

il y a un gros consensus sur l'idée qu'il y aurait plusieurs façons d'être moral ou vertueux

Je ne sais pas si il y a un consensus, mais je sais que cette pluralité des systèmes de valeurs a hanté Isaiah Berlin toute sa vie.

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Il y a 5 heures, Rincevent a dit :

Je ne sais pas si il y a un consensus, mais je sais que cette pluralité des systèmes de valeurs a hanté Isaiah Berlin toute sa vie.

Oui dans le cadre de Berlin c’est un débat sur la compatibilité des systèmes moraux dans le cadre libéral (le débat entre le juste et le bien) non?

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16 hours ago, Lancelot said:

De la même manière qu'il y a différentes formes de vices, il serait d'ailleurs peut-être pertinent de parler de vertus au pluriel. Je connais mal cette littérature mais j'imagine que les philosophes de l'éthique de la vertu admettent qu'on puisse être, par exemple, courageux mais pas prudent ?

 

14 hours ago, Vilfredo Pareto said:

[dissertation de 2000 mots sur la prudence et le courage chez Aristote]

 

(je déconne, ne change rien @Vilfredo Pareto)

 

Bon si je dis que pour Aristote en gros il y a plusieurs vertus mais elles sont supposées être interdépendantes ou converger, ça le fait ou bien ?

 

Quote

Oui, je comprends, je suis sans doute trop influencé par le cours de psychométrie de Peterson qui explique que, pour savoir si quelque chose est réel, en gros, il faut trouver une corrélation entre ce truc et qqch de réel (par exemple, le QI est réel parce qu'il est très hautement corrélé à la réussite professionnelle ou aux résultats scolaires; de façon un peu différente, le politiquement correct existe parce que des corrélations/tendances ressortent d'une factor analysis d'un questionnaire sur-échantillonné).

Si on veut prouver l'existence de baselines dans le domaine de la vertu il faudrait opérationnaliser tout ça, oui. L'hypothèse alternative serait que notre comportement du point de vue éthique est complètement variable selon notre environnement immédiat, ce qui renvoie d'une certaine manière à des choses comme l'expérience de Milgram (dans laquelle, en supposant qu'on accepte les résultats sans réserve il y a quand même toujours un certain nombre de gens qui abandonnent avant la fin).

 

Quote

Ce n'était pas un choix de mot très heureux, j'aurais juste dû écrire "indépendant de la volonté".

Dans ce cas Haidt dirait que de toute manière toutes nos pulsions morales sont indépendantes de notre volonté au moment où elles arrivent. Et Hanno Sauer répondrait que c'est sans doute le cas, mais qu'elles peuvent être éduquées et raffinées entre deux jugements moraux.

 

Quote

Je ne sais pas, je pense qu'Aristote dirait quand même que la vertu est le Souverain Bien et que tout doit lui être sacrifié (et ne ferait pas un calcul de coût-bénéfice). La vertu est plutôt vue comme un truc qualitativement incomparable.

Après le fait de penser que c'est difficile n'empêche pas de penser qu'il faut le faire tout de même.

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Il y a 4 heures, Lancelot a dit :

Bon si je dis que pour Aristote en gros il y a plusieurs vertus mais elles sont supposées être interdépendantes ou converger, ça le fait ou bien ?

Oui pour moi c'est ça.

Bah sinon le reste de ton message m'intéresse beaucoup mais je ne peux pas ajouter grand chose. A part que je vais lire Sauer (tu avais déjà mentionné) et Haidt (The Righteous Mind je suppose?) quand j'aurai le temps.

 

Par contre j'ai pensé à un petit truc en réponse à @Rincevent qui dérive de ma lecture récente de Sandel sur la pluralité des vertus. Soit on fait passer le juste avant le bien, soit on considère que cette neutralité n'est pas tenable, sachant que pour la première vision, celle de Rawls, un consensus autour des principes de justice est obtenu non en dépit de mais de façon compatible avec les différents "biens" (ou systèmes de vertus, par exemple les religions), et c'est ce que Rawls appelle le consensus par recoupement, alors que pour Hume par exemple (je parle sous l'autorité de Sandel), la justice disparaît dans les formes d’association extrêmement heureuses ou malheureuses. L'idée que la vertu est contextuelle est bien illustrée par un exemple latin qu'on trouve dans Horace et les Curiaces de Dumézil, mais je suis nul en mythologie donc je raconte l'histoire avec mes mots: un mec (Horace je crois) reviens de la guerre et à la guerre il faut être furatus (furieux), donc avoir la furor, mais pas dans la cité. Hors le guerrier en question continue d'avoir la furor même après avoir passé la porte de la ville, donc on le condamne à marcher sous une sorte de portique symbolique, qui représente le passage du monde de la vertu guerrière à celui de la vertu en gros domestique et civile.

Je ne sais pas si 1) il développe davantage sa conception des vertus dans un cadre communautarien dans ses autres livres 2) s'il diffère beaucoup là-dedans des autres communautariens (Taylor par exemple). @F. mas, @Mégille ?

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Ca ne me dit rien, mais je ne connais vraiment que les notions de bases de tous ces gens là (enfin, j'ai eu quelques cours et j'ai lu Justice de Sandel, mais rien de plus).

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