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Éthique et tac


Messages recommandés

Il y a 6 heures, Turgot a dit :

C'est des libéraux hardcore alors. ^^

 

 

 

Non, je pense plutôt que c'est un manque de réflexion, mais qu'ils pourraient changer d'avis facilement en se posant des questions du genre: "La liberté pour quoi faire ? Pourquoi quiconque devrait-il préférer être libre plutôt que le contraire ?". Suite à quoi il s'avère évident que la liberté n'est pas une fin en soi (ou du moins, que ce n'est qu'une fin intermédiaire et pas la fin dernière de nos actions). Je ne suis donc pas d'accord avec la sentence de Tocqueville qui pose la liberté comme une fin en soi.

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Non, je pense plutôt que c'est un manque de réflexion, mais qu'ils pourraient changer d'avis facilement en se posant des questions du genre: "La liberté pour quoi faire ? Pourquoi quiconque devrait-il préférer être libre plutôt que le contraire ?". Suite à quoi il s'avère évident que la liberté n'est pas une fin en soi (ou du moins, que ce n'est qu'une fin intermédiaire et pas la fin dernière de nos actions). Je ne suis donc pas d'accord avec la sentence de Tocqueville qui pose la liberté comme une fin en soi.


Surtout qu'en dehors d'un manque de profondeur dans l'approche, ou un manque de réflexion, c'est inopérant si on veut convaincre des gens. Pourquoi la liberté serait-elle préférable à la contrainte ? Typiquement on doit s'attaquer aux conséquences lorsqu'on doit répondre à cette question.

Friedman fait remarquer que, de son expérience, l'économie et l'histoire permettent de convaincre beaucoup mieux qu'une approche des droits naturels ou de philosophie morale "pure".
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il y a une heure, Turgot a dit :

Friedman fait remarquer que, de son expérience, l'économie et l'histoire permettent de convaincre beaucoup mieux qu'une approche des droits naturels ou de philosophie morale "pure".

 

Je ne suis pas d'accord. L'économie peut expliquer pourquoi le socialisme est moins productif ou plus irrationnel que le capitalisme (et parmi les types de capitalisme, que celui-là est plus performant que celui). Mais comme une science se doit d'être neutre vis-à-vis des jugements de valeurs, elle ne peut pas nous dire s'il faut préférer l'abondance à la pénurie (ou si à partir de tel niveau tout accroissement de confort matériel n'est pas indésirable au regard d'autres biens).

 

Comme disait Rand (qui n'avait guère d'estime pour Friedman d'ailleurs): "[Austrian economists] attempt -von Mises particularly- to substitute economics for philosophy. That cannot be done." (Answers, New American Library, 2005, 241 pages, p.43)

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Je ne suis pas d'accord. L'économie peut expliquer pourquoi le socialisme est moins productif ou plus irrationnel que le capitalisme (et parmi les types de capitalisme, que celui-là est plus performant que celui). Mais comme une science se doit d'être neutre vis-à-vis des jugements de valeurs, elle ne peut pas nous dire s'il faut préférer l'abondance à la pénurie (ou si à partir de tel niveau tout accroissement de confort matériel n'est pas indésirable au regard d'autres biens).
 
Comme disait Rand (qui n'avait guère d'estime pour Friedman d'ailleurs): "[Austrian economists] attempt -von Mises particularly- to substitute economics for philosophy. That cannot be done." (Answers, New American Library, 2005, 241 pages, p.43)


Je parlais de Friedman fils (je ne sais pas si Rand a déjà parlé de lui, lui a déjà exprimé ses gros désaccords avec elle en revanche).

Sinon l'aspect philosophique ou éthique permet effectivement de poser ce qu'on recherche : le bonheur humain par exemple (très peu de monde, parmi des droitards ou des socialistes par exemple, enfin peu importe quelle vision politique, affirmera ne pas chercher le bonheur).

Lorsqu'il s'agit de discuter des moyens pour y parvenir, on sort de la philosophie ; et c'est le gros, le très gros de la discussion.
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il y a 4 minutes, Turgot a dit :

1): Je parlais de Friedman fils

2):  (très peu de monde, parmi des droitards ou des socialistes par exemple, enfin peu importe quelle vision politique, affirmera ne pas chercher le bonheur).

3): Lorsqu'il s'agit de discuter des moyens pour y parvenir, on sort de la philosophie ; et c'est le gros, le très gros de la discussion.

 

 

1): Autant pour moi, mais l'argument reste valable: quand bien même parler d'économie serait plus efficace sur le plan rhétorique (et c'est en effet par l'économie autrichienne que je suis venu au libéralisme), ce n'est pas un fondement ; un certain type de socialisme anti-productiviste pourra toujours soutenir que la pauvreté dans l'égalité est meilleure que l'inégalité dans l'abondance.

 

2): Détrompes-toi. Non seulement certains liborgiens trouvent qu'envisager le bonheur comme fin dernière est étrange ou plat, mais différents auteurs, très souvent nettement antilibéraux, dénigrent ou rejettent la recherche du bonheur (souvent décrite comme une platitude typique de l' "esprit bourgeois"):



"Le fait d'être satisfait n'a rien du charme magique d'une bonne lutte contre le malheur, rien du pittoresque d'un combat contre la tentation, ou d'une défaite fatale sous les coups de la passion ou du doute. Le bonheur n'est jamais grandiose." -Aldous Huxley, Le Meilleur des mondes.

"Le bonheur repose toujours sur la sécurité, c'est-à-dire sur une limitation apparemment confortable de nos possibilités. La joie, elle, est traversée par le désespoir qui, en bout de course, la rejoint. Alors que le bonheur est un sentiment égal, monotone, dérivant de la sécurité, la joie exprime pleinement et simultanément tout un spectre: joie à un extrême, désespoir au centre, puis joie encore." -David Cooper, Mort de la famille, Éditions du Seuil, 1972 (1971 pour la première édition anglaise), 156 pages, p.53.

"[Alabanda:] Grâce à Dieu, je n'aurai pas une fin ordinaire. Etre heureux, dans la bouche des valets, c'est somnoler. Etre heureux ! J'ai l'impression d'avoir de la bouillie et de l'eau tiède sur la langue, quand vous me parlez d'être heureux. C'est tellement niais et abominable, tout ce pour quoi vous sacrifiez vos couronnes de laurier, et votre immortalité." -Friedrich Hölderlin, Hypérion ou l'Ermite de Grèce, trad. Jean-Pierre Lefebvre, GF Flammarion, 2005 (1797-1799 pour la première édition allemande), 281 pages, p.96.

"L'homme n'aspire pas au bonheur ; il n'y a que l'Anglais qui fait cela." -Friedrich Nietzsche, Le Crépuscule des idoles, suivi de Le cas Wagner, trad. Henri Albert, GF-Flammarion, 1985 (1889 pour la première édition allemande), 250 pages, p.73, §12.

 

3): Seulement en partie ; la philosophie morale ne disparaît jamais complètement, et la philosophie politique intervient aussi, avant même la seule politique ou la seule technique.

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1): Autant pour moi, mais l'argument reste valable: quand bien même parler d'économie serait plus efficace sur le plan rhétorique (et c'est en effet par l'économie autrichienne que je suis venu au libéralisme), ce n'est pas un fondement ; un certain type de socialisme anti-productiviste pourra toujours soutenir que la pauvreté dans l'égalité est meilleure que l'inégalité dans l'abondance.
 
2): Détrompes-toi. Non seulement certains liborgiens trouvent qu'envisager le bonheur comme fin dernière est étrange ou plat, mais différents auteurs, très souvent nettement antilibéraux, dénigrent ou rejettent la recherche du bonheur (souvent décrite comme une platitude typique de l' "esprit bourgeois"):




"Le fait d'être satisfait n'a rien du charme magique d'une bonne lutte contre le malheur, rien du pittoresque d'un combat contre la tentation, ou d'une défaite fatale sous les coups de la passion ou du doute. Le bonheur n'est jamais grandiose." -Aldous Huxley, Le Meilleur des mondes.

"Le bonheur repose toujours sur la sécurité, c'est-à-dire sur une limitation apparemment confortable de nos possibilités. La joie, elle, est traversée par le désespoir qui, en bout de course, la rejoint. Alors que le bonheur est un sentiment égal, monotone, dérivant de la sécurité, la joie exprime pleinement et simultanément tout un spectre: joie à un extrême, désespoir au centre, puis joie encore." -David Cooper, Mort de la famille, Éditions du Seuil, 1972 (1971 pour la première édition anglaise), 156 pages, p.53.

"[Alabanda:] Grâce à Dieu, je n'aurai pas une fin ordinaire. Etre heureux, dans la bouche des valets, c'est somnoler. Etre heureux ! J'ai l'impression d'avoir de la bouillie et de l'eau tiède sur la langue, quand vous me parlez d'être heureux. C'est tellement niais et abominable, tout ce pour quoi vous sacrifiez vos couronnes de laurier, et votre immortalité." -Friedrich Hölderlin, Hypérion ou l'Ermite de Grèce, trad. Jean-Pierre Lefebvre, GF Flammarion, 2005 (1797-1799 pour la première édition allemande), 281 pages, p.96.

"L'homme n'aspire pas au bonheur ; il n'y a que l'Anglais qui fait cela." -Friedrich Nietzsche, Le Crépuscule des idoles, suivi de Le cas Wagner, trad. Henri Albert, GF-Flammarion, 1985 (1889 pour la première édition allemande), 250 pages, p.73, §12.


 
3): Seulement en partie ; la philosophie morale ne disparaît jamais complètement, et la philosophie politique intervient aussi, avant même la seule politique ou la seule technique.


1) Je suis aussi venu au libéralisme par l'économie, on est déjà deux. ^^ Quant au socialisme anti-productiviste il est heureusement très minoritaire. Ça n'empêche pas d'essayer de convaincre ce genre de personnes par ailleurs.

2) La grande majorité des hommes recherche le bonheur (perso je ne me risquerais pas à dire tous), c'est presque banal de le dire en fait. Les quelques auteurs dénigrant cette recherche n'y feront rien. ^^
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il y a 25 minutes, Turgot a dit :

1) Quant au socialisme anti-productiviste il est heureusement très minoritaire.

2):  (perso je ne me risquerais pas à dire tous)

 

 

 

1): L'éco-socialisme est pourtant un courant politique de plus en plus fort à gauche. Mélenchon s'en réclame, ce qui fait hélas pas mal de soutiens si on regarde son score à la dernière présidentielle.

 

2): Moi si, de part une lecture peut-être incorrecte (mais en tout cas stimulante) d'Aristote*. Mais c'est effectivement un parti pris philosophique important.

 

*Et moins incorrecte d'Épicure. On peut même utiliser Blaise Pascal pour envisager le bonheur comme finalité dernière et objective !

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1): L'éco-socialisme est pourtant un courant politique de plus en plus fort à gauche. Mélenchon s'en réclame, ce qui fait hélas pas mal de soutiens si on regarde son score à la dernière présidentielle.
 
2): Moi si, de part une lecture peut-être incorrecte (mais en tout cas stimulante) d'Aristote*. Mais c'est effectivement un parti pris philosophique important.
 
*Et moins incorrecte d'Épicure. On peut même utiliser Blaise Pascal pour envisager le bonheur comme finalité dernière et objective !


2) Je ne me risque pas à le dire dans la présente discussion car c'est une affirmation très importante, mais je pense comme toi au fond. Pour ma part je le tire des enseignements du Bouddha qui affirme que tous les êtres recherchent le bonheur. Maintenant je préfère ne pas faire entrer ma spiritualité et ma foi dans une telle discussion, d'où ma précaution. ^^
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il y a 32 minutes, Turgot a dit :

2) Je ne me risque pas à le dire dans la présente discussion car c'est une affirmation très importante, mais je pense comme toi au fond. Pour ma part je le tire des enseignements du Bouddha qui affirme que tous les êtres recherchent le bonheur. Maintenant je préfère ne pas faire entrer ma spiritualité et ma foi dans une telle discussion, d'où ma précaution. ^^

 

 

 

Tu ne devrais pas hésiter, parce que ce n'est pas un dogme religieux, c'est une proposition philosophique sur la nature de l'homme (voire des êtres vivants), elle est ouverte à la discussion rationnelle et à l'examen par chacun, on peut la démontrer ou au minimum tenter de le faire, elle est susceptible d'être après examen vrai ou fausse. Si elle est vrai, si elle est objective ("la nature humaine est ainsi faite qu'il ne peut pas ne pas rechercher d'être heureux"), elle est susceptible d'être découverte par tout individu raisonnable, quelles que soient ses autres croyances par ailleurs.

 

Deux textes qui soutiennent cette idée:

 

"Par ailleurs, est final, disons-nous, le bien digne de poursuite en lui-même, plutôt que le bien poursuivi en raison d'un autre ; de même, celui qui n'est jamais objet de choix en raison d'un autre, plutôt que les biens dignes de choix et en eux-mêmes et en raison d'un autre ; et donc, est simplement final le bien digne de choix en lui-même en permanence et jamais en raison d'un autre. Or ce genre de bien, c'est dans le bonheur surtout qu'il consiste, semble-t-il. Nous le voulons, en effet, toujours en raison de lui-même et jamais en raison d'autre chose. L'honneur, en revanche, le plaisir, l'intelligence et n'importe quelle vertu, nous les voulons certes aussi en raison d'eux-mêmes (car rien n'en résulterait-il, nous voudrions chacun d'entre eux), mais nous les voulons encore dans l'optique du bonheur, dans l'idée que, par leur truchement, nous pouvons être heureux, tandis que le bonheur, nul ne le veut en considération de ces biens-là, ni globalement, en raison d'autre chose." (p.67)

"Le bonheur paraît quelque chose de final et d'autosuffisant, étant la fin de tout ce qu'on peut exécuter." (p.68)
-Aristote, Éthique à Nicomaque, Livre I, traduction Richard Bodéüs, GF Flammarion, 2004, 560 pages.

"Tous les hommes recherchent d’être heureux. Cela est sans exception, quelques différents moyens qu’ils y emploient. Ils tendent tous à ce but. Ce qui fait que les hommes vont à la guerre et que les autres n’y vont pas est ce même désir qui est dans tous les deux accompagné de différentes vues. La volonté ne fait jamais la moindre démarche que vers cet objet. C’est le motif de toutes les actions de tous les hommes, jusqu’à ceux qui vont se pendre." -Blaise Pascal, Pensées, 138, édition Michel Le Guern.

 

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  • 2 weeks later...

Bon, j'ai lu L'Éthique et les limites de la philosophie, de Bernard Williams. C'est très lourd stylistiquement, avec plein de circonvolutions et de passages incompréhensibles (qui pourrait être moins compréhensibles si les allusions aux autres philosophes analytiques y étaient moins implicites. Ou pas). Mais quelques idées surnagent néanmoins. Par exemple, Williams rappelle cette idée tout simple que considérer qu'un individu n'agit pas en fonction de ses intérêts réels n'implique pas qu'il soit légitime de l'y contraindre:

 

 

 


"L'idée que les gens peuvent avoir des "intérêts réels", différents des intérêts qu'ils pensent avoir, a généré une vaste littérature et à peu près autant de suspicion. Cette littérature est issue dans sa majeure partie de l'utilisation de cette idée par les hégéliens et, après Hegel, par les auteurs marxistes ; les applications de cette idée ont été essentiellement politiques, et elles justifient parfaitement la suspicion, dans la mesure où l'appel à l'intérêt réel des gens est souvent utilisé comme un moyen de les contraindre à faire quelque chose de contraire à leur intérêt "apparent" (c'est-à-dire perçu). Certaines de ces suspicions et critiques s'adressent, à tort, à la notion d'intérêt réel elle-même. Même si une action s'effectue dans l'intérêt réel de quelqu'un, le fait qu'il ne la perçoive pas comme son intérêt réel signifie qu'en admettant qu'on ne puisse le persuader, il faudra le contraindre à l'exécuter pour le salut de son intérêt réel. Mais dans ce contexte, une justification supplémentaire du fait que nous poursuivons ses intérêts réels sera nécessaire. Ce peut être l'intérêt réel de Robinson d'arrêter de boire, mais cela ne confère pas instantanément à quelqu'un le droit de l'empêcher de boire. (A qui ? A vous, au docteur, à l'Etat ?). Le simple fait que les intérêts réels ne coïncident pas avec les intérêts perçus soulève déjà des questions politiques et éthiques." (p.49-50)

"Pour éviter d'être purement idéologique, l'idée de l'intérêt réel doit s'accompagner d'une théorie de l'erreur, d'une description substantielle de la façon dont les gens peuvent échouer à reconnaître leurs intérêts réels." (p.52)
 

 

 

Bien sûr ça ne suffit ni à prouver l'existence d'intérêts réels, ni à prouver qu'ils sont connaissables (et sous quelles conditions). Mais je le précise pour @Neomatix et quelque autres qui considèrent l'idée avec beaucoup de défiance.

 

Ensuite Williams distingue les théories éthiques entre les théories contractualistes et utilitaristes, ce qui est moins précis que de distinguer entre déontologisme et conséquentialisme (les premières étant incluses dans les secondaires, terme à terme):

 

 

 


"Il existe une distinction utile entre deux styles fondamentaux, le contractuel et l'utilitariste. L'idée centrale du contractualisme a été formulée par T. M. Scanlon, en relation avec sa conception de l'erreur morale: "un acte est mauvais (wrong) s'il est effectué dans des circonstances qui seraient interdites par tout système de règles pour la régulation générales du comportement, que personne ne pourrait raisonnablement rejeter en tant que fondement d'un accord général éclairé et volontaire". (Scanlon, et d'autres auteurs que j'évoquerai, parlent d'ordinaire de moralité ; je ferais parfois la même chose). Cette conception de la faute (wrongness) s'accompagne d'une théorie particulière de l'objet de la pensée morale, ou de ce que sont les faits moraux essentiels. Selon cette théorie, la pensée morale traite des conventions sur lesquelles les gens pourraient s'entendre en ces circonstances privilégiées où personne n'est ignorant ou contraint. La théorie comporte également une conception de la motivation morale. La motivation morale élémentaire est "un désir d'être capable de justifier ses actions devant les autres par des raisons qu'ils ne pourraient raisonnablement rejeter". Il y a une parenté évidente entre ce complexe d'idées et les conceptions kantiennes discutées au chapitre précédent. [...]
L'utilitarisme, en revanche, considère que les éléments du bien-êtr
e (welfare) individuel sont la préoccupation fondamentale de la pensée éthique. Il existe de nombreuses espèces d'utilitarisme. Elles se distinguent par la définition du bien-être et d'autres points: par exemple savoir si c'est l'acte individuel qui doit être justifié par sa maximisation du bien-être, plutôt qu'une règle, une pratique, une institution. (C'est la différence entre utilitarisme direct et utilitarisme indirect). Toutes les variantes s'accordent sur un bien-être agrégé (bien collectif agrégé) [...] c'est-à-dire qui ajoute en quelque sorte les uns aux autres tous les bien-êtres des individus concernés (cette formule et même le mot "concerné" soulèvent de nombreuses difficultés)." (p.85)

 

 

 

Il y a bien un ou deux passages sympathiques contre l'utilitarisme, mais ça reste agaçant de lire un bouquin entier pour si peu:

 

"Comment un Je, qui a adopté la perspective de l'impartialité, peut-il détenir encore assez d'identité pour vivre une vie qui respecte ses propres intérêts ? Si la moralité est possible, me permet-elle encore d'être quelqu'un en particulier ?" (p.79)

 

"Les exigences utilitaristes d'une production maximale de bien-être (welfare) sont sans limites. Il n'y a pas de limite à ce qu'une personne pourrait faire pour rendre le monde meilleur, si ce n'est celle du temps et de la force. De plus, puisque le rapport des états de choses possibles aux actions d'une personne est indéterminé, les exigences sont sans limites au sens où il existe souvent pas de frontières claires entre ce qui est attendu de moi et de ce qui est attendu des autres. Les théoriciens utilitaristes continuent (selon divers degré d'enthousiasme) à restreindre ce que l'on peut exiger d'un individu, en disant que vous êtes d'ordinaire plus efficace si vous vous occupez spécialement de vos propres enfants, ou vous détendez occasionnellement après un bon travail." (Bernard Williams, L'Éthique et les limites de la philosophie, Gallimard, nrf essais, 1990 (1985 pour la première édition britannique), 243 pages, p.87)

 

J'en profite pour dire à @Nihiliste frustré , qui soutenait que "En ce qui concerne la règle qui veut que l'utilité de chacun a la même valeur a priori, elle ne me parait pas centrale dans la définition de l'utilitarisme", qu'il se trompe, c'est au contraire un élément central (et non fondé, pour autant que je sache) de la définition de l'utilitarisme:

 

« J'obtiens le principe évident que le bien particulier de quiconque n'a pas plus d'importance, au regard de l'Univers (si je peux m'exprimer ainsi), que le bien d'un autre... et il est évident pour moi qu'en tant qu'être rationnel, je suis destiné -autant que mes efforts me permettent de l'atteindre- à viser le bien en général et non telle partie particulière du bien. » -Henry Sidgwick, Les méthodes de l'éthique, 1874. Traduit dans Bernard Williams, L'Éthique et les limites de la philosophie, Gallimard, nrf essais, 1990 (1985 pour la première édition britannique), 243 pages, p.116-117.

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Le 16/06/2017 à 09:33, Nathalie MP a dit :

Intéressant article de Jeffrey Tucker (15 juin 2017)

(hier je l'ai posté dans "article à faire buzzer", mais ce n'est peut-être pas très vendeur venant de moi, donc je le remets là, par défaut car je ne sais pas très bien dans quelle rubrique le mettre. Le titre général "Phlio éthique histoire" semble adapté :) )

 

Envy Kills (L'envie tue)

https://fee.org/articles/envy-kills/

 

Définition : "You notice a nice house. To say, "that very house should be mine," is to be covetous. To say, "I want to buy a house like that," stems from jealousy which leads to emulation. To say, "I aspire to a life in which I can afford a house like that," is zeal. Envy is to say: "I want to burn down that house." "

 

"At some point in the 20th century, we normalized envy as a political idea. Down with the rich! His success must be punished! " ---> le socialisme comme transformation de l'envie (péché capital) en conscience politique.

 

"Indeed there is a burgeoning academic literature that seeks to rehabilitate envy as a motivator. It leads people to oppose unfairness and inequality, and hence builds the kinds of political institutions that many progressives favor." ---> Je pense à Hessel "Indignez-vous !"

 

J'arrive un peu tard, mais c'est effectivement un article qui pointe bien cette affreuse confusion entre envie de se procurer par la spoliation et envie de se procurer correctement.

La spoliation est devenue aussi naturelle et décontractée que d'enfiler des chaussettes.

 

  • Yea 1
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  • 2 weeks later...

Bon j'avais promis de faire un long post pour détailler ma propre position donc allons-y. Par contre je vous préviens que ça risque de ne pas être très élégant parce que pour l'instant je détaille plusieurs niveaux de problématiques morales auxquelles s'appliquent différents principes.

 

Un premier niveau que je pourrais qualifier d'éthique personnelle concerne la manière dont une personne choisit de mener sa vie, et recoupe dans une certaine mesure le "développement personnel". À ce niveau je tendrais à défendre une éthique des vertus qui insiste sur la connaissance de soi (d'esprit plutôt jungien) dont découle la vie en accord avec cette connaissance de soi (d'esprit plutôt schopenhauerien) et le travail permanent pour s'améliorer (d'esprit plutôt nietzschéen). En gros découvre ce que tu peux faire et ce que tu aimes faire, fais de ton mieux, si tu échoues mets à jour tes connaissances de toi, deviens meilleur et recommence.

 

Le second niveau est moins solipsiste. Il concerne la vie avec les autres humains et peut donc être qualifié d’éthique sociale. C’est de ce niveau qu’on parle généralement quand on discute d’éthique normative. Ici je défendrais plutôt une éthique déontologique subjectiviste (au cas où ça ne se serait pas vu j’utilise les termes sans rapport avec la littérature existante). Ça se présente sous la forme d’une arborescence de principes/exceptions familière aux juristes. Dans cette arborescence le principe le plus fondamental est "à Rome fais comme les romains", en d’autres termes il faut suivre par principe les règles du groupe social dans lequel on se trouve à l'instant t. Par exception on peut invoquer des systèmes de normes reconnus comme ayant une autorité supérieure (par exemple la loi) et qui s’imbriquent donc naturellement dans l’arborescence. À l’autre extrémité l’exception qui a toujours le dernier mot en pratique est le jugement moral subjectif de l’individu, mais l’application de ce jugement moral en opposition à d’autres normes peut amener à faire l’objet des jugements d’autrui avec des conséquences morales/légales.

 

Enfin un troisième niveau concerne ce qui est bon à long terme pour la condition humaine en général, ce que j’appellerais l’éthique civilisationnelle. Et c’est à ce niveau que j’adopterais une position téléologique en disant qu’il faut encourager la concurrence des normes pour que les meilleures survivent et prospèrent et se généralisent au second niveau pour le bien de tous. C’est le discours évolutionniste hayekien que nous connaissons bien.

 

Voilà, je vous avais prévenu que ça serait le bordel, d'où cette discussion pour essayer d'y voir plus clair.

  • Yea 2
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Il y a 2 heures, Lancelot a dit :

1):  À l’autre extrémité l’exception qui a toujours le dernier mot en pratique est le jugement moral subjectif de l’individu, mais l’application de ce jugement moral en opposition à d’autres normes peut amener à faire l’objet des jugements d’autrui avec des conséquences morales/légales.

 

2): Et c’est à ce niveau que j’adopterais une position téléologique en disant qu’il faut encourager la concurrence des normes pour que les meilleures survivent et prospèrent et se généralisent au second niveau pour le bien de tous.

 

Pourquoi ? Quel est le principe ou le critère qui permet de justifier que ces propositions sont bonnes (plutôt que des propositions contraires, ou d'autres propositions) ?

 

D'un côté tes maximes morales semblent sans fondement ; de l'autre, ton second paragraphe se réduit en dernière instance (comme dirait les marxistes) à un arbitraire subjectiviste. Et finalement ce subjectivisme doit aussi emporter la règle 2), puisque le "jugement moral subjectif" a légitimement "toujours le dernier mot".

 

Pour moi tu n'as pas de morale (si on en juge seulement à ce message, évidemment) ; ou pour être descriptif plutôt que normatif, tu as une morale dont le stirnérisme serait la forme philosophique: l'Unique est le seul juge de ce qui est bon. "Je-fais-ce-que-je-veux".

 

@Neomatix avait proposé une morale intersubjective beaucoup plus retorse à démonter, il pourrait peut-être la reproposer pour comparer.

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1 hour ago, Johnathan R. Razorback said:

Pourquoi ? Quel est le principe ou le critère qui permet de justifier que ces propositions sont bonnes (plutôt que des propositions contraires, ou d'autres propositions) ?

En ce qui concerne les propositions citées je n'ai pas besoin de justifier qu'elles soient bonnes ou mauvaises, elles ne sont pas normatives mais descriptives.

 

La première dit qu'en pratique c'est le jugement moral subjectif de l’individu qui prévaut. Il peut être éclairé de toutes les manières possibles par toutes les morales du monde mais il n'empêche que c'est bien le choix d'une personne qui détermine les actions de cette personne. Je ne vois même pas comment il pourrait en être autrement, quelle est la proposition contraire, nous nous faisons posséder par des anges et des démons qui choisissent nos actions à notre place ? Ou nous sommes des robots sans libre-arbitre ?

 

La seconde est simplement la perspective de la concurrence des normes qui est justifiée par l'évolutionnisme : à long terme les normes les mieux adaptées à la nature humaine survivent et s'imposent largement (ou inversement les normes mauvaises se marginalisent). On en a déjà discuté maintes fois et longuement sur liborg. La perspective contraire consisterait à dire soit qu'on peut déterminer le droit naturel plus efficacement a priori, soit que le droit naturel n'existe pas et qu'on ne peut pas dépasser le positivisme.

 

1 hour ago, Johnathan R. Razorback said:

ton second paragraphe se réduit en dernière instance (comme dirait les marxistes) à un arbitraire subjectiviste.

En l'occurrence il est important de regarder ce qui se passe avant la dernière instance. C'est un subjectivisme qui doit (1) se justifier de faire exception aux règles en place et (2) assumer les conséquences de son choix en s'exposant au jugement potentiel d'autrui.

Pour éclaircir les choses cette position a pour but de conserver les avantages de l'éthique déontologique tout en évitant certains inconvénients positivistes, typiquement la déresponsabilisation ("je n'ai rien fait de mal, je ne faisais qu'obéir à la règle") et le manque de souplesse face aux situations particulières extrêmes.

 

1 hour ago, Johnathan R. Razorback said:

Et finalement ce subjectivisme doit aussi emporter la règle 2), puisque le "jugement moral subjectif" a légitimement "toujours le dernier mot".

Pas "légitimement", "de fait". Ensuite a posteriori les pairs (typiquement un juge ou un jury) peuvent déterminer le point de vue de la société concernant la légitimité en considérant les circonstances et les motifs.

 

1 hour ago, Johnathan R. Razorback said:

Pour moi tu n'as pas de morale (si on en juge seulement à ce message, évidemment)

Je ne peux pas nier qu'il y a beaucoup de descriptif et peu de normatif dans ce que j'écris.

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Le 09/07/2017 à 20:28, Lancelot a dit :

1): En ce qui concerne les propositions citées je n'ai pas besoin de justifier qu'elles soient bonnes ou mauvaises, elles ne sont pas normatives mais descriptives.

 

2): c'est bien le choix d'une personne qui détermine les actions de cette personne.

 

3):  à long terme les normes les mieux adaptées à la nature humaine survivent et s'imposent largement (ou inversement les normes mauvaises se marginalisent).

 

4): La perspective contraire consisterait à dire soit qu'on peut déterminer le droit naturel plus efficacement a priori, soit que le droit naturel n'existe pas et qu'on ne peut pas dépasser le positivisme.

 

5): Je ne peux pas nier qu'il y a beaucoup de descriptif et peu de normatif dans ce que j'écris.

 

1): Si c'est le cas tu n'avais pas le droit d'utiliser de tournures impératives, car on croit avoir affaire à des obligations morales ("fais de ton mieux" ; "il faut suivre par principe les règles du groupe social dans lequel on se trouve à l'instant t" ; "il faut encourager la concurrence des normes"). Ce qui nous éloigne du sujet du fil si on lis ton post d'introduction en page 1.

 

En quel sens sont-elles descriptives ? Tu penses que la majorité des individus se comportent de fait ainsi ?

 

2): Personne ne conteste cela. Quant j’attaque le "subjectivisme", j'attaque la position qui identifie ce qui est bon avec l'arbitraire individuel (le désir disons).

 

3): ça me semble une vision beaucoup trop linéaire de l'histoire.

 

4): Ou: le droit naturel est connaissable a posteriori.

 

5): je n'ai pas bien saisi quelle était la part normative.

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1 hour ago, Johnathan R. Razorback said:

Si c'est le cas tu n'avais pas le droit d'utiliser de tournures impératives

Tournures que je n'utilise pas dans la première proposition. Dans la seconde le normatif "il faut favoriser la concurrence des normes" est bien séparé du descriptif qui décrit, justement, comment ce processus permet de découvrir le droit naturel et donc les meilleures normes. Raisonnement encore une fois bien connu des jusnaturalistes à la Hayek.

 

1 hour ago, Johnathan R. Razorback said:

car on croit avoir affaire à des obligations morales ("fais de ton mieux" ; "il faut suivre par principe les règles du groupe social dans lequel on se trouve à l'instant t" ; "il faut encourager la concurrence des normes"). Ce qui nous éloigne du sujet du fil si on lis ton post d'introduction en page 1.

Hum on s'éloigne des propositions citées initialement (et donc de ce que j'appelais descriptif dans ma réponse).

 

Ce que j'appelle l'éthique personnelle est évidemment normatif. Il est bon que les individus se connaissent, agissent en conséquence et cherchent à s'améliorer. La justification fondamentale est à chercher dans le domaine de la psychologie et du développement personnel.

Quand je dis "il faut suivre par principe les règles du groupe social dans lequel on se trouve à l'instant t" je ne fais qu'expliciter la règle "à Rome fais comme les romains", je ne suis pas en train de dire que c'est bien ou pas bien. Simplement c'est ce que font les gens par défaut tant qu'ils n'y voient pas d'objection, et quand une telle objection arrive elle est justifiée soit par une autre norme plus loin dans l'arborescence soit en dernière instance par un jugement personnel. Tout ça est descriptif.

Pour la troisième position j'ai explicité plus haut ce qui est descriptif et ce qui est normatif.

 

Ensuite il faut voir les interactions entre les trois niveaux : Le niveau personnel vise à produire des individus vertueux (normatif), le niveau civilisationnel vise à faire émerger et s'imposer des normes favorisant la nature humaine (normatif). Les deux se répercutent au niveau social qui est le lieu où se rencontrent les systèmes de normes et en dernière instance les décisions individuelles (descriptif). Par ailleurs les individus sont façonnés dans une certaine mesure par les systèmes de normes dans lesquels ils évoluent (descriptif), et les agrégations de décisions individuelles finissent par introduire des variations dans ces systèmes (descriptif), les rendant plus ou moins compétitifs (descriptif).

 

1 hour ago, Johnathan R. Razorback said:

Personne ne conteste cela. Quant j’attaque le "subjectivisme", j'attaque la position qui identifie ce qui est bon avec l'arbitraire individuel (le désir disons).

Ce n'est pas ce que je défends.

 

1 hour ago, Johnathan R. Razorback said:

ça me semble une vision beaucoup trop linéaire de l'histoire.

C'est une conséquence de la perspective évolutionniste couplée à l'idée que la nature humaine est stable : à long terme le droit naturel est un attracteur vers lequel on doit converger.

Mais attention à ne pas prendre ça dans un sens simpliste, je parle de tendance générale qui peut être très lente et n'empêche pas de mauvaises normes de s'imposer de manière temporaire et circonstancielle. Je ne dis pas non plus que ça aboutit à un système de normes complet qui régirait tous les aspects de la vie, les humains et les sociétés humaines varient trop pour ça.

 

1 hour ago, Johnathan R. Razorback said:

Ou: le droit naturel est connaissable a posteriori.

Non, ça c'est ce que je dis donc ça n'est pas une perspective contraire :mrgreen:

 

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  • 2 weeks later...

Par parenthèse, je tiens à souligner que j'ai affirmé plus haut que les éthiques anciennes vers lesquels inclinaient mes préférences devaient, par élimination, être des conséquentalismes non-utilitaristes. Mais il semble qu'elles ne soient même pas des conséquentialismes (ce qui, soit dit en passant, ruine jusqu'au bout la prétention de Mills à se réclamer d'Épicure):

 

"Epicureanism, is not consequentialist ; its conception of the kind of pleasure which is our final end does not make that a state of affairs to the achievement of which the nature of our actions in achieving it is irrelevant. This is because Epicurus takes the eudaimonist framework of ancient ethics seriously. More marginal candidates are the theory discussed in Plato's Protagoras, and the Cyrenaics. They are, as we shall see, consequentialist, but just for that reason run into systematic trouble with the basic notions of eudaimonistic ethics."
-Julia Annas, The Morality of Happiness, Oxford University Press, 1993, p.37.

 

Ps: Pendant que j'y penses, tu écris, @Lancelot, que tu n'as pas de position arrêtée en éthique normative. Mais en as-tu une en méta-éthique (cf: https://fr.wikipedia.org/wiki/Méta-éthique) ?

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19 hours ago, Johnathan R. Razorback said:

Pendant que j'y penses, tu écris, @Lancelot, que tu n'as pas de position arrêtée en éthique normative. Mais en as-tu une en méta-éthique (cf: https://fr.wikipedia.org/wiki/Méta-éthique) ?

C'est possible qu'il y en ait une qui découle de mes positions épistémologiques mais dans ce cas je n'y ai pas assez réfléchi pour la connaître...

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il y a 9 minutes, Lancelot a dit :

C'est possible qu'il y en ait une qui découle de mes positions épistémologiques mais dans ce cas je n'y ai pas assez réfléchi pour la connaître...

 

Je vois.

Il faudrait peut-être que je me mette à Droit, Législation et liberté pour mieux appréhender tes idées.

 

Sinon, les positions éthiques que je défends sont solidaires, au niveau méta-éthique, du cognitivisme (https://en.wikipedia.org/wiki/Cognitivism_(ethics)), et plus précisément du réalisme moral (https://en.wikipedia.org/wiki/Moral_realism), et sans doute plus précisément encore du naturalisme éthique (https://en.wikipedia.org/wiki/Ethical_naturalism).

 

Ce qui n'est pas original, la plupart des philosophes moraux étant des réalistes moraux.

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  • 4 weeks later...

Comme promis je me suis un peu intéressé à la méta-éthique sur mon temps libre. Je suis arrivé à quelques réflexions que je trouve intéressantes.

 

Partons du point de départ terminologique qu'il existe trois formes de propositions : (1) Les propositions physiques qui portent sur le Vrai et qui peuvent être justifiées par l'observation empirique et la logique. (2) Les propositions esthétiques qui portent sur le Beau et qui peuvent être justifiées par les changements d'état émotionnel causés par un objet. (3) Les propositions éthiques qui portent sur le Bien et qui peuvent être justifiées... par quoi exactement ? C'est la question à laquelle essaye de répondre la méta-éthique.

 

Alors que les deux premiers points me semblent assez solidement établis (on peut discuter de métaphysique ou de méta-esthétique dans un autre thread si ça vous branche), la méta-éthique se heurte à plus de difficultés. En effet la plupart des positions qui existent consistent in fine à réduire les jugements éthiques soit à des jugements physiques (ce que fait par exemple le naturalisme éthique), soit à des jugements esthétiques (ce que font par exemple toutes les écoles non-cognitivistes ou le subjectivisme éthique).

Par conséquent je répondrais à @Johnathan R. Razorback, qui me disait "tu n'as pas d'éthique", qu'à mon sens les naturalistes n'ont pas d'éthique non plus. Ils n'ont qu'une physique, et ils en sont fiers :mrgreen:

 

Ce qui m'amène évidemment à la question suivante : existe-t-il des positions méta-éthiques qui permettent l'existence d'une éthique ? Pour ça il me semble qu'il leur faut remplir plusieurs conditions dont :

  • le cognitivisme ("les jugements éthiques sont susceptibles d'être vrais ou faux")
  • l'universalisme/le non relativisme ("les jugements éthiques sont susceptibles d'être valables indépendamment d'un cadre socio-culturel")
  • le non-naturalisme ("les jugements éthique ne sont pas réductibles à des jugements non éthiques")

Ça nous laisse avec des choses comme l'intuitionnisme, la divine command theory la moral sense theory ou l'ideal observer theory. Je dois dire que je trouve les deux dernières perspectives assez fascinantes.

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Je ne vois pas en quoi l'universalisme est nécessaire, il est nécessaire au niveau meta si on cherche une éthique universelle, mais de fait la quête d'une éthique est au final une quête personnelle et l'universalisme est du coup assez accessoire, ce qui compte c'est l'applicabilité à la personne particulière.

 

Evidemment, si on souhaite la "vendre", en tant que produit philosophique, c'est un avantage compétitif, mais il a un coût non nul.

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Je pense que l'universalisme est nécessaire, en d'autres termes que les jugements éthiques doivent pouvoir être objectivables soit a priori soit de manière empirique, si on veut définir une position méta-éthique qui ne les réduise pas in fine à ce que j'appelle des jugements esthétiques (qu'il faut comprendre dans ce contexte comme des modes qui n'ont pas d'autre valeur en soi qu'être plaisantes à beaucoup de monde dans un cadre spatial et temporel donné).

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Ce qui est une position parfaitement valable, tout comme celle des naturalistes pour qui l'éthique se réduit à une physique.

 

Ça me fait penser que les méta-éthiques esthétiques sont en fait très répandues. Elles sous-tendent par exemple tout le positivisme juridique.

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Je reviens sur l'universalisme, contre mes meilleurs instincts (mon esthétique impose l'universalisme :D ).

 

Je me demande si ce n'est pas une spécificité de la philosophie d'influence chrétienne, Aristote était il vraiment "universaliste" dans un sens comparable a celui qu'on utilise, j'en doute.

 

Plus généralement, on peut tout à fait avoir une méta-éthique universaliste, et des éthiques non universalistes malgré tout, les éthiques de la vertu dépendent de l'acteur, dont l'ordre d'importance des vertus peut tout à fait dépendre de son role dans la société, meme si la liste est universelle, et les éthiques déontologiques n'ont aucune raison spécifique d'avoir les memes règles pour tout le monde, le fait qu'il reste le consequentialisme comme seul éthique nécessairement universelle m'aide a douter de la nécessité absolue de l'universalisme :icon_twisted:

 

 

 

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Il y a 19 heures, Lancelot a dit :

Par conséquent je répondrais à @Johnathan R. Razorback, qui me disait "tu n'as pas d'éthique", qu'à mon sens les naturalistes n'ont pas d'éthique non plus. Ils n'ont qu'une physique, et ils en sont fiers :mrgreen:

 

Il y a deux sortes de naturalisme moral, le naturalisme réductionniste et le non-réductionniste: https://fr.wikipedia.org/wiki/Naturalisme_moral#R.C3.A9ductionnisme_et_non-r.C3.A9ductionnisme

 

Pour le moment j'ai dû mal à avoir une préférence pour l'un ou pour l'autre. D'un côté le réductionnisme est attirant, surtout lorsqu'on présuppose une ontologie matérialiste. Mais en même temps, on ne voit pas bien à quelle propriété naturelle pourrait se ramener la proposition "X est mauvais". De plus, si on imagine une IA suffisamment intelligente pour reconnaître n'importe quelle propriété naturelle, elle devrait aussi être capable de déceler un comportement immoral, ce qui colle mal avec l'idée que je me fais de la connaissance morale (laquelle implique des émotions, comme le note Hume -même s'il a tort de penser qu'elle s'y réduit) -et de ce qu'est une machine.

 

Le naturalisme non-réductionniste évite les difficultés précédentes, mais le prix théorique à payer est l'existence de propriétés (morales objectives) non-naturelles. Hors, je ne vois pas très bien ce qu'est une propriété objective "non naturelle" (mais peut-être est-ce seulement le terme de "naturel" qui est ambigu).

 

Je ne comprends pas l'intérêt de la "théorie de l'observateur idéal", puisque que nous ne serons par définition jamais l'observateur idéal (dont certains traits de description sont comme par hasard classiquement attribués à Dieu). On trouve d'ailleurs des variantes utilitaristes de cette théorie, qui sont encore plus absurdes que l'utilitarisme classique.

 

Ni l'un ni l'autre ne semblent être une "physique". Les énoncés moraux, quelle que soit leur nature, sont susceptibles de modifier le comportement des individus, ce qui n'est pas valable des énoncés physiques vis-à-vis de la matière non-vivante. "Ce qui se passe" et "ce qui devrait se passer" sont deux choses distinctes.

 

@neuneu2k: la morale épicurienne, par exemple, se veut tout à fait universelle (valable pour les hommes et les femmes, les citoyens libres et les esclaves, les Grecs et les non-Grecs), sans avoir quoi que ce soit de chrétien*. On pourrait trouver d'autres exemples.

 

*Sauf bien sûr si on analyse le christianisme comme un phénomène idéologique amenant une crise entre les valeurs intérieures (le salut) et les valeurs de la cité (engagement civique, engagement martial) ; auquel cas l'épicurisme a suscité, comme le christianisme, méfiance et persécutions:

 

 


« Le christianisme a déclaré « superstition » les fondements de la cité antique au nom d’une transcendance radicale et d’un accomplissement de l’homme comme tel. »  -Pierre Gisel, Qu’est-ce qu’une religion ?, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 2007, 128 pages, p.67.



« Le contrepoids de l'individu à tout holisme peut s'observer dans plusieurs systèmes sociaux du Moyen Age. Mais, pour l'Église, il est la définition même de sa constitution. Alors que, dans des cas extrêmes, l'individu peut être absorbé par la "Cité" politique, l'Église, elle, ne peut le sacrifier sans se priver d'une dernière instance de sa légitimité, car son ultime raison n'est pas le salut public, mais le salut éternel des âmes individuelles. Aujourd'hui encore, le Corpus iuris canonici se termine par le canon salus animarum in Ecclesia suprema semper lex esse debet ("le salut des âmes doit être la loi suprême de Église"), contre-pied exact de la devise fondamentale du droit romain, salus publica suprema lex esto ("que le salut public soit la loi suprême"). » -Peter Von Moos, « L’individu ou les limites de l’institution ecclésiale », Brigitte Miriam Bedos-Rezak & Dominique Iogna-Prat (dir), L'Individu au Moyen Age. Individuation et individualisation avant la modernité, Mayenne, Éditions Flammarion, Aubier, 2005, 380 pages, p.271-272.


 

 

 

Je profite de ce post pour signaler cette excellente recension de On What Matters de Derek Parfit, lequel a développé une synthèse (la "Triple théorie") entre "conséquentialisme, contractualisme et kantisme": https://www.nonfiction.fr/article-5507-la_haut_sur_la_montagne.htm

 

Ce qui confirme qu'on est pas du tout tenu de choisir entre les courants initialement mentionnés par @Lancelot.

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8 hours ago, neuneu2k said:

Plus généralement, on peut tout à fait avoir une méta-éthique universaliste, et des éthiques non universalistes malgré tout, les éthiques de la vertu dépendent de l'acteur, dont l'ordre d'importance des vertus peut tout à fait dépendre de son role dans la société, meme si la liste est universelle, et les éthiques déontologiques n'ont aucune raison spécifique d'avoir les memes règles pour tout le monde, le fait qu'il reste le consequentialisme comme seul éthique nécessairement universelle m'aide a douter de la nécessité absolue de l'universalisme :icon_twisted:

Un autre exemple dans l'éthique de la vertu : une proposition comme "il faut être bienveillant" est universelle au niveau méta-éthique, mais au niveau de l'éthique normative on se rend compte que les comportements considérés comme bienveillants dépendent largement du contexte socio-culturel.

Par contraste les méta-éthiques purement esthétiques ne peuvent pas se permettre de telles affirmations, elles sont réduites à un rôle descriptif : "ici on encourage tel ou tel comportement qu'on appelle être bienveillant".

De leur côté les méta-éthiques physiques vont considérer que ce qu'on appelle la bienveillance est l'approximation d'une propriété physique qu'on peut mesurer pour déterminer le comportement optimalement bienveillant dans n'importe quel contexte. En effet dans ce cas on passe difficilement outre un universalisme bourrin :mrgreen:

 

1 hour ago, Johnathan R. Razorback said:

Il y a deux sortes de naturalisme moral, le naturalisme réductionniste et le non-réductionniste: https://fr.wikipedia.org/wiki/Naturalisme_moral#R.C3.A9ductionnisme_et_non-r.C3.A9ductionnisme

Il y a toujours des gens qui ont le cul entre deux chaises. En l'occurrence la différence entre les deux est plus une question des conditions d'apparition des capacités morales qu'autre chose (ce qui renvoie à son tour au débat entre dualisme et monisme).

 

Disons que tant qu'il y a une négation de la différence entre faits et valeurs et la volonté de réduire les problèmes éthiques à des quantités mesurables, il n'y a pas de différence du point de vue de la distinction que j'essaie d'établir. Les naturalistes qui ne tombent pas là-dedans sont des faux jetons qui n'osent pas s'avouer non-naturalistes.

 

Quote

Je ne comprends pas l'intérêt de la "théorie de l'observateur idéal", puisque que nous ne serons par définition jamais l'observateur idéal (dont certains traits de description sont comme par hasard classiquement attribués à Dieu). On trouve d'ailleurs des variantes utilitaristes de cette théorie, qui sont encore plus absurdes que l'utilitarisme classique.

D'un point de vue pratique ça se traduit par des choses telles que la notion de "bon père de famille" ou les raisonnements du type "what would Jesus do?". C'est intéressant parce que ça dénote un processus fondamentalement social : pour savoir quelle est la meilleure action j'imagine que la situation arrive à quelqu'un d'autre pour m'en extraire et c'est cette simulation qui me donne accès aux représentations éthiques. Par ailleurs ça se rapproche énormément de ma théorie sur la nature de l'objectivité.

 

Quote

Ni l'un ni l'autre ne semblent être une "physique". Les énoncés moraux, quelle que soit leur nature, sont susceptibles de modifier le comportement des individus, ce qui n'est pas valable des énoncés physiques vis-à-vis de la matière non-vivante.

Ni l'un ni l'autre quoi ? Je pense qu'il y a incompréhension sur ce que j'appelle un énoncé physique.

 

Quote

"Ce qui se passe" et "ce qui devrait se passer" sont deux choses distinctes.

Il faut expliquer ça aux naturalistes, c'est eux qui veulent passer outre la distinction faits-valeurs.

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