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Éthique et tac


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Cette position de se prétendre bon car on en a l'intention, est aussi confortable que parfaitement stupide.

Et surtout elle permet surtout de justifier absolument tout.

On peut crucifier un enfant, du moment qu'on pense que c'est bien.

Les argumentaires nazi etc ont tous recours à ce genre de conneries.

C'est rassurant.

 

Perso, le gars qui me sort ça, je lui colle une baffe direct en lui expliquant que moi je suis convaincu que c'est bon.

 

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Il y a 12 heures, Johnathan R. Razorback a dit :

Bon ça fait un moment que j'avais envie d'écrire un peu contre l'altruisme (ce poison qui ravage nos sociétés via la culpabilisation et les concours de Virtue signalling, et in fine la social-démocratie).

 

Pour ce faire je vais attaquer une thèse d'éthique normative qu'on pourrait appeler la conception non-instrumentale des vertus -ou encore, pour employer un barbarisme encore plus flagrant, le gratuitisme moral (à ne pas confondre avec la noblesse).

 

Les gratuitistes pensent qu'il faut faire le bien pour lui-même, pour la pure beauté du geste en quelque sorte. L'expression stoïcienne suivant laquelle la vertu est sa propre récompense est emblématique de cette tendance. Pour eux, la morale enseigne à faire le bien, mais elle n'a pas de fondement ou de finalité extérieure à elle-même. Le perfectionnisme moral est une forme de gratuitisme.

 

« Les hommes bons sont ceux qui sont disposés et capables de préférer l’intérêt commun à leur intérêt privé et aux objets de leurs passions, ou ceux qui, capables de discerner dans chaque situation quelle est l’action juste ou noble, accomplissent cette action parce qu’elle est noble et juste et pour aucune raison. » -Leo Strauss, Qu’est-ce que la philosophie ?, p.86.

 

Le problème de cette position est évidemment qu'on ne voit pas du tout ce qui fonde la morale. On ne voit pas ce qui permettrait de prôner la morale à quelqu'un qui ne le serait pas déjà. Les gratuitistes comme Platon ou Aristote admettraient certes qu'être moral est nécessaire pour mener une vie heureuse, mais ils n'admettraient apparemment pas que ce soit pour être heureux (ou pour tout autre raison externe, comme vivre chez Ayn Rand) qu'il faille être moral. Au contraire, ils jugent que cette subordination dégrade la morale, la rend basse, intéressée, etc etc. Ils prennent la morale, qui est un moyen, pour une fin en elle-même.

Cicéron a notamment polémiqué contre les épicuriens (qui eux défendent au contraire une subordination de la morale à la recherche du bonheur, une conception instrumentale des vertus).

 

Faute de fondement, cette position gratuitiste est arbitraire (comme le kantisme donc) -et un peu absurde ("Il faut être moral parce que"). Elle n'explique pas pourquoi être moral serait souhaitable ou avantageux, elle ôte à la morale sa séduction rationnelle pour celui qui l'ignore initialement, elle lui ôte sa force motivationnelle pour celui qui la pratique. On peut certes continuer à agir moralement par habitude ou par conformisme social (ou parce qu'on sent quand même confusément, intuitivement, que ce serait cool d'être une bonne personne), mais ça n'est pas rationnel et on ne peut pas justifier pourquoi il faudrait être moral.

 

Les gens qui adhèrent à une conception désintéressée de la morale sont en danger d'être manipulés ou exploités parce que leurs bons sentiments ne les tiennent pas eux-mêmes comme sujet éthique premier (voire tout court). Ils sont donc prédisposés à être culpabilisés, à accepter l'idée qu'ils n'en font jamais assez pour le bien d'autrui, etc. Pour peu que leurs autres croyances éthiques soient erronées, ils peuvent se sacrifier entièrement pour n'importe quoi. Évidemment, ceux susceptibles de les utiliser auront probablement des croyances morales très différentes...

 

Si j'en crois C. Lazzeri, professeur à Paris X, la vertu à bien comme finalité le bonheur (chez les anciens jusqu'aux premiers modernes), c'est à partir de Kant qu'il y a décorélation entre les deux.

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13 hours ago, Johnathan R. Razorback said:

Bon ça fait un moment que j'avais envie d'écrire un peu contre l'altruisme (ce poison qui ravage nos sociétés via la culpabilisation et les concours de Virtue signalling, et in fine la social-démocratie).

 

Pour ce faire je vais attaquer une thèse d'éthique normative qu'on pourrait appeler la conception non-instrumentale des vertus -ou encore, pour employer un barbarisme encore plus flagrant, le gratuitisme moral (à ne pas confondre avec la noblesse).

Ok mais est-ce vraiment pertinent de faire ça ? Il me semble qu'instrumentalisme et altruisme se situent à des niveaux différents dans le sens où on peut défendre un altruisme instrumental (je dois être altruiste parce que ça me permettra d'aller au paradis) ou un égoïsme non-instrumental (l'égoïsme est en soi vertueux, ou l'expression potentielle d'une vertu en soi qui n'a pas besoin d'autre justification qu'elle-même).

 

Bref la question du fondement ultime de la morale (et si ce fondement se situe dans la morale ou au delà) est assez indépendante de la question du contenu de la morale.

 

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Le problème de cette position est évidemment qu'on ne voit pas du tout ce qui fonde la morale. On ne voit pas ce qui permettrait de prôner la morale à quelqu'un qui ne le serait pas déjà. Les gratuitistes comme Platon ou Aristote admettraient certes qu'être moral est nécessaire pour mener une vie heureuse, mais ils n'admettraient apparemment pas que ce soit pour être heureux (ou pour tout autre raison externe, comme vivre chez Ayn Rand) qu'il faille être moral. Au contraire, ils jugent que cette subordination dégrade la morale, la rend basse, intéressée, etc etc. Ils prennent la morale, qui est un moyen, pour une fin en elle-même.

Cicéron a notamment polémiqué contre les épicuriens (qui eux défendent au contraire une subordination de la morale à la recherche du bonheur, une conception instrumentale des vertus).

Qu'en est-il d'une conception plus naturaliste, comme celle du sens moral ? Un tel sens moral nous permettrait de percevoir la dimension normative d'une situation comme par exemple la vision nous permet d'en percevoir la dimension visuelle. Comme la vision, il pourrait avoir été développé de manière évolutionniste chez notre espèce et donc ne pas nécessiter d'autre justification que son existence même.

 

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Faute de fondement, cette position gratuitiste est arbitraire (comme le kantisme donc) -et un peu absurde ("Il faut être moral parce que").

De mon point de vue dire "il faut être moral parce qu'être moral rend heureux" ajoute certes une justification mais cette justification elle-même est arbitraire et un peu absurde.

 

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Les gens qui adhèrent à une conception désintéressée de la morale sont en danger d'être manipulés ou exploités parce que leurs bons sentiments ne les tiennent pas eux-mêmes comme sujet éthique premier (voire tout court). Ils sont donc prédisposés à être culpabilisés, à accepter l'idée qu'ils n'en font jamais assez pour le bien d'autrui, etc. Pour peu que leurs autres croyances éthiques soient erronées, ils peuvent se sacrifier entièrement pour n'importe quoi. Évidemment, ceux susceptibles de les utiliser auront probablement des croyances morales très différentes...

C'est un mauvais procès. Les utilitaristes par exemple ne sont pas les derniers à se faire manipuler pour défendre des saloperies, et on ne peut pas leur reprocher d'être non-instrumentalistes.

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il y a 55 minutes, Lancelot a dit :

1): Ok mais est-ce vraiment pertinent de faire ça ? Il me semble qu'instrumentalisme et altruisme se situent à des niveaux différents dans le sens où on peut défendre un altruisme instrumental (je dois être altruiste parce que ça me permettra d'aller au paradis) ou un égoïsme non-instrumental (l'égoïsme est en soi vertueux, ou l'expression potentielle d'une vertu en soi qui n'a pas besoin d'autre justification qu'elle-même).

 

2): Qu'en est-il d'une conception plus naturaliste, comme celle du sens moral ? Un tel sens moral nous permettrait de percevoir la dimension normative d'une situation comme par exemple la vision nous permet d'en percevoir la dimension visuelle. Comme la vision, il pourrait avoir été développé de manière évolutionniste chez notre espèce et donc ne pas nécessiter d'autre justification que son existence même.

 

3): De mon point de vue dire "il faut être moral parce qu'être moral rend heureux" ajoute certes une justification mais cette justification elle-même est arbitraire et un peu absurde.

 

4): C'est un mauvais procès. Les utilitaristes par exemple ne sont pas les derniers à se faire manipuler pour défendre des saloperies, et on ne peut pas leur reprocher d'être non-instrumentalistes.

 

1): Bien vu, mais je n'ai pas non plus prétendu réfuter l'altruisme en général (même si j'ai dû dire plus haut dans le fil qu'il était arbitraire. La plupart des philosophies morales couronnées par la tradition sont arbitraires anyway. C'est pas étonnant que les gens se détournent sans état d'âme de l'étude de ces sujets).

 

2): En temps que bon gros empiriste de gauche bas du front, je vais soutenir qu'il n'existe rien de tel et que ceux qui prétendent entendre une "voix intérieure de la conscience" (les platoniciens de Cambridge et quelques autres depuis) ne font en fait que naturaliser des normes qui ont appris socialement. Or on ne peut suivre aveuglement les normes héritées, puisque nous savons qu'elles varient selon les lieux et les époques, et tenir que tous le monde a raison en faisant des choses qui se contredisent revient à sombrer dans le relativisme.

 

3): La formulation de la relation entre les 2 termes est légèrement différente (cf mes interventions précédentes dans le fil). Mais soit, pourquoi trouves-tu ça arbitraire ? Vois-tu un meilleur fondement à la morale ?

 

4): Ah, mais ce n'est pas exclusif ;)Error is legion and the truth stands alone...

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Il y a 1 heure, Ultimex a dit :

Si j'en crois C. Lazzeri, professeur à Paris X, la vertu à bien comme finalité le bonheur (chez les anciens jusqu'aux premiers modernes), c'est à partir de Kant qu'il y a décorélation entre les deux.

 

Il me semble pas que ça puisse être possible dans une perspective chrétienne, puisque l'ici-bas n'est ni la fin de tout ni même ce qui importe le plus. Par ailleurs (mais je lis peut-être superficiellement), tout un courant chrétien d'Augustin jusqu'à Pascal (ou jusqu'à Kant si on s'affranchit des schismes intérieurs au christianisme) semble penser que le bonheur est impossible ici bas. Un but impossible ne peut raisonnablement pas servir de justification ultime et encore moins de motivation à nos actions.

 

Sinon j'ai lu l'Éthique à Nicomaque, il y a des passages auxquelles un eudémoniste ne retrancherait rien, d'autres qui semblent le contredire et qui ne sont pas clairs.

 

Sinon faut pas non plus oublier le côte holistique des classiques. Peut-être que Platon voulait le bonheur de la cité dans son ensemble, mais selon comment on pense la relation du bien collectif et du bien individuel*, ça peut tout à fait contrevenir au bonheur de tel individu.

 

* cf ceci, où je me pose pleins de questions:

 

 

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Il y a 2 heures, Rübezahl a dit :

Cette position de se prétendre bon car on en a l'intention, est aussi confortable que parfaitement stupide.

Et surtout elle permet surtout de justifier absolument tout.

On peut crucifier un enfant, du moment qu'on pense que c'est bien.

Les argumentaires nazi etc ont tous recours à ce genre de conneries.

C'est rassurant.

 

Perso, le gars qui me sort ça, je lui colle une baffe direct en lui expliquant que moi je suis convaincu que c'est bon.

 

 

Quel intérêt ? Est ce que tu aimes la violence, le fait de frapper les autres ?

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Il y a 3 heures, Johnathan R. Razorback a dit :

nous savons qu'elles varient selon les lieux et les époques,

En fait, non. Les détails changent le plus souvent (encore que pas toujours), mais dès qu'on prend un peu de hauteur, elles se ressemblent plus que prévu. Tu as lu The Righteous Mind, de Jonathan Haidt ?

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Il y a 2 heures, Rincevent a dit :

Tu as lu The Righteous Mind, de Jonathan Haidt ?

 

Non. Et je ne vois pas comment la psychologie (ou toute autre science) pourrait nous faire sortir de la guerre wébérienne des dieux. On peut soutenir des valeurs contradictoires via de semblables mécanismes ou types psychologiques, mais ça ne résout rien sur la légitimité des raisons qui s'opposent.

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6 hours ago, Johnathan R. Razorback said:

Bien vu, mais je n'ai pas non plus prétendu réfuter l'altruisme en général (même si j'ai dû dire plus haut dans le fil qu'il était arbitraire. La plupart des philosophies morales couronnées par la tradition sont arbitraires anyway. C'est pas étonnant que les gens se détournent sans état d'âme de l'étude de ces sujets).

 

La formulation de la relation entre les 2 termes est légèrement différente (cf mes interventions précédentes dans le fil). Mais soit, pourquoi trouves-tu ça arbitraire ? Vois-tu un meilleur fondement à la morale ?

Je trouve ça arbitraire parce que... ça l'est ? On dit que le fondement de la morale c'est le bonheur épicétout, c'est évident et ceux qui ne sont pas d'accord c'est qu'ils se trompent. Du coup je ne vois pas en quoi ça se démarque de "la plupart des philosophies morales couronnées par la tradition".

Une meilleure question serait "comment peut-on faire une proposition qui ne soit pas arbitraire ?" Mon idée est qu'il faut pour ça chercher des explications objectives en dehors de "c'est évident", et que la recherche scientifique sur la manière dont fonctionnent les humains peut nous aider à trouver de telles explications.

 

6 hours ago, Johnathan R. Razorback said:

En temps que bon gros empiriste de gauche bas du front, je vais soutenir qu'il n'existe rien de tel et que ceux qui prétendent entendre une "voix intérieure de la conscience" (les platoniciens de Cambridge et quelques autres depuis) ne font en fait que naturaliser des normes qui ont appris socialement. Or on ne peut suivre aveuglement les normes héritées, puisque nous savons qu'elles varient selon les lieux et les époques, et tenir que tous le monde a raison en faisant des choses qui se contredisent revient à sombrer dans le relativisme.

Pourquoi partir du principe que les normes existantes sont purement sociales et contingentes ?

 

3 hours ago, Rincevent said:

En fait, non. Les détails changent le plus souvent (encore que pas toujours), mais dès qu'on prend un peu de hauteur, elles se ressemblent plus que prévu. Tu as lu The Righteous Mind, de Jonathan Haidt ?

 

53 minutes ago, Johnathan R. Razorback said:

Non. Et je ne vois pas comment la psychologie (ou toute autre science) pourrait nous faire sortir de la guerre wébérienne des dieux. On peut soutenir des valeurs contradictoires via de semblables mécanismes ou types psychologiques, mais ça ne résout rien sur la légitimité des raisons qui s'opposent.

Ce qui m'amène à l'article dont je parlais hier :

Quote

The argument from agreement: How universal values undermine moral realism

Hanno Sauer

 

The most popular argument against moral realism is the argument from disagreement: if there are mind‐independent moral facts, then we would not expect to find as much moral disagreement as we in fact do; therefore, moral realism is false. In this paper, I develop the flipside of this argument. According to this argument from agreement, we would expect to find lots of moral disagreement if there were mind‐independent moral facts. But we do not, in fact, find much moral disagreement; therefore, moral realism is false. I defend the argument, explain the empirical evidence that supports it, and show what makes this challenge novel and powerful.

 

Quelques extraits rigolos :

Spoiler

If individuals and cultures actually agree about what morality demands, where does the appearance of disagreement – on which proponents as well as critics of the argument of disagreement tend to rely – come from? Here, I think the distinction between fundamental and superficial disagreement starts to play an unexpected role. Traditionally, this distinction has been used by defenders of realism to show that most apparent disagreements can actually be explained away in realism‐friendly terms. The idea was that upon closer scrutiny, most candidates for genuine moral disagreement actually turn out to be disagreements about non‐moral facts or simply misinterpretations of other cultures (Moody‐Adams, 2009) and therefore fail to establish any relativistic conclusions. The suggestion I wish to make is that the distinction between superficial and fundamental disagreements does not explain away disagreement, but explains the appearance of widespread moral disagreement. It is correct that people and cultures seem to disagree about morality all the time; but many, if not most, of these disagreements turn out to be superficial and defusable: this means that actually, there is a lot of fundamental moral agreement around.

 

This means that defusing explanations of moral disagreement come back to haunt the moral realist. Originally, these explanations were supposed to show that most cases of moral disagreement actually turn out to be superficial and thus unthreatening to the realist. And this is exactly right: most disagreements are superficial and non‐fundamental. The examples mentioned above – pain is bad, cooperation is good, cheaters ought to be sanctioned, morality is about harm, fairness, loyalty, respect and purity, and so forth – identify fundamental moral issues, and on those issues, there is overwhelming agreement among virtually all cultures and individuals. But this becomes a problem for moral realists once we realize that moral realism never actually required fundamental moral agreement in the first place. It requires disagreement, so that the aforementioned defusing explanations end up infecting, rather than immunizing, moral realism.

 

[...]

 

An interesting final data point for the idea that there is not actually a lot of moral disagreement is this: consider the people with the most radically divergent moral views you can think of. Now consider how surprisingly non‐radical these disagreements are. In particular, compare how radical they could be, and how radical disagreements can in fact become when we look at other domains about which we are confident realists. Moral disagreements often have the following flavor: the Maragoli think fairness requires that one give 25% in the Ultimatum Game, whereas US citizens believe that one ought to give around 45% (Henrich, Heine, & Norenzayan, 2010). But in principle, it would not be inconceivable for one culture to think that harming others is wrong and that cooperation should be rewarded, for another culture to think that cooperation is wrong bad and that harming others is good, and for another culture to think that counting blades of grass is the best way to spend one’s time or to jump up and down and scream at purple things (Street, 2006). But in reality, that is, in lived societies populated by people of flesh‐and‐blood, we never find any disagreements anywhere near this strong.

 

Now consider the radically divergent views people actually hold about realistic domains such as scientific truths, for instance about the origin of the cosmos. Some believe that it was created in six days by an omnipotent immaterial consciousness, some believe it had no origin but that the cosmos is a cyclical spiral, some hold that it was given birth to by a giant turtle. The range of moral beliefs actually held by people both syn‐ and diachronically is nowhere near this wide. This fact alone calls for an explanation, and it calls especially loudly on the moral realist.

 

[...]

 

What best explains agreement is precisely the lack of objective truths, because when there are such truths, disagreement is to be expected. In general, the reason for this is that most of the interesting truths within a domain will be unobvious. Discovering them requires often painstaking inquiry and methodical reasoning, frequently conducted by professional investigators. Clearly, many philosophers think that this is precisely what is not required for obtaining moral knowledge. I will argue below that this assumption is unwarranted. Given that most truths within a given realist domain should not be readily accessible, widespread agreement about the truths of that domain should make us suspicious.

 

The claim that realism does not predict agreement becomes especially plausible when there are other, non‐truth tracking explanations for why people would come to converge on a set of domain‐specific beliefs even if there were no mind‐independent facts those beliefs answer to. For instance, if we find that the members of a community agree on certain beliefs because of the pernicious influence of some charismatic guru, the envisioned inference to the best explanation is blocked. In the case of morality, such a non‐truth‐tracking explanation could, for instance, be supplied by selective pressures of biological or cultural evolution, more on which below.

 

Note that I am not committed to denying that realism predicts convergence over time. Convergence over time and widespread agreement are separate issues. Realism predicts merely that there will be (some) convergence among well‐informed people, i.e. the experts. But typically, experts then find themselves disagreeing with laypeople, who were not swept up in the same dynamic of evidence‐driven consensus formation which leads to widespread convergence among the informed, combined with widespread divergence between the informed and the uninformed. The claim that realism predicts both widespread convergence and agreement on moral matters thus seems to assume that there could be no laypeople/expert divide within morality. But this, too, sits uncomfortably with realism (McGrath, 2011; cf. Enoch, 2014). For why, if there are mind‐independent moral facts, would there be no one better positioned to know them than others?

 

The main reason for thinking that realism about a given domain predicts disagreement is that when we look at domains about which most people are confident realists – such as science – we find lots of disagreement. By this, I do not mean to suggest that scientific experts do not converge on the basic tenets of their respective disciplines. What I mean is that when comparing scientific experts and laypeople outside of a given discipline, we find that almost no one, globally speaking, believes the basic truths of science, be it physics, biology, economics, or cognitive science. Almost all of the foundational insights of these disciplines are only believed by an extremely tiny minority of experts or people who have received some formal training in them. All others either believe these claims to be untrue or are, at the very least, thoroughly unaware of what these claims are in the first place.

 

Most scientific truths are deeply counterintuitive, and fairly recalcitrantly so. Counterintuitive claims are, by their very nature, unlikely to be believed by many people who haven’t received some sort of training (or indeed indoctrination, as with the counterintuitive teachings of many cults and religions). Consider physics: there is nothing intuitive about the idea of inertia, the relativity of simultaneity, or the mysteries of quantum mechanics. Folk physics, on the other hand, is intuitively compelling but gets it all wrong (McCloskey, Washburn, & Felch, 1983). Consider biology: even today, the idea that natural selection (and other evolutionary pressures) instead of the vastly more viscerally appealing ideas of intelligent design or Lamarckianism remains deeply counterintuitive (Medin & Atran, 2004). Finally, consider economics: economists routinely complain about the fact that the public as well as elected officials fail to grasp the basic workings of the price mechanism, comparative advantage or the nature of public goods. That is because prices and global trade are strange, and difficult to comprehend (Kahneman, Knetsch, & Thaler, 1986).

 

Widespread agreement across the board is likely due to the fact that there are no counterintuitive truths in a domain for experts to discover over time, and for non‐experts to remain unaware of. Which is to say that realism about that domain is probably false.

 

  • Yea 1
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Il y a 21 heures, Johnathan R. Razorback a dit :

Faute de fondement, cette position gratuitiste est arbitraire (comme le kantisme donc) -et un peu absurde ("Il faut être moral parce que"). Elle n'explique pas pourquoi être moral serait souhaitable ou avantageux, elle ôte à la morale sa séduction rationnelle pour celui qui l'ignore initialement, elle lui ôte sa force motivationnelle pour celui qui la pratique. 

Pas vraiment. Ce n'est pas parce que les fondements ne sont pas clairement explicités qu'ils n'existent pas : la justification est sous-entendue. Le gratuitisme moral n'a de gratuit que le nom. En pratique, on est toujours dans une optique plus ou moins autocentrée (consciente ou non) l'altruisme a pour finalité le bien-être personnel, soit par la valorisation de soi via un processus de gratification personnelle par la reconnaissance, dans le regard de l'autre, de sa propre générosité ; soit, plus généralement, par de l'autosatisfaction (je fais un don dans une cause dans laquelle je crois, et cela me procure du plaisir). 

 

Le fait aussi d'agir en conformité avec ses valeurs est satisfaisant.

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Il me semble qu'on perd la morale si on en fait pas une fin en soi. Supposons que la morale soit une technique visant à atteindre une fin autre. Il peut s'agir d'un certain état mental qu'on appellerait "bonheur", ou d'un certain résultat matériel, survie, reproduction, peu importe. Cette fin devra être non normative, c'est à dire, sans que l'on puisse dire "il faut suivre cette fin-ci plutôt qu'une autre", sinon l'impératif de la poursuite de cette fin serait à son tour une injonction morale, qui serait une fin en soi, ce que l'on cherche à éviter. Cette fin de la morale, sera-t-elle contingente ou nécessaire ? Si elle est contingente, alors, la morale n'est qu'une recette pour obtenir un résultat quelconque, choisit arbitrairement. Il faudra alors la ranger quelque part entre la recette de la blanquette de veaux et la stratégie gagnante au tic-tac-to, et pas loin des règles pragmatiques pour réussir un assassinat. Mais sans que la poursuite de l'une de ses fins ne puisse se justifier plus que le choix d'une autre. Se dire "je ne peux pas poignarder mon voisin car ce ne serait pas moral" vaudrait bien un "je ne peux pas me permettre d'avoir de la sympathie pour mon voisin, car ça ferait de moi un mauvais assassin".

Supposons plutôt que la fin de la morale est nécessaire. On dira alors que c'est une fin que l'on recherche de toute façon, et que l'on travaille à l'atteindre seulement plus ou moins efficacement. Mais puisque l'on a fait de cette nécessité une simple description des choses, et non une prescription, on devra aussi se contenter aussi de décrire la plus ou moins grande "efficacité" des gens. On se contentera de dire "on a posé, par hypothèse (car la téléologie n'est jamais un fait positif, mais seulement une hypothèse que l'on pose pour comprendre le sens des choses) que les hommes cherchent toujours tel fin, et que tous leurs actes doivent être compris comme des tentatives de l'atteindre. On observe qu'ils choisissent différents moyens pour y parvenir." Point final. Dire qu'un moyen est "bon" ou "mauvais" pour y parvenir reviendrait à faire entrer par la porte de derrière le bien comme fin en soi.

 

Dans les deux cas, on sombre dans le relativisme le plus total.

 

Enfin, je ne vois pas pourquoi une norme posé comme "fin en soi" serait arbitraire. Pourquoi faudrait-il que ce soit le discours descriptif qui soit le fondement du discours normatif, et non l'inverse ?

  • Yea 1
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Il y a 19 heures, Mégille a dit :

On se contentera de dire "on a posé, par hypothèse (car la téléologie n'est jamais un fait positif, mais seulement une hypothèse que l'on pose pour comprendre le sens des choses) que les hommes cherchent toujours tel fin, et que tous leurs actes doivent être compris comme des tentatives de l'atteindre. On observe qu'ils choisissent différents moyens pour y parvenir." Point final. Dire qu'un moyen est "bon" ou "mauvais" pour y parvenir reviendrait à faire entrer par la porte de derrière le bien comme fin en soi.

 

C'est constater un fait (il y a des moyens qui marchent, et d'autres qui ne marchent pas). Au même titre que constater qu'un marteau est plus apte qu'une serviette pour planter des clous est un fait qui découle de façon immanente des propriétés de ces choses.

 

C'est donc objectif et absolument pas relativiste.

 

(J’appellerais bien mon eudémonisme l'objectivisme mais c'est déjà pris :D ).

 

Je dirais pas non plus que la téléologie ne soit pas factuelle. C'est un fait que les gens veulent améliorer leur situation et agissent pour ça, et c'est un autre fait que passé un certain seuil de réussite ils se retrouvent tellement satisfaits qu'ils sont temporairement délivrés du désir d'agir (état qu'on peut appeler bonheur ou ataraxie ou plénitude). Tout ça est observable ou connaissable via l'expérience en première personne.

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Le 26/04/2019 à 22:06, Johnathan R. Razorback a dit :

Bon ça fait un moment que j'avais envie d'écrire un peu contre l'altruisme (ce poison qui ravage nos sociétés via la culpabilisation et les concours de Virtue signalling, et in fine la social-démocratie).

 

Pour ce faire je vais attaquer une thèse d'éthique normative qu'on pourrait appeler la conception non-instrumentale des vertus -ou encore, pour employer un barbarisme encore plus flagrant, le gratuitisme moral (à ne pas confondre avec la noblesse).

 

Les gratuitistes pensent qu'il faut faire le bien pour lui-même, pour la pure beauté du geste en quelque sorte. L'expression stoïcienne suivant laquelle la vertu est sa propre récompense est emblématique de cette tendance. Pour eux, la morale enseigne à faire le bien, mais elle n'a pas de fondement ou de finalité extérieure à elle-même. Le perfectionnisme moral est une forme de gratuitisme.

 

« Les hommes bons sont ceux qui sont disposés et capables de préférer l’intérêt commun à leur intérêt privé et aux objets de leurs passions, ou ceux qui, capables de discerner dans chaque situation quelle est l’action juste ou noble, accomplissent cette action parce qu’elle est noble et juste et pour aucune raison. » -Leo Strauss, Qu’est-ce que la philosophie ?, p.86.

 

Le problème de cette position est évidemment qu'on ne voit pas du tout ce qui fonde la morale. On ne voit pas ce qui permettrait de prôner la morale à quelqu'un qui ne le serait pas déjà. Les gratuitistes comme Platon ou Aristote admettraient certes qu'être moral est nécessaire pour mener une vie heureuse, mais ils n'admettraient apparemment pas que ce soit pour être heureux (ou pour tout autre raison externe, comme vivre chez Ayn Rand) qu'il faille être moral. Au contraire, ils jugent que cette subordination dégrade la morale, la rend basse, intéressée, etc etc. Ils prennent la morale, qui est un moyen, pour une fin en elle-même.

Cicéron a notamment polémiqué contre les épicuriens (qui eux défendent au contraire une subordination de la morale à la recherche du bonheur, une conception instrumentale des vertus).

 

Faute de fondement, cette position gratuitiste est arbitraire (comme le kantisme donc) -et un peu absurde ("Il faut être moral parce que"). Elle n'explique pas pourquoi être moral serait souhaitable ou avantageux, elle ôte à la morale sa séduction rationnelle pour celui qui l'ignore initialement, elle lui ôte sa force motivationnelle pour celui qui la pratique. On peut certes continuer à agir moralement par habitude ou par conformisme social (ou parce qu'on sent quand même confusément, intuitivement, que ce serait cool d'être une bonne personne), mais ça n'est pas rationnel et on ne peut pas justifier pourquoi il faudrait être moral.

 

Les gens qui adhèrent à une conception désintéressée de la morale sont en danger d'être manipulés ou exploités parce que leurs bons sentiments ne les tiennent pas eux-mêmes comme sujet éthique premier (voire tout court). Ils sont donc prédisposés à être culpabilisés, à accepter l'idée qu'ils n'en font jamais assez pour le bien d'autrui, etc. Pour peu que leurs autres croyances éthiques soient erronées, ils peuvent se sacrifier entièrement pour n'importe quoi. Évidemment, ceux susceptibles de les utiliser auront probablement des croyances morales très différentes...

 

Bon post mais le stoïcisme est tu le sais un eudémonisme. C'est pas pour la beauté du geste, c'est pas non plus qu'il faut être moral pour être être heureux, c'est simplement qu'il n'y a pas de différence entre les deux ; point de bonheur en dehors du bon usage des représentations.

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J'ai peur que ta notion ne bonheur, et l'effort constant -mais plus ou moins habile- de tous les hommes pour l'atteindre ne soit pas qu'une observation, mais d'un cadre conceptuel qui te permet d'interpréter les faits, et de tel sorte que la finalité en soi soit incluse en lui. C'est à dire que tu ne constates pas d'abord un certain phénomène mental, qu'on appellerait bonheur, pour ensuite dans un deuxième temps remarquer que tout le monde le recherche. Mais plutôt, que tu pars du principe que tout le monde doit (comme une nécessité logique) chercher une certaine fin, et qu'ensuite tu identifies cette fin à un certain état de bien-être. Mais ça me semble être une pétition de principe.

Si tout ceci était une connaissance empirique, alors, ça ne pourrait être qu'une simple généralité. Il faudrait dire que la plupart du temps, d'après nos observations, les hommes agissent en vue d'obtenir un certain état mental. Mais comme toutes les généralités empiriques, ce serait ouvert à des exceptions et des incertitudes. Tout particulièrement lorsqu'il s'agit de généralités à propos d'êtres très complexes comme des vivants, ou pire, des humains. Or, je n'ai pas l'impression que tu sois prêt à accepter qu'un humain exceptionnel, un mutant ou quelque chose du genre, puisse se mettre à chercher autre chose que le bonheur. C'est donc que ta thèse est prise comme une vérité a priori. Je n'ai pas le moindre problème avec ça, hein. Mais je ne lui vois pas de démonstration a priori.

 

Je vais essayer de tester un peu les limites de tout ça. Si on suppose que toutes les actions humaines sont en vue de l'obtention d'un certain état mental, je ne vois pas pourquoi cet état serait le bonheur, avec tout ce qu'il suppose de permanence et de calme, et non le plaisir. Plaisir au sens large, évidemment, incluant les joies intellectuels, et les plaisirs par anticipation, remémoration, imagination et par sympathie. Bien sûr, la cherche d'un plaisir plus grand peut être faite au détriment d'un état plaisant plus durable, disons, le bonheur. Si on pose cet état comme fin, alors, la jouissance immédiate serait un choix maladroit. Mais si on se contente d'un regard matérialiste sur les choses, alors il devient très douteux que le "moi" futur soit la même entité que le "moi" présent. A la limite, si l'identité personnelle a quelque chose à voir avec la conscience et la mémoire comme le croit John Locke, lui sera moi, et il pourra se maudire lui-même d'avoir fait préalablement des choix qui a présent ne l'avantagent pas. Mais la relation entre mon moi futur et mon moi présent est asymétrique, il n'est pas pour moi ce que je suis pour lui, tout simplement parce que la relation du passé au présent est tout à fait différente de celle du présent au futur. Si, dans le futur, lui sera moi, présentement, je ne suis pas lui pour autant. J'ai, dans le présent, une sympathie pour mon moi futur, que j'appelle "prévoyance" ou "faible préférence pour le présent", mais il s'agit bel et bien d'un intérêt de ma part pour le bien-être d'un être qui n'est pas moi, tout à fait comparable à la sympathie que je peux avoir pour un autre de mes contemporains.

Ca nous laisse face à deux possibilités : soit l'altruisme gratuit est tout aussi légitime que l'intérêt pour soi-même sur le long terme, soit c'est la recherche du plaisir qui est la fin ultime de l'homme, et il est tout à fait raisonnable, morale même, de parfois sacrifier le plaisir long au plaisir immédiat, car c'est uniquement par plaisir sympathique et par plaisir d'anticipation que nous nous montrons occasionnellement altruistes et prévoyants.

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Il y a 13 heures, Mégille a dit :

1): J'ai peur que ta notion ne bonheur, et l'effort constant -mais plus ou moins habile- de tous les hommes pour l'atteindre ne soit pas qu'une observation, mais d'un cadre conceptuel qui te permet d'interpréter les faits

 

2): C'est à dire que tu ne constates pas d'abord un certain phénomène mental, qu'on appellerait bonheur, pour ensuite dans un deuxième temps remarquer que tout le monde le recherche. Mais plutôt, que tu pars du principe que tout le monde doit (comme une nécessité logique) chercher une certaine fin, et qu'ensuite tu identifies cette fin à un certain état de bien-être. Mais ça me semble être une pétition de principe.

 

3): C'est donc que ta thèse est prise comme une vérité a priori. Je n'ai pas le moindre problème avec ça, hein.

 

4): Si on suppose que toutes les actions humaines sont en vue de l'obtention d'un certain état mental, je ne vois pas pourquoi cet état serait le bonheur, avec tout ce qu'il suppose de permanence et de calme, et non le plaisir.

 

5): Mais si on se contente d'un regard matérialiste sur les choses, alors il devient très douteux que le "moi" futur soit la même entité que le "moi" présent. A la limite, si l'identité personnelle a quelque chose à voir avec la conscience et la mémoire comme le croit John Locke, lui sera moi, et il pourra se maudire lui-même d'avoir fait préalablement des choix qui a présent ne l'avantagent pas. Mais la relation entre mon moi futur et mon moi présent est asymétrique, il n'est pas pour moi ce que je suis pour lui, tout simplement parce que la relation du passé au présent est tout à fait différente de celle du présent au futur. Si, dans le futur, lui sera moi, présentement, je ne suis pas lui pour autant. J'ai, dans le présent, une sympathie pour mon moi futur, que j'appelle "prévoyance" ou "faible préférence pour le présent", mais il s'agit bel et bien d'un intérêt de ma part pour le bien-être d'un être qui n'est pas moi, tout à fait comparable à la sympathie que je peux avoir pour un autre de mes contemporains.

Ca nous laisse face à deux possibilités : soit l'altruisme gratuit est tout aussi légitime que l'intérêt pour soi-même sur le long terme, soit c'est la recherche du plaisir qui est la fin ultime de l'homme, et il est tout à fait raisonnable, morale même, de parfois sacrifier le plaisir long au plaisir immédiat, car c'est uniquement par plaisir sympathique et par plaisir d'anticipation que nous nous montrons occasionnellement altruistes et prévoyants.

 

1): Même si c'est le cas, je ne vois pas en quoi ce serait non-factuel. Les idées et les interprétations du monde sont des faits. Le fait que ces idées soient vraies est encore un autre fait ("il existe une relation d'adéquation entre telle idée et tel état du monde").

 

2): Je pose ça comme premier dans la discussion parce qu'il est question de morale et que c'est plus élégant et plus ordonné de faire comme si le fondement de la morale était déjà connu. Mais si on veut rendre compte de la découverte de la nature humaine dans l'ordre où on l'a découvre réellement, il semble nécessaire que l'on fasse d'abord l'expérience qu'on peut être heureux, et qu'acquérir une idée aussi complexe (et démodé) que celle de finalité nécessaire de l'être ne vient qu'ensuite.

Peut-être que je n'arrive pas à prouver qu'il existe une tendance interne de la nature humaine (et il est vrai que dans un cadre matérialiste, ce n'est pas forcément évident de poser qu'il y un être doté d'une tendance alors que le reste des choses physiques non-vivantes est seulement régi par la causalité). Peut-être bien que je me trompe et que ça n'existe pas (auquel cas je vois mal comment la nature humaine pourrait avoir un rôle normatif). Mais ce n'est pas une pétition de principe juste parce que je ne saurais pas fonder la moralité autrement (même si c'est le cas par ailleurs).

 

3): Moi si, mais il faut dire qu'en bon empiriste bas du front, je comprends mal ce que serait une connaissance a priori. Par exemple, Mises explique que toute la praxéologie est a priori. Sauf que si on ne savait pas déjà (confusément et en première personne, ou par observation) ce qu'est une action, toutes les propriétés de l'action qu'il expose nous seraient incompréhensibles. Pour moi c'est une analyse conceptuelle qui ne fait que clarifier ou accroître une connaissance d'origine empirique (mais y-a-t’il des connaissances autres ?).

 

4): Je veux bien que la manière dont on passe de la joie ou du plaisir au bonheur soit un peu mystérieuse, mais ce sont quand même des états différents. Et l'action ne peut pas être finalisée au plaisir parce que le plaisir n'est pas un état terminal "clos" sur lui-même, mais plutôt dynamique (d'où le risque d'une quête effrénée de plaisirs brefs, dénoncée par à peu près tous le monde). Après on pourrait dire comme Schopenhauer que toute la vie humaine n'est qu'une relance perpétuelle du désir entrecoupée de déceptions. Mais manifestement c'est faux puisque le bonheur existe, et que lui est un état autosuffisant et calme. Alors que ce n'est pas contradictoire d'avoir du plaisir et de la douleur en même temps.

 

5): Comparable, peut-être, mais mon "moi" futur est quand même beaucoup plus moi que ne l'est n'importe quelle autre personne... Mon intérêt pour lui n'est donc pas désintéressé. Et on peut renverser ton affirmation: c'est plutôt le souci de certains autres qui acquiert son importance par ressemblance (voire en raison de) mon souci de mon "moi futur". C'est par exemple parce que je ne voudrais pas plus tard être privé de l'amour des personnes qui m'aiment que je peux faire des concessions ou même ultimement me sacrifier (au sens non-objectiviste du terme) pour elles. Ce qui est tout à fait égoïste et rationnel.

[soit dit en passant il y a une bonne scène dans le dernier Avengers qui montre assez bien ce que le sacrifice de sa vie peut avoir d'égoïste et de têtu].

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A propos du caractère finaliste de la nature humaine : que répondrais tu as un argument spinozien ? Si je t'objectais, par exemple, que la nature est déterminé uniquement de façon mécaniste, et la finalité, la croyance en la tendance d'une chose à se déterminer elle-même en vue d'une fin, n'est rien d'autre qu'une ignorance des causes ? (pierre qui roule, tout ça) Je crois en la téléologie, mais parce que je ne suis pas matérialiste...

 

A propos du statut de la connaissance de la finalité humaine : j'ai soulevé un problème qui est toujours là. Si il s'agit d'une connaissance empirique, a fortiori une connaissance empirique à propos d'un phénomène très complexe (la vie, pire, la vie animale, pire, la vie humaine), il ne peut s'agir que d'une simple généralité, susceptible d'avoir de fréquentes exceptions. Peux-tu concevoir qu'un humain ait une constitution légèrement différente faisant qu'il ne recherche pas le bonheur ?

On ne va pas s'éterniser sur un débat de théorie de la connaissance, mais il y a bien quelques disciplines qui ont une tronche de science a priori. A savoir, les maths, la logique, et peut-être une partie de l'informatique théorique.

 

A propos du plaisir et du bonheur : si le bonheur est un état mental, il me semble qu'il ne différerait du plaisir, et de la joie, que par degré. S'il s'agit de qualités différentes, elles se situent tout de même sur un même continuum de passion positive, plus ou moins longue, intense, voire subtile, profonde, etc. Pourquoi serait-ce seulement l'état mental stable, ou bonheur, qui serait une finalité ? Cette stabilité, pour commencer, n'est que provisoire. Comme tout ce qui est sensible, elle change et passe. Ensuite, même à très court terme, elle n'est jamais vraiment une fin de toute action. Même heureux, on continue de respirer et de cligner des yeux. Voire même à faire deux ou trois autres trucs. Et surtout, pourquoi faudrait-il que la finalité d'une action soit dans son arrêt, ou dans l'arrêt du mouvement ? La nature est toujours dynamique et changeante, et on pourrait arguer, de façon un peu nietzschéenne, que la finalité qu'il y a derrière la volonté, ce n'est pas son contentement et son arrêt, mais son déploiement, encore plus de volonté, encore plus de façon d'agir et de pâtir. Après tout, le seul état véritablement stable que l'on finit tous par atteindre (et celui là, il a la particularité d'être véritablement universel, et véritablement stable) c'est la mort. Et il me semblerait un peu abusif de dire que la fin de toute vie soit sa propre mort.

A moins bien sur que part "mort" on veuille dire séparation des choses sensibles, pour se tourner vers la contemplation des réalités éternelles. Là, le platonicien que je reste est satisfait !

 

A propos de l'altruisme et de la prévoyance : la morale populaire condamne la recherche effrénée de plaisir à court-terme, mais elle condamne aussi l'égoïsme. Sans forcément subordonner explicitement l'une de ces condamnations à l'autre, puisqu'elle ne donne pas leurs causes. L'altruisme est parfois subordonné à la recherche de mon propre bien à long terme, lorsque je cherche à obtenir la bienveillance des autres, et d'éventuelles faveurs de leurs part à long terme. Mais l'altruisme répond aussi a une passion plus immédiate : la sympathie. Je souffre (un peu) en voyant quelqu'un souffrir, et je me réjouis (un peu) quand je vois quelqu'un se réjouir. Sauf si je suis cruel ou envieux, évidemment, mais je doute que qui que ce soit soit systématique anti-sympathique de cette façon. Je peux même (un peu) souffrir et (un peu) me réjouir simplement en imaginant ou en pensant à la peine ou à la joie de quelqu'un.

De la même façon, je me réjouis et je m'attriste à la simple pensée de mes plaisirs et de mes peines passées et futurs, voir même présentes et contrefactuelles. Ma question est : si je considère que mon altruisme n'est rien d'autre qu'une recherche du plaisir que je peux obtenir présentement par sympathie, pourquoi devrais-je croire que ma prévoyance est autre chose que la recherche d'un certain type de plaisir présent, à savoir, le plaisir non pas exactement par sympathie, mais par anticipation ?

 

A propos de l'identité personnelle, la thèse que j'avais posée (une drôle d'idée qui vient de me passer par la tête) est que la seule différence, pour le moi présente, entre un autre de mes contemporains et le "moi" futur est que ce dernier sera celui que je suis aujourd'hui. Mais sans que je sois pour autant, aujourd'hui, celui qu'il sera demain, faisant donc de l'identité à travers le temps une relation asymétrique. Je ne sais pas ce que ça vaut, mais tout compte fait, je ne sais pas si c'est absolument nécessaire à l'argument du précédent paragraphe.

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L'identité est une convention dont on ne peut s'affranchir sans risque.

Le problème de la finalité et des causes c'est effectivement que nous sommes très sûrement ignorants à la fois des causes qui nous font nous mouvoir, et à la fois des fins vers lesquels nous tendons, ce qui ne nous empêche nullement de faire tout un monde d'explication et de finalité bien commodes pour la tranquillité de notre esprit, et pour le fonctionnement de nos institutions.

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il y a 43 minutes, Mégille a dit :

1): A propos du caractère finaliste de la nature humaine : que répondrais tu as un argument spinozien ? Si je t'objectais, par exemple, que la nature est déterminé uniquement de façon mécaniste, et la finalité, la croyance en la tendance d'une chose à se déterminer elle-même en vue d'une fin, n'est rien d'autre qu'une ignorance des causes ? (pierre qui roule, tout ça).

 

2): Peux-tu concevoir qu'un humain ait une constitution légèrement différente faisant qu'il ne recherche pas le bonheur ?

 

1): Holbach a lu l'Éthique et on peut dire que son ontologie est une sorte de spinozisme matérialiste (en mieux :D).

 

Dire que l'être humain a une finalité naturelle (alors que tout le reste de la nature n'est compréhensible que par la causalité) n'est pas contradictoire avec le déterminisme mécaniste et le rejet du libre-arbitre. Dire que la volonté est déterminée n'est pas nier que l'homme soit doté d'une volonté (ou qu'il fasse des choix). Et cette volonté le différencie de la matière inerte: il est naturellement motivé ou orienté vers des choses. Mais si on examine la structure de cette intentionnalité, on s'aperçoit qu'il ne veut pas simplement tel objet ou telle fin exclusivement, mais quelque chose d'autre par la médiation de son action -jusqu'à épuisement temporaire du désir d'agir. C'est en tout cas comme ça que je comprends la praxéologie de Mises, et aussi ces textes:

 

« Est final, disons-nous, le bien digne de poursuite en lui-même, plutôt que le bien poursuivi en raison d'un autre ; de même, celui qui n'est jamais objet de choix en raison d'un autre, plutôt que les biens dignes de choix et en eux-mêmes et en raison d'un autre ; et donc, est simplement final le bien digne de choix en lui-même en permanence et jamais en raison d'un autre. Or ce genre de bien, c'est dans le bonheur surtout qu'il consiste, semble-t-il. Nous le voulons, en effet, toujours en raison de lui-même et jamais en raison d'autre chose.

L'honneur en revanche, le plaisir, l'intelligence et n'importe quelle vertu, nous les voulons certes aussi en raison d'eux-mêmes (car rien n'en résulterait-il, nous voudrions chacun d'entre eux), mais nous les voulons encore dans l'optique du bonheur, dans l'idée que, par leur truchement, nous pouvons être heureux, tandis que le bonheur, nul ne le veut en considération de ces biens-là, ni globalement, en raison d'autre chose. […]

Donc, le bonheur paraît quelque chose de final et d'autosuffisant, étant la fin de tout ce qu'on peut exécuter. » -Aristote, Éthique à Nicomaque, I, 5, trad. R. Bodéüs, Paris, Flammarion, 2004, p. 67-68.

 

« Tous les hommes recherchent d’être heureux. Cela est sans exception, quelques différents moyens qu’ils y emploient. Ils tendent tous à ce but. Ce qui fait que les hommes vont à la guerre et que les autres n’y vont pas est ce même désir qui est dans tous les deux accompagné de différentes vues. La volonté ne fait jamais la moindre démarche que vers cet objet. C’est le motif de toutes les actions de tous les hommes, jusqu’à ceux qui vont se pendre. » -Blaise Pascal, Pensées, 138, édition Michel Le Guern (1670 pour la première édition).

 

2): De mon point de vue ce ne serait pas un humain, par définition. D'ailleurs je ne me prononce pas sur le fait que les êtres vivants non-humains ont une finalité ou pas. Vu de loin on dirait quand même que les mammifères ou les formes supérieures du vivant recherchent naturellement un certain bien-être ; mais différent du bonheur humain.

 

Bien sûr il y a des gens qui prétendent ne pas chercher le bonheur ("L'homme n'aspire pas au bonheur ; il n'y a que l'Anglais qui fait cela." -Friedrich Nietzsche, Le Crépuscule des idoles, "Maximes et pointes", trad. Henri Albert, GF-Flammarion, 1985 (1889 pour la première édition allemande), 250 pages, p.73, §12). Mais si j'ai raison, c'est une méconnaissance de leur propre nature.

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5 hours ago, Johnathan R. Razorback said:

Mais ce n'est pas une pétition de principe juste parce que je ne saurais pas fonder la moralité autrement (même si c'est le cas par ailleurs).

"Je ne peux pas concevoir d'alternative" n'est pas un très bon argument. Un meilleur argument serait "il est impossible pour un humain de concevoir une alternative" mais ça se rapproche vachement d'une connaissance a priori, n'en déplaise aux bas du front. Ou au minimum d'une connaissance a posteriori qui est nécessairement acquise par tout humain au cours de son développement, ce qui revient un peu au même.

 

Quote

Après on pourrait dire comme Schopenhauer que toute la vie humaine n'est qu'une relance perpétuelle du désir entrecoupée de déceptions. Mais manifestement c'est faux puisque le bonheur existe

[référence nécessaire]

 

1 hour ago, Johnathan R. Razorback said:

Dire que l'être humain a une finalité naturelle (alors que tout le reste de la nature n'est compréhensible que par la causalité)

La causalité et la finalité ne sont pas incompatibles dans la mesure où il existe des processus évolutionnistes.

  • Yea 1
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il y a 29 minutes, Lancelot a dit :

"Je ne peux pas concevoir d'alternative" n'est pas un très bon argument.

 

Ceux qui voient un autre fondement à la moralité peuvent en proposer (d'ailleurs tu n'as pas répondu à ma question sur le sujet).

 

Si la nature humaine n'a pas de tendance interne nécessaire, être heureux est un but aussi discutable qu'un autre, et je ne vois pas sur quelle base rationnelle on peut chercher à convaincre autrui de préférer le comportement moral. Donc, par élimination des alternatives, mon fondement me paraît le meilleur, même si j'ai dû mal à rendre évident que la nature humaine a un aspect téléologique et normatif (ce qui en fait un fait bizarre, qui serait à la fois un fait et une norme).

 

Je pourrais aussi défendre cette idée en suggérant que les principes philosophiques fondamentaux sont souvent bizarres ou contre-intuitifs. Le fait que ce soit un peu étrange ne prouve pas que c'est faux.

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15 minutes ago, Johnathan R. Razorback said:

Ceux qui voient un autre fondement à la moralité peuvent en proposer (d'ailleurs tu n'as pas répondu à ma question sur le sujet).

Ce n'est qu'une reformulation de "je ne vois pas d'alternative". L'eudémonisme n'est pas universellement défendu, et eux qui ne le sont pas voient par définition un autre fondement. En ce qui me concerne je n'ai pas vraiment de billes dans ce débat mais je connais d'autres théories sur les processus internes à l'origine des jugements moraux, par exemple la dyadic morality :

Quote

Schein, C., & Gray, K. (2018). The theory of dyadic morality: Reinventing moral judgment by redefining harm. Personality and Social Psychology Review, 22(1), 32-70.

 

The nature of harm—and therefore moral judgment—may be misunderstood. Rather than an objective matter of reason, we argue that harm should be redefined as an intuitively perceived continuum. This redefinition provides a new understanding of moral content and mechanism—the constructionist Theory of Dyadic Morality (TDM). TDM suggests that acts are condemned proportional to three elements: norm violations, negative affect, and—importantly—perceived harm. This harm is dyadic, involving an intentional agent causing damage to a vulnerable patient (A→P). TDM predicts causal links both from harm to immorality (dyadic comparison) and from immorality to harm (dyadic completion). Together, these two processes make the “dyadic loop,” explaining moral acquisition and polarization. TDM argues against intuitive harmless wrongs and modular “foundations,” but embraces moral pluralism through varieties of values and the flexibility of perceived harm. Dyadic morality impacts understandings of moral character, moral emotion, and political/cultural differences, and provides research guidelines for moral psychology.

 

15 minutes ago, Johnathan R. Razorback said:

Si la nature humaine n'a pas de tendance interne nécessaire, être heureux est un but aussi discutable qu'un autre, et je ne vois pas sur quelle base rationnelle on peut chercher à convaincre autrui de préférer le comportement moral.

Même si la nature humaine a une tendance nécessaire, dire que cette tendance est le bonheur est tout aussi discutable que dire qu'il s'agit d'une autre tendance. C'est simplement une autre question.

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il y a une heure, Johnathan R. Razorback a dit :

Ceux qui voient un autre fondement à la moralité peuvent en proposer

Fondement ou finalité ?

 

Parce que parler de la recherche du bonheur comme fondement de la moralité revient à dire que la première  serait la raison d'être, la justification de la seconde : "c'est parce l'homme recherche un état de bien-être permanent qu'il s'est construit une grille de lecture l'évaluant dans ses actions ". Or, la morale n'est-elle pas antérieure à tout objectif, conscient ou inconscient, chez l'homme ? Je veux dire : se fonde-t-elle sur autre chose que la raison ?

 

Si on parle de finalité, il existe bien une fonction sociétale qui est essentielle : il y a-t-il un sens à parler de morale à échelle strictement individuelle, tout comme parler de droit avec un Robinson seul sur son île ? Si l'homme est un être naturellement moral, la morale n'a d'autre but que de régir les rapports en société, afin de perpetuer la communauté politique ; d'atteindre une forme de paix civile, en quelque sorte. Autrement, pourquoi l'apprentissage des règles morales serait il fondamental dans l'éducation d'un enfant ?

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Il y a 21 heures, Lancelot a dit :

Même si la nature humaine a une tendance nécessaire, dire que cette tendance est le bonheur est tout aussi discutable que dire qu'il s'agit d'une autre tendance.

 

Les autres candidats au statut de finalité de la nature humaine ne sont guère convaincants. Comme je l'ai dis plus haut, le plaisir a un aspect dynamisant qui fait qu'on ne peut pas le qualifier d'état final.

La mort est aussi une certaine sorte d'état final mais elle n'est pas propre à l'être humain, et je ne vois pas comment on pourrait en tirer une normativité. Toutes les prescriptions qu'on peut imaginer vis-à-vis de la mort ("meurt bien", "meurt le plus tard possible") semblent gratuites si on les coupe de la recherche du bonheur de l'agent.

 

Il y a bien Augustin qui transforme l'eudémonisme ancien en posant que le vrai bonheur que recherche l'homme est supra-terrestre. Sauf qu'admettre le salut comme finalité de l'être humain suppose d’admettre un paquet d'idées invraisemblables et indémontrables.

 

Sur le pessimisme de Schopenhauer: "Vivre heureux peut seulement signifier ceci: vivre le moins malheureux possible ou en bref vivre de manière supportable." -Arthur Schopenhauer, L'Art d'être heureux.

 

« La satisfaction, le bonheur, comme l’appellent les hommes, n’est au propre et dans son essence rien que de négatif ; en elle, rien de positif. Il n’y a pas de satisfaction qui d’elle-même et comme de son propre mouvement vienne à nous : il faut qu’elle soit la satisfaction d’un désir. Le désir, en effet, la privation, est la condition préliminaire de toute jouissance. Or avec la satisfaction cesse le désir, et par conséquent la jouissance aussi. Donc la satisfaction, le contentement, ne sauraient être qu’une délivrance à l’égard d’une douleur, d’un besoin (...) Tout bonheur est négatif, sans rien de positif ; nulle satisfaction, nul contentement, par suite, ne peut être de durée: au fond ils ne sont que la cessation d’une douleur ou d’une privation. » -Arthur Schopenhauer, Le Monde comme volonté et comme représentation, livre IV, chapitre 58, traduction Burdeau revue par Richard Roos, PUF, Paris, 2004, pp.403-404.

 

Sa thèse est fausse parce que si on examine nos expériences de bonheur (et ça suffit en fait pour sentir intuitivement combien la description qui précède est erronée), il y a des cas où ne verra pas du tout à quelle souffrance antérieure ledit bonheur viendrait venir répondre. Et conceptuellement, s'il avait raison, il faudrait alors dire d'un individu plongé dans le coma ou privé de souffrances par des moyens chimiques qu'il est heureux, ce qui semble manifestement abusif.

En réalité le bonheur ne cesse pas du tout parce qu'il est dénué de positivité, il cesse parce qu'il est interrompu par des causes extérieures.

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Le malheur de l'homme vient qu'il recherche à l'extérieur ce qui se trouve à l'intérieur de lui, et qu'il recherche à l'intérieur ce qui se trouve à l'extérieur.

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Le 29/04/2019 à 19:46, poincaré a dit :

1): Fondement ou finalité ?

 

Parce que parler de la recherche du bonheur comme fondement de la moralité revient à dire que la première  serait la raison d'être, la justification de la seconde : "c'est parce l'homme recherche un état de bien-être permanent qu'il s'est construit une grille de lecture l'évaluant dans ses actions ". Or, la morale n'est-elle pas antérieure à tout objectif, conscient ou inconscient, chez l'homme ? Je veux dire : se fonde-t-elle sur autre chose que la raison ?

 

2): il y a-t-il un sens à parler de morale à échelle strictement individuelle, tout comme parler de droit avec un Robinson seul sur son île ?

 

1): Fondement.

La finalité de la morale c'est de donner à l'homme les principes ou les règles dont il a besoin pour mener sa vie, y introduire de la régularité, de la prévisibilité pour autrui, et ne pas sombrer dans le chaos (d'où il suit clairement que la philosophie politique est une branche de la philosophie morale, puisque les réalités qu'elles régissent sont imbriquées, mais que l'action politique est une spécification de l'action en général). En ce sens, toute personne à une morale implicite, généralement héritée passivement de sa socialisation.

 

Mais on retombe sur le même problème: pourquoi ne pas vouloir sombrer dans le chaos ? Pourquoi ordonner son action sinon en vue d'un but déjà donné ? Ou encore: pourquoi être raisonnable ?

 

La raison découvre la tendance ultime de nos aspirations, dont nous n'avions conscience que confusément. En montrant que le bonheur est la fin de notre nature, en dégageant en quoi consiste celle-ci, elle permet de trouver un critère objectif, en droit admissible universellement, pour déterminer les règles moralement bonnes.

 

2): On peut parler d'éthique pour la partie de la morale qui ne concerne que le rapport de soi à soi (car à la différence d'Ogien, Holbach affirme, comme les classiques, que nous avons des devoirs moraux envers-nous mêmes), et de moralité pour les aspects sociaux de la morale.

 

Puisque la morale est un guide pour mes actions et que je sais que j'ai besoin de la suivre pour mener une vie heureuse, elle me régit aussi bien sur une île déserte que n'importe où ailleurs. "Que dois-je faire ?" est une question à laquelle je dois répondre quasi-continuellement dès que je suis éveillé. Tous mes choix, toutes les techniques de survie imaginable sur mon île déserte, du rationnement à l'orientation, relèvent* d'éthique appliquée. Je dois décider continuellement de ce qu'il est bon que je fasse.

 

(Je n'abolis la différence entre éthique et technique ; je fais remarquer que les techniques sont mises en œuvre à la suite de choix qui engagent ma personne. "Comment pêcher un poisson ?" est une question technique. "Dois-je aller pêcher mon poisson maintenant ?**" est un problème moral -bénin si on veut mais la moralité ne concerne que rarement les grands dilemmes moraux dramatiques que goûtent un peu trop volontiers les philosophes).

 

** Cet exemple très simple montre soit dit en passant que le questionnement moral implique le questionnement épistémologique. Ce que je sais ("il y a du poisson" + "c'est l'heure idéale pour les attraper") conditionne mes choix moraux.

 

Mais c'est vrai que ça peut sembler difficile de distinguer ce qui relève de l'éthique ou de la moralité dans un contexte social. La plupart des actions qui je peux accomplir vis-à-vis de moi (par exemple choisir mes vêtements) concernent forcément indirectement les autres, ne serait-ce parce qu'elles impliquent la manière dont ils peuvent me percevoir. La situation-limite de l'île déserte ou de la nacelle spatiale de survie est tout de même une expérience de pensée utile pour voir que la morale n'est pas juste un guide pour vivre en société.

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Sur le sujet du bonheur.

Il me semble qu'il y a un empilement de choses.

 

1/ En 1°, il y a le bonheur (simple) de la survie. (L'instinct de survie étant consubstantiel des individus vivants. On peut bien sûr ne pas avoir le désir de survivre, mais alors on finit souvent mort prématurément).

La survie est elle-même acquise grâce aux franchissements de certains seuils (absorber tant de calories, dormir tant d'heures, etc).

Chaque journée passée à se rapprocher du franchissement de ces seuils vitaux est un pas bénéfique, et donc perçue comme tel.

 

2/ Une fois les seuils vitaux franchis (et déjà avant en fait), se pose la question de l'efficacité pour y arriver.

On a plutôt tendance, généralement, à préférer les moyens les plus efficaces.

Trouver/inventer ces moyens efficaces est bénéfique, et donc perçu comme tel.

 

3/ Une fois les 2 points précédents réalisés, il y a la satisfaction de les avoir réalisés. D'être à l'abri soi-même, et éventuellement ses proches (dont la progéniture).

Il y a donc la capacité d'accumuler désormais soit du capital matériel soit du capital-temps.
ça peut servir à encore consolider.

ça peut servir à accumuler du capital pour s'attaquer à des problèmes plus ardus.

ça peut servir à explorer des trucs plus sioux. Il y a des questions/problèmes qui nécessitent de disposer d'un capital-temps.

Bien sûr, cela ne concerne pas tout le monde, chacun s'arrête à un moment donné ou l'autre au niveau qu'il considère lui-même suffisant.

Il y a des gens qui vivent au jour le jour, et d'autres qui veulent posséder une usine, un château ou un yacht.

Chaque étape étant réalisée volontairement, on a du mal à voir comment cela pourrait être antagoniste au bonheur.

 

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Pyramide de Maslow.

Vendredi ou la vie sauvage me semble une bonne illustration de la tension qui existe entre les règles morales et le bonheur simple de l'existence (jouer, dormir, manger…).

Avant que Vendredi ne se pointe dans sa vie, Robinson est en train de sombrer dans une forme de régression infantile et d'abandon total alors que son système de règles si parfait (pas pour rien, il est hollandais, protestant) s'effondre devant le non sens de sa vie.

 

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Il y a 21 heures, Johnathan R. Razorback a dit :

Mais on retombe sur le même problème: pourquoi ne pas vouloir sombrer dans le chaos ? Pourquoi ordonner son action sinon en vue d'un but déjà donné ? Ou encore: pourquoi être raisonnable ?

Parce que l'homme a une nature grégaire, qu'il ne peut se passer de l'autre et qu'il est donc nécessaire d'adopter des règles morales évaluant l'action des uns et des autres pour perpétuer son besoin de vivre en communauté, et donc : survivre.

 

Il y a 21 heures, Johnathan R. Razorback a dit :

La raison découvre la tendance ultime de nos aspirations, dont nous n'avions conscience que confusément. En montrant que le bonheur est la fin de notre nature, en dégageant en quoi consiste celle-ci, elle permet de trouver un critère objectif, en droit admissible universellement, pour déterminer les règles moralement bonnes.

Le problème avec ce raisonnement c'est que la morale est érigée en moyen en vue d'une fin. Or, comme il a été dit plus haut, chacun peut trouver des méthodes différentes pour atteindre le bonheur, et la morale devient secondaire : on tombe dans le relativisme.

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Il y a 22 heures, Johnathan R. Razorback a dit :

Mais on retombe sur le même problème: pourquoi ne pas vouloir sombrer dans le chaos ?

Because lobster; now go clean your room.

 

Parce que ça a pour effet de favoriser les gens et les groupes qui le font, et que c'est donc une attitude darWINneuse.

 

(Plus précisément, c'est un critère nécessaire et non suffisant : une morale qui serait perdante au jeu de l'évolution est nécessairement mauvaise, mais toutes les morales retenues par l'évolution ne sont pas nécessairement bonnes de ce fait).

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