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Moyen Age, Best in Time!


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Il y a 4 heures, NoName a dit :

Faudrait pas pousser mémé dan les orties non plus.

On connaissait Aristote c'est sûr, mais combien de ses ouvrages, quelle place intellectuelle pour lui, combien d'exemplaires, quelle qualité du texte (à la fois al traduction et le pourcentage de l'œuvre conservée), et il faut encore se remémorer que les livres voyagent peu, sont attachés à une bibliothèque et que les savoirs se transmettent pas forcément d'un endroit à l'autre. Sûr, le mont Saint Michel possédait Aristote, après est ce que ça a voyagé ?

 

Voilà. Je veux bien qu'on discute de la redécouverte des ouvrages d'Aristote, ou de la qualité des traductions, ou de sa diffusion...(ou d'autres auteurs grecs, hein)
Mais de là à dire que les intellectuels du Moyen-Âge étaient parfaitement ignorants de leurs prédécesseurs, je trouve ça excessif, si ce n'est faux.

 

Citation

On a clairement plusieurs canaux de diffusion, et on est sûr que les byzantins, juifs et les arabes qui sont passés en terre chrétienne suite à la reconquista ont conservé des écrits dont l'intérêt était neuf ne serait ce que par leur qualité (bien conservé, parfois en langue originale) 

 

Bref, tout ça est débattu et discuté et pas mal de politique se rajoute par dessus. Je me garderais bien 

 

+1. 

L'idée que c'est grâce aux Croisades/à la chute de Constantinople qu'on a redécouvert les penseurs de l'antiquité, c'est une idée reçue. Les byzantins ou l'Espagne arabe, voilà des pistes plus intéressantes.

 

 

Il y a 3 heures, Bézoukhov a dit :

J'ai l'impression que l'historiographie va dans l'extrême inverse de celle qu'on vendait à une époque. On s'attarde surtout sur les continuités alors qu'avant, on ne parlait que ruptures.

 

Il y a eu un mouvement de balancier sur la question, où on est passé de la glorification de Rome et de la diabolisation des barbares, ces crasseux hideux détruisant toute civilisation, à une vision (à mon sens) toute aussi excessive : il ne s'agit plus d'invasion mais de migration, et la chute de Rome est une transformation....

Une transformation avec moult viols et massacres, mais je pense que c'est passé un peu de mode de penser à ces détails-là.

 

Il y a 3 heures, Rincevent a dit :

Alors dans ce cas il y eut aussi une renaissance sous les Carolingiens.

 

Je me souviens assez distinctement d'une vieille émission de FrCul où l'invité expliquait qu'il n'y avait aucune différence, du point de vue archéologique, entre la Renaissance et les deux siècles qui l'ont précédée.

 

En fait, la Renaissance, c'est comme les Lumières : un groupe de gars qui proclament soudainement qu'ils sont une rupture majeure avec ce qui les a précédé (et qui est caca)... et les générations d'après qui les croient sur parole. :)

 

+1. 

 

Il y a 2 heures, NoName a dit :

Moi j'aurais plutôt tendance à dire que c'est le bas moyen âge qui se distingue peu de la renaissance :P

 

Tout à fait. Quand on jette tout le Moyen-Âge à la poubelle car ce serait une période d'obscurité, d'ignorance et de bêtise, je trouve la chose plutôt injuste. T'as une période pas bien glorieuse intellectuellement, je trouve, c'est la période carolingienne et le début de l'ère féodale. A partir de 1100, franchement, ça s'améliore grandement et on voit qu'il y a un décollage.

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il y a 10 minutes, Mégille a dit :

Oui, enfin, on le connaissait à travers Augustin, Boèce, puis Aristote, et quelques autres, mais de lui on avait quoi, un morceau du Timée (mal)traduit par Chalcidius, et c'est tout ? Il me semble que le Ménon a été traduit en Italie vers le XIII, mais je ne suis pas  sûr qu'il ait été très diffusé... Là pour le coup, on a une vraie rupture moyen-âge/Renaissance avec la redécouverte de Platon et l'ouverture de nouveaux horizons de pensées, parce qu'il faut dire qu'à part un peu à Salamanque où l'on réinventait d'Aquin, la scolastique stagnait un peu depuis quelques siècles..

 

C'est vrai, je me suis un peu enflammé :D

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La redécouverte de Platon durant la Renaissance (précisement le Quattrocento) se fait beaucoup via le néo-platonisme et l'hermétisme (Ficin qui traduit tout Platon, mais aussi tout 'Hermès Trimégiste', Pic de la Mirandole), pas vraiment par le coté le plus 'moderne' (au sens actuel), de Platon. Et les traductions venaient souvent du grec, de Constantinople via Aurispa par ex.

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Il y a 3 heures, Flashy a dit :

Quand on jette tout le Moyen-Âge à la poubelle car ce serait une période d'obscurité, d'ignorance et de bêtise, je trouve la chose plutôt injuste. T'as une période pas bien glorieuse intellectuellement, je trouve, c'est la période carolingienne et le début de l'ère féodale. A partir de 1100, franchement, ça s'améliore grandement et on voit qu'il y a un décollage.

 

Le problème comme la fait remarquer. Il fmas c'est que le moyen âge c'est mille ans. D'ailleurs Sylvie parlait en cours plus d'antiquité tardive que de haut moyen age 

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Il y a 9 heures, poney a dit :

 name dropping

 

Le name dropping consiste à citer des "grands noms" que l'on ne connaît pas ou peu, de manière peu utile par rapport à la discussion, afin de passer pour un puits de culture.

 

Alors que je cite des auteurs que j'ai lu pour construire une argumentation.

 

Vous avez parfaitement le droit de ne pas la trouver convaincante. Attaquer des hommes de paille, en revanche...

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Il y a 8 heures, Rincevent a dit :

1): Alors dans ce cas il y eut aussi une renaissance sous les Carolingiens.

 

2):  les Lumières : un groupe de gars qui proclament soudainement qu'ils sont une rupture majeure avec ce qui les a précédé

 

1): Je parlais des acquis intellectuels qui, a tort, ont focalisé les débats sur la valeur du Moyen-âge. La Renaissance avec un grand R ne se limite évidemment pas à des progrès intellectuels.

 

2): Ben, c'est un fait. Ce que fait Descartes n'a guère à voir avec ce que faisaient les scolastiques, on peut parler d'une révolution philosophique, du point de vue de la méthode (j'ai récemment fait grincer les dents de @Gio en décrivant ainsi le cartésianisme). Demande donc à Pascal si le cartésianisme n'est pas une rupture majeure avec la tradition ! Idem en philosophie politique, ce que font Hobbes ou Locke ne ressemblent plus guère à un auteur ne serait-ce qu'aussi tardif que Grotius.

 

Que les Modernes aient a l'occasion été injustes à l'égard d'auteurs plus anciens (Descartes vis-à-vis d'Augustin, Spinoza vis-à-vis d'Aristote ou de Maïmonide), soit, mais ça n'est que la contrepartie quasi inévitable de l'effort de rupture avec le poids des auteurs consacrés (ce qui est très humain), et a fortiori avec la "pensée héritée" comme dirait Castoriadis.

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Il y a 6 heures, Mégille a dit :

De Aristote, avant le XIIème, on avait les Catégories et De l'interprétation traduit par Boèce, et les Topiques traduit par Cicéron, c'est la "logica vetus" (avec un texte de Porphyre aussi je crois).

 

Même pas La Politique ou l'Éthique à Nicomaque... Quelle misère...

 

Et puis certains passent un peu vite sur le fait qu'une fois ces textes connus, il fallait les passer au tatamis de la compatibilité avec le dogme. Ce qu'il y a de bien avec la Renaissance, c'est qu'on voit le début (ô ! timide) d'une pensée qui échappe durablement à l'orthodoxie chrétienne (phénomène encouragée par le schisme luthérien), voire à la clôture religieuse de la pensée:

 

"Dans les milieux humanistes du XVe siècle, si différents des Universités, sous la protection des princes ou des papes, se réunissent indifféremment laïques et ecclésiastiques, à l’Académie platonicienne dans la Florence de Laurent le Magnifique, comme à l’Académie aldine à Venise. En ces milieux nouveaux, il n’est aucune considération pratique qui puisse prévaloir sur le désir du savoir comme tel ; l’esprit, tout à fait libéré, n’est plus asservi, comme dans les Universités, à la nécessité d’un enseignement qui forme des clercs. Au siècle suivant est fondé le Collège de France qui, distinct de l’Université, est fait non pour classer le savoir acquis et traditionnel, mais pour promouvoir les connaissances nouvelles.
Cette liberté produit un pullulement de doctrines et de pensées, que nous voyions poindre pendant tout le Moyen âge, mais qui, jusque là, avaient pu être refoulées ; ce mélange confus, que l’on peut appeler naturalisme, parce que, d’une manière générale, il ne soumet l’univers ni la conduite à aucune règle transcendante, mais en recherche seulement les lois immanentes, contient, à côté des pensées les plus viables et les plus fécondes, les pires monstruosités ; avant tout, on affecte de tourner le dos à tout ce qui s’est fait jusqu’ici : « Laurent Valla (écrit le Pogge aussi humaniste et épicurien que l’était son ami) blâme la physique d’Aristote, il trouve barbare le latin de Boèce, il détruit la religion, professe des idées hérétiques, méprise la Bible... Et n’a t il pas professé que la religion chrétienne ne repose point sur des preuves, mais sur la croyance, qui serait supérieure à toute preuve ! » . Or le Pogge est un fonctionnaire de la Curie romaine ; quant à Laurent Valla, le cardinal de Cuse, en 1450, le recommandait au pape et voulait l’y faire entrer.
Ce désir intense d’une vie autre, nouvelle et dangereuse, est provoqué ou du moins accentué par l’énorme accroissement de l’expérience et des techniques qui, en un siècle, change les conditions de la vie matérielle et intellectuelle de l’Europe. Accroissement de l’expérience dans le passé, grâce aux humanistes qui lisaient les textes grecs, et qui, au XVIe siècle, s’initièrent aux langues orientales ; l’important est moins encore la découverte de nouveaux textes que la manière dont on les lit ; c’est le même
De officiis de Cicéron que connaissent saint Ambroise et Érasme ; saint Ambroise y cherche des règles pour ses clercs ; Érasme y trouve une morale autonome et indépendante du christianisme ; il ne s’agit plus maintenant d’accommoder ces textes à l’explication des Écritures, mais de les comprendre en eux mêmes. Accroissement de l’expérience dans l’espace, lorsque, dépassant les bornes de l’οι̉κουμένη, où la chrétienté, après l’antiquité, avait tracé les limites de la terre habitable, l’on découvre non seulement de nouvelles terres, qui détournent les regards du bassin de la Méditerranée, mais de nouveaux types d’humanité dont la religion et les mœurs sont inconnues. Accroissement des techniques, non seulement par la boussole, la poudre à canon et l’imprimerie, mais par des inventions industrielles ou mécaniques dont plusieurs sont dues à des artistes italiens qui étaient en même temps des artisans. Les hommes de cette époque, même attachés à la tradition, ont l’impression que la vie, longtemps suspendue, reprend, que la destinée de l’humanité recommence : « Nous voyons partout, écrit le Cardinal de Cuse vers 1433, les esprits des hommes les plus adonnés à l’étude des arts libéraux et mécaniques, retourner à l’antiquité, et avec une extrême avidité, comme si l’on s’attendait à voir s’accomplir bientôt le cercle entier d’une révolution » .
Les esprits étaient naturellement portés à confronter avec cette expérience accrue les conceptions traditionnelles de l’homme et de la vie, fondées sur une expérience bien plus restreinte. Malgré toutes les divergences et toutes les diversités, il n’y a eu, durant le Moyen âge tout entier, qu’une seule image ou, si l’on veut, un seul schème dans lequel viennent naturellement s’encadrer toutes les images possibles de l’univers : c’est ce que nous avons appelé le théocentrisme : de Dieu comme principe à Dieu comme fin et consommation, en passant par les êtres finis, voilà une formule qui peut convenir à la plus orthodoxe des Sommes comme à la plus hétérodoxe des mystiques, tant l’ordre de la nature et l’ordre de la conduite humaine viennent se placer avec une sorte de nécessité entre ce principe et cette fin.
Une pareille synthèse n’était possible que grâce à une doctrine qui concevait toutes les choses de l’univers par référence à cette origine ou à cette fin, tous les êtres finis comme des créatures ou des manifestations de Dieu, tous les esprits finis comme en train de s’approcher ou de s’éloigner de Dieu. Or c’est cette référence qui, de plus en plus, devient impossible : déjà, au XIIe siècle, nous avons vu comment s’ébauchait un naturalisme humaniste qui étudiait en elles mêmes la structure et les forces de la nature et de la société ; plus encore, au XIVe siècle, laissant délibérément tout ce qui regarde l’origine et la fin des choses, démontrant même que c’est par erreur qu’on a cru saisir dans l’opposition du ciel immuable et de la région sublunaire quelque chose du plan divin, les occasions étudient la nature en et pour elle même. Mais, aux deux siècles suivants, que de raisons nouvelles de s’écarter du théocentrisme ! Les étranges et mystérieuses profondeurs que l’on soupçonnait à peine dans l’histoire et dans la nature commencent à apparaître ; la philologie, d’une part, la physique expérimentale, d’autre part, donnent sur l’homme et sur les choses des enseignements nouveaux ; le drame chrétien, avec ses moments historiques, création, péché, rédemption ne peut décidément servir de cadre à une nature dont les lois lui sont tout à fait indifférentes, à une humanité dont une partie l’ignore complètement, à une époque où les peuples chrétiens eux mêmes, se rendant indépendants du pouvoir spirituel, font prévaloir dans leur politique des buts tout à fait étrangers aux fins surnaturelles de la vie chrétienne, ou même délibérément contraires à l’idée de l’unité de la chrétienté.
Un changement si vital a une infinité de répercussions. La plus importante pour nous est de mettre au premier plan les hommes de pratique, hommes d’action, artistes et artisans, techniciens en tout genre aux dépens des méditatifs et des spéculatifs ; la conception nouvelle de l’homme et de la nature est une conception que l’on réalise plutôt qu’on ne la pense ; les noms des philosophes proprement dits, de Nicolas de Cuse à Campanella ont alors bien peu d’éclat à côté de ceux des grands capitaines et des grands artistes ; tout ce qui compte est alors technicien en quelque sens que ce soit ; le type achevé est Léonard de Vinci, à la fois peintre, ingénieur, mathématicien et physicien ; mais il n’est guère de philosophe qui ne soit en même temps médecin, ou tout au moins astrologue et occultiste ; la politique de Machiavel est une technique destinée aux princes italiens ; les humanistes, avant d’être des penseurs, sont des praticiens de la philologie, soucieux des méthodes qui leur permettront de restituer les formes et les pensées des anciens.
" (p.491-493)
-Émile Bréhier, Histoire de la philosophie, "Les classiques des sciences sociales" (à partir de Librairie Félix Alcan, Paris, 1928, 788 pages).

 

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D'ailleurs je ne sais pas très bien quand et comment Les politiques (oui, je suis de cette école là) d'Aristote ont été découvert en occident. Je sais par contre que les arabes n'avaient pas cet ouvrage.

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Personnellement, et avec un peu de recul, j'ai toujours trouvé que le moyen-age, malgré la féodalité (ou à peut être cause de), était une époque pendant laquelle la notion de liberté de l'individu était beaucoup plus présente que dans l’Europe absolutiste et monarchique des siècles suivants. Voir les bourg et les villes libres, les associations de marchands, les vilains (hommes libres) etc. (Rien que l'histoire de Toulouse qui, à l'époque des cathares, a connu une liberté de culte entre cathares et catholique. Ça aura tout de même été la cible d'une croisade).

 

Que les experts du moyen-âge me disent si je me trompe.

 

Super thread sinon. Le médiéviste du dimanche et amateur d'Histoire que je suis est ravi. :)

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Il y a 12 heures, NoName a dit :

Moi j'aurais plutôt tendance à dire que c'est le bas moyen âge qui se distingue peu de la renaissance :P

Je n'ai pas dit autre chose, mais tu le dis mieux que moi. :)

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Il y a 10 heures, Alchimi a dit :

 époque pendant laquelle la notion de liberté de l'individu

 

Il eu fallu pour cela qu'il exista des individus à cette époque (au sens psycho-social, évidemment pas au sens ontologique) ; ce qui est pour le moins problématique.

 

"Disons-le tout net, l'individu, élément clé de nos représentations et institutions sociales, ne peut pas avoir existé dans la société médiévale, dont l'organisation (c'est-à-dire les structures et les représentations) n'a rien à voir avec la nôtre."

-Brigitte Miriam Bedos-Rezak & Dominique Iogna-Prat (dir), L'Individu au Moyen Age. Individuation et individualisation avant la modernité, Mayenne, Éditions Flammarion, Aubier, 2005, 380 pages, p.79.

 

Quant à la thèse qui fait du nominalisme et de la pensée d'Ockham en particulier le début de l'individualisme politique et un proto- "libéralisme" (thèse qu'on trouve chez de Villey, A. de Benoist, Alain Laurent ou encore André de Muralt -les uns pour s'en féliciter, les autres pour le déplorer), elle me laisse à ce stade de mes recherches assez sceptique. J'ai lu l'essai qu'Arthur Stephen McGrade a consacré à sa pensée politique et la radicalité des positions d'Ockham ne m'a pas sauté aux yeux. Du reste McGrade écrit clairement: "[His] political works make no appeal to a distinctively Ockhamist theological epistemology." (The Political Thought of William of Ockham, Cambridge University Press, 2002 (1974 pour la première édition), 269 pages, p.199).

 

« Le caractère scandaleux de la doctrine d’Occam est une découverte toute moderne ; du XIVème au XVIIème siècle, personne ne s’en est aperçu. »

-Étienne Gilson, « La philosophie franciscaine », in Saint François d’Assise : son œuvre, son influence, Paris, 1927, pp.148-75, p. 171.

 

Donc l'idée que le Moyen-âge comportait les germes de la rupture ultérieure avec les sociétés "holistes" ne me paraît pas fondée.

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Bien que c'est aller un peu vite pour condamner le moyen-âge sur l'aspect de l'individu, (la phrase citée De Brigitte Miram Bedos et l'autre ne donne que couic comme contre-argumentation à par un vague "c'était pas pareil"), je n'ai jamais écris que celui-ci  "comportait les germes de la rupture ultérieure avec les sociétés "holistes"

Un rapide google m'apprend d'ailleurs qu'on tient ici une bonne grosse querelle d'historien.

 

Personnellement, vu les diverses révoltes de nobles, certaines œuvres littéraires comme le roman de renard ou le conte du graal de chrétien de troyes, ou, again, des avancées locales comme la liberté de culte (avant oblitération par croisade pour certaines villes) ou la coopération de juifs, musulmans et chrétiens dans le califat de Sicile (si je me souviens bien), je réserverai cette critique du moyen-âge -que j'hésite presque à penser symptomatique d'une certaine diabolisation-.

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il y a 45 minutes, Johnathan R. Razorback a dit :

Il eu fallu pour cela qu'il exista des individus à cette époque (au sens psycho-social, évidemment pas au sens ontologique) ; ce qui est pour le moins problématique.

 

"Disons-le tout net, l'individu, élément clé de nos représentations et institutions sociales, ne peut pas avoir existé dans la société médiévale, dont l'organisation (c'est-à-dire les structures et les représentations) n'a rien à voir avec la nôtre."

-Brigitte Miriam Bedos-Rezak & Dominique Iogna-Prat (dir), L'Individu au Moyen Age. Individuation et individualisation avant la modernité, Mayenne, Éditions Flammarion, Aubier, 2005, 380 pages, p.79.

 

Quant à la thèse qui fait du nominalisme et de la pensée d'Ockham en particulier le début de l'individualisme politique et un proto- "libéralisme" (thèse qu'on trouve chez de Villey, A. de Benoist, Alain Laurent ou encore André de Muralt -les uns pour s'en féliciter, les autres pour le déplorer), elle me laisse à ce stade de mes recherches assez sceptique. J'ai lu l'essai qu'Arthur Stephen McGrade a consacré à sa pensée politique et la radicalité des positions d'Ockham ne m'a pas sauté aux yeux. Du reste McGrade écrit clairement: "[His] political works make no appeal to a distinctively Ockhamist theological epistemology." (The Political Thought of William of Ockham, Cambridge University Press, 2002 (1974 pour la première édition), 269 pages, p.199).

 

« Le caractère scandaleux de la doctrine d’Occam est une découverte toute moderne ; du XIVème au XVIIème siècle, personne ne s’en est aperçu. »

-Étienne Gilson, « La philosophie franciscaine », in Saint François d’Assise : son œuvre, son influence, Paris, 1927, pp.148-75, p. 171.

 

Donc l'idée que le Moyen-âge comportait les germes de la rupture ultérieure avec les sociétés "holistes" ne me paraît pas fondée.

 

Il est vrai que l'individu, au sens juridique du terme, n'a pas encore vraiment sa place au Moyen-Âge. Mais c'est bien pendant cette période-là qu'il y a eu un phénomène "d'individualisation" (notamment grâce au christianisme, ce même christianisme qui a été un véritable frein sur tant d'autres plans !).

La rupture que constituerait la Renaissance me semble d'ailleurs, de ce point de vue, à nuancer : l'opposition entre un Moyen-Âge où chacun ne peut s'identifier qu'au travers du collectif (sa terre, son métier, sa famille), en opposition à une Renaissance émancipatrice de l'individu, c'est quand même un beau tissu de fadaises (une vague recherche sur la période XVème/XVIIIème siècle démontre que le collectif, la corporation, ont un rôle fondamental qui domine l'individu).

 

Ton nom de famille, qui est une marque de ton identité (y compris juridiquement), c'est une invention médiévale. 

Après une brève recherche, je note aussi qu'un religieux franciscain du non de Pierre de Jean Olivi a pu soutenir que l'argent devait circuler afin de satisfaire au mieux les besoins des uns et des autres, soutenant que la valeur des biens était subjective, et condamnant surtout la thésauratisation (car c'est là un péché que de garder l'argent).

Il a même sa page sur Wikiberal : https://www.wikiberal.org/wiki/Pierre_de_Jean_Olivi

Je découvre que ce bonhomme s'est demandé, au XIIIème siècle (donc avant la Renaissance) :

Citation

l'intellect se connaît-il comme il connaît les autres choses? Il y a donc un sujet de mes actes mais est-ce que je suis ce sujet? 
Dans la perception de mes actes, la perception du sujet lui-même est première dans cet ordre naturel.

 

Je ne trouve pas la source originelle (c'est dans sa Summa, q. 52 à 57 qu'il s'interroge sur la liberté humaine, la personalitas etc).

 

Il y a 11 heures, Alchimi a dit :

Personnellement, et avec un peu de recul, j'ai toujours trouvé que le moyen-age, malgré la féodalité (ou à peut être cause de), était une époque pendant laquelle la notion de liberté de l'individu était beaucoup plus présente que dans l’Europe absolutiste et monarchique des siècles suivants. Voir les bourg et les villes libres, les associations de marchands, les vilains (hommes libres) etc. (Rien que l'histoire de Toulouse qui, à l'époque des cathares, a connu une liberté de culte entre cathares et catholique. Ça aura tout de même été la cible d'une croisade).

 

Que les experts du moyen-âge me disent si je me trompe.

 

Super thread sinon. Le médiéviste du dimanche et amateur d'Histoire que je suis est ravi. :)

 

Ce qui s'exprime pas mal, je trouve, ce sont plutôt les ambitions personnelles :D

 

Il y a 15 heures, Johnathan R. Razorback a dit :

1): Je parlais des acquis intellectuels qui, a tort, ont focalisé les débats sur la valeur du Moyen-âge. La Renaissance avec un grand R ne se limite évidemment pas à des progrès intellectuels.

 

2): Ben, c'est un fait. Ce que fait Descartes n'a guère à voir avec ce que faisaient les scolastiques, on peut parler d'une révolution philosophique, du point de vue de la méthode (j'ai récemment fait grincer les dents de @Gio en décrivant ainsi le cartésianisme). Demande donc à Pascal si le cartésianisme n'est pas une rupture majeure avec la tradition ! Idem en philosophie politique, ce que font Hobbes ou Locke ne ressemblent plus guère à un auteur ne serait-ce qu'aussi tardif que Grotius.

 

Que les Modernes aient a l'occasion été injustes à l'égard d'auteurs plus anciens (Descartes vis-à-vis d'Augustin, Spinoza vis-à-vis d'Aristote ou de Maïmonide), soit, mais ça n'est que la contrepartie quasi inévitable de l'effort de rupture avec le poids des auteurs consacrés (ce qui est très humain), et a fortiori avec la "pensée héritée" comme dirait Castoriadis.

 

Roger Bacon n'a jamais songé à questionner les dogmes et remettre en cause les erreurs de la tradition, je suppose. 

 

Il y a 14 heures, Johnathan R. Razorback a dit :

 

Même pas La Politique ou l'Éthique à Nicomaque... Quelle misère...

 

Et puis certains passent un peu vite sur le fait qu'une fois ces textes connus, il fallait les passer au tatamis de la compatibilité avec le dogme. Ce qu'il y a de bien avec la Renaissance, c'est qu'on voit le début (ô ! timide) d'une pensée qui échappe durablement à l'orthodoxie chrétienne (phénomène encouragée par le schisme luthérien), voire à la clôture religieuse de la pensée:

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"Dans les milieux humanistes du XVe siècle, si différents des Universités, sous la protection des princes ou des papes, se réunissent indifféremment laïques et ecclésiastiques, à l’Académie platonicienne dans la Florence de Laurent le Magnifique, comme à l’Académie aldine à Venise. En ces milieux nouveaux, il n’est aucune considération pratique qui puisse prévaloir sur le désir du savoir comme tel ; l’esprit, tout à fait libéré, n’est plus asservi, comme dans les Universités, à la nécessité d’un enseignement qui forme des clercs. Au siècle suivant est fondé le Collège de France qui, distinct de l’Université, est fait non pour classer le savoir acquis et traditionnel, mais pour promouvoir les connaissances nouvelles.
Cette liberté produit un pullulement de doctrines et de pensées, que nous voyions poindre pendant tout le Moyen âge, mais qui, jusque là, avaient pu être refoulées ; ce mélange confus, que l’on peut appeler naturalisme, parce que, d’une manière générale, il ne soumet l’univers ni la conduite à aucune règle transcendante, mais en recherche seulement les lois immanentes, contient, à côté des pensées les plus viables et les plus fécondes, les pires monstruosités ; avant tout, on affecte de tourner le dos à tout ce qui s’est fait jusqu’ici : « Laurent Valla (écrit le Pogge aussi humaniste et épicurien que l’était son ami) blâme la physique d’Aristote, il trouve barbare le latin de Boèce, il détruit la religion, professe des idées hérétiques, méprise la Bible... Et n’a t il pas professé que la religion chrétienne ne repose point sur des preuves, mais sur la croyance, qui serait supérieure à toute preuve ! » . Or le Pogge est un fonctionnaire de la Curie romaine ; quant à Laurent Valla, le cardinal de Cuse, en 1450, le recommandait au pape et voulait l’y faire entrer.
Ce désir intense d’une vie autre, nouvelle et dangereuse, est provoqué ou du moins accentué par l’énorme accroissement de l’expérience et des techniques qui, en un siècle, change les conditions de la vie matérielle et intellectuelle de l’Europe. Accroissement de l’expérience dans le passé, grâce aux humanistes qui lisaient les textes grecs, et qui, au XVIe siècle, s’initièrent aux langues orientales ; l’important est moins encore la découverte de nouveaux textes que la manière dont on les lit ; c’est le même
De officiis de Cicéron que connaissent saint Ambroise et Érasme ; saint Ambroise y cherche des règles pour ses clercs ; Érasme y trouve une morale autonome et indépendante du christianisme ; il ne s’agit plus maintenant d’accommoder ces textes à l’explication des Écritures, mais de les comprendre en eux mêmes. Accroissement de l’expérience dans l’espace, lorsque, dépassant les bornes de l’οι̉κουμένη, où la chrétienté, après l’antiquité, avait tracé les limites de la terre habitable, l’on découvre non seulement de nouvelles terres, qui détournent les regards du bassin de la Méditerranée, mais de nouveaux types d’humanité dont la religion et les mœurs sont inconnues. Accroissement des techniques, non seulement par la boussole, la poudre à canon et l’imprimerie, mais par des inventions industrielles ou mécaniques dont plusieurs sont dues à des artistes italiens qui étaient en même temps des artisans. Les hommes de cette époque, même attachés à la tradition, ont l’impression que la vie, longtemps suspendue, reprend, que la destinée de l’humanité recommence : « Nous voyons partout, écrit le Cardinal de Cuse vers 1433, les esprits des hommes les plus adonnés à l’étude des arts libéraux et mécaniques, retourner à l’antiquité, et avec une extrême avidité, comme si l’on s’attendait à voir s’accomplir bientôt le cercle entier d’une révolution » .
Les esprits étaient naturellement portés à confronter avec cette expérience accrue les conceptions traditionnelles de l’homme et de la vie, fondées sur une expérience bien plus restreinte. Malgré toutes les divergences et toutes les diversités, il n’y a eu, durant le Moyen âge tout entier, qu’une seule image ou, si l’on veut, un seul schème dans lequel viennent naturellement s’encadrer toutes les images possibles de l’univers : c’est ce que nous avons appelé le théocentrisme : de Dieu comme principe à Dieu comme fin et consommation, en passant par les êtres finis, voilà une formule qui peut convenir à la plus orthodoxe des Sommes comme à la plus hétérodoxe des mystiques, tant l’ordre de la nature et l’ordre de la conduite humaine viennent se placer avec une sorte de nécessité entre ce principe et cette fin.
Une pareille synthèse n’était possible que grâce à une doctrine qui concevait toutes les choses de l’univers par référence à cette origine ou à cette fin, tous les êtres finis comme des créatures ou des manifestations de Dieu, tous les esprits finis comme en train de s’approcher ou de s’éloigner de Dieu. Or c’est cette référence qui, de plus en plus, devient impossible : déjà, au XIIe siècle, nous avons vu comment s’ébauchait un naturalisme humaniste qui étudiait en elles mêmes la structure et les forces de la nature et de la société ; plus encore, au XIVe siècle, laissant délibérément tout ce qui regarde l’origine et la fin des choses, démontrant même que c’est par erreur qu’on a cru saisir dans l’opposition du ciel immuable et de la région sublunaire quelque chose du plan divin, les occasions étudient la nature en et pour elle même. Mais, aux deux siècles suivants, que de raisons nouvelles de s’écarter du théocentrisme ! Les étranges et mystérieuses profondeurs que l’on soupçonnait à peine dans l’histoire et dans la nature commencent à apparaître ; la philologie, d’une part, la physique expérimentale, d’autre part, donnent sur l’homme et sur les choses des enseignements nouveaux ; le drame chrétien, avec ses moments historiques, création, péché, rédemption ne peut décidément servir de cadre à une nature dont les lois lui sont tout à fait indifférentes, à une humanité dont une partie l’ignore complètement, à une époque où les peuples chrétiens eux mêmes, se rendant indépendants du pouvoir spirituel, font prévaloir dans leur politique des buts tout à fait étrangers aux fins surnaturelles de la vie chrétienne, ou même délibérément contraires à l’idée de l’unité de la chrétienté.
Un changement si vital a une infinité de répercussions. La plus importante pour nous est de mettre au premier plan les hommes de pratique, hommes d’action, artistes et artisans, techniciens en tout genre aux dépens des méditatifs et des spéculatifs ; la conception nouvelle de l’homme et de la nature est une conception que l’on réalise plutôt qu’on ne la pense ; les noms des philosophes proprement dits, de Nicolas de Cuse à Campanella ont alors bien peu d’éclat à côté de ceux des grands capitaines et des grands artistes ; tout ce qui compte est alors technicien en quelque sens que ce soit ; le type achevé est Léonard de Vinci, à la fois peintre, ingénieur, mathématicien et physicien ; mais il n’est guère de philosophe qui ne soit en même temps médecin, ou tout au moins astrologue et occultiste ; la politique de Machiavel est une technique destinée aux princes italiens ; les humanistes, avant d’être des penseurs, sont des praticiens de la philologie, soucieux des méthodes qui leur permettront de restituer les formes et les pensées des anciens.
" (p.491-493)
-Émile Bréhier, Histoire de la philosophie, "Les classiques des sciences sociales" (à partir de Librairie Félix Alcan, Paris, 1928, 788 pages).

 

 

Le schisme luthérien, c'est une hérésie médiévale qui a réussie, rien de plus.

Quant à la religion, tu as je-ne-sais combien de penseurs médiévaux qui se sont emparés de la question et ont réussi à concilier foi et philosophie, ou ont privilégié la vérité sur la foi...

Mais bon, j'imagine qu'en les écartant et en ignorant leur existence, tu as totalement raison.

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il y a 13 minutes, Flashy a dit :

Le schisme luthérien, c'est une hérésie médiévale qui a réussie, rien de plus.

 

C'est un peu plus que ça quand même.

En fait je développerai plus tard peut être mais ça me fait penser au phénomène des libertariens qui son passés à l'alt-right 

 

il y a 13 minutes, Flashy a dit :

Quant à la religion, tu as je-ne-sais combien de penseurs médiévaux qui se sont emparés de la question et ont réussi à concilier foi et philosophie, ou ont privilégié la vérité sur la foi...

Mais bon, j'imagine qu'en les écartant et en ignorant leur existence, tu as totalement raison.

Oui enfin il y en a beaucoup qui ont réussi mais faut voir les tortillage de fion derrière. 

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à l’instant, NoName a dit :

 

C'est un peu plus que ça quand même.

 

J'ai le droit de faire dans l'outrance. Sinon, comment polémiquer convenablement?

 

à l’instant, NoName a dit :

En fait je développerai plus tard peut être mais ça me fait penser au phénomène des libertariens qui son passés à l'alt-right 

 

Je ne te suis pas, là. Tu m'as un peu perdu.

 

à l’instant, NoName a dit :

Oui enfin il y en a beaucoup qui ont réussi mais faut voir les tortillage de fion derrière. 

 

Je n'ai pas dit que c'était mainstream ou facile pour les intellectuels de l'époque, tu noteras bien :D

Je dis simplement qu'il est faux de prétendre que les intellectuels médiévaux n'ont jamais su s'émanciper de la tutelle de la Foi : ce sont des pionniers, à ce niveau-là. 

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il y a 39 minutes, Flashy a dit :

Le schisme luthérien, c'est une hérésie médiévale qui a réussie, rien de plus.

Hmmm autant on pourrait dire ça de Calvin ou Zwingli, autant pour Luther c'est sensiblement moins clair. Le but de Luther, c'était de réformer l'Église pour la débarasser de ses abus. En général, pour faire un truc pareil, on se fait élire pape ou on fonde un ordre, mais Luther était une caricature de germanique, entier, refusant le compromis, et pas formé aux subtilités de la dialectique et aux arcanes de la politique curiale. Évidemment, quand l'Église lui a envoyé le cardinal Cajetan pour discuter, négocier, trier le nécessaire du superflu dans ses revendications, le dialogue était impossible (Cajetan étant l'exact opposé de Luther sur les points de caractère que j'ai évoqué). Du coup, dans l'impossibilité de faire autre chose de constructif, Luther a fait un schisme, qu'il considérait comme temporaire le temps que l'Église revienne à sa vraie nature. On sait ce que c'est devenu.

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il y a 1 minute, Rincevent a dit :

Hmmm autant on pourrait dire ça de Calvin ou Zwingli, autant pour Luther c'est sensiblement moins clair. Le but de Luther, c'était de réformer l'Église pour la débarasser de ses abus. En général, pour faire un truc pareil, on se fait élire pape ou on fonde un ordre, mais Luther était une caricature de germanique, entier, refusant le compromis, et pas formé aux subtilités de la dialectique et aux arcanes de la politique curiale. Évidemment, quand l'Église lui a envoyé le cardinal Cajetan pour discuter, négocier, trier le nécessaire du superflu dans ses revendications, le dialogue était impossible (Cajetan étant l'exact opposé de Luther sur les points de caractère que j'ai évoqué). Du coup, dans l'impossibilité de faire autre chose de constructif, Luther a fait un schisme, qu'il considérait comme temporaire le temps que l'Église revienne à sa vraie nature. On sait ce que c'est devenu.

 

Quid des frères fraticelles, qui mettent en exergue la pauvreté, critiquent la richesse et les abus de l'Eglise, et exaltent la liberté de l'individu?

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il y a 8 minutes, Flashy a dit :

 

Quid des frères fraticelles, qui mettent en exergue la pauvreté, critiquent la richesse et les abus de l'Eglise, et exaltent la liberté de l'individu?

Trop timorés et surtout vu revu et rerevu

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il y a 16 minutes, NoName a dit :

Trop timorés et surtout vu revu et rerevu

 

N'ayant pas d'ouvrages sur les hérésies (j'en reviens à un de mes posts précédents), je ne peux me fier qu'à un savoir très très parcellaire sur la question :D

J'ai lu des tas de trucs, jusque sur les structures et la vie dans les ordres de moine-guerriers (ça : https://www.amazon.fr/Moines-guerriers-ordres-religieux-militaires-Moyen/dp/2021027201, un livre d'Alain Demurger), ou sur les intellectuels au Moyen-Âge (Legoff), ou les marchands (le même), ou sur une chiée d'aspects divers. Mais le débat part sur l'individu au Moyen-Âge, où je n'ai entraperçu qu'un article dans une revue y a un an ou deux ! 
En tout cas, ce qu'a prôné Luther, je suis à peu près sûr d'avoir vu les mêmes demandes et exigences dans d'autres mouvements hérétiques (même si je ne suis pas au point, par contre, sur les différences théologiques).

 

EDIT : TIL que les vaudois existent toujours, ils sont 30.000 et sont alliés aux méthodistes.
 

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Il y a 8 heures, Flashy a dit :

1): pendant cette période-là qu'il y a eu un phénomène "d'individualisation" (notamment grâce au christianisme

 

2): une vague recherche sur la période XVème/XVIIIème siècle démontre que le collectif, la corporation, ont un rôle fondamental qui domine l'individu.

 

3): Ton nom de famille, qui est une marque de ton identité (y compris juridiquement), c'est une invention médiévale. 

 

4): Après une brève recherche, je note aussi qu'un religieux franciscain du non de Pierre de Jean Olivi a pu soutenir que

 

Citation

5): Roger Bacon n'a jamais songé à questionner les dogmes et remettre en cause les erreurs de la tradition, je suppose. 

 

6): Quant à la religion, tu as je-ne-sais combien de penseurs médiévaux qui se sont emparés de la question et ont réussi à concilier foi et philosophie, ou ont privilégié la vérité sur la foi...

 

1): Je me suis longtemps laissé dire (Alain Laurent, Christian Godin) qu'en effet, le christianisme, avec sa traque du péché et son goût pour l'introspection, avait apporté un germe de conscience de soi qui n'existait pas avant.

Sauf qu'en fait, tu peux voir un niveau tout à fait équivalent, voire supérieur, dans la Rome d'avant la christianisation. Je pense à la correspondance de Cicéron, entre autres.

 

2): Le processus est très lent mais il a une marche en avant décelable à partir de la Renaissance. Je pense notamment à Pétrarque.

 

"Pétrarque est une figure familière dans l'historiographie de l'individu. Mieux, il figure même deux fois dans l'arbre généalogique -et c'est justement cette double généalogie qui attire l'attention. Il est d'abord, pour l'histoire littéraire, un des jalons bien connus de la "naissance de l'auteur", à la fois par sa pratique et par son discours. Il veille avec un soin maniaque à la publication de son œuvre propre, reprenant ses textes, les recopiant, les corrigeant, préparant de véritables "éditions autorisées", et donnant par sa pratique un sens fort à la notion d'auctor du texte, lequel ne se limite pas à sa rédaction mais s'étend aussi à sa production publique. Cependant, ce travail d'édition n'est pas qu'une manie philogique, il correspond à une réflexion formelle sur l'organisation de l'œuvre littéraire, dont la construction du Canzoniere donne un exemple frappant.
La véritable invention du
Canzoniere, outre la contribution de Pétrarque au développement de la forme-sonnet et de la poésie vernaculaire, réside dans son organisation. Dans cette œuvre, Pétrarque ait œuvre d'auteur d'un bout à l'autre, non seulement dans la composition des poèmes, mais surtout dans leur disposition à l'intérieur du recueil, ce qui représente un saut dans la modernité littéraire. La disposition des poèmes dans le Canzoniere a au moins été modifiée à neuf reprises, pour constituer finalement un ensemble d'une complexité incroyable, dans lequel le sens littéraire d'une pièce vient moins de sa signification propre que de sa place dans le recueil [...] l'œuvre poétique se déploie sur deux plans, celui de la pièce et du cycle, à la manière des Fleurs du Mal. [...]
Pétrarque se regarde dans son œuvre comme dans un miroir, pour s'y créer une image idéale, un portrait de soi en écrivain appuyé sur une "idéologie de l'auteur", et son écriture est habituée par le désir d'être un auteur
." (p.189-190)

"Pétrarque, à travers le modèle d'Augustin, se coule dans le moule de cet "individu-hors-du-monde", face-à-face avec Dieu, et retrouve des siècles plus tard cette conception de l'individu conservée et transmise par le monachisme médiéval. Il s'inscrit ainsi dans une deuxième catégorie de l'individu, celle de la spiritualité chrétienne.
En effet, les textes intimes de Pétrarque sont aussi le lieu d'une spiritualité à laquelle les historiens de la religion ne prêtent souvent pas attention, mais qui place Pétrarque parmi les précurseurs de la
devotio moderna. Par ce terme, les historiens repèrent une transformation des pratiques religieuses à partir du XIVème siècle, qui se caractérisait par une spiritualité plus individuelle, plus intérieure, dans laquelle la méditation et la prière joueraient un rôle primordial. Ce mouvement est souvent considéré comme une étape dans le "temps des réformes", sur a route d'une individualisation très forte du christianisme qui trouverait son aboutissement dans les protestantismes du XVIème siècle, ce qui en fait souvent un jalon dans une histoire de la production de l'individu occidental par la matrice chrétienne.
Le premier aspect par lequel Pétrarque s'inscrit dans cette mouvance est sa critique des institutions de l'Église. Cette facette est bien connue: sa littérature est l'occasion d'une contestation virulente de l'Église, et en particulier de la papauté. C'est le thème fameux de la comparaison entre Avignon et Babylone, qui s'alimente de l'exil hors de Rome. Ces diatribes ne sont pas seulement politiques et nationales, elles ont également un sens proprement religieux. Pétrarque dénonce l'Église devenue un Etat, qui a délaissée les préoccupations spirituelles pour se vouer à la politique, se rapprochant ainsi de beaucoup de contestataires évangéliques de la fin du Moyen Age. De cette critique institutionnelle de l'Église, à laquelle Pétrarque oppose le mythe de l'Église des origines, émerge justement une pratique religieuse recentrée sur l'individu caractéristique de la
devotio moderna." (p.193)

"Si Pétrarque est pris dans un procès d'individuation à la fois littéraire et spirituel, ce n'est pas l'effet d'un hasard ou d'une volonté, mais d'abord celui d'une position sociale. [...] Création comme dévotion, telles que Pétrarque entend les pratiquer, sont aussi le fruit d'un système social, qui est le "support" de l'individuation.
Il faut donc comprendre comment fonctionne concrètement cet
otium vanté par Pétrarque, ce qui renvoie à deux réalités sociales du milieu du XIVème siècle, le système bénéficial et la vie de cour. A l'époque où Pétrarque vit à Vaucluse et rédige les textes dont nous parlons, il tire ses revenus de bénéfices ecclésiastiques en Italie, tout en étant dispensé de résidence. L'obtention de ces bénéfices et de la dispense est liée à sa position à la cour, en particulier à ses liens avec le pape Clément VI, et on retrouve dans les Archives vaticanes les suppliques de Pétrarque ses bénéfices, ainsi que les lettres de Clément VI lui accordant ce qu'il demande. La faveur dont il jouit à la cour, mais aussi son activité de courtisan au sens propre, qu'il essaie de dissimuler, sont donc à l'origine d'une position où il peut consacrer tranquillement sa journée à la prière, à la lecture et à l'écriture.
Le "discours intérieur" ne se développe donc pas dans le vide, et on peut en faire l'analyse sociale et économique. Ce que Pétrarque refuse fondamentalement, c'est le
negotium, c'est-à-dire les formes du salariat intellectuel au XIVème siècle. Il ne veut ni enseigner dans un cadre scolaire, ni mettre ses compétences au service d'une chancellerie, ni utiliser les acquis de sa formation juridique pour exercer les métiers de notaire ou d'avocat. Le choix de Pétrarque est en réalité étroitement lié à l'essor des cours à la fin du Moyen Age et au développement du système du mécénat, qui crée une position sociale inédite, assurant un revenu sans autre travail que leur création à ceux qui en bénéficient. L' "idéologie de l'auteur" évoquée plus haut peut être interprétée à partir de cette situation qui revient à créer dans le champ social une nouvelle figure qu'on appellera l' "humaniste", lequel construit sa légitimité entre deux espaces symboliques: d'une part, la cour, qu'il méprise mais qui assure son indépendance et constitue en réalité son public ; d'autre part, le monastère, représentation d'une vie idéale dont il refuse d'assumer le silence, mais qu'il parodie cependant en choisissant d'habiter seul à la campagne, loin de la cour, mais pas trop. [...]
Le savoir possède, dans l'idée de Pétrarque, une dimension pratique qu'il oppose à la philosophie scolastique. Il renoue avec la thématique antique de la philosophie comme art de vivre, qui n'est pas simplement le fruit d'une opposition intellectuelle, mais celui de tout un système appuyé sur
l'otium. Pour pratiquer la philosophie comme art de vivre, en quelque sorte, encore faut-il en avoir les moyens. L'idée d'un nouvel art de vivre devient très vite un leitmotiv fondamental dans le travail littéraire de Pétrarque, qui construit à partir de sa position, mais aussi pour la justifier, une "esthétique de soi". Elle est un idéal d'accomplissement individuel profondément élitiste, dans lequel l'homme met en œuvre des "techniques de soi", comme la prière, l'écriture, le retrait du monde, qui rappellent le stoïcisme et l'épicurisme romains, mais dont la revivification est inséparable des mutations sociales de la culture du XIVème siècle." (198-200)


-Brigitte Miriam Bedos-Rezak & Dominique Iogna-Prat (dir), L'Individu au Moyen Age. Individuation et individualisation avant la modernité, Mayenne, Éditions Flammarion, Aubier, 2005, 380 pages.
 

 

3): Les Romains avaient déjà un nom de famille. Du reste ça ne t'individualise pas vraiment, le nom de famille te rattache au contraire à un ensemble qui te dépasse (parce qu'il te précède et dans la logique de l'honneur "clanique", doit être transmis).

 

4): Olivi semble avoir occupé une position originale, mais je ne sais pas bien s'il a vraiment fait avancer la réflexion économique:

"La pensée d'Olivi est certainement 'singulière": tout en s'inscrivant dans la culture scolastique, elle s'oppose avec véhémence à celle de Thomas d'Aquin et à l'aristotélisme chrétien, sans pour autant se fonder sur l' "augustinisme" des opposants franciscains à Thomas."

-Brigitte Miriam Bedos-Rezak & Dominique Iogna-Prat (dir), L'Individu au Moyen Age. Individuation et individualisation avant la modernité, Mayenne, Éditions Flammarion, Aubier, 2005, 380 pages, p.292.

 

5): Pas lu Roger Bacon (ce qui est certainement une lacune).

 

6): C'est un peu comme de dire que pleins de marxistes d'Europe de l'Est ou d'Asie ont réussi à concilier pensée libre et adhésion au marxisme-léninisme. Le tout est de savoir jusqu'où ne pas aller trop loin (et c'est moins facile qu'il n'y paraît tant les excommunications peuvent tomber sur celui qui la veille se croyait le parangon de l'orthodoxie. Même Thomas d'Aquin a été hautement suspect à une période...).

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