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Définir l'Etat (et autres notions politiques)


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L'autre soir je n'arrivais pas à m'endormir, et comme je suis incapable de compter les moutons, je me suis plutôt demandé si on ne pourrait faire quelque pour améliorer la définition wébérienne de l'Etat.

 

Weber explique que: "S'il n'existait que des structures sociales d'où toute violence serait absente, le concept d'État aurait alors disparu et il ne subsisterait que ce qu'on appelle, au sens propre du terme, l'« anarchie ». La violence n'est évidemment pas l'unique moyen normal de l'État, - cela ne fait aucun doute - mais elle est son moyen spécifique. De nos jours la relation entre État et violence est tout particulièrement intime. Depuis toujours les groupements politiques les plus divers - à commencer par la parentèle - ont tous tenu la violence physique pour le moyen normal du pouvoir. Par contre il faut concevoir l'État contemporain comme une communauté humaine qui, dans les limites d'un territoire déterminé - la notion de territoire étant une de ses caractéristiques - revendique avec succès pour son propre compte le monopole de la violence physique légitime. Ce qui est en effet le propre de notre époque, c'est qu'elle n'accorde à tous les autres groupements, ou aux individus, le droit de faire appel à la violence que dans la mesure où l'État le tolère : celui-ci passe donc pour l'unique source du « droit » à la violence." ("Le métier et la vocation d'homme politique", in Le Savant et le Politique, 1919)

 

Or cette définition pose plusieurs problèmes.

D'abord celui de la violence légitime -notion bien critiquée par de Jasay dans L'Etat. Weber écrit dans le même texte que la violence légitime est celle qui est reconnue comme légitime. Or manifestement une telle violence ne peut jamais être monopolisée. D'abord parce qu'on ne voit pas très bien ce que veut dire pour le criminel lambda que la violence exercée contre lui serait légitime, alors que la violence du gang rival ne le serait pas. Ensuite parce que dans les sociétés modernes, les principes de légitimité sont généralement divers et contradictoires, si bien que des individus différents ne reconnaissent pas de légitimité aux mêmes types de violence. L'existence de l'anarchisme suffit à disqualifier que la violence légitime puisse être monopolisée.

 

Ensuite Weber n'explique pas la relation entre violence et légitimité (comment passe-t-on de l'un à l'autre ?), ni l'origine de l'Etat. Je ne suis pas sûr non plus que son idée que l'Etat moderne se distingue en tant qu'unique source du droit à la violence soit très valable.

 

Du coup, j'ai tenté une définition alternative: "L'Etat est l'organisation qui, dans une société donnée, dispose de la plus grande aptitude à faire preuve de la plus grande violence, et qui tire de cette puissance la capacité d'exercer le commandement politique, ainsi que celle de forcer ou persuader presque unanimement les autres membres de la société qu'elle seule est légitime à user de la violence (ou à déterminer les conditions acceptables du recours à la violence)."

 

Cette définition a un défaut mais plusieurs avantages.

Le défaut est qu'elle est "éternaliste" -puisqu'il a toujours un commandement politique qui s'exerce dans la société, il y a toujours un Etat au sens de ma définition. C'est une définition qui ne permet pas de rendre compte de l'Etat comme phénomène historique, moderne, par rapport à d'autres formes d'entités politiques. Du coup, peut-être n'est pas une définition de l'Etat mais d'un ensemble dont l'Etat ne serait qu'un sous-type (la classe politique peut-être) ?

 

Les avantages sont que cette définition explicite la relation entre l'Etat et la violence. L'Etat n'est pas l'organisation qui aurait la violence pour moyen spécifique (la mafia aussi), mais l'organisation la plus puissante en termes de potentialités de violence physique. L'Etat est "la coalition des plus forts" comme l'explique bien Simmonot dans ses 39 leçons d'économie contemporaine.

 

De plus, cette définition explique la légitimité comme effet de cette force supérieure. C'est elle qui permet de se faire obéir et, par accoutumance (Weber dirait: légitimité traditionnelle) et par combinaison de moyens de commandement, l'Etat parvient à transformer sa violence en obéissance, qui tend elle-même à être vécue subjectivement comme une obéissance légitime (parce que personne n'aime penser qu'il obéit uniquement par peur de la violence, et parce que les moyens étatiques de se faire obéir ne se limitent effectivement pas à cela, même s'ils s'originent là). C'est donc (en grande partie) grâce à sa violence supérieure que l'Etat parvient à être reconnu comme légitime. La légitimité n'est pas quelque chose qui apparaît ex nihilo et s'ajoute sans raisons à la violence étatique (c'est l'impression que donne la définition de Weber).

 

Mais ce processus n'est pas parfait, si bien qu'on ne peut pas parler d'une violence légitime étatique comme d'un monopole. A la rigueur on peut dire que l'Etat cherche à la monopoliser ou y parvient mieux que d'autres groupes, mais ce n'est pas sa caractéristique la plus remarquable ou la plus importante.

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9 hours ago, Johnathan R. Razorback said:

L'autre soir je n'arrivais pas à m'endormir, et comme je suis incapable de compter les moutons, je me suis plutôt demandé si on ne pourrait faire quelque pour améliorer la définition wébérienne de l'Etat.

 

Tu m'étonnes, qui ne l'a jamais fait ? :lol: 

 

Plus sérieusement, peut-être que je chipote un peu mais un autre problème dans ta définition serait le "forcer OU persuader" comme si c'était l'un ou l'autre, alors qu'un Etat qui réussi fait évidemment les deux, le second découlant du premier.

 

 

Quote

Les avantages sont que cette définition explicite la relation entre l'Etat et la violence. L'Etat n'est pas l'organisation qui aurait la violence pour moyen spécifique (la mafia aussi), mais l'organisation la plus puissante en termes de potentialités de violence physique. L'Etat est "la coalition des plus forts" comme l'explique bien Simmonot dans ses 39 leçons d'économie contemporaine.

 

Donc la mafia la plus puissante ?

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il y a 36 minutes, Extremo a dit :

1): Plus sérieusement, peut-être que je chipote un peu mais un autre problème dans ta définition serait le "forcer OU persuader" comme si c'était l'un ou l'autre, alors qu'un Etat qui réussi fait évidemment les deux, le second découlant du premier.

 

2): Donc la mafia la plus puissante ?

 

1): On pourrait soutenir que ça dépend des individus. Après tout, si tu obéis par reconnaissance de l'autorité ou par acceptation d'arguments, tu n'as plus besoin d'être contraint, n'est-ce-pas (d'où une économie de violence employée) ? On ne peut pas soutenir que toutes les fois où l'Etat (ou n'importe qui d'autre), se fasse obéir, se soit par coercition. Personne n'est assez puissant pour dominer uniquement et continuellement par la force.

 

2): Vu que la transgression présuppose la Loi -comme dirait Paul de Tarse, je crois- l'Etat ne peut pas être une mafia ;)

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il y a 32 minutes, calypso13 a dit :

Ta définition me pose un problème: n'importe quel groupe de bandits qui arriverait à être plus puissant que l'état local devrait-il être considéré comme un état à part entière?

 

A très court terme non, il y aura une guerre (civile) entre les deux. A moyen terme, le groupe le plus fort deviendra l'Etat (par remplacement complet ou par hybridation). Ou alors, si les forces sont trop égales, il se formera deux Etats rivaux sur deux territoires distincts.

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5 minutes ago, Johnathan R. Razorback said:

1): On pourrait soutenir que ça dépend des individus. Après tout, si tu obéis par reconnaissance de l'autorité ou par acceptation d'arguments, tu n'as plus besoin d'être contraint, n'est-ce-pas (d'où une économie de violence employée) ? On ne peut pas soutenir que toutes les fois où l'Etat (ou n'importe qui d'autre), se fasse obéir, se soit par coercition. Personne n'est assez puissant pour dominer uniquement et continuellement par la force.

 

L'Etat ne domine pas par l'utilisation continuelle de la force, ce serait effectivement bien trop instable et inefficace comme méthode, mais par la menace de son utilisation, nuance importante.

Même les dirigeants des régimes totalitaires l'ont bien compris. Je ne suis par exemple pas convaincu que les nord-coréens ayant pleuré de toutes leurs larmes à la mort de Kim Jong-il, même en étant isolés du monde extérieur, soient tous sincèrement persuadés de la bonté infinie de leur leader suprême. Je pense plutôt que beaucoup le font parce que si on menace de t'éradiquer toi et ta famille sur plusieurs générations ça calme et tu obéiras au doigt et à l'oeil.

Sans parler de tout leur système de délation parfaitement ficelé, qui n'implique pas non plus une adhésion philosophique au régime.

J'ai bien sûr pris un exemple extrême mais c'est dans les Etats totalitaires qu'on voit le mieux comment l'Etat asseoit sa domination. La différence avec les Etats non-totalitaires est une question de degré.

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Faire reposer la notion d'Etat sur celle de Violence me parait problématique. Si l'on s'en tient à la notion d'Etat tel qu'il a émergé en Europe occidentale à partir du Moyen Age il s'agit beaucoup plus d'un institution dont le rôle a été de juguler la violence existant dans la société, cad qu'il a d'abord eu un rôle de pacificateur. Certes avec des épisodes parfois violent mais d'abord en utilisant l'arme juridique.

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Il y a 1 heure, Extremo a dit :

L'Etat ne domine pas par l'utilisation continuelle de la force, ce serait effectivement bien trop instable et inefficace comme méthode, mais par la menace de son utilisation, nuance importante.

 

Quand je parle de force, de commandement reposant sur la force, d'obéissance motivée par la force, etc., je ne distingue pas entre l'emploi effectif de la force et la menace de son emploi.  Car l'individu qui obéit en raison de la menace de la force ne peut pas le faire à moyen et long terme si celui qui le domine n'a pas les moyens de passer à l'acte. C'est en ce sens que je me permets de faire comme si la menace de la force présupposait systématiquement la possibilité effective de l'utiliser, ce qui n'est pas universel mais seulement le cas général.

 

Si on voulait être extrêmement précis, on pourrait dire qu'il y a quatre puissance de commandements (qui, vu de l'autre coté, sont des causes d'obéissance): force, menace d'employer la force, autorité, persuasion. Mais Arendt ou Freund ne mentionne que trois formes et je pense que c'est une simplification qui se justifie.

 

Et l'Etat ne domine pas uniquement par la force ou son emploi. Il suscite aussi de l'adhésion charismatique (au sens de Weber) et de l'obéissance par persuasion. En ceci il ne diffère pas d'autres groupes ou individus. La différente qui fait l'essence de l'Etat, c'est qu'il est plus fort que tous les autres groupes, et que par conséquent il possède le pouvoir proprement politique: celui qui s'applique sur toute la société (polis) et est garanti par la force publique.

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il y a 44 minutes, PABerryer a dit :

Certes avec des épisodes parfois violent mais d'abord en utilisant l'arme juridique.

 

Et qu'est-ce qui garanti en dernière instance que la loi sera appliquée ? La violence publique ;). Comme l'écrit Julien Freund dans son maître-ouvrage, la loi n'a pas elle-même aucune puissance intrinsèque (en précisant que les juristes ont tendance à l'oublier ;)  ).

 

"Everything a government does rests on the use of force." (George Reisman, Capitalism – A treatise on economics, Ottawa, 1998 (1990 pour la première edition états-unienne), 1046 pages, p.21)

 

A vrai dire je ne suis pas d'accord avec Reisman: l'Etat n'utilise pas que la violence comme moyen d'obtenir de l'obéissance. Il s'ensuit que la politique ne se limite pas à faire des lois: la symbolique, le discours, le charisme personnel du dirigeant, la capacité à argumenter, ont aussi une importance. Mais le trait spécifique de l'Etat reste qu'il peut se faire obéir mieux et plus largement que n'importe quel autre groupe, parce que la peur de la mort est une passion très grande (Hobbes), et que l'Etat la détient davantage que nul autre. Il faudrait donc dire: Presque tout ce que fait le gouvernement repose sur la possibilité de recourir à la violence. Les gouvernés obéissent d'abord parce qu'ils savent que violer la loi implique de rencontrer les forces de l'ordre. Cela peut-être intériorisé et à peine conscient, toujours est-il que beaucoup agiraient assez différemment sans la peur du gendarme.

 

Sinon je suis d'accord (et les travaux de Norbert Elias montrent admirablement) que l'Etat moderne a été pacificateur, en ce sens qu'il a réussi une meilleure monopolisation de la violence et/ou de la violence légitime que l'Etat féodal. Mais cette tendance est incluse dans la définition que j'ai donné.

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Il y a 21 heures, Johnathan R. Razorback a dit :

2): Vu que la transgression présuppose la Loi -comme dirait Paul de Tarse, je crois- l'Etat ne peut pas être une mafia ;)

étant donné que, une fois la loi promulguée, l'état en est le premier violeur, l'état est bien une mafia (ou bande de malfaiteurs) si tu préfères.

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il y a 5 minutes, Rübezahl a dit :

étant donné que, une fois la loi promulguée, l'état en est le premier violeur, l'état est bien une mafia (ou bande de malfaiteurs) si tu préfères.

 

J'étais sûr que tu allais faire une remarque moralisante de ce genre. Malfaiteurs si tu veux ; toujours est-il que conceptuellement, l'Etat n'est pas une mafia, parce que la mafia présuppose l'existence d'un Etat et de ses lois (puisqu'elle les viole): https://fr.wikipedia.org/wiki/Mafia

 

La mafia est par définition occulte. L'Etat est tout ce qu'on voudrait, sauf occulte. Il est par définition du côté du public.

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il y a 29 minutes, Rübezahl a dit :

Quand tu possèdes la force supérieure, tu n'a plus aucune raison de te soumettre à quoi que ce soit (de ton plein gré).

 

Ah bon ? Quand quelqu'un t'énerves et que tu sais plus fort que lui, tu lui en colles une direct ? Tu n'es jamais arrêté par quelque chose comme la moralité et/ou la rationalité ?

 

Ce qui est valable des relations inter-individuelles n'a aucun raison d'être impossible s'agissant des relations entre groupes (ici, entre l'Etat et la société). Rien n'interdit a priori à l'Etat d'être moral. Historiquement, on le voit l'être plus ou moins, avec des variations extrêmement larges.

 

On peut néanmoins penser que l'Etat étant un groupe, et un groupe très vaste, son degré de moralité est la résultante de la moyenne de ses membres, ce qui l'écarte des positions extrêmes. Il n'y a peut-être jamais eu d'Etat exemplaire, mais un Etat serial killer, complètement psychopathe n'existe pas non plus vraiment (bien que le type totalitaire s'en approche). Alors qu'il existe des individus complètement fous et qui tue sans discriminations.

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il y a 16 minutes, Johnathan R. Razorback a dit :

mais un Etat serial killer, complètement psychopathe n'existe pas non plus vraiment

ensevelir la population française sous des couches innombrables de lois, de taxes, etc

pour maintenir la population soit dans le chomage, soit dans les allocs,

contraindre à fuir, chaque année les individus plus productifs.

Perso, j'appelle bien ça psychopathe.

immatriculer les vélos, j'appelle bien ça psychopathe.

 

(J'ai des idées pour les soigner).

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il y a 50 minutes, PABerryer a dit :

C'est confondre la définition de l'Etat, ce qu'il est sensé être, et sa version corrompue que nous connaissons. Ce qui manque est la nécessaire soumission de l'Etat actuel à l'état de droit.

 

C’est un peu comme juger le communisme sur sa version corrompue plutôt que sur ce qu’il est sensé être : la société d’abondance et la disparition des classes.

  • Yea 1
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il y a 37 minutes, Johnathan R. Razorback a dit :

Ah bon ? Quand quelqu'un t'énerves et que tu sais plus fort que lui, tu lui en colles une direct ? Tu n'es jamais arrêté par quelque chose comme la moralité et/ou la rationalité ?

dans ces cas là, j'applique (comme tout le monde) un principe d'économie (plus que moralité, car des fois les baffes seraient méritées) et je ne fais juste rien (ce qui ne signifie en rien se soumettre).

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  • 1 month later...

Je viens de lire l'article d'Alex Nowrasteh: https://www.contrepoints.org/2018/11/07/329633-du-nationalisme-et-de-ses-consequences-sur-la-liberte

 

Il n'a pas tout à fait tort de dire que "l’essentiel de la recherche sur le nationalisme est lamentable" ; néanmoins, travaillant moi-même sur la question avec des recherches françaises,on ne peut plus dire qu' "il n’y a pratiquement aucune tentative de le distinguer du patriotisme." Car nous possédons désormais l'essai de Michel Lacroix sur la nature de cette distinction: http://oratio-obscura.blogspot.com/2018/08/penser-le-patriotisme-avec-michel.html

 

Ensuite il présente la typologie du nationalisme de Carlton J.H. Hayes.

Elle me semble très mauvaise. Il me semble par exemple que le dimension "humanitaire" se retrouve aussi bien chez les jacobins que dans le mouvement libéral du XIXème siècle, voire au-delà. Je ne vois du reste pas comment on peut parler d'un "nationalisme jacobin" et ne pas mettre Rousseau aux origines d'un tel courant.

Parler de "nationalisme libéral" me semble très malheureux (autant que socialisme libéral), même si je vois effectivement le genre de réalité que cette appellation désigne. Mais il vaudrait mieux parler de conception libérale de la nation, ce qui n'est pas un courant politique.

Il y a certainement des formes très répandues de "nationalisme traditionaliste" (ou réactionnaire), mais je doute qu'on puisse mettre Burke (qui est un conservateur) sous cette appellation, et certainement pas Metternich. La "nation" n'est absolument pas un référent positif du cadre mental de ce dernier, c'est au contraire ce dont il s'agissait d'empêcher l'avènement par des politiques dynastiques, impériales, absolument pas nationales.

Enfin l’appellation de "nationalisme intégral" me semble très ambiguë puisque c'est bien évidemment l’appellation que l'Action française (royaliste) se donnait à elle-même, alors que les caractéristiques de la catégorie correspondent plutôt au fascisme, voire au national-socialisme (et ces 3 choses ont certes des points communs mais ne sont pas interchangeables).

 

Je pense personnellement qu'il n'y a qu'un seul nationalisme digne de ce nom, c'est celui que Winock qualifie de "nationalisme fermé":

 

 

"Nous avons insisté sur les deux types types que la France a connus: le nationalisme ouvert, issu de la philosophie optimiste des Lumières et des souvenirs de la Révolution (celui de Michelet, mais aussi celui du général de Gaulle), et le nationalisme fermé, fondé sur une vision pessimiste de l'évolution historique, l'idée prévalente de la décadence et l'obsession de protéger, fortifier, immuniser l'identité collective contre tous les agents de corruption, vrais ou supposés, la menaçant." (p.7)

 

"Le nationalisme républicain, dès les origines, déclarait la paix au monde, mais se tenait prêt à affronter les tyrans, les armes à la main. L'amour révolutionnaire du genre humain ne se confondait nullement avec le pacifisme: la patrie en danger, la levée en masse, les soldats de l'An II (chantés par Victor Hugo), les paroles mêmes de La Marseillaise, autant de souvenirs et de mots martiaux qui s'attachent à la mémoire révolutionnaire, et qui se nourrissent aussi bien de l'imagination populaire que des doctrines de la gauche française.
La Commune de Paris, qui se dresse en mars 1871 contre le gouvernement des "ruraux", a été largement due à la frustration patriotique éprouvée par les républicains et les révolutionnaires de la capitale, pendant et à l'issue du siège de Paris. C'était alors l'extrême gauche -jacobine, blanquiste, voire socialiste- qui faisait montre de "nationalisme", contre un gouvernement réputé avoir failli à sa mission de défense nationale.
" (p.14-15)

 

"Moment de rupture: le boulangisme annonçait un nouveau nationalisme, celui-là d'opposition et de droite." (p.16)

 

"Le nationalisme conservateur, invariablement pessimiste, joue dans une chapelle ardente aux dimensions hexagonales le grand air de la décadence. La France est menacée de mort, minée de l'intérieur, à la fois par ses institutions parlementaires, par les bouleversements économiques et sociaux (où l'on dénonce toujours "la main du Juif"), la dégradation de l'ancienne société, la ruine de la famille, la déchristianisation... Toutes tendances confondues, ce nationalisme mortuaire en appelle à une résurrection: restauration de l'autorité étatique, renforcement de l'Armée, protection des anciennes mœurs, dissolution des facteurs de division... [...] A côté des crispations d'une France vaincue -celle qui, au fond, n'a jamais accepté le régime républicain issu de la Révolution-, on ne doit pas oublier les colères d'une France déçue -celle d'un peuple qui prête d'autant plus l'oreille à ses nouveaux tribuns qu'il n'a rien reçu de cette République, trop bourgeoise, dans laquelle il avait placé tant d'espérance. C'est la conjonction de la France vaincue et de la France déçue qui donne son sens au propos de Péguy que nous rappelions plus haut: oui, le nationalisme était devenu un mouvement profond, un mouvement de masse." (p.22)
 

"Il me semble que la France a connu un nationalisme ouvert et un nationalisme fermé. Nationalisme ouvert: celui d'une nation, pénétrée d'une mission civilisatrice, s'auto-admirant pour ses vertus et ses héros, oubliant volontiers ses défauts, mais généreuse, hospitalière, solidaire des autres nations en formation, défenseur des opprimés, hissant le drapeau de la liberté et de l'indépendance pour tous les peuples du monde. Ce nationalisme-là, on en retrouve l'esprit et l'enthousiasme jusque dans l’œuvre coloniale. Aux yeux d'un Jaurès, adversaire de l'impérialisme, la colonisation française n'était pas perverse en soi: elle contribuait à civiliser, elle était une étape du progrès humain, pourvu qu'elle soit convaincue de ce devoir. De cette conviction, on retrouve la trace dans le nationalisme de certains officiers attachés à défendre coûte que coûte l'Algérie française. Les choses ne sont pas si simples, et il faut se garder, ici comme ailleurs, des dichotomies trop faciles. A un Michelet républicain, on pourrait sans mal opposer un Michelet anti-moderne, réactionnaire ; un Barrès, inspirateur des écrivains fascistes, a pu être lu par des résistants comme une leçon d'énergie nécessaire à la lutte antifasciste ; de Péguy, à la même époque, on tirait un enseignement réactionnaire et maréchaliste, ici, et un encouragement contre le pétainisme, ailleurs ; aussi bien, le culte des mêmes héros se pratiquait chez les militants de la Révolution nationale et dans les maquis: Jeanne d'Arc en sait quelque chose. Le corpus traditionaliste et le corpus jacobin ont parfois produit conjointement ce nationalisme ouvert. Nationalisme néanmoins, et pas simple patriotisme: celui-ci se définirait comme l'attachement naturel à la terre de ses pères (étymologiquement), tandis que celui-là fait de sa propre nation une valeur suprême, moyennant un légendaire éloigné, peu ou prou, des réalités historiques. Nationalisme, oui. Mais ouvert aux autres peuples, aux autres races, aux autres nations -et point crispé sur "la France seule".
Un autre nationalisme (celui de "la France aux Français") resurgit périodiquement, au moment des grandes crises: crise économique, crise des institutions, crise intellectuelle et morale... Boulangisme, affaire Dreyfus, crise des années trente, décolonisation, dépression économique, notre histoire retentit de ces périodes et de ces événements dramatiques au cours desquels un nationalisme fermé présente ses successifs avatars comme un remède. Un nationalisme clos, apeuré, exclusif, définissant la nation par l'élimination des intrus: Juifs, immigrés, révolutionnaires ; une paranoïa collective, nourrie des obsessions de la décadence et du complot. Une focalisation sur l'essence française, chaque fois réinventée au gré des modes et des découvertes scientifiques, qui font varier l'influence gauloise et l'influence germanique, l'apport du Nord et l'apport de la Méditerranée, le chant des barbes et les vers des troubadours. Ce nationalisme-là est vécu comme la passion de l'or chez le père Grandet: c'est un trésor à protéger contre tous ceux -innombrables- qui le convoitent. Un nationalisme qui, au lieu de représenter la nation, n'est plus que l'expression d'un clan décidé à en finir avec les institutions démocratiques et à nettoyer la France de ce qui a fait sa diversité, sa richesse. On peut lire dans les expressions successives de ce nationalisme obsidional les résistances aux manifestations successives de la modernité: la peur de la liberté, la peur de la civilisation urbaine, la peur de l'affrontement avec l'Autre sous toutes ses formes
." (p.36-37)



-Michel Winock, Nationalisme, antisémitisme et fascisme en France, Éditions du Seuil, coll. Points Histoire, 2014, 506 pages.


"Le nationalisme s'affirme contre la société ouverte, celle qu'ont permise la révolution industrielle et la victoire du libéralisme." (p.206)


-Michel Winock, Le XXème siècle idéologique et politique, Éditions Perrin, coll. Tempus, 2009, 540 pages.
 

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Il y a 1 heure, Johnathan R. Razorback a dit :

Parler de "nationalisme libéral" me semble très malheureux (autant que socialisme libéral), même si je vois effectivement le genre de réalité que cette appellation désigne. Mais il vaudrait mieux parler de conception libérale de la nation, ce qui n'est pas un courant politique.

 

 

https://fr.wikipedia.org/wiki/Parti_national-libéral_(Allemagne)

https://fr.wikipedia.org/wiki/National-libéralisme

 

Le nationalisme libéral me semble bien exister mais être une spécificité des pays éclatés (comme l'Allemagne du XIXème) -> par exemple, en Allemagne, les nationaux libéraux voulaient conduire le peuple allemand à son unité.

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il y a 25 minutes, Ultimex a dit :

les nationaux libéraux voulaient conduire le peuple allemand à son unité.

 

Oui, on retombe sur une autre ambiguïté du terme de nationalisme. Quand on parle de "mouvement des nationalités", il vaudrait mieux parler d' "indépendantisme" ou (mais le terme est barbare), de nationisme.

 

Conceptuellement parlant, le libéralisme peut parfaitement se coupler avec ce "nationalisme" là. Mais on voit bien que ça n'entre pas dans l'essence du libéralisme vu que c'est une forme politique et pas un contenu politique.

 

Sur le plan historique, ce que j'ai appris jusqu'ici des "nationaux-libéraux" allemands me fait franchement douter qu'ils fussent libéraux. On retombe à mon avis sur la confusion fin/moyen qui pousse à définir le libéralisme comme un constitutionnalisme.

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Il y a 7 heures, Johnathan R. Razorback a dit :

Il n'a pas tout à fait tort de dire que "l’essentiel de la recherche sur le nationalisme est lamentable" ; néanmoins, travaillant moi-même sur la question avec des recherches françaises,on ne peut plus dire qu' "il n’y a pratiquement aucune tentative de le distinguer du patriotisme." Car nous possédons désormais l'essai de Michel Lacroix sur la nature de cette distinction: http://oratio-obscura.blogspot.com/2018/08/penser-le-patriotisme-avec-michel.html

Nowrasteh travaille aux USA, et je doute que le livre que tu mentionnes soit traduit en anglais (sinon, c'est vraiment un bon livre ?).

 

Il y a 7 heures, Johnathan R. Razorback a dit :

Ensuite il présente la typologie du nationalisme de Carlton J.H. Hayes.

Elle me semble très mauvaise. Il me semble par exemple que le dimension "humanitaire" se retrouve aussi bien chez les jacobins que dans le mouvement libéral du XIXème siècle, voire au-delà. Je ne vois du reste pas comment on peut parler d'un "nationalisme jacobin" et ne pas mettre Rousseau aux origines d'un tel courant.

Parler de "nationalisme libéral" me semble très malheureux (autant que socialisme libéral), même si je vois effectivement le genre de réalité que cette appellation désigne. Mais il vaudrait mieux parler de conception libérale de la nation, ce qui n'est pas un courant politique.

Il y a certainement des formes très répandues de "nationalisme traditionaliste" (ou réactionnaire), mais je doute qu'on puisse mettre Burke (qui est un conservateur) sous cette appellation, et certainement pas Metternich. La "nation" n'est absolument pas un référent positif du cadre mental de ce dernier, c'est au contraire ce dont il s'agissait d'empêcher l'avènement par des politiques dynastiques, impériales, absolument pas nationales.

Je ne sais pas si tu as remarqué, mais dans cette typologie, chaque vague de nationalisme vient en réaction (assez violente) avec la précédente. Le nationalisme jacobin vient en tentant de combiner le "nationalisme naturaliste" de Rousseau, fondamentalement local, avec l'universalisme rationaliste des Lumières (une fusion qu'avait déjà ébauché Rousseau lui-même, mais il n'en est plus à une névrose près, le pauvre). Du coup, le nationalisme jacobin se trouve à la fois rousseauiste et anti-rousseauiste, alors que la vague précédente est plus purement ou plus typiquement rousseauiste.

 

Je suis aussi sceptique pour ce qui est de classer Burke comme nationaliste. Quant à Metternich... le problème, c'est qu'en anglais "nation" désigne à la fois une nation-peuple (comme en français) et un corps politique, possiblement souverain sur plusieurs nationalités. Je ne doute pas que Metternich ait eu pour politique la domination des nations au premier sens du terme par la nation au deuxième sens.

 

Concernant le nationalisme libéral, c'est tentant d'en trouver encore quelques échos en France dans la Fédération Républicaine ; mais l'idée essentielle, c'est que c'est la tonalité générale des révolution de 1848 partout en Europe.

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Il y a 1 heure, Rincevent a dit :

(sinon, c'est vraiment un bon livre ?).

 

Il y a un gros tiers qui rassemble à quelque chose comme une mise à jour intelligente du "roman national" façon 3ème République. Perso j'aime bien mais le ton comme le contenu ont quelque chose d'invinciblement adressé à des écoliers -et je me doute que ça puisse agacer.

 

La partie essentielle ce sont bien évidemment les questions posées et le travail sur les concepts. Ce n'est pas absolument parfait -je fais d'ailleurs une ou deux critiques dans mon billet- mais je connais pas d'ouvrage qui traiterait du même sujet. J'ai lu Benedict Anderson et quelques autres, eux ils s'occupent d'expliquer que le sentiment national est une création historique. Ce qui en un sens n'est pas faux mais ça ne nous dit pas ce que c'est. Lacroix, oui.

 

Une limite dont je ne sais plus si j'ai parlé dans mon billet, c'est qu'il ne traite pas de la rationalité ou de la non-rationalité du patriotisme. Normativement on voit bien qu'il le défend, mais philosophiquement ça n'est pas abouti. Mais d'un autre côté le seul moyen de le faire serait de réinsérer le patriotisme parmi tous l'ensemble des valeurs morales, et visiblement il n'avait pas envie d'écrire un traité de morale.

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  • 4 months later...

L'article du jour de @F. mas m'inspire pas mal de réflexions sur (entre autres) l'articulation de la morale et de la politique que je n'ai hélas pas le temps de mettre par écrit.

 

Mais en remontant les chaînes de présuppositions je me dis qu'on ne peut pas éclaircir le sujet sans une réflexion préalable sur la relation du bien privé et du bien public, sujet tout à fait sous-travaillé (ou alors je n'ai pas eu le bonheur de tomber sur les bons textes). L'appellation même de bien public est soumise à variation significative: on parle de bien commun, d’intérêt général... Je préfères toutefois la première appellation qui n'a ni connotations théologiques ou rousseauistes, ni niveau d'application distinct.

 

Par bien public j'entends le bien de la Cité ou de la communauté politique. Mais ça pose tout de suite de le problème de savoir s'il existe un pareil bien distinct (et distinct jusqu'à quel point ?) du bien des individus qui composent ladite cité. J'ai essayé d'imaginer la gamme des positions théoriques possible sur la question, en allant des plus "privatistes" (désolé pour le néologisme barbare) jusqu'aux plus "publicistes":

 

Niveau 1: Le bien public n'est qu'un aspect du bien privé ; à proprement parler, il n'existe pas. Il n'y a que des biens privés, parler de bien public ne renvoie à rien sinon à la somme des biens individuels.

 

Il me semble que cette position pourrait être attribué à Mandeville. Certes, le sous titre de La Fable des abeilles indique que les vices privés font le bien public. Mais il semble que ce bien ne soit que purement nominal, en réalité, la libération des vices favorisent le bonheur des individus particuliers et rien de plus. Il vaudrait alors mieux dire que les vices servent l'intérêt individuel. Mais ce ne serait alors plus des vices, le vice étant par définition un comportement qui me nuit à moi-même. Bref.

 

Une variante serait proche de la position de Thrasymaque: le bien public n'est qu'un nom qui masque la poursuite de son égoïsme par l'élite au pouvoir.

 

Niveau 2: Il existe des biens privés et un bien public, mais le bien public n'est un bien qu'en tant qu'il permet la réalisation des biens individuels. Le bien du tout est subordonné au bien des parties.

 

C'est la position que je pense défendre et elle doit être sous-jacente à un certain nombre de classiques libéraux de philosophie politique.

 

Niveau 3: Le(s) bien(s) privé(s) et le bien public existent mais n'ont aucun relation de surbordination au point de vue moral.

Variante: ils existent tous les deux mais ont une importance morale égale.

 

Niveau 4: Le(s) bien(s) privé(s) et le bien public existent mais le bien public prédomine sur le(s) bien(s) privé(s), car le tout est moralement supérieur aux parties qui le composent.

C'est en gros la position d'Aristote et de Thomas d'Aquin. Probablement aussi de Rousseau et d'Arendt.

 

Niveau 5: Le bien privé n'est qu'une illusion, seul le bien public existe. L'individu n'existe qu'au profit de la collectivité à laquelle il doit tout.

 

Position holiste forte qu'on trouve dans la rhétorique totalitaire, mais aussi dans les doctrines de la Raison d'Etat et dans le conservatisme contre-révolutionnaire:

 

« Maistre a à peu près la même attitude en considérant l'homme comme le rouage d'une machine [...] Si la société est tout, la loi est un absolu. Maistre n'hésite d'ailleurs pas à défendre l'indéfendable. La loi a toujours raison: si la loi punit de mort le vol d'un domestique, "il est coupable suivant la loi ; il est jugé suivant la loi ; il est envoyé à la mort selon la loi ; on ne lui fait aucun tort". La loi est absolutisée. Qu'elle puisse être bonne ou mauvaise n'intéresse pas Maistre. Aucun critère du bien ou du mal ne peut venir modifier la perception que l'on en a ou l'obéissance qu'on lui doit. Les réactionnaires se comportent bel et bien comme des modernes. Maurras ni aucun membre de l'Action française ne s'en est offusqué, ni même ne l'a relevé. »

-François Huguenin, L'Action française. Une histoire intellectuelle, Perrin, coll. Tempus, 2011 (1998 pour la première édition), 686 pages, p.102.

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  • 4 weeks later...
  • 1 month later...

Je viens de relire l'article Wikiberal consacré au constructivisme (politique), et, comme me le faisait remarquer une amie, cette notion semble jusqu'ici assez bancale.

 

On n'a pas défini une manière générale de concevoir la politique antithétique du libéralisme lorsqu'on a dit que le constructivisme est la "volonté de construire un certain type de société". Les libéraux aussi veulent parvenir à réaliser un certain type de société, la société libre. Bien sûr, les libéraux ne savent qu'à un niveau assez abstrait à quoi ressemblera une société libre effective / particulière. C'est un idéal qui comporte une réelle plasticité / indétermination. Mais c'est tout de même la volonté de créer un certain type de société. Si on dit que la différence est dans le degré de planification ou de détermination du résultat, alors il n'y a pas d'opposition absolue entre libéralisme et constructivisme. Bref, ce n'est pas clair.

 

On peut lire dans le même article que le constructivisme est, comme tout modèle, inapte à s'adapter à la "complexité humaine". Ce qui revient à réfuter le modèle libéral aussi, etc.

 

On peut lire aussi une phrase de Salin selon laquelle le constructiviste serait celui qui prétend "conduire [la société] comme on le ferait d'une quelconque machine". Une métaphore pas spécialement éclairante, car si le constructiviste croyait vraiment avoir affaire à des objets inanimés, son recours à la coercition politique serait absurde, n'est-ce-pas ?

Ce n'est pas non plus faute de savoir que maintes théories politiques parfaitement antilibérales pensent la société sur le modèle d'un organisme vivant, et pas du tout suivant un modèle mécanique / inerte.

 

Dire-t-on alors que le constructiviste veut contrôler la vie des autres, tandis que le libéral ne le voudrait pas ? Mais c'est au mieux très imprécis. Le libéral aussi veut contrôler la vie des autres, dans une certaine mesure. Il souhaite vivre dans une univers social doué d'une certaine prévisibilité du fait de la "rule of law" ; il veut qu'autrui soit empêché par l'Etat de lui nuire dans sa personne et sa propriété, etc. Bref, cette définition n'est pas meilleure.

 

Faut-il alors abandonner la notion de constructivisme ? Ajoute-t-elle vraiment quelque chose à des concepts comme ceux de tyrannie, de perfectionnisme politique ou de violation du principe de non-agression ? Peut-on seulement en avancer une définition claire ?

 

Il me semble qu'il faudrait pour cela avancer une distinction entre le type de biens (au sens descriptif de ce qui est tenu pour un bien) que cherche à fournir le constructiviste, et ceux que poursuit le libéral. Sauf que là encore, la différence n'est pas évidente.

 

En première approximation, il semblerait que le libéral recherche un bien de nature "immatériel", en tout cas pas un bien concret, et que ce bien est la liberté. A l'inverse le constructiviste raisonne en général en termes de liberté positive (fournir du pouvoir, fournir de la richesse, fournir des services publics, etc etc). Mais tous les buts possibles d'une pensée politique constructiviste ne sont pas forcément "matériels". Par exemple, créer une société "libérée des préjugés" (suivant ce que les gauchistes culturels mettent dans la catégorie "préjugé-du-vieux-monde-à-liquider), n'est pas un bien "concret".

 

Je suis donc dubitatif vis-à-vis de la notion de constructivisme. Elle me semble au mieux obscure, au pire inutile.

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1 hour ago, Johnathan R. Razorback said:

Je viens de relire l'article Wikiberal consacré au constructivisme (politique), et, comme me le faisait remarquer une amie, cette notion semble jusqu'ici assez bancale.

 

On n'a pas défini une manière générale de concevoir la politique antithétique du libéralisme lorsqu'on a dit que le constructivisme est la "volonté de construire un certain type de société". Les libéraux aussi veulent parvenir à réaliser un certain type de société, la société libre.

 

Il suffisait de lire l'article jusqu'au bout :

Quote

L'état d'esprit constructiviste se reconnaît par deux critères :

  • une idéologie : le constructiviste a toujours ce qu'il pense être de très bonnes idées, qui peuvent avoir une certaine cohérence entre elles ;
  • la coercition : mais il veut imposer ses idées par la coercition, et non sur une base volontaire.

 

À la rigueur on pourrait argumenter qu'il y a du constructivisme impliqué (plus ou moins bien selon l'axe thin-thick) dans le libéralisme. Un peu comme le communisme dont d'aucuns diraient qu'il n'est pas coercitif par intention (mais il l'est certainement par conséquence).

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il y a 1 minute, Johnathan R. Razorback a dit :

Un propriétaire d'esclave peut employer la coercition en étant convaincu qu'il sait et fait le bien de son esclave. Ce n'est pas mener une politique constructiviste.

Ton énoncé est un peu incomplet ama.

 

-> Un propriétaire d'esclave peut employer la coercition en étant convaincu qu'il sait et fait le bien de son esclave, mieux que ce dernier.

 

Bref, d'une certaine façon, je trouve que ça revient à considérer les individus comme des individus dont les pensées propres ne comptent pas. (Puisqu'on n'en tient pas compte).

<=> considérer les individus comme du matériau avec lequel les esprits supérieurs vont bricoler,

<=> exactement comme un maçon intelligent avec des parpaings inertes.

 

Donc bref, je trouve aussi que le constructivisme commence dès qu'on substitue sa propre pensée/ses propres objectifs à ceux d'une autre personne, et que cette substitution est entièrement basée sur la coercition.

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Le terme de constructivisme ne fait-il pas (au moins en partie) référence à un phénomène historiquement situé, à savoir l'application du scientisme à la politique ? Si on le voit comme ça, ça circonscrit l'usage du terme à l'époque moderne et en particulier 19e-20e siècle. 

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