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Peine, au fondement


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(no pun intended)

Beware : wall of text. No "tl;dr". Only for the brave.

 

Pour élargir un peu la question de la peine de mort, sans faire de hors sujet. Je vois quatre justifications fondamentales pour les peines, quatre buts possibles :

 

A - faire du mal au coupable (lui rendre ce qu'il mérite, se venger)

B - faire du bien au coupable (le purifier, le guérir, le réhabiliter)

C - faire du bien à la victime (réparer le tort qu'elle a subi)

D - faire du bien à des tiers/à la société (se protéger en incapacitant et/ou en dissuadant les criminels potentiels)

 

Il est possible d'en prendre plusieurs, d'en refuser quelques uns, ou encore d'en subordonner certains à d'autres, mais la question n'est pas triviale, car ces différents principes ne justifient pas tous les mêmes types de peine. Typiquement, la mort est beaucoup plus facilement justifiable avec les approches A et D qu'avec B et C.

 

A- est l'approche de Aristote, Kant et Nietzsche, entre autre.

Aristote donne à la justice dans les punitions le même principe qu'à la justice dans les échanges, à savoir, l'égalité "arithmétique". On doit rendre un bien pour un bien, de même valeur, et un mal pour un mal. Mais ce principe est au moins bancal concernant les échanges, la valeur des choses n'est pas une quantité objective, c'est une qualité qui est classée, ordinalement (comme placé sur une échelle, et non pesé sur une balance), et subjectivement. Or, ce qui est (je crois) le bon principe d'un échange juste, à savoir, le respect du consentement de l'autre concernant sa personne et sa propriété, ne peut être appliqué ici, puisqu'une peine est nécessairement contrainte.

Kant lie la question "que dois-je faire ?" à "que puis-je espérer ?". Je dois respecter la loi morale, donc je peux espérer une juste rétribution pour mes actes. Concernant le devoir de vertu, intérieur, je dois pouvoir attendre une rétribution spirituelle, et concernant le devoir de droit, extérieur, une rétribution matérielle. Il faut donc faire du mal à ceux qui ont manqué à leurs devoirs de droit, car c'est la seule façon de véritablement les respecter, c'est à dire, de les considérer comme des sujets moraux.

Nietzsche peut être rangé ici, mais pour des raisons très différentes. Refusant tout principe moral transcendant, il considère que l'idée de justice n'est rien d'autre qu'une justification de notre désir de vengeance. D'abord on puni, ensuite on justifie. Les peines ne sont pas "justifiées" par Nietzsche, mais elles n'ont pour lui jamais d'autres but que de nuire à celui que l'on identifie comme coupable (et d'ailleurs, l'identité personnelle est elle aussi une invention servant uniquement à se donner quelqu'un à punir).

 

B- est typiquement l'approche de Platon. (restitution d'un argument dans le livre I de la République) Que la justice consiste à faire du mal serait contradictoire, puisque le mal est ce qu'il ne faut pas faire (par définition), que la justice est bonne, et que ce qui est bon est ce qu'il faut faire (idem). Que le coupable doive subir la punition signifie qu'elle est bonne pour lui, puisque ce qui est bon est ce qu'il faut faire. Il n'en est pas moins contraint de la subir, mais s'il a commis un crime, c'est qu'il n'est pas tout à fait rationnel, et qu'il ne sait donc pas ce qui est bon. Il faut donc le contraindre pour son bien. Platon pense la punition sur le modèle d'un cheval que l'on dresse, ou d'un enfant que l'on élève. Dans ces cas-ci, la punition a pour fin le perfectionnement de celui qui est puni.

C'est l'idée derrière les approches réhabilitatives actuellement de gauche. La réhabilitation peut aussi être justifiée par l'utilitarisme (tant qu'à faire du bien à la société en la protégeant, autant aussi faire du bien à ceux que l'on punit lorsque c'est possible), ou par une inversion de la culpabilité (le criminel est une victime du système), au risque de détruire toute responsabilité individuelle. Mais dans tous les cas, punir quelqu'un pour son bien suppose qu'il y ait un justicier qui connaisse mieux que ses semblables ce qui est bien pour eux, et qui puisse légitimement utiliser la force pour les aider. Accepter ça (c'est à dire, accepter qu'il y ait, entre les humains adultes sain d'esprit un distance comme celle entre un adulte et un enfant) c'est aussi accepter la légitimité de politiques paternalistes.

Et cette conception ne mène pas forcément à des gentilles punitions comme les prisons ouvertes à la scandinave. Sitôt que l'on admet que le coupable ne sait pas ce qui est bon pour lui (puisque l'on doit l'y contraindre), il devient tout à fait concevable que les pires peines soient pour son bien, car elles le purifient, lui permettent d'expier ses péchés, etc. Ce qui, s'il s'avère que ce n'est pas vraiment bon pour lui, et que le justicier n'est par parfait, est en fait d'une encore plus grande cruauté.

 

(Il est donc déplorable que l'on utilise le même mot, "punition", et pour ce qui convient à un enfant mal élevé, et pour ce qui convient à un criminel. Et remarquable que la mode scandinave, tout en encourageant la punition-réhabilitation, condamne la punition dans le cadre de l'éducation. Peut-être pour que l'on se considère tous également comme des enfants, face à l'état ?)

 

C- est l'approche dont je me contente. Je ne vois aucun auteur qui se limite strictement à celle-ci, si quelqu'un a des références...

Une peine n'est rien d'autre que la réparation d'un tort commis. Mon raisonnement :

Pour qu'il y ait la moindre justice dans la punition, il faut que celle-ci doive être infligée, mais aussi qu'elle doive être subie, car pour qu'il y ait justice, il faut qu'il y ait rapport entre des égaux qui reconnaissent mutuellement leurs responsabilités respectives. Or, devoir subir une peine sans aucune autre finalité que le désagrément me semble assez absurde. Je crois en outre (contrairement à Locke) que commettre une erreur ou un crime ne nous fait pas entièrement sortir du champ de la loi naturelle, c'est à dire des devoirs que l'on a les uns envers les autres. Ne serait-ce que parce qu'une erreur intellectuelle (ignorance, mauvais calcul, mauvaise interprétation) peut conduire à une erreur morale, et que notre entendement étant limité, nous n'avons jamais la certitude absolue de n'avoir rien fait de mal. "Avoir mal agit" ne signifie pas sortir du monde des normes, mais être face à une nouvelle norme particulière : celle de réparer son erreur. Et lorsque cette erreur morale est un tort fait à autrui, cet autrui peut tout à fait légitimement utiliser la force, si nécessaire, pour nous contraindre à cette réparation, et cette nécessité est possible car il est possible que l'on échoue à comprendre ce que l'on doit faire pour lui.

Bien sûr, même lorsque je suis en droit d'exiger réparation à l'autre, j'ai toujours des devoirs envers lui, et je n'ai pas un droit absolu sur sa personne pour me venger. Pour cette raison, si c'est possible, je dois me contenter d'exiger cette réparation sans avoir recours à la violence, en demandant gentiment. De plus, il aura droit de se défendre face à l'agression qu'est possiblement ma tentative d'obtenir réparation, même s'il devra de préférence lui aussi me demander gentiment d'aller me faire voire. Un combat ayant toujours des coûts élevés, que la discussion soit préférée à la violence n'est pas praxéologiquement impossible, même si ce n'est visiblement pas toujours le cas. Les moeurs, les armes de dissuasion, et l'accessibilité de services d'arbitrage, de médiation, de jurisprudence etc aident à ce que la voie douce soit choisie.

Le problème est que certain crimes sont de toute évidence irréparables (meurtre, torture, viol, etc). Mais c'est en fait toujours le cas. Si je vole une bicyclette, puis la restitue (sous la contrainte ou non) à son propriétaire, quels que soient les dédommagements que je paierai en plus, je ne pourrais jamais lui rendre ces instants précis au cours desquels il a été privé de sa bicyclette. Qui sait, peut-être que je l'ai privé de sa seule occasion de séduire la femme de sa vie grâce à cette bicyclette. La réparation est en fait toujours symbolique. Le symbole adéquat est celui soit sur lequel on tombe d'accord, soit auquel abouti un processus de délibération selon des principes et des règles sur lesquelles on s'est préalablement accordé.

 

D- est sans doute l'approche moderne la plus répandue. C'est celle de Hobbes, Spinoza, Locke, Beccaria, Bentham, etc

Nous avons tous besoin d'être protéger des potentiels crimes, et c'est ce que fait l'appareil punitif, en incapacitant (exil, séquestration, mort, etc) et en dissuadant les criminels. Faire du mal n'est pas une fin en soi (pour Spinoza, on doit punir un criminel sans état d'âme, tout comme on tue un chien enragé, pour notre sécurité). Faire du bien au coupable n'est pas exclue, quand c'est possible ce serait même de la cruauté de s'en priver, mais le but premier reste de protéger la société. C'est l'approche de Bentham, qui en réfléchissant à ce que serait la prison idéale cherchait la meilleure façon pour les coupables de protéger la société d'eux. Mais le but premier reste de les isoler, le reste est un bonus. Que la peine soit une réparation n'est pas strictement nécessaire non plus. C'est même rarement le cas au niveau criminel/pénal. Je vois plusieurs problèmes à cette approche.

D'abord, ce n'est jamais les crimes déjà commis que l'on dissuade ou dont on rend le coupable incapable. Ils sont déjà fait... On ne peut dissuader/rendre incapable que de crimes qui n'ont pas encore été commis. Le criminel n'est donc jamais punit pour ses crimes passés, mais seulement pour les crimes qu'il aurait supposément commis à l'avenir s'il n'avait pas été puni, et pour les crimes que d'autres que lui auraient commis s'ils n'en avaient pas été dissuadés. Or, ceux qui ont commis des crimes ne vont pas nécessairement récidiver, et il n'est pas forcément utile à la sécurité de qui que ce soit de les incapaciter. De plus, on peut décemment soupçonner quelqu'un de risquer de commettre un crime alors qu'il est encore innocent, il faudra alors l'incapaciter préventivement. Quant à la prévention, pour être efficace, il est inutile que les vrais coupables soient sanctionnées. Il suffit que la population croit généralement que 1) ceux qui sont coupables sont généralement punis et 2) ceux qui sont punis sont généralement coupables. Pour ce faire, il peut être beaucoup plus efficace de garder caché les coupables non punis, et de persuader le public que des innocents punis étaient coupables. Des procès soviétiques d'auto-critique et un état de connivence avec la mafia sont donc tout à fait approprié à ce principe de punition.

De plus, étant donné que contrairement au principe de réparation, ce principe ne repose pas sur un devoir de subir la punition de la part du coupable, cette approche, si on se contente d'elle, rend tout à fait légitime de tenter de s'échapper à la justice (au moins du point de vue du coupable). C'est ce à quoi en était arrivé Hobbes, jugeant qu'il y a un droit à fuir la justice.

 

Ma position est que la réparation est le seul fondement acceptable pour une peine. Et s'il faut une vengeance pour la victime, une purification pour le coupable, et une protection pour les autres, rien d'autre que la réparation ne pourra légitimement avoir ce rôle.

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il y a une heure, Mégille a dit :

Il est possible d'en prendre plusieurs, d'en refuser quelques uns, ou encore d'en subordonner certains à d'autres, mais la question n'est pas triviale, car ces différents principes ne justifient pas tous les mêmes types de peine.

 

Je ne trouve pas que ce soit un wall of text.

 

Tu n'évoques pas le cas où on défendrait comme légitimes ces 4 finalités en même temps. C'est la position que je trouve intuitivement juste (je n'ai jamais trop réfléchi à la justice pénale mais je ne trouve pas que ce soit contradictoire) -à ceci près que A n'est légitime que parce que c'est un moyen pour accomplir C et D (voir même B). Faire souffrir pour faire souffrir n'est que du sadisme.

 

Je dirais aussi que D est la seule finalité qui légitime toutes les peines (finalité universelle de la peine). On peut toujours imaginer le cas d'un terroriste fanatique tueur en série, condamné à perpétuité, dont la peine ne va vraisemblablement pas améliorer la qualité morale (et même si elle le fait il ne serait jamais remis dans un contexte propice à l'exercice d'éventuelles vertus, donc on ne le saura pas). Par ailleurs ses victimes sont mortes, il n'y a pas de réparations possibles. Mais sa peine n'est pas arbitraire puisqu'elle réalise D.

Ceci n'implique à mon avis aucune subordination de C par rapport à D (du bien individuel envers le bien public). Les deux finalités sont justes et autonomes. Toutes les deux sont favorables à la recherche individuelle du bonheur, et donc au bonheur de tous.

 

Tu notes toi-même qu'il n'est pas toujours possible de réaliser C. On ne peut donc pas légitimer la peine judiciaire sur cette unique base ;)

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Alors si je ne m'abuse on touche avec le point C à la distinction entre droit civil et pénal.

 

Voir par exemple Wikibéral :

Quote

https://www.wikiberal.org/index.php?title=Droit_pénal

Le droit pénal est une branche du droit qui codifie la réaction de la société contre des comportements estimés « antisociaux » : des peines sanctionnent certains actes qui sont considérés comme des « infractions » ou des « crimes ». La liste des actes ainsi pénalisés comprend, entre autres, le vol et le meurtre, mais d’une société ou d’une culture à l’autre les incriminations et les peines sont très variables.

[...]

La plupart des libéraux estiment justifiée la punition de certains actes, outre la réparation (qui est de l’ordre du droit civil, puisque la responsabilité du coupable est engagée). Ainsi Grotius dans le De Jure belli ac pacis : « il est permis sans injustice de faire souffrir qui a fait du mal ». Les articles 8 et 9 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen (d'inspiration libérale) fournissent le cadre légal propre au droit pénal : proportionnalité des peines, présomption d'innocence.

Le fondement de la punition est la dissuasion : réparer le préjudice n’est pas suffisant, il faut de plus dissuader le coupable de commettre de nouveau un acte immoral (si la société se limitait à contraindre le voleur à restituer le produit de son vol, le métier de voleur deviendrait sans risque, et chacun aurait tout à gagner à devenir voleur).

[...]

D'autres fondements de la punition sont les suivants :

  • la vengeance : historiquement la peine est d’abord vengeance privée (encadrée par des règles telles que la loi du Talion, le Wergeld germanique, etc.), avant d'être intégrée dans le droit pénal ; les peines corporelles ont disparu (tout du moins en Occident) ;
  • le caractère expiatoire, qui permet au coupable d'être lavé de sa faute une fois la punition subie.

Ces fondements sont souvent contestés : ainsi, beaucoup doutent que la dissuasion ait l'effet escompté. La peine de mort ("ni utile ni nécessaire", d'après Cesare Beccaria) ne diminue pas le nombre d'assassins, au contraire, elle les rend sans doute plus impitoyables, car prêts à tout pour écarter la perspective du châtiment.

[...]

Plusieurs pistes ont été ouvertes par les libertariens, sans qu’un consensus ait pu encore être dégagé. La « loi du Talion » a inspiré la plupart des théoriciens. On peut se faire justice soi-même, mais par commodité et pour éviter des cycles de violence permanents il est admis que les individus confieront ces tâches à des agences de police privées et à des tribunaux privés. La dissuasion comme justification de la punition est contestée car c’est un principe utilitariste, alors que pour les libéraux non libertariens elle constitue le plus souvent la seule raison qui justifie qu'on punisse au-delà de la simple réparation.

Le critère du consentement est essentiel, alors que dans le droit positif il est subsidiaire. Ainsi, une affaire de cannibalisme consenti (telle que celle de Armin Meiwes en Allemagne) ne donnerait en principe pas lieu à des poursuites d'un point de vue libertarien.

Murray Rothbard, dans l’Éthique de la Liberté, consacre un chapitre à «  La proportionnalité des peines ». D’après le principe de la proportionnalité des peines, l’auteur de l’infraction perd ses droits dans la mesure même où il prive autrui des siens. Outre la réparation, quand elle est possible (restitution du produit d’un vol, remboursement de dégâts causés), le coupable encourt une peine maximale équivalente au préjudice causé (loi dite du « double talion », en réalité loi du Talion stricte si on laisse de côté la réparation), le plaignant ou ses ayant droits n’étant cependant pas tenus d’exiger la peine maximum. La peine de mort contre un meurtrier est possible, puisque ce dernier a perdu son droit à la vie. Seule la victime ou ses ayants droit décident de la « punition », et non un tribunal prétendant statuer « au nom de la société ». Le cas de meurtre d’une personne sans ayant droit peut être réglé de différentes façons (testament prévoyant ce cas, assurance contre le crime, etc).

Un des points superficiellement traités par Rothbard est celui de l’intentionnalité. Rothbard, exigeant un critère objectif, ne tient pas compte de l’intention qui préside à l’acte, élément subjectif qu’il est parfois impossible de connaître, et qui pour lui est davantage du ressort de l’éthique que du droit. Il semble donc que de son point de vue un homicide involontaire doive être traité de la même façon qu’un homicide volontaire, puisque le résultat objectif est le même : la mort d’un être humain.

Christian Michel conteste l’idée même de punition ainsi que l’idée rothbardienne de déchéance des droits du coupable. Il s’en tient à la stricte réparation du préjudice, comme seule solution pour rétablir le statu quo ante et pour limiter le « niveau global de violence dans le monde » :

Le respect du droit de propriété et le principe de restitution constituent ce minimum que nous pouvons légitimement exiger des autres. Le châtiment appartient à une autre sphère métaphysique. Aucune personne humaine n’a le droit de punir.

Dans ce cadre, la punition peut subsister, mais comme sanction librement acceptée au sein d’une communauté (religieuse), et venant s’ajouter à l’indispensable réparation du préjudice. Le « droit pénal » est complètement évacué au profit du seul droit civil. Les mécanismes d’assurance peuvent permettre d’assurer une protection policière et judiciaire aux individus (ce qui règle entre autres le cas toujours embarrassant pour les libertariens du meurtre d’une personne sans ayant droit).

Bertrand Lemennicier adopte un point de vue très proche :

La compétition éliminera la distinction entre droit pénal et civil. C'est le changement le plus profond que l'on puisse attendre d'une privatisation de la justice comme de sa mise en compétition. On réparera les dommages sans faire de distinction entre l'acte volontaire ou involontaire. Car désormais c'est la victime qui demande réparation, ce n'est plus l'État ou la société, des entités fictives.

Selon Bertrand Lemennicier, le monopole étatique de la justice, présenté par les étatistes comme un "bien public", engendre, comme tout monopole, des dysfonctionnements, des injustices, une lenteur inacceptable, une centralisation bureaucratique, un service de mauvaise qualité, de la corruption, des privilèges injustifiés (magistrats qui n'ont pas de comptes à rendre et bénéficient d'une irresponsabilité institutionnelle, politiciens au-dessus des lois). Comme dans d'autres domaines, le marché peut pourvoir au besoin de justice par l'arbitrage privé.

Pour les libertariens utilitaristes comme David Friedman, différentes polices privées et différents tribunaux privés coexisteraient, avec des législations privées différentes, ce qui donnerait une offre très variable en matière pénale (l'ouvrage Vers une société sans État expose entre autres ce qui se passerait en ce qui concerne la peine de mort).

 

À noter qu'on en discute sur liborg depuis longtemps :

 

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Il y a 4 heures, Mégille a dit :

(no pun intended)

Beware : wall of text. No "tl;dr". Only for the brave.

I am brave.

 

Il y a 4 heures, Mégille a dit :

C- est l'approche dont je me contente. Je ne vois aucun auteur qui se limite strictement à celle-ci, si quelqu'un a des références...

Aristote. :)

 

Aristote est un philosophe que je classifierai en C, et non en A parce qu'il s'opposait explicitement à la loi du talion : "Quelques personnes s’imaginent que la loi du talion incarne purement et simplement la justice; les Pythagoriciens l’ont affirmé. Car, tout uniment, ils définissaient le juste : ce qu’on fait subir à autrui, après l’avoir subi de lui. Mais cette loi du talion ne s’accorde ni avec la justice distributive ni avec la justice corrective quoique l’on veuille invoquer ici la justice de Rhadamanthe : Quand on subit le tort qu’on a fait, c’est pure justice. Souvent pareille attitude est en désaccord avec le droit : par exemple, si un magistrat vous frappe, vous ne devez pas lui rendre des coups; par ailleurs, qu’une personne frappe un magistrat, elle mérite de recevoir, je ne dis pas seulement des coups, mais encore une punition supplémentaire. Ajoutons qu’il faut faire une grande différence entre la faute volontaire et involontaire. […] Mais, dans les relations et les échanges, ce droit de réciprocité maintient la société civile en se basant sur la proportion et non sur l’égalité. Cette réciprocité entre les rapports fait subsister la cité." Éthique à Nicomaque, livre V, §5

 

La loi du talion est égalité ; la réparation est proportionnalité. Ce qu'il appelle "justice corrective" est l'application du principe de réparation.

 

Il y a 4 heures, Mégille a dit :

D'abord, ce n'est jamais les crimes déjà commis que l'on dissuade ou dont on rend le coupable incapable. Ils sont déjà fait... On ne peut dissuader/rendre incapable que de crimes qui n'ont pas encore été commis. Le criminel n'est donc jamais punit pour ses crimes passés, mais seulement pour les crimes qu'il aurait supposément commis à l'avenir s'il n'avait pas été puni, et pour les crimes que d'autres que lui auraient commis s'ils n'en avaient pas été dissuadés. Or, ceux qui ont commis des crimes ne vont pas nécessairement récidiver, et il n'est pas forcément utile à la sécurité de qui que ce soit de les incapaciter.

Il y a une double dimension dans la peine d'emprisonnement : avant de prévenir les futurs crimes que tu pourrais potentiellement commettre, on te punit avant tout pour ce que tu as commis. Ce n'est pas pour rien que le sursis existe, je vois ça comme une forme de responsabilisation : on te fait confiance et on te met à l'épreuve pendant une période déterminée, et si tu récidives alors la peine qui flotte au-dessus de ta tête sera exécutée pour de bon.

 

Il y a 4 heures, Mégille a dit :

De plus, on peut décemment soupçonner quelqu'un de risquer de commettre un crime alors qu'il est encore innocent, il faudra alors l'incapaciter préventivement.

Mais dans ce cas on tombe dans la dérive sécuritaire.

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d'ailleurs, si le criminel est un agent rationnel comme le pense Becker, et qu'il effectue un calcul coût/bénéfice avant d'enfreindre la règle pénale, ne pourrait-on pas justement anticiper son calcul en durcissant la sanction, le dissuadant ainsi de commettre l'infraction ? on retombe dans une optique préventive de la peine. un système pénal préventif, c'est pourtant bien ce pour quoi plaide l'analyse économique du droit, non ? 

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Il y a 10 heures, poincaré a dit :

Ça dépend des infractions obviously.

 

Même s'il fait un calcul rationnel, il peut très bien sous-estimer le risque de se faire chopper. Auquel cas accroître la dureté de la peine est inefficace puisqu'elle ne lui apparaissait pas comme une probabilité suffisante au départ.

 

Alors que faire tourner en rond une patrouille de flics dans le coin peut être efficace, uniquement en rappelant que le risque existe.

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Il y a 4 heures, Johnathan R. Razorback a dit :

Même s'il fait un calcul rationnel, il peut très bien sous-estimer le risque de se faire chopper. Auquel cas accroître la dureté de la peine est inefficace puisqu'elle ne lui apparaissait pas comme une probabilité suffisante au départ.

 

Alors que faire tourner en rond une patrouille de flics dans le coin peut être efficace, uniquement en rappelant que le risque existe.

C'est efficace dans la mesure où il sera plus vigilant la prochaine fois et ça lui apprendra à mieux calculer avant de mépriser les règles. Quand on parle de petits délits, la dureté des peines a un effet dissuasif. Je n'ai pas l'étude sous la main mais c'est ce qui a été constaté dans le cadre de l'AED.

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Il y a 7 heures, poincaré a dit :

C'est efficace dans la mesure où il sera plus vigilant la prochaine fois et ça lui apprendra à mieux calculer avant de mépriser les règles. Quand on parle de petits délits, la dureté des peines a un effet dissuasif. Je n'ai pas l'étude sous la main mais c'est ce qui a été constaté dans le cadre de l'AED.

Je crois me souvenir que c'est plutôt la probabilité de se faire choper puis condamner qui est le facteur le plus dissuasif pour les petits délits. Mais si ta source montre le contraire, je veux bien voir.

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Il y a 14 heures, Rincevent a dit :

Je crois me souvenir que c'est plutôt la probabilité de se faire choper puis condamner qui est le facteur le plus dissuasif pour les petits délits. Mais si ta source montre le contraire, je veux bien voir.

Après recherche, je n'ai pas trouvé d'étude qui tranche avec certitude ; mais après réflexion, ça me semble effectivement le paramètre le plus déterminant.

 

Becker affirme, en gros, que l'augmentation de la probabilité d'être condamné ou l'augmentation de la durée de la peine va réduire l'utilité attendue par le criminel, et aurait donc tendance à réduire le nombre d'infractions parce que la probabilité de payer le plus "haut prix", ou le prix tout court, va elle-même augmenter (Crime and Punishment: An Economic Approach, p. 177)

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Je connais bien les bases de la théorie de la délinquance rationnelle, oui : pour un néoclassique, le délinquant en puissance tranche sa décision selon l'espérance attendue de son acte (i.e. bénéfice du larcin moins le produit de la peine encourue et des probabilités de se faire choper et condamner). Maintenant, la rationalité humaine est imparfaite, et le calcul est imparfait. Et ce que je disais, c'est que pour les petits délits, les probabilités de se faire choper et condamner pèsent davantage que le niveau de la peine encourue (ou bien, interprétation alternative mais convergente, le temps que le délinquant passe dans la procédure judiciaire elle-même a un coût à ses yeux, et donc le seul fait d'être chopé / condamné est coûteux et donc dissuasif).

 

On pourrait encore ajouter de nombreux autres raffinements, mais l'idée est là : le législateur tend à aggraver les peines par fainéantise (changer un nombre dans un code de lois, ça ne coûte pas grand chose), alors que c'est l'effectivité de la police et de la justice qui compte davantage, mais qui coûte beaucoup plus (parce que gourmande en moyens humains et organisationnels).

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Il y a 5 heures, Rincevent a dit :

Et ce que je disais, c'est que pour les petits délits, les probabilités de se faire choper et condamner pèsent davantage que le niveau de la peine encourue

Oui oui. Typiquement le fraudeur dans les transports en commun.

 

Maintenant, penses-tu qu'il faille supprimer les peines d'emprisonnement parce qu'elles seraient "incapacitantes" pour s'en tenir à une stricte condamnation-réparation ? Je n'ai pas encore franchi la barre positive sur l'échelle de conviction. Ce n'est pas pour les atteintes à la propriété que cela me gêne le plus, mais pour les atteintes aux personnes.

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Il y a 1 heure, poincaré a dit :

Maintenant, penses-tu qu'il faille supprimer les peines d'emprisonnement parce qu'elles seraient "incapacitantes" pour s'en tenir à une stricte condamnation-réparation ? Je n'ai pas encore franchi la barre positive sur l'échelle de conviction. Ce n'est pas pour les atteintes à la propriété que cela me gêne le plus, mais pour les atteintes aux personnes.

J'étais presque convaincu un temps de l'idée de remplacer la prison par des formes de compensation de type wergeld, mais certains cas me semblaient (très) insatisfaisants.

 

Et puis j'ai essayé d'enrichir ma perspective sur le sujet, et du point de vue sociobio, l'intérêt de la prison est évident. D'une part, on sort de prison avec un taux de testostérone plus bas (simplement parce qu'on a vieilli), donc avec un caractère plus calme et moins attiré par les activités risquées comne le crime. D'autre part, plus on passe de temps en prison, moins il reste de temps pour faire des enfants (et la grande tendance à la pacification des moeurs en Occident sur les derniers siècles a sans doute un lien avec le fait qu'on ait tout fait pour que les gens calmes puissent avoir une descendance, et pour que les plus agités en aient moins.

 

Il y a 1 heure, POE a dit :

Est ce que la délinquance peut être une façon rationnelle de gagner sa vie sur le long terme ?

Il y a des millions de gens qui font ça dans le monde. Mais c'est plutôt typique d'une vie de type "fast life history".

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Merci pour vous réponse ! Et désolé de ne pas avoir eu le temps de répondre.

 

Je maintiens ma position sur l'impossibilité de fonder entièrement la légitimité des peines sur D (la protection), car l'impératif de protection ne rend pas nécessaire de ne punir que des coupables (ni même de punir tous les coupables). Ca revient essentiellement à considérer qu'un bien collectif justifie la violation de droits individuels.

 

A propos de C (la réparation), je pense qu'il est possible de se contenter de lui, pour toutes les peines. Même pour les atteintes à la personnes, il y a toujours le wergeld à l'ancienne (ou pourquoi pas, la servitude). Que toute réparation soit par essence symbolique et ne soit jamais une annulation de ce qui a été fait place justement l' "irréparable" sur le même plan que le "réparable". Reste le cas délicat du meurtre. La victime n'étant plus là pour exiger réparation, ou pour en jouir, semble poser problème. Mais si on considère ce droit à la réparation comme librement cédable, comme un bien meuble, alors, ce droit peut très bien être hérité (soit par testament, soit par coutume). Il devient alors possible aux descendants de la victime de s'assurer que la punition ait lieu.

La possibilité de céder un droit à une réparation (et donc de le donner, ou le vendre, ou le faire hériter...) permettrait aussi aux plus faibles de s'assurer que justice leur soit faite en vendant ce droit à de plus puissant qu'eux. Il me semble que le droit en Islande libre marchait beaucoup comme ça.

 

Je soupçonne en outre les punitions qui ne sont pas des réparations d'avoir été inventés par des législateurs constructivistes dans le but de "dresser" la population. C'est assez clairement le cas à Athènes avec Dracon, à Rome avec la Loi des douze tables, et en Chine avec l'école fajia. Le but affiché a souvent été de mettre fin aux vendettas, qui sont évidemment absurdes, mais je ne suis pas convaincu du tout que la "justice" pénale ait été habituellement plus clémente que les vengeances privées.

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12 hours ago, Rincevent said:

D'autre part, plus on passe de temps en prison, moins il reste de temps pour faire des enfants

 

C'est à double tranchant, si le gars a déjà des enfants, ils grandissent sans père ce qui est l'un des facteurs dominants pour le risque de délinquance.

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Il y a 5 heures, Fagotto a dit :

C'est à double tranchant, si le gars a déjà des enfants, ils grandissent sans père ce qui est l'un des facteurs dominants pour le risque de délinquance.

C'est vrai, mais je pense que l'effet que tu décris est moins important que celui que je décris. On fait plutôt des enfants dans la période où l'on se calme ; ou pour le dire autrement, les femmes préfèrent souvent entretenir des relations stables (pouvant plus facilement aboutir à des enfants) avec des hommes qui ont déjà un capital (finances, statut, réputation...), plutôt qu'avec un jeune homme qui part de pas grand chose. Si l'on augmente la probabilité que le délinquant se fasse choper et arrive en prison, alors ce passage par la prison se fera plus tôt, et donc plus probablement avant d'avoir des enfants.

 

Évidemment, cette préférence de la part des femmes est un peu atténuée par la générosité de l’État-providence, avec des conséquences rigolol.

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Il y a 6 heures, Rincevent a dit :

Évidemment, cette préférence de la part des femmes est un peu atténuée par la générosité de l’État-providence, avec des conséquences rigolol.

Tu m'étonnes !

 

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Il y a 21 heures, Rincevent a dit :

J'étais presque convaincu un temps de l'idée de remplacer la prison par des formes de compensation de type wergeld, mais certains cas me semblaient (très) insatisfaisants.

 

Et puis j'ai essayé d'enrichir ma perspective sur le sujet, et du point de vue sociobio, l'intérêt de la prison est évident. D'une part, on sort de prison avec un taux de testostérone plus bas (simplement parce qu'on a vieilli), donc avec un caractère plus calme et moins attiré par les activités risquées comne le crime. D'autre part, plus on passe de temps en prison, moins il reste de temps pour faire des enfants (et la grande tendance à la pacification des moeurs en Occident sur les derniers siècles a sans doute un lien avec le fait qu'on ait tout fait pour que les gens calmes puissent avoir une descendance, et pour que les plus agités en aient moins.

L'argument d'ordre biologique est très curieux/original comme justificatif, mais ça me semble un peu douteux voire déconnecté de la réalité si je peux me permettre. Ce serait recevable si la prison n'était pas un facteur criminogène déterminant en elle-même.

 

Quels cas te semblaient très insatisfaisants ?

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Il y a 2 heures, poincaré a dit :

Quels cas te semblaient très insatisfaisants ?

J'ai du mal avec la réparation pécuniaire du meurtre. Et plus encore avec qui est en droit de demander la réparation (le conjoint ? les parents ? les enfants ? l'employeur ? les créanciers ?), avec tous les cas pourris imaginables (buter un vagabond, ou un type dont la famille est sur un autre continent, bref tous les cas où la personne n'est pas bien intégrée à la société locale... et comme je ne suis pas lesqueno-hoppéen, je ne réponds pas "bien fait pour eux").

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il y a 17 minutes, Rincevent a dit :

J'ai du mal avec la réparation pécuniaire du meurtre. Et plus encore avec qui est en droit de demander la réparation (le conjoint ? les parents ? les enfants ? l'employeur ? les créanciers ?), avec tous les cas pourris imaginables (buter un vagabond, ou un type dont la famille est sur un autre continent, bref tous les cas où la personne n'est pas bien intégrée à la société locale... et comme je ne suis pas lesqueno-hoppéen, je ne réponds pas "bien fait pour eux").

Dans une société anarcap, on peut très bien imaginer que le procureur d'un tribunal privé s'auto-saisisse pour le meurtre d'un vagabond ostracisé (et que la réparation soit versée au tribunal à défaut de famille).

 

Autrement, tous les ayant droit devraient pouvoir demander réparation. Que ce soit les victimes directes ou les victimes par ricochet. Reste le problème de la protection de la société contre la dangerosité d'un individu, mais pas suffisamment malade pour être déclaré irresponsable pénalement et interné dans un hôpital psychiatrique.

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il y a 1 minute, poincaré a dit :

Dans une société anarcap, on peut très bien imaginer que le procureur d'un tribunal privé s'auto-saisisse pour le meurtre d'un vagabond ostracisé (et que la réparation soit versée au tribunal à défaut de famille).

 

De quel droit ?

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il y a 2 minutes, poincaré a dit :

Simple question de justice.

 

Qu’y-a-t-il de juste à récupérer de l’argent de force sans avoir subi de préjudice ?

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il y a 8 minutes, Tramp a dit :

Qu’y-a-t-il de juste à récupérer de l’argent de force sans avoir subi de préjudice ?

Le juste se trouve dans le fait de ne pas laisser un vagabond se faire planter par un meurtrier garanti de ne jamais être inquiété parce que la victime est isolée.

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il y a 4 minutes, poincaré a dit :

Le juste se trouve dans le fait de ne pas laisser un vagabond se faire planter par un meurtrier garanti de ne jamais être inquiété parce que la victime est isolée.

 

Une injustice ne répare pas une autre. 

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