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Anarchisme philosophique


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A en croire wiki, le terme "anarchisme philosophique" a d'abord été utilisé par Benjamin Tucker, chef de file des anarchistes individualistes américains de la fin du XIX et du début XXème, pour désigner ceux pour qui l'anarchisme était essentiellement une position intellectuelle, sans que ça ne s'accompagne d'une lutte pour activement renverser l'état. On peut ranger parmi ceux là, notamment, Godwin, Stirner, Spencer, Nietzsche, et les écrivains Tolkien et Jünger.

 

Je suis en train de découvrir avec ravissement que depuis 50 ans, il y a au sein du monde de la philosophie politique analytique, un "anarchisme philosophique" en un autre sens, non comme un certain courant (quoi que très disparate) au sein de l'anarchisme, mais comme une certaine position en philosophie politique, qui mérite d'être discuté avec d'autres. Je suis en train de déblayer le terrain, j'ai l'impression que les deux auteurs majeur du domaine sont R.P. Wolff, qui lance le mouvement avec son In defense of anarchism en 70, et A.P. Simmons, qui dans les années 2000 (je suis en train de lire son philosophical anarchism de 2009) fait une synthèse de tout ce qui s'est fait entre temps. J'ai cru comprendre que Huemer (qui a la bénédiction de D. Friedman) reposait beaucoup sur Simmons pour ses propres arguments, à ceci prêt qu'il y ajoute un engagement anarcho-capitaliste, là où Simmons m'a l'air de se contenter d'un anarchisme purement philosophique et politiquement "neutre".

Wolff est un anarcho-communiste, mais son argumentaire est suffisamment pur pour avoir pu être admiré même compris par Rothbard. Plusieurs contributions essentielles sont à tirer de son article :

La première est l'argument clef de pour ainsi dire tout anarchisme philosophique : (1) l'état, c'est un truc qui commande (on devrait plutôt dire, une idée au nom de laquelle certaines personnes commandent à d'autres), (2) un état légitime, c'est un état qui a le droit de commander, (3) qu'il y ait un droit de commander suppose qu'il y ait un devoir d'obéir, or (4) il n'y a pas de devoir d'obéir, donc (5) il n'y a pas d'état légitime.

J'imagine que chacune des 4 prémisses pourraient être discutée par un étatiste, mais c'est sur la 4 que semblent se concentrer les disputes contemporaines (à en croire les articles "anarchism" et "political authority" de la Stanford encyclopedy of philosophy, en tout cas).

Une autre contribution importante de Wolff est sa propre justification de (4), d'inspiration kantienne : un devoir d'obéir serait contraire à l'autonomie, qui est un devoir (ou, pourrait on dire, pour être encore plus kantien, peut-être plus que Kant, une condition de possibilité de tout devoir moral).

L'argument est exposé dans les premières pages de l'article, le reste est assez inintéressant, il s'agit d'une longue et laborieuse discussion des conditions sous lesquels un état pourrait être légitime, à savoir, qu'il soit une démocratie directe et unanime, ce qu'il reconnaît comme de toute façon irréalisable. Mais c'est le critère de la représentation plus que de l'unanimité qui attire le plus son attention, alors que c'est ce dernier qui me semble le plus important. Plus encore, il ne me semble pas que l'on renonce nécessairement à notre autonomie en envoyant quelqu'un négocier pour soi (individuellement ou collectivement), au moins à la condition de garder le droit de le révoquer.

 

Simmons montre plusieurs distinctions importantes. Il identifie trois justification principale de l'anarchisme philosophique (sans prétendre à l'exhaustivité) : le volontarisme de Wolff, s'opposant à l'état en tant qu'intrinsèquement coercitif, l'égalitarisme, s'opposant à l'état en tant qu'intrinsèquement hiérarchique, et le communisme de Kropotkine, s'opposant à l'état en tant qu'intrinsèquement porteur de divisions. Toutes reviendraient tout de même à une même position philosophique sur la question de l'obéissance à l'état et de la légitimité de celui-ci.

Il dresse aussi une distinction entre anarchisme a priori et a posteriori, qui me semble moins pertinente, et déséquilibré, puisqu'il met Wolff seul du premier coté, et lui-même et tous les autres du deuxième. L'apriorisme serait l'opposition à la possibilité même de l'état, l'aposteriorisme aux états actuels du fait de certaines de leurs propriétés contingentes, mais tout en admettant qu'il puisse y en avoir un légitime, aussi improbable que ce soit. Mais il ne me semble pas que Wolff (et donc, qui que ce soit) soit aprioriste en ce sens, puisqu'il envisage justement comme légitime une démocratie directe unanimiste, même si il l'estime irréalisable pratiquement. Il faut peut-être se contenter de distinguer les arguments positifs, ou centraux, portant directement sur la légitimité de l'état en elle-même, des arguments négatifs, ou périphériques (ce sont ceux de Huemer, j'imagine aussi de Simmons ailleurs) attaquant différents arguments en faveur de la légitimité de l'état.

Simmons -et c'est plus intéressant- distingue aussi une position "forte" d'une position "faible" (la sienne) en fonction de si cette absence de devoir d'obéir implique ou non un devoir de désobéir, voir de résister. Il distingue aussi cette position forte d'une position faible à laquelle viendrait s'ajouter un devoir de désobéir ou de résister pour d'autres raisons.

 

J'ouvre la discussion sur une question aux liborgiens : êtes vous philosophiquement anarchistes ? Ca me semble (au moins en théorie) orthogonal à l'opposition anarcap/minarchiste, puisqu'un anarcap pourrait estimer avoir un devoir d'obéir à l'état tant qu'il y en a un, mais tout de même juger préférable qu'il n'y en ait pas. Inversement, un minarchiste pourrait juger que l'existence de l'état et l'obéissance de facto de la plupart des gens à lui sont inévitables, voire de bonnes choses, sans pour autant estimer qu'il y ait un véritable devoir d'obéir. 

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La version “political economy” de ca est ce que Boettke appelle “analytical anarchism”. C’est la mise en pratique théorique de l’anarchisme philosophique: l’étude de l’émergence endogène de règles de conduite sans coercition qui permettent le filtering in and out et la pratique des vertus.

 

https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3516829

 

Le paradigme de l’anarchisme philosophique pour Simmons c’est Locke parce que si on applique ses conditions de légitimité et de consentement politique (second traité) il n’y aurait plus un seul gouvernement légitime ajd. Mais en même temps, Locke (comme Jefferson qui reprend littéralement des phrases du STG) est assez prudent/frileux sur la question de la révolte. Donc ça reste un anarchisme philosophique ou moral. Polin parlait de la “philosophie politique morale” de Locke à juste titre.

 

De Simmons On the Edge of Anarchy est tres bon. Il dissèque ce que consentement veut dire, les critiques humiennes de Locke... je recommande

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53 minutes ago, Mégille said:

J'ouvre la discussion sur une question aux liborgiens : êtes vous philosophiquement anarchistes ? Ca me semble (au moins en théorie) orthogonal à l'opposition anarcap/minarchiste, puisqu'un anarcap pourrait estimer avoir un devoir d'obéir à l'état tant qu'il y en a un, mais tout de même juger préférable qu'il n'y en ait pas. Inversement, un minarchiste pourrait juger que l'existence de l'état et l'obéissance de facto de la plupart des gens à lui sont inévitables, voire de bonnes choses, sans pour autant estimer qu'il y ait un véritable devoir d'obéir. 

Globalement, avec juste ce que tu en dis, je trouve ça un peu hors sol.

On peut imaginer des configurations où de facto tout le monde est d'accord avec l'autorité (genre un monastère), qu'en est-il du devoir d'obéir etc. dans ce cas ? Comment l'obéissance à l'état se compare-t-elle ici à l'obéissance à ses parents ou à son patron ou à un contrat qu'on a signé ? Plus généralement j'ai du mal à envisager à quoi ressemblerait une société anarchique selon cette définition, et si une telle société serait possible si on prend en compte la nature humaine.

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@Lancelot je crois que l'"anarchisme philosophique" en philosophie politique est un peu comme l'"anarchisme analytique" en économie politique ou l'"anarchisme épistémologique" en philosophie des sciences. Ce n'est pas la description d'une société mais d'un point de vue intellectuel. Par conséquent, ça traverse effectivement les oppositions minarchistes/ancap. Et c'est hors-sol dans ce sens.

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En ce qui concerne l'anarchisme épistémologique il s'agit malgré tout d'une position à visée normative dans le sens où elle préconise des trucs sur la manière de faire de la recherche en s'appuyant sur des exemples et ce qui s'ensuit. Là j'ai l'impression que le rapport à la réalité est beaucoup plus ténu ou même inexistant et mes tendances pragmatiques lèvent le sourcil, mais outre ça (et c'est un péché plus grave d'un point de vue philosophique) on en arrive à des concepts trop flous pour savoir précisément de quoi on parle.

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il y a 43 minutes, Lancelot a dit :

En ce qui concerne l'anarchisme épistémologique il s'agit malgré tout d'une position à visée normative dans le sens où elle préconise des trucs sur la manière de faire de la recherche en s'appuyant sur des exemples et ce qui s'ensuit. Là j'ai l'impression que le rapport à la réalité est beaucoup plus ténu ou même inexistant et mes tendances pragmatiques lèvent le sourcil, mais outre ça (et c'est un péché plus grave d'un point de vue philosophique) on en arrive à des concepts trop flous pour savoir précisément de quoi on parle.

Précisément je crois que l'anarchisme philosophique est d'abord une position normative. Un anarchiste philosophique préconise, dans le domaine politique (exit les enfants et les moines), un scepticisme à l'égard des lois et ne s'y conforme que dans la mesure où elles overlappent ses propres convictions morales, dans la mesure où ces dernières à leur tour s'accordent à la loi naturelle. Je vois l'anarchisme philosophique comme une arme intellectuelle contre certaines justifications d'ordres politiques illibéraux et comme un encouragement à l'insoumission morale. @Mégille a bien fait, je pense, de mentionner Jünger, qui traite peut-être de quelque chose de semblable dans ses oeuvres politiques tardives autour de la question de l'Anarque (Eumeswil). Simmons, en bon lockéen, utilise le rasoir du consentement et montre, par exemple, en quoi un vote ne peut pas être considéré comme une expression du consentement au sens que prend ce terme dans le Second Traité. Je trouve cette utilisation des oeuvres très stimulante, surtout pour quelqu'un qui va peut-être étudier la philosophie comme moi.

 

Comme exemple historique de cette position, je pense qu'on pourrait évoquer certains discours de Havel en Tchécoslovaquie. Ainsi que l'explique JL Gaddis dans The Cold War, il ne défendait pas la résistance directe et physique à l'Etat, trop dangereuse et d'un succès incertain, mais encourage le développement de standards ou de règles de conduites individuelles indépendents des diktats de l'Etat. C'est assez différent d'autres interprétations de l'anarchisme dans le camp libéral, qui le réduisent à un simple idéal moral (je pense à Kinsella). C'est aussi, justement, plus réaliste et pragmatique. On part de l'idée que la disposition des gens et le système politique sous lequel ils vivent ne sont pas des variables indépendantes. La préoccupation en question n'est pas seulement culturelle: c'est aussi un combat contre ce que Jasay appelle l'"addiction à l'Etat", càd la façon dont l'Etat produit ses propres normes de légitimité et rend toute comparaison avec l'"état de nature" (ou n'importe quel système politique extérieur) difficile, à cause du biais de perspective.

 

Ensuite, l'"anarchisme philosophique" peut servir de cadre pour l'étude analytique de systèmes anarchiques (les pirates de Leeson, les phares de Coase) comme exemples réels d'organisations politiques conformes à cette position intellectuelle. L'anarchie n'est pas un outil conceptuel régulateur comparable à l'evenly rotating economy de Mises mais un objet d'étude empirique. Il peut y avoir une forme d'"anarchie" en dehors de l'Etat (les utopies anarcaps), mais aussi des sphères d'anarchie au sein d'un état civil, dont Buchanan dirait même qu'elles sont nécessaires et doivent être préservées... selon lui par l'Etat (c'est le paradoxe). Je crois que ce paradoxe est très hobbien, dans la mesure où Hobbes défend un Etat omnipotent comme condition de la liberté maximale (interprétation de Oakeshott). Buchanan se place explicitement dans cet héritage réaliste.

 

L'anarchisme philosophique est donc une position normative dans le cadre d'un état civil (le scepticisme p/r aux lois) mais qui est aussi préoccupée par la défense des sphères d'anarchie dans ce cadre civil (position pratique). C'est très proche de l'esprit de Buchanan, qui écrit souvent qu'il raisonne à partir d'un monde d'Etats et avec les outils de l'économie politique.

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2 hours ago, Vilfredo Pareto said:

Un anarchiste philosophique préconise, dans le domaine politique (exit les enfants et les moines), un scepticisme à l'égard des lois et ne s'y conforme que dans la mesure où elles overlappent ses propres convictions morales, dans la mesure où ces dernières à leur tour s'accordent à la loi naturelle.

Sans connaître du tout le truc ce n'est pas ce que j'ai eu l'impression de lire chez @Mégille :

5 hours ago, Mégille said:

La première est l'argument clef de pour ainsi dire tout anarchisme philosophique : (1) l'état, c'est un truc qui commande (on devrait plutôt dire, une idée au nom de laquelle certaines personnes commandent à d'autres), (2) un état légitime, c'est un état qui a le droit de commander, (3) qu'il y ait un droit de commander suppose qu'il y ait un devoir d'obéir, or (4) il n'y a pas de devoir d'obéir, donc (5) il n'y a pas d'état légitime.

 

J'imagine que chacune des 4 prémisses pourraient être discutée par un étatiste, mais c'est sur la 4 que semblent se concentrer les disputes contemporaines (à en croire les articles "anarchism" et "political authority" de la Stanford encyclopedy of philosophy, en tout cas).

[...]

 

Simmons montre plusieurs distinctions importantes. Il identifie trois justification principale de l'anarchisme philosophique [...] Toutes reviendraient tout de même à une même position philosophique sur la question de l'obéissance à l'état et de la légitimité de celui-ci.

[...]

L'apriorisme serait l'opposition à la possibilité même de l'état, l'aposteriorisme aux états actuels du fait de certaines de leurs propriétés contingentes, mais tout en admettant qu'il puisse y en avoir un légitime, aussi improbable que ce soit.

[...]

Simmons -et c'est plus intéressant- distingue aussi une position "forte" d'une position "faible" (la sienne) en fonction de si cette absence de devoir d'obéir implique ou non un devoir de désobéir, voir de résister. Il distingue aussi cette position forte d'une position faible à laquelle viendrait s'ajouter un devoir de désobéir ou de résister pour d'autres raisons.

Notamment l'argument central ne me semble pas faire une distinction entre le gouvernement d'un état moderne et celui d'un monastère (le moine a un devoir d'obéir à sa hiérarchie), nonobstant le statut des enfants. Jusque là ça veut simplement dire qu'effectivement Wolff n'est pas aprioriste. Ensuite les considérations de morale ou de loi naturelle peuvent à la limite apparaître dans les "propriétés contingentes" de l'apostériorisme mais (1) c'est à un niveau conceptuel en dessous de l'argument central et (2) on pourrait très bien imaginer d'autres raisons contingentes. Le côté normatif quant-à lui dépendrait plutôt de la dernière distinction entre fort vs faible. Et là on en revient à des développements de philosophie politique anar(cap) plus classiques.

En vrai ma critique portait sur l'apriorisme qui me semblait être le truc original.

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il y a une heure, Lancelot a dit :

La première est l'argument clef de pour ainsi dire tout anarchisme philosophique : (1) l'état, c'est un truc qui commande (on devrait plutôt dire, une idée au nom de laquelle certaines personnes commandent à d'autres), (2) un état légitime, c'est un état qui a le droit de commander, (3) qu'il y ait un droit de commander suppose qu'il y ait un devoir d'obéir, or (4) il n'y a pas de devoir d'obéir, donc (5) il n'y a pas d'état légitime.

Ben tout ceci est plutôt en accord avec ce que je dis sur Locke, avec qq raffinement sur (4) et (5). Il s'agit plutôt de dire que les conditions pour qu'il y ait un devoir d'obéir sont si contraignantes pour notre paysage politique ajourd'hui que (4) & (5), et c'est ce qu'écrit Simmons, et c'est un raisonnement aposterioriste. En passant je relève ceci:

Il y a 6 heures, Mégille a dit :

Une autre contribution importante de Wolff est sa propre justification de (4), d'inspiration kantienne : un devoir d'obéir serait contraire à l'autonomie, qui est un devoir (ou, pourrait on dire, pour être encore plus kantien, peut-être plus que Kant, une condition de possibilité de tout devoir moral).

Hmm il a lu la Doctrine du droit :mrgreen: ?

Il y a 1 heure, Lancelot a dit :

En vrai ma critique portait sur l'apriorisme qui me semblait être le truc original.

Tu peux expliquer pourquoi? Moi ce qui me paraît original c'est justement le contraire, l'anarchisme aposterioriste, ce que j'ai développé dans mon post. C'est aussi l'anarchisme aposterioriste qui ferait une différence entre les moines et les citoyens (à cause de l'attention portée au consentement). L'apriorisme, c'est le Rothbard de The Anatomy of the State.

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20 minutes ago, Vilfredo Pareto said:

Tu peux expliquer pourquoi? Moi ce qui me paraît original c'est justement le contraire, l'anarchisme aposterioriste, ce que j'ai développé dans mon post. C'est aussi l'anarchisme aposterioriste qui ferait une différence entre les moines et les citoyens (à cause de l'attention portée au consentement). L'apriorisme, c'est le Rothbard de The Anatomy of the State.

L'aposteriorisme renvoie juste la balle au discours sur les sources et les limites de la légitimité du pouvoir politique en fait, ce qui, en plus d'être le truc le plus bateau du monde en philosophie politique, ne nécessite pas spécifiquement un point de vue anarchiste.

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Il y a 22 heures, Mégille a dit :

1): J'imagine que chacune des 4 prémisses pourraient être discutée par un étatiste, mais c'est sur la 4 que semblent se concentrer les disputes contemporaines

 

2): Une autre contribution importante de Wolff est sa propre justification de (4), d'inspiration kantienne : un devoir d'obéir serait contraire à l'autonomie

 

1): Il est évident que c'est le point central de l'argument.

 

2): Pourtant Rousseau (je crois) soutient que la loi que l'on se donne à soi-même est liberté, et Kant le suit là-dessus, donc je trouve ça étrange comme inspiration anarchiste...

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Ce qui est intéressant, je trouve, est justement que ça s'abstrait de toutes les considérations concrètes sur le mode d'organisation sociale, politique et économique. Alors que l'anarchisme épistémologique et économique proposent certains modèles de bon fonctionnement de la connaissance et de l'économie. En y pensant, c'est en fait assez orthogonal à beaucoup d'autres questions, comme celle du débat anarcoco/anarcap, puisque Rothbard peut très bien accepter l'argument de Wolff sur le sujet. On peut même être philosophiquement anarchiste (au moins sous la version dite "faible" par Simmons), tout en acceptant l'existence de l'état, voire en la considérant comme inévitable. J'ai l'impression que c'était grosso modo le cas de Jésus, que c'est clairement celui de Augustin, et je crois que c'est aussi le cas de Simmons. J'aborde la question ici parce que je me demandais si les minars ont tendance à accepter cette position (et pourquoi pas, pour voir s'il y a des ancaps qui ne sont pas anphil). Mais aussi parce que la question me semble intéressante par elle-même.

Après, oui, ça implique de considérer qu'une réflexion en terme de "devoir" abstrait n'est pas nécessairement dénuée d'intérêt (comme se le permettent les analytiques, principalement du fait de leur division des tâches méta-éthique/éthique normative/éthique appliquée).

 

Il y a 23 heures, Vilfredo Pareto a dit :

Hmm il a lu la Doctrine du droit :mrgreen: ?

J'ai toujours trouvé que le saut de la section "droit privé" à la section "droit public" était un peu magique...

 

Il y a 8 heures, Johnathan R. Razorback a dit :

1): Il est évident que c'est le point central de l'argument.

Il est pris comme tel, mais je ne suis pas sûr que ce soit le point le plus faible. Tiens, voilà un argument un peu bêbête (mais je trouve, difficilement évitable) en sa faveur : la plupart des gens reconnaissent qu'on a pas le devoir d'obéir à l'état dans certain cas, par exemple, si on nous ordonne de tuer un innocent, or, si notre devoir d'obéir n'est que conditionnel, alors, soit c'est l'état qui fixe les conditions auxquels il faut obéir, et alors ce devoir cesse d'être conditionnel, soit c'est à nous d'en juger, et alors, nous n'avons plus de véritable devoir d'obéir à l'état, puisque même lorsque nous le faisons, c'est parce que nous même avons jugé que l'ordre était bon.

A l'inverse, même si je trouve chaque points de l'argument de Wolff convainquant, je peux imaginer des objections à chacun des autres :

(1) L'état n'est pas essentiellement coercitif. Il l'est marginalement, mais ce ne serait pas son essence première. Soit qu'on le considère d'abord comme un mode d'organisation et de coopération consentie dans la plupart des relations qui le caractérisent, soit qu'on le considère de façon un peu plus mystique comme une incarnation de la nation, ou peut-être encore autre chose. En faveur de ça, on pourrait avancer que l'état n'est pas le seul à donner des ordres (le patron le fait), ni à utiliser de la violence (le racketteur le fait), ni les deux (le parain mafieux), et qu'un état qui ne fait que ça n'est généralement pas reconnu comme un état et n'est pas stable.

(2) La légitimité peut être conçue autrement que comme le droit de commander, par exemple, de façon historique (être le successeur légitime du précédent état légitime, de façon itérative sans qu'un début ne soit nécessaire, puisqu'on ne se donnerait pour critère de légitimité dans cette succession rien d'autre que les normes produites par cette succession elle-même), soit de façon géopolitique (la légitimité serait une relation non pas de l'état à l'individu, mais essentiellement d'un état aux autres états, un état légitime étant un état reconnu par ses pairs).

(3) Le droit de commander n'impliquerait pas un devoir d'obéir inconditionnel. Il pourrait n'être un droit de commander "en tant que représentant de l'état" (lorsque le commandement est donné dans les règles de l'état), ne donnant lieu à un devoir d'obéir seulement à l'autre en tant que sujet de l'état, devoir qui ne serait pas plus absolue que le devoir d'obéissance dans le cadre d'un contrat de travail et de sa clause de subordination, par exemple. Le sujet garderait alors la liberté morale d'obéir ou non, et resterait individuellement responsable de son choix d'obéir, sans que le rendre pénalement responsable de son choix de désobéir n'y change rien.

 

Je me soupçonne moi-même de faire du bullshit en écrivant tout ça, mais si j'étais contre l'anarchisme philosophique, je chercherais à désamorcer les arguments de Wolff et Simmons par ces voies là plutôt qu'en tentant de justifier un très spécieux devoir d'obéissance inconditionnel. Je vois vraiment (4) comme le point fort de l'argument.

 

Il y a 8 heures, Johnathan R. Razorback a dit :

2): Pourtant Rousseau (je crois) soutient que la loi que l'on se donne à soi-même est liberté, et Kant le suit là-dessus, donc je trouve ça étrange comme inspiration anarchiste...

Oui, tout à fait, c'est historiquement aberrant (i.e. c'est une position qui ne se laisse pas réduire à un petit arbre généalogique des influences). Contre Rousseau, un anarphi pourra objecter que la volonté générale n'est en aucun cas la volonté de qui que ce soit. On pourra utiliser Condorcet et Debreu-Arrow pour montrer que cette volonté générale n'est jamais un pur produit du corps des citoyens, mais aussi toujours du dispositif (et donc, de ceux qui sont derrière) par lequel on fait s'exprimer le peuple. On pourra aussi utiliser les arguments de Simmons et de Huemer contre le fait que la participation politique impliquerait un devoir d'obéissance.

Kant à quant (déso pas déso), dont la théorie morale est en grande partie une intériorisation de la volonté générale de Rousseau (la rendant alors acceptable, puisque c'est bien chacun qui se donne à lui-même la loi morale universelle), j'imagine que les arguments devront se jouer sur le passage du droit privé au droit public. Je doute que les arguments de Simmons n'y suffisent pas.

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J'ai pas bien compris la question. 

Pour moi tout homme est fondamentalement un anarchiste intellectuel dans la mesure où il obéit à des lois intérieures à son psychisme tout en essayant de faire bonne figure dans la société.

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Il y a 9 heures, POE a dit :

J'ai pas bien compris la question. 

Pour moi tout homme est fondamentalement un anarchiste intellectuel dans la mesure où il obéit à des lois intérieures à son psychisme tout en essayant de faire bonne figure dans la société.

Tu considères donc comme trivialement vrai le point de l'argument qui cristallise le débat académique, selon lequel il n'y a pas de devoir d'obéir ? Considères-tu qu'en déduire qu'il n'existe pas d'état légitime est valide ?

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Pas besoin d'un devoir d'obéir pour obtenir l'assentiment des foules, l'instinct suffit. Anarchiste à l'intérieur, mouton à l'extérieur. Voici l'homme !

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