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Criminalité et inégalités économiques


Messages recommandés

il y a 40 minutes, Vilfredo Pareto a dit :

Remerciements: @Rincevent pour la théorie des aires culturelles et le paradoxe de Simpson.

:wub: 

 

Ajoutons un facteur de plus : le niveau d'envie peut être aussi une explication du manque de développement économique, soit par répression sociale des wannabee entrepreneurs, soit par élection de spoliateurs.

 

il y a 40 minutes, Vilfredo Pareto a dit :

les jeunes hommes de 15 à 34 ans, qui commettraient la plupart des crimes dans le monde

Have you heard of our Lord and Savior, le ratio de Mesquida ? ;)

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à l’instant, Rincevent a dit :

Ajoutons un facteur de plus : le niveau d'envie peut être aussi une explication du manque de développement économique, soit par répression sociale des wannabee entrepreneurs, soit par élection de spoliateurs.

Effectivement mais je pense que pour parler de façon plus informée de l'envie, j'aurais besoin de mettre la main sur Schoeck.

il y a 2 minutes, Rincevent a dit :

ratio de Mesquida

:lol: ça reste un article sur les inégalités économiques mais oui, ça me dit quelque chose ^^

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il y a 4 minutes, Vilfredo Pareto a dit :

ça reste un article sur les inégalités économiques mais oui, ça me dit quelque chose ^^

Niveau facteur confondant entre pays riches-vieux, et pauvres-jeunes, ça se pose là. ;)

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Il y a plein d'éléments intéressants là-dedans mais c'est quand même pas évident à suivre. On a l'impression de t'accompagner dans ta nuit de recherches fiévreuses que tu nous retranscris pêle-mêle.

 

Un exercice que j'aime bien faire pour aider les étudiants qui écrivent un mémoire/une thèse/un article est de leur faire résumer le message de chaque paragraphe en une phrase simple (ou deux, trois grand max). Idéalement la succession de ces phrases doit avoir du sens et refléter la structure argumentative, l'histoire que tu racontes.

Si je fais ça pour tes premiers paragraphes on arrive à quelque chose du genre, avec entre parenthèses des questions qui me viennent immédiatement à l'esprit à la lecture (et auxquelles tu réponds plus tard pour certaines) :

 

Spoiler

 

  1. Il y a des mecs (qui ?) qui disent que la criminalité (quel type, définie comment ?) augmente quand un truc qui s'appelle l'indice de Gini, qui est supposé refléter l'inégalité économique (quel type d'inégalité, à quel point cette mesure est-elle sérieuse/prise au sérieux, quelles sont les alternatives ?), augmente.
  2. Ces mecs disent bien que c'est l'inégalité de richesse et pas la pauvreté en soi le problème. Surtout chez les jeunes hommes de 15 à 34 ans qui commettent la plupart des crimes (hum ok mais qu'est-ce que ça fout là ?). Ils prennent l'exemple du Royaume-Uni, dans lequel depuis les années 80 on est passé de 25 à 36 d'indice Gini (c'est beaucoup/significatif ?) et le taux de crime a augmenté (de combien, selon quelle mesure ?), et du Japon, dans lequel les inégalités et la criminalité auraient diminuées (de combien ?). Seulement c'est pas vrai parce qu'en fait le Gini du Japon aurait augmenté (de combien ?) et le taux d'homicide baissé (ok donc du coup leur truc c'est de la merde, on peut s'arrêter là non ?).
  3. Il y a des exemples de corrélation entre criminalité et Gini dans des pays pauvres, par exemple le Burundi et le Malawi avec un Gini de 31 (qui devrait être comparable au Royaume-Uni donc ?) et l'Afrique du Sud et le Brésil avec des Gini autour de 55 (et présumément plus de crime donc ?). Mais en vrai c'est peut être le crime qui crée les inégalités et pas l'inverse (wut?).
  4. Du coup est-ce que ça ne marcherait que dans les pays pauvres, ou à partir un certain niveau d'inégalité, ou quand un pays devient soudainement plus inégalitaire ? L'exemple du Japon et du Royaume-Uni semblent indiquer que ce n'est pas vraiment une histoire de pauvreté ou d'augmentation de l'inégalité (par sûr d'avoir suivi pourquoi ? et pour le reste ?).
  5. Il y a différentes manières de définir l'inégalité (ah quand même !) comme l'inégalité de richesse et l'inégalité de revenu (quelle différence exactement du coup, et il n'y a que ces deux-là ?), la seconde étant ciblée par le Palma ratio (à quel point cette mesure est-elle sérieuse/prise au sérieux, quelles sont les alternatives ?). Or il se trouve que le Palma ratio est fortement corrélé avec le taux de crime.
  6. Du coup le problème dans l'équation inégalité = crime ne serait pas tant la manière de définir l'inégalité que d'autres facteurs "sociaux" confondants qui sous-tendent cette inégalité (ah ? ça mérite un développement quand même). Il y a aussi le problème du type de crime dont on parle, la corrélation est plus forte pour des crimes violents comme l'homicide tandis que pour les vols la pauvreté est un meilleur prédicteur. On peut expliquer ça si on veut en disant que la pauvreté donne envie d'avoir ce que les autres ont (envie de richesse) tandis que l'inégalité donne envie d'amener les autres à notre niveau (envie d'égalité). La corrélation disparaît pour les crimes plus rares (donc ça ne marche que pour les homicides en fait ?).

 

 

Bon je m'arrête là, tu en fais ce que tu veux, crois bien que mon intention n'est pas de te casser les couilles mais tu demandais des remarques :)

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Merci beaucoup @Lancelot oui tu as totalement raison c’est aussi la première fois que j’écris sur un sujet sans faire la critique d’une étude ou d’un texte particulier, ce qui est plus facile parce qu’on prend les arguments les uns après les autres. Il faudrait rendre ça plus linéaire, et je vais y travailler cette nuit. C’est un cool exercice.

 

Pour répondre certaines de tes questions cependant oui l’indice de gini est une mesure respectée et très largement utilisée et il existe d’autres façons de calculer l’inégalité avec lesquelles j’avais un peu joué quand la prépa n’avait pas rouillé mes maths (le ratio des top et bottom 20%) mais ils n’affectent pas le coefficient de corrélation avec la métrique que j’ai choisie pour le crime (ie nb homicides/100,000). 
 

il y a certaines de tes questions auxquelles je réponds plus bas, pour les facteurs culturels sous-tendant la corrélation inégalité/crime, qui ne marche effectivement qu’avec l’homicide et je précise ce qui se passe avec les vols. Il faudrait remonter ça du coup plus tôt dans le texte; je vais arranger ça.

 

bon vous êtes super sympa de m’aider en tout cas :) 

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Pour CP, il faudrait une intro en une phrase pour expliquer clairement l'évidence/le pb que tu vas résoudre + clarifier un peu effectivement (on s'adresse à des personnes raisonnablement cultivées, mais pas à des universitaires spécialistes). Aussi, supprimer les tab/ref à The economist qui sont sous copyright. Mais je pense globalement qu'on peut publier quelque chose là dessus :)

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Si je peux me permettre une remarque concernant le style : ne serait-il pas préférable de s'en tenir à un niveau de langage donné et, par soucis d'unité, de le conserver à travers tout l'article?

Par ailleurs quel public vises-tu?  Tu as choisi la forme d'un article universitaire, mais tu peux certainement élaguer quelques références pour conserver les seules données qui constituent vraiment la base de ton argumentation. 

 

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"C’est par exemple ce que montrent abondamment les études de Zhang 2018 sur les comtés américains, où l’on a peine à voir une corrélation, même en plissant les yeux, à partir d’un certain niveau de granulation géographique : comme l’écrit Songman Kang, professeur d’économie de Séoul,"

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Oui tu as raison pour le niveau de langage on va laisser tomber certains trucs. Et je dois avouer que je n’avais pas réfléchi à mon public je l’ai surtout écrit pour liborg en fait. Jen prends bonne note pour ce soir

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Il y a 4 heures, Vilfredo Pareto a dit :

Oui tu as raison pour le niveau de langage on va laisser tomber certains trucs. Et je dois avouer que je n’avais pas réfléchi à mon public je l’ai surtout écrit pour liborg en fait. Jen prends bonne note pour ce soir

 

Ou essaye de dormir, il parait que cela fait du bien ;)

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@Vilfredo Pareto : merci de t'attaquer au sujet.

 

Je suis d'accord avec les principales critiques. Ton cheminement est trop brouillon. Tu passes un nombre interminable de fois d'une hypothèse à l'autre et à un  moment ça devient difficile de te suivre dans ce labyrinthe. 

 

Après deux lectures rapides de ton texte, je pense que j'adopterai plutôt le cheminement suivant (qui est globalement assez proche du tien) :

 

1ère étape : tu énonces la thèse + d'inégalité = plus de crimes et tu t'en fais le propagandiste stupide sans chercher à nuancer. Tu cites les principaux exemples présentés par les défenseurs de cette thèse, même les plus bas du front. 

 

2ème étape : Les limites de la corrélation. 

 

Tu montres qu'il y a plusieurs définitions de crimes et plusieurs définitions d'inégalités et que la corrélation marche surtout avec les homicides et avec une certaine définition des inégalités de revenus (si j'ai bien compris) Tu peux indiquer ici que même dans ce domaine la corrélation ne marche pas si bien que ça en GB et Japon.

 

Transition Tu peux passer à l'étape suivante. SI la corrélation est réelle mais ne fonctionne pas si bien que ça c'est peut-être que l'explication causale n'est pas satisfaisante. 

 

3ème étape : interrogation sur la causalité. 

 

Est-ce qu'il n'y a pas inversion de causalité ? Tu as plein d'idée dans ce cadre... je te laisse développer

 

4ème étape : proposition d'une meilleure explication

 

 

 

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D’accord avec Domi. Cela pourrait d’ailleurs faire plusieurs articles: un sur chaque hypothèse.

Suggestion supplémentaire: prendre le temps de rappeler ce qu’est le coefficient de Gini, ce qu’est un décile, etc. C’est évident pour un économiste mais pas pour le lecteur lambda.

En tout cas le sujet est passionnant. Tous les médias nous répètent à l’envi que les inégalités sont un problème. Mais ils ne disent jamais pourquoi. Je trouve que c’est une bonne idée de briser les sous-entendus.

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J'ai réécrit en intégrant vos remarques (et même le ratio de Mesquida, c'est-y pas beau). Je peux l'envoyer direct à la rédaction mais dans le doute je me demandais si certains voulaient jeter un petit coup d'oeil à tout hasard. Merci encore à tous pour vos commentaires et vos conseils.

 

Révélation

Criminalité et inégalités économiques

 

La question des inégalités économiques est devenue centrale dans le débat public depuis au moins les grands succès publics et académiques des travaux de Thomas Piketty et la crise de 2008. La crise sanitaire remet au centre cet enjeu de société. Les inégalités économiques sont souvent associées à la gestion libérale de l’économie, et opposées par les libéraux comme Margaret Thatcher, dans de célèbres discours à la Chambre des Communs, à la pauvreté accumulée par le socialisme. Mais plus largement, les inégalités économiques seraient le symptôme d’une société atomisée et défiante, et servent d’outil explicatif d’autres phénomènes cruciaux pour la vie publique, notamment la violence. Dans ce contexte, l’argument des inégalités économiques sert à la fois à obscurcir l’action d’autres facteurs déterminants dans l’analyse de la criminalité et à déresponsabiliser les coupables. Nous nous proposons d’examiner les problèmes posés par cette corrélation et les limites de sa portée explicative.

 

Quelles inégalités, quels crimes ?

 

Il existe aujourd’hui un vaste consensus universitaire (Zhang 2018) affirmant l’existence d’un lien entre les inégalités économiques et les niveau de criminalité. Regardez les pays où tout le monde est pauvre : pas de crime. Regardez les pays où tout le monde est riche : pas de crime. Ce n’est que lorsqu’il s’agit d’une différence de richesse relative que la criminalité éclate. Une explication qui pourrait nous être familière est celle de Becker, prix Nobel d’économie et célèbre pour sa théorie du choix rationnel : un membre du bas de la hiérarchie sociale à moins à perdre dans un acte illégal.

 

La première question qui se pose est celle de la mesure des deux variables en présence : l’inégalité et la criminalité. L’inégalité est en général estimée à l’aide de l’indice de Gini. Pour l’obtenir, on commence par accumuler des données sur la répartition du revenu national d’un territoire entre ses différentes régions, puis l’on calcule la distance entre cette répartition et une répartition « idéale », celle de la « ligne de parfaite égalité », qui est la représentation graphique d’une parfaite équirépartition des richesses. La différence entre les deux est mesurée par l’indice de Gini, compris entre 1 et 100 (ou 0 et 1 selon les conventions). Plus l’indice de Gini est élevé, plus la répartition des richesses est inégale.

 

L’indice de Gini n’est pas le seul indice existant. Une des critiques qui lui est faite est de ne pas prendre en compte la répartition sociologique quasi invariante des richesses au sein de la société, et non au sein du territoire seulement. Pour étudier la répartition des richesses au sein d’une société, on divise celle-ci par déciles : il s’agit d’un dixième de la population. Le 1er décile est constitué des 10% les plus pauvres, le dernier des 10% les plus riches. On sait que les déciles 5 à 9 concentrent 50% des richesses (ce sont les classes moyennes et supérieures) et que les déciles sous la médiane (D1 à D4) ainsi que le dernier décile se partagent l’autre moitié. Cependant, cette autre moitié est répartie de façon très variable, et d’autres indices que l’indice de Gini permettent de mieux prendre en compte cette variabilité : par exemple le Palma ratio, qui est le quotient entre la part du revenu détenu par les 40% les moins riches et celle détenue par les 10% les plus riches.

 

La criminalité est simplement mesurée à l’aide du ratio du nombre de crimes pour 100 000 habitants. Le problème ici n’est pas dans la mesure du phénomène étudié mais dans sa définition : qu’est-ce qui constitue de la « criminalité » ? En effet, différents comportements illégaux répondent différemment à la corrélation avec les inégalités économiques. Si l’on prend l’homicide en exemple, il existe une forte corrélation entre le nombre d’homicides pour 100 000 habitants et l’indice de Gini ou le Palma ratio dans de nombreux cas. Cette corrélation, toutefois, cesse d’exister si l’on choisit plutôt d’étudier les vols, qui corrèlent plutôt avec la pauvreté. L’idée qui semble émerger est que dans une situation d’inégalité, ce n’est pas la jalousie du pauvre qui pousse à agir pour avoir ce que l’autre a, mais l’envie, qui exige que l’autre n’ait pas ce qu’il a, même si vous ne l’avez pas non plus. Pour les crimes plus rares, là encore, biais d’échantillonnage sans doute, la corrélation s’effrite :

(graphique)

 

Il faut donc distinguer la pauvreté et les inégalités. Beaucoup d’études indiquent une corrélation entre pauvreté et inégalité économique, parce qu’il est vrai que la plupart des pays pauvres sont très inégaux, mais ils le sont moins que des pays plus riches ou en développement (dont le Brésil et l’Afrique du Sud sont de bons exemples). D’autre part, la pauvreté étant une notion totalement relative (souvent définie comme x% du revenu médian), on ne peut parler d’une « augmentation » de la pauvreté si un plus grand pourcentage de la population vit sous x% quand ce revenu médian… augmente ! On peut aussi bien observer une augmentation de l’inégalité dans les déciles 5 à 9 (qui n’affectent donc pas la médiane), et la pauvreté pourrait augmenter si le revenu médian augmentait tandis que les revenus marginaux baissaient (et vice versa), autant d’effets documentés et évoqués dans la littérature (Karagiannaki 2017 ; Bourguignon 2004).

 

Est-ce donc la pauvreté qui est en cause, ou l’inégalité ? Ou est-ce l’inégalité seulement en situation de pauvreté, l’inégalité n’étant alors qu’un facteur aggravant qui n’a aucun effet pris à part ? Pris à part en effet, et pour pousser le problème jusqu’à l’absurde, l’indice de Gini du Royaume-Uni est à peu près comparable à celui du Burundi.

 

Plus d’inégalités, plus de crimes ?

 

Le rapport de l’association caritative anglaise Equality Trust de 2011 sur le sujet nous offre une bonne occasion de tester la corrélation ainsi établie. Il propose de contraster les cas du Royaume-Uni et du Japon pendant la 2e partie du XXe siècle, et surtout depuis les années 1980. Au Royaume-Uni, les inégalités de revenus ont augmenté pendant la période (de 25 à 36 pour l’indice de Gini entre 1977 et aujourd’hui selon Statista), et le taux de criminalité aussi, tandis que le Japon serait devenu un pays plus égalitaire, avec moins de crime. Mais ce n’est pas la vérité. Primo, quand on regarde le Gini Country Report du Japon, publié deux ans plus tard, on y apprend que « Inequality has widened continuously since the 1980s in Japan. » S’il est vrai que la concentration de la richesse au Japon a fortement diminué au milieu du XXe siècle, à la suite de la Seconde Guerre mondiale et de l’occupation du pays, l’inégalité n’en reste pas moins, par définition, relative : si c’est l’inégalité qui incite au crime, alors une augmentation de l’inégalité, quelle que soit le niveau de départ, devrait mener à une augmentation de la criminalité. Or on observe bien une augmentation de l’inégalité au Japon depuis 1980 (Minami 2008), mais pas d’augmentation des crimes, avec un taux d’homicides pour 100 000 habitants en déclin quasi-constant (de 0.61 en 1998 à 0.26 en 2018).

 

Est-ce donc une augmentation relative de l’inégalité, l’inégalité mais seulement dans les pays pauvres, ou seulement certains niveaux « extrêmes » d’inégalité dans des pays riches ou pauvres ou les deux qui sont corrélés à des hausses de la criminalité ? Le Japon post-1980 réfute la thèse de l’augmentation relative ou d’une corrélation linéaire, et le Royaume-Uni, avec son taux de criminalité en hausse (sur ce plan-là, on peut faire confiance à Equality Trust), a un indice de Gini… pas très éloigné du Japon (autour de 30, et en hausse).

 

En dehors de ces deux cas précis, les études sur ce sujet souffrent de deux problèmes. Premièrement, on souffre d’un biais d’échantillonnage, avec très peu de pays « très » inégalitaires (>50). Deuxièmement, entre un Gini de 40 et 50, on trouve plus ou moins ce qu’on veut : beaucoup d’inégalité et beaucoup de crime comme beaucoup d’inégalité et peu de crime (i.e. moins de 20% des sondés rapportant un vol par exemple). C’est ce qu’un article de The Economist a récemment mis en lumière.

 

Il existe plusieurs autres exemples où la corrélation, même pour les homicides, ne saute pas aux yeux :

 (graphique)

Tout simplement parce que d’autres facteurs entrent en jeu. Ce n’est pas la mesure de l’inégalité qui est en jeu, mais plutôt le vaste ensemble de phénomènes sociaux que cette donnée embrasse.

 

Les inégalités économiques, un facteur confondant

 

On parle en statistiques de « facteur confondant » pour désigner un facteur explicatif qui est lié à un autre non pas à cause d’un rapport de causalité direct, mais parce qu’il est l’effet accidentel d’un autre facteur avec lequel il est corrélé. En d'autres termes, il influence à la fois une variable dépendante et une variable indépendante du phénomène étudié. Pour prendre un exemple simple, on pensait au début de la pandémie de covid 19 que, étant donné que les Chinoises mouraient moins du virus que les Chinois, le virus attaquait moins les femmes que les hommes. Il n’en fallut pas plus au New York Times pour vanter la présence d’esprit de chercheurs proposant d’administrer des œstrogènes aux hommes. En fait, il semblerait que c’est plutôt parce que les Chinoises ne fument pas qu’elles mourraient moins du covid 19. Cela n’a pas de rapport direct avec leurs chromosomes. Leur sexe est un facteur confondant.

 

L’inégalité économique n’est pas toujours assimilée de la même façon. Elle peut signifier la détérioration des conditions de vie pour une partie de la population, ensuite estompée par la moyennisation avec le reste de la population, mais cet embellissement statistique ne fait que cacher des tensions sociologiques, surtout dans des territoires ségrégés. La question est donc avant tout culturelle. Par ailleurs, la croissance économique d’un pays conditionne aussi l’efficacité de sa réponse à la criminalité et sa répression : il ne faut pas seulement regarder du côté des criminels potentiels. Là encore cependant, les corrélations nous font nous mettre le doigt dans l’œil, parce qu’une « corrélation » évidente existe entre de plus grandes dépenses de police et un taux de criminalité plus élevée… parce que le taux de criminalité élevé a suscité ces dépenses importantes.

 

Ces phénomènes « culturels » ne sont pas indépendants des variables économiques que nous avons évoquées. L’effet de l’avortement sur le taux de criminalité est largement documenté, et cette pratique est notoirement plus répandue dans les pays développés. Par extension, elle agit sur les ratios d’hommes par femmes. On peut, pour une explication causale, convoquer d’autres outils d’analyse comme le ratio de Mesquida, qui mesure le nombre de jeunes hommes (15 à 29 ans) dans une population donnée. Ce facteur est pertinent pour la mesure de la criminalité, car les études montrent que la majorité des homicides sont commis par des jeunes hommes (plus précisément entre 15 et 34 ans) (Kanazawa et Still 2000).

 

On peut donc supposer une homogénéité culturelle de sociétés inégalitaires et violentes, où le facteur culturel est un facteur confondant : l’association violence/inégalité disparaîtrait quand on contrôle pour d’autres variables dans la même aire culturelle. C’est par exemple ce que montrent abondamment les études de Zhang 2018 sur les comtés américains, où l’on a peine à voir une corrélation, même en plissant les yeux, à partir d’un certain niveau de granulation géographique : comme l’écrit Songman Kang, professeur d’économie de Séoul, “Using  tract- and county-level  U.S.  Census panel data, I decompose county-level income inequality into its within- and across-tract components and examine the extent to which county-level crime rates are influenced by local  inequality  and  economic  segregation.   I  find  that  the  previously  reported  positive correlation between violent crime and economic inequality is largely driven by economic segregation  across  neighborhoods  instead  of  within-neighborhood  inequality.   Moreover, there is little evidence of a significant empirical link between overall inequality and crime when county- and time-fixed effects are controlled for. On the other hand, a particular form of economic inequality, namely, poverty concentration, remains an important predictor of county-level crime rates across various specifications.”

 

La criminalité, un problème culturel ?

 

Cette analyse culturelle avait été ouverte par Simpson 1985. Il soulignait alors que la meilleure manière de maximiser cette violence très endogène était d’augmenter l’hétérogénéité ethnique des villes, afin de multiplier les foyers de violence (on sait de même depuis longtemps que les agressions en général sont fortement interraciales). A l’inverse, des zones de plus grande homogénéité culturelle facilitent l’exercice d’un contrôle social informel, plus efficace dans la prévention et la répression des crimes que la police d’Etat perpétuellement impotente. La question de l'envie est également cruciale dans cette perspective : elle peut être une cause de

retard de la croissance économique en même temps qu'elle favorise la criminalité. Dans une certaine mesure, la criminalité est aussi un facteur qui entérine les inégalités économiques.

 

Difficile après ça de s’entendre dire qu'il s'agit d'un phénomène, que dis-je, d'une loi économique, et non culturelle. Car si c’était une loi économique, on ne voit pas pourquoi elle s’appliquerait entre pays et pas au sein du même pays. Or ce n’est pas le cas. Il n’y a pas plus inégalitaire que l’Île-de-France en France, mais les départements les plus criminels (en taux de crimes et délits pour mille habitants, nous parlons d’un rapport de 1 à 2 en pourmille, de 35 à 72 pour les données de 2014) sont les Alpes-Maritimes, les Bouches-du-Rhône et… Mayotte, où ce n’est pas l’inégalité qui est un problème. Non, le problème là-bas, c’est que tout le monde est pauvre. Encore est-il vrai qu’il y a beaucoup d’inégalités en Seine-Saint-Denis, et beaucoup de crimes, mais dans ce cas il est étrange qu’à Paris, où l’on observe les inégalités les plus criantes, le taux de criminalité ne s’élève « qu’à » 59 pourmille, moins qu’en Haute-Garonne ou dans l’Hérault, qui est un département pauvre avant d’être inégalitaire. On nous rétorquera que l’inégalité s’exerce entre les régions au sein d’un pays, mais alors pourquoi ne s’exerce-t-il pas aussi entre les pays ? Et comment les inégalités « mondiales » croissent-elles alors que la violence diminue ? Quelle échelle voulez-vous prendre exactement ?

 

Car parler d’ « inégalités mondiales » n’a pas de sens, à moins de rêver d’un monde où le revenu médian du Bangladesh est équivalent à celui du Luxembourg. Ce qui n’arrivera pas. Il y a de l’inégalité criminelle là où la pauvreté est s’enracine dans un terreau culturel fertile d’envie et de frustration, par exemple sexuelle (retour de nos jeunes hommes de 15 à 34 ans). Mais de l’inégalité, on en trouvera partout : l’envie cimente les relations sociales à toutes les échelles de la hiérarchie. On envie surtout celui qui gagne un peu plus (Freud parlait fameusement du « narcissisme des petites différences »), aussi toute déviation de la « ligne de parfaite égalité » de la courbe de Lorenz a-t-elle des effets disproportionnés non pas seulement « à différentes échelles » mais à toutes les échelles. Et oui, Daly, Martin; Wilson, Margo and Vasdev, Shawn. (2001) ont montré qu’une diminution de 0.01 point de l’indice de Gini entraînait (quoiqu’on ne sache pas comment ni où) une diminution de 12.7% du nombre d’homicides pour 100,000 habitants.

 

Mais le crime est un phénomène local. Comme il est assez rare que les tueurs traversent le pays pour assassiner leur victime, les différences de revenus entre Seattle et Detroit importent sans doute moins que les différences de revenus au sein de Detroit ou Seattle. Kang 2014 nous rappelle l’importance des dynamiques locales : en effet, si l’inégalité entre différentes régions peut mener à des niveaux de criminalité plus élevés, les inégalités « naturelles » au sein d’une aire géographique ont plutôt tendance à les diminuer, sans doute davantage du fait de l’environnement culturel qui a rendu ces organisations respectives possibles. Le modèle du choix rationnel de Becker, note Kang, nous aide à comprendre pourquoi un criminel ne s’attaquerait pas à beaucoup plus mais seulement à un peu plus riche que lui : la première catégorie sait se défendre, et présente un coût trop élevé.

 

Nous avons donc tenté de ramener l’unité d’analyse à un niveau beaucoup plus proche de nous. La moyenne de l’activité criminelle d’une ville entière est une mesure trop grossière pour être aisément manipulée et comprise. On voit ici apparaître certains effets de seuil non-linéaires que nous avions supposés plus haut, notamment dans les quartiers les plus pauvres. Ce n’est pas la quantité mais la manière dont le crime ou les criminels sont distribués qui nous importent.

(Bibliographie)

 

Pour Wikibéral, ça serait plutôt à intégrer à une entrée sur les inégalités économiques. Celui que nous avons est bref et peu technique (il ne rentre pas dans les détails des indices etc). Je veux bien évidemment bien le faire mais pas tout de suite, je ne suis pas assez instruit. Mais on pourrait ajouter

  • une section sur l'histoire de l'économie des inégalités (qui intégrerait, je sais pas moi, Pareto)
  • une section technique sur les différents indexs
  • une section sur la confusion pauvreté/inégalité
  • une section sur les "effets" non-économiques des inégalités, soi-disant, comme la criminalité donc
  • une section sur le débat Taleb/Piketty, parce que je trouve que c'est un des meilleurs trucs que Taleb ait fait
  • une section sur les critiques de Piketty (mais ça, je peux vraiment pas le faire sans avoir lu au moins Le Capital au XXIème siècle et c'est pas pour demain)
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