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Hayek et le DN


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il y a une heure, Solomos a dit :

Parmi ceux qui n'y croient pas, il y a Hayek.

On en avait parlé irl mais je ne suis pas d'accord. Je crois au contraire qu'il défend une version un peu particulière du DN qui est que la loi naturelle ce sont les lois économiques, qui sont testées au fil de l'évolution culturelle. Je crois que c'est néanmoins du DN dans le sens large d'un étalon au regard duquel on juge le droit positif. La finesse de Hayek est qu'il ne parle pas de "droit naturel" ou d'ordre naturel mais d'ordre spontané, mais cette spontanéité est ce qui émerge de l'inventivité humaine laissée à son libre cours, et ici Hayek reprend seulement la définition de la nature donnée par Hume, qui est toujours son grand maître, et qui rend son jusnaturalisme compatible avec sa critique du constructivisme (par exemple il déteste le jusnaturalisme de Locke) (Mankind is an inventive species; and where an invention is obvious and absolutely necessary, it may as properly be said to be natural as any thing that proceeds immediately from original principles, without the intervention of thought or reflection. Though the rules of justice be artificial, they are not arbitrary. Nor is the expression improper to call them Laws of Nature; if by natural we understand what is common to any species, or even if we confine it to mean what is inseparable from the species.) L'idée de Hayek est que l'existence de l'ordre spontané des règles est bénéfique pour nous, mais Dawkins corrigerait: est bénéfique pour les règles (nous sommes les véhicules). C'est assez difficile de concilier le darwinisme et le jusnaturalisme. Ce n'est pas la seule tension dans l'oeuvre de Hayek.

Un mec qui pense comme moi https://www.amazon.com/Hayek-Natural-Law-Erik-Angner/dp/0415547822

 

@Lancelot avait aussi une lecture jusnaturaliste de DLL, et quelque part il doit y avoir des messages où il explique. J'ai mis du temps à retrouver: c'était il y a une dizaine d'années pendant un débat de haute voltige avec Gio:

 

  • Yea 5
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Ah j'ai encore créé un sujet sans le faire exprès donc

let-us-talk-about-it-benedict-cumberbatc

(Il n'y pas pas beaucoup d'auteurs qui provoquent des discussions herméneutiques enflammées à part Hayek ici; je suis d'accord c'est génial Hayek mais c'est pas Dieu non plus.)

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36 minutes ago, Vilfredo said:

@Lancelot avait aussi une lecture jusnaturaliste de DLL, et quelque part il doit y avoir des messages où il explique. J'ai mis du temps à retrouver: c'était il y a une dizaine d'année pendant un débat de haute voltige avec Gio

C'est moche de ressortir des dossiers pareils. Maintenant tu vas me forcer à écrire un truc propre pour ne pas que les curieux aient à s'infliger ça.

 

16 minutes ago, Vilfredo said:

Ah j'ai encore créé un sujet sans le faire exprès

Pourquoi ai-je l'impression que je me retrouve souvent embarqué dans ces histoires d'une manière ou d'une autre, même quand je n'ai rien demandé ? ?

  • Haha 3
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il y a 15 minutes, Lancelot a dit :

C'est moche de ressortir des dossiers pareils. Maintenant tu vas me forcer à écrire un truc propre pour ne pas que les curieux aient à s'infliger ça.

Je trouve que ce message est déjà suffisamment clair:

il y a 15 minutes, Lancelot a dit :

Pourquoi ai-je l'impression que je me retrouve souvent embarqué dans ces histoires d'une manière ou d'une autre, même quand je n'ai rien demandé ? ?

Ben à part parfois @Mégille, notamment sur l'école autrichienne, @F. mas et toi, il n'y a pas beaucoup de posteurs qui font des topos sur des questions d'idées. Ça doit être un truc de philosophes.

 

En outre, les curieux peuvent lire wikipedia

Citation

Nobel Prize winning Austrian economist and social theorist F. A. Hayek said that, originally, "the term 'natural' was used to describe an orderliness or regularity that was not the product of deliberate human will. Together with 'organism' it was one of the two terms generally understood to refer to the spontaneously grown in contrast to the invented or designed. Its use in this sense had been inherited from the stoic philosophy, had been revived in the twelfth century, and it was finally under its flag that the late Spanish Schoolmen developed the foundations of the genesis and functioning of spontaneously formed social institutions."[135] The idea that 'natural' was "the product of designing reason" is a product of a seventeenth century rationalist reinterpretation of the law of nature. Luis Molina, for example, when referred to the 'natural' price, explained that it is "so called because 'it results from the thing itself without regard to laws and decrees, but is dependent on many circumstances which alter it, such as the sentiments of men, their estimation of different uses, often even in consequence of whims and pleasures."[136] And even John Locke, when talking about the foundations of natural law and explaining what he thought when citing "reason," said: "By reason, however, I do not think is meant here that faculty of the understanding which forms traint of thought and deduces proofs, but certain definite principles of action from which spring all virtues and whatever is necessary for the proper moulding of morals."[137]

This anti-rationalist approach to human affairs, for Hayek, was the same which guided Scottish enlightenment thinkers, such as Adam Smith, David Hume and Adam Ferguson, to make their case for liberty.[138] For them, no one can have the knowledge necessary to plan society, and this "natural" or "spontaneous" order of society shows how it can efficiently "plan" bottom-up.[139] Also, the idea that law is just a product of deliberate design, denied by natural law and linked to legal positivism, can easily generate totalitarianism: "If law is wholly the product of deliberate design, whatever the designer decrees to be law is just by definition and unjust law becomes a contradiction in terms. The will of the duly authorized legislator is then wholly unfettered and guided solely by his concrete interests."[140] This idea is wrong because law cannot be just a product of "reason": "no system of articulated law can be applied except within a framework of generally recognized but often unarticulated rules of justice."[141]

https://en.wikipedia.org/wiki/Natural_law#European_liberal_natural_law

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Quand on a évoqué le sujet IRL, j'avais eu la flemme de ma lancer dans le débat, je saisis donc l'occasion de me rattraper.

 

 

1 hour ago, Vilfredo said:

Je crois au contraire qu'il défend une version un peu particulière du DN qui est que la loi naturelle ce sont les lois économiques, qui sont testées au fil de l'évolution culturelle. Je crois que c'est néanmoins du DN dans le sens large d'un étalon au regard duquel on juge le droit positif.

 

Si on accepte ce "sens large du DN", je suis d'accord que Hayek défend un DN.

Mais j'ai du mal avec cette définition large, parce que je pense qu'elle permet de faire entrer beaucoup de monde dans le club des défenseurs du DN.

D'ailleurs ne pourrait-on pas dire que chez Marx les lois naturelles ce sont les lois économiques, que l'histoire les rend manifestes et que ce déroulement historique est un étalon dans la mesure où l'on peut juger le droit positif selon qu'il favorise ou non l'aliénation ?

Je pense que le glissement Droit Naturel vers Loi naturelle est déja une altération du sens du Droit Naturel.

Le Droit Naturel découle de la "nature humaine" (qu'on suppose fixe lors des derniers 2500 ans) et est donc un critère anhistorique. Si Hayek ne peut que reprocher d'ignorer l'enseignement de l'évolution des sociétés humaines, il n'aura rien à redire au fait qu'en -300 on pratiquait l'esclavage. Or, amha, un défenseur du DN c'est justement quelqu'un qui dit "peu importe l'époque, l'esclavage c'est mal parce que ça viole un droit que possède n'importe quel homme de n'importe quelle époque"

 

 

Je cite Droit, Legislation et Liberté pour clarifier ce que j'entends par DN qui est réfuté par Hayek
 

Quote

 

Lorsque nous utilisons
« nature» et « naturel» pour désigner l'ordre permanent du monde
extérieur ou matériel, par opposition à ce qui est surnaturel ou à ce
qui est artificiel, il est clair que nous voulons dire tout autre chose que
lorsque nous utilisons ces mots pour dire que quelque chose fait
partie de la nature d'un objet.

Alors que, dans le premier sens, les
phénomènes culturels ne sont évidemment pas « naturels », dans le
second sens un phénomène culturel particulier peut faire certaine-
ment partie de la nature de certaines structures culturelles, autrement
dit en être indissociable.
Assurément, l'on ne peut valablement représenter les règles de
juste conduite comme naturelles au sens de parties d'un ordre externe
et éternel des choses, ni comme implantées en permanence dans une
inaltérable nature humaine, ni même au sens que l'esprit humain est
ainsi constitué une fois pour toutes qu'il lui faille adopter ces règles
de conduite précises.
En revanche, il ne s'ensuit pas que les règles de
conduite qui en fait guident l'homme doivent forcément résulter
d'un choix délibéré fait par lui; ni qu'il soit capable de former une
société en adoptant n'importe quelle règle qu'il décide de poser; ni
que ces règles ne puissent pas lui être procurées sans qu'intervienne
une volonté personnelle, et donc avoir en ce sens une existence
« objective».

 

 

 

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il y a 15 minutes, Solomos a dit :

D'ailleurs ne pourrait-on pas dire que chez Marx les lois naturelles ce sont les lois économiques, que l'histoire les rend manifestes et que ce déroulement historique est un étalon dans la mesure où l'on peut juger le droit positif selon qu'il favorise ou non l'aliénation ?

Je ne sais pas si Marx dirait qu'on peut juger les sociétés selon le degré d'aliénation que permet leur superstructure (dont le droit positif fait partie), parce qu'il y a aussi un déroulement nécessaire de l'histoire. Les lois naturelles ne jouent donc pas un rôle critique mais seulement descriptif et scientifique (pseudoscientifique pour Popper ou pour Benjamin). En outre, ce sont les lois qui gouvernent la matière, mais je ne sais pas si on peut isoler dans ce matérialisme historique une théorie de la nature humaine, au sens où on la trouve dans Hobbes, pour citer quelqu'un qui fait une différence très claire entre loi naturelle et droit naturel: la loi naturelle, c'est que l'homme cherche à survivre; le droit naturel, c'est qu'il est libre de tout faire pour conserver sa vie (ça sera la base du droit de résistance dans l'état civil) (on pourrait aussi dire que dans Hobbes la théorie de la nature humaine n'est qu'une section de son matérialisme). Après je ne connais pas bien Marx donc je dis peut-être une bêtise. Mais sur la dichotomie loi/droit naturel, je vois pas le problème. Ou alors tu as une position straussienne, qui est que le "vrai" DN, c'est le DN antique.

il y a 24 minutes, Solomos a dit :

Le Droit Naturel découle de la "nature humaine" (qu'on suppose fixe lors des derniers 2500 ans) et est donc un critère anhistorique. Si Hayek ne peut que reprocher d'ignorer l'enseignement de l'évolution des sociétés humaines, il n'aura rien à redire au fait qu'en -300 on pratiquait l'esclavage.

Hayek a une perspective évolutionniste (les normes émergent de la concurrence culturelle; il ne parle pas d'"histoire" parce que c'est déjà une façon très modélisée d'approcher l'histoire), pas historiciste. Je ne sais pas ce que Hayek pensait de l'esclavage en -300, mais à mon avis sa position à la fin de sa vie (quand il écrit Rules and Order) aurait été qqch de l'ordre de: tant que c'est économiquement profitable, c'est inutile de l'interdire parce que ça continuera en pire, et quand ça ne le sera plus, ça disparaîtra spontanément comme c'est venu. Au fond c'est ça l'ordre spontané: une evolutionary stable strategy.

il y a 28 minutes, Solomos a dit :

Or, àmha, un défenseur du DN c'est justement quelqu'un qui dit "peu importe l'époque, l'esclavage c'est mal parce que ça viole un droit que possède n'importe quel homme de n'importe quelle époque"

Amha, là tu décris un défenseur des droits de l'homme. Michel Villey fait du poisson torpille dans sa tombe.

 

Pour m'excuser de trop solliciter parfois @Lancelot je vais moi-même faire un topo (j'avais lu plusieurs fois le livre de Villey l'an dernier donc je l'ai très bien en tête)

 

Le terme de droit, rappelle Villey, s’entend en deux sens : (1) c’est d’abord l’"avantage" d’un sujet, une qualité personnelle (a) ou ce à quoi ce sujet peut prétendre, càd ce qui n’est pas interdit/ce qui est autorisé (dürfen) (b), et c’est ce qu’on appelle le droit subjectif ; (2) c’est ensuite l’ensemble des lois de l’Etat, qu’on appelle le droit objectif. Cette deuxième acception, le positivisme juridique, se targue de cultiver le droit "tel qu’il est", mais il se trouve que, justement, le droit a d’autres sources : la coutume, la jurisprudence et la nature de l’homme, d’où des "droits de l’homme" qu’on oppose au droit positif.

 

Le juste, qu’analyse ensuite Villey, se conforme à l’ordre. L’esclave juste se limite à bien faire son travail d’esclave : une société juste est une société bien ordonnée (ce n’est pas nécessairement une société équitable et égalitaire). Aristote défend l’idée que le juste prospère davantage dans une Cité juste. Dans cette perspective, le droit est l’objet de la justice. Le juste est souvent de ne pas prendre plus que sa part, de respecter la juste mesure, dans les exemples d’Aristote, aussi le droit est-il originairement principalement la codification de la morale hellénistique. Le droit et le juste sont exprimés dans le texte grec par un seul mot, to dikaion, qui désigne un étant. Cet étant n’est pas une substance mais une relation, c’est pourquoi, par extension, il peut désigner la part qui revient à chacun. Cette conception, souligne Villey, est incompatible avec le partage moderne entre droits subjectif et objectif : il n’y a pas d’homme juste s’il n’effectue pas des actes justes et s’il n’est pas disposé à la justice par la vertu. Le juste n’a rien à voir avec la liberté. La notion de "partage" est le fondement de la justice distributive, mais son interprétation liberal est un contresens sur Aristote : il ne s’agit pas de "redistribuer" les richesses (comme si elles avaient été distribuées tout court), mais pour le juge de vérifier la justice d’une répartition préalablement établie (Aristote ne dit pas par qui). La notion de "mesure" s’étend à la "justice commutative", celle des échanges réglés par la rétribution et dont le principe est la loi du talion (qui est juste).

 

Le droit romain reprend la définition aristotélicienne du droit, défini par sa fin, dans le cadre du monde sublunaire où tout est puissance et acte et tend vers sa fin naturelle, exprimée par Cicéron dans De Oratorio en ces termes : Sit ergo in jure civili finis hic : legitimae atque usitatae in rebus causisque civium aequabilitatis conservatio. (Ça veut dire: Soit (au sens: qu'il y ait) donc cette limite/fin dans le droit civil: la conservation, dans les affaires et les disputes (causis) des citoyens, d'une impartialité fondée sur la loi et les usages. Le "civium" veut dire que le droit civil est politique, et règle donc les relations entre des individus égaux et distincts : il ne s’occupe donc pas des relations familiales, car les individus ne sont pas assez distincts, ni des relations entre Etats, car le facteur d’égalité manque entre citoyens et étrangers.

 

Mais le droit romain accorde une place différente à la loi : elle désigne l’organisation judiciaire et la procédure, si bien que, sans elle, il ne pourrait exister de jus civile. Mais il n’en reste pas moins que les deux sphères (droit et loi) sont séparées. Le droit civil est le travail d’interprétation des jurisconsultes, i.e. d’interprétation des mœurs, en l’absence de toute loi écrite ; le métier juridique n’est donc pas une déduction à partir de lois, mais connaissance de la réalité sociale. La loi décrit le droit, réalité qui lui préexistent, que les jurisconsultes recherchent. "Au-delà des règles, au-dessus des textes, est la réalité du droit." (Villey, ed PUF, 68). Ce n’est pas le DN moderne, il ne "tombe pas d’en haut", il est connu par observation. Il désigne un ensemble de choses. Par "chose", il ne faut pas entendre une définition physique, mais une cause, càd ce dont s’occupe le juriste. Saint Thomas explique en quoi ces choses dont on parle sont incorporelles en prenant l’exemple de la propriété (Somme, IIae, IIae, qu. 66, art. 2) : quand je reçois la propriété d’une terre, je ne reçois pas la terre, car la terre appartient à Dieu ; je n’en reçois pas l’usage, qui appartient à tous, et demeure commun ; je n’en reçois que la gestion. A Rome, c’est en effet le sens de la proprietas, qui est ce qu’aujourd’hui on appellerait seulement usufruit. Villey définit donc les "choses" comme "des compétences, des fonctions, des rôles à tenir dans la vie sociale intersubjective" (76).

 

Comment réconcilier cette interprétation du droit avec l’idée de "droits subjectifs", propres au sujet ? Villey répond simplement : il n’y a pas de réconciliation à faire, car il n’y a pas de "droits subjectifs". Certes, le Digeste parle de droits comme celui de surélever sa maison, qui serait un droit subjectif, parce qu’il me donne un "avantage" ou un privilège ; mais juste après, il est aussi écrit que j’ai le "droit" de ne pas surélever ma maison, pour ne pas priver mon voisin de la vue. Interpréter ce second droit comme un quelconque avantage est grotesque : il s’agit d’une restriction, d’une obligation, qui souligne bien la définition donnée plus haut du droit comme "chose". "Le jus… n’est pas un attribut attenant au sujet…, mais cette part de choses qui revient à chaque personne dans le groupe" (78). Cette part qui revient à chacun est un complexe d’avantages et d’inconvénients (le jus civitatis, c’est le droit de vote et le service militaire). Ce n’est qu’avec la Modernité, Kant et Hegel, qu’est apparue la distinction entre droit réel (sur les res) et personnel (sur les personae).

 

Villey, après cet exposé, affronte la critique évidente : comment appliquer ce droit antique à la modernité ? Dans l’Antiquité existait une anthropologie et une morale universalistes : c’est par exemple la loi de Zeus intimée à Antigone, par une sorte de divination selon Aristote (Rhétorique, I, 13), et qui n’est pas le DN (au sens moderne). Cette loi est morale, présente en tous, dicte les devoirs et indique les mauvaises actions (Cicéron, De Republica, III, 22). Les devoirs d’assistance, d’aide envers les pauvres, d’hospitalité, les livres d’Homère en fournissent de nombreux exemples. Les lois sont les instruments de cette morale universelle. Platon, comme Aristote, n’aborde pas le droit dans ses ouvrages de politique ; en revanche, il aborde l’éducation et la sexualité qui, si elles ne sont pas tempérées et bien réglées, provoquent la maladie du corps social. Villey me rappelle une remarque de E Barker dans Plato and His Predecessors, qui note que les Anciens étaient marqués par le primauté de la loi, tandis que les Modernes le sont par celle du droit. La morale sociale antique se donne plusieurs outils : l’éducation, la réputation (fama, infama) et la punition ou la récompense. Ici je vois bien ce qui fait bander les anarcaps dans Villey. On trouve un exemple de l’effectivité de cette morale sociale au début de l’Eutyphron, quand Eutyphron dit à Socrate vouloir intenter un procès à son père parce qu’il a laissé mourir un esclave au cachot. Il ne s’agit pas de défendre les droits de l’homme mais de laver une infamie, une souillure laissée par la conduite impie du père, c’est pourquoi Eutyphron demande justice devant l’Archonte roi. Que la situation réelle des esclaves à Athènes et Rome fût sombre est hors de doute ; mais la question est : quel système de normes, de la morale universaliste et sociale de l’Antiquité ou des droits de l’homme, protège le mieux les hommes ?

 

La raison pour laquelle cette morale antique se distingue radicalement du DN moderne est que l’inégalité y est la règle, et qu’elle ne reconnaît pas de concept unifié de nature humaine : la femme ne saurait avoir les mêmes droits que l’homme, le débiteur que le créancier, le criminel que l’innocent ; l’Antiquité ne connaît pas la personne humaine (une notion chrétienne), l’homo noumenon de Kant ; elle ne connaît que des personnes et des cas. Que le droit civil s’élargît, par exemple à Rome, de façon significative, vu l’ampleur de l’empire, n’a jamais donné naissance à des droits de l’homme : ce droit restait civil, propre à une Cité (Rome). Il ne pourrait y avoir de droits de l’homme que dans une Cité mondiale, ce qui est un oxymore. Ce n’est pas Villey, c’est moi, mais on pourrait distinguer :

  • Le droit naturel classique, relatif au cosmos ;
  • Le droit naturel moderne, qui s’appuie sur la nature humaine seulement, avec plusieurs formulations très différentes (Hobbes, où on ne sait pas très bien d’où sortent ces droits, Locke, qui les fait dériver de Dieu) ;
    • Je fais un encart dans le DN moderne pour Hayek, qui considère que le DN n’est pas premier, mais qu’il est le résultat de l’étude des effets des normes. Un mauvais parachute => risque d’accident étant donné la gravité => problème moral (qui relève du droit positif), et mauvais droit positif => risque d’accidents étant donné la loi naturelle => problème moral (qui relève du DN). Cette étude des normes, càd des droits positifs, qui collectionnent les normes en concurrence dans la société, aboutit à des jugements de valeur sur ce que les droits positifs devraient contenir ou pas pour être "bons", au sens précisément où on parle d’un "bon parachute" (merci Lancelot). Le DN devient une construction a posteriori et non a priori. Il y a une part d’a priori, qui est que les hommes ont une disposition au droit, un peu comme Chomsky a montré une disposition au langage, mais de même que cette disposition au droit n’est pas une disposition à tel ensemble de règles de conduite (comme le sont les droits de l’homme), de même la disposition au langage n’a pas abouti à un langage universel.
  • Le droit positif ;
  • Et cette étrange sorte de droit positif que sont les droits de l’homme, qui sont une sorte de droit positif universel, qui n’a rien à voir ni avec le DN classique, ni avec le DN moderne.

Le point central, c'est que la nature humaine, ça ne veut pas dire l'égalité parmi les hommes. Marx ne s'y est d'ailleurs pas trompé en lisant la DDHC. Personne ne pense ça en Grèce, personne ne pense ça au Moyen-Âge, personne ne pense ça à l'époque de Hobbes et Locke (qui écrit quand même un chapitre entier sur le droit de conquête; pour lui, la political relationship n'existe qu'entre hommes libres, et on peut aliéner sa liberté naturelle en agissant mal), et même après la DDHC, on a conquis l'Afrique en son nom. Ma conclusion, c'est que je ne comprends pas quel DN tu critiques (moderne ou ancien), mais j'ai fortement l'impression que les seuls jusnaturalistes qui défendent vraiment la condamnation anhistorique de l'esclavage, c'est les libertariens à-la Rand et Rothbard. J'ai fait exprès de pas les inclure dans la typologie du DN parce que faut pas exagérer.

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Il y a 1 heure, Solomos a dit :

Je cite Droit, Legislation et Liberté pour clarifier ce que j'entends par DN qui est réfuté par Hayek

Oui en fait Hayek hérite du DN pré-moderne (plus médiéval qu'antique) l'idée d'une sorte de logique de la découverte légale (la compétition étant ce processus de découverte). Et j'ajouterais qu'avoir une conception non-critique du DN n'est pas si original que ça en fait: c'est aussi celle de Aristote, Montesquieu, Burke, Hegel etc (les conservateurs). Pour Aristote, il faut se rappeler sa métaphysique qui veut que les choses soient puissance et acte. L’exemple de cette physis est le germe d’une plante, qui peut se développer en arbre mais pas en chapeau pointu : le DN peut varier sans que ça empêche de distinguer ce qui est naturel de ce qui ne l’est pas. Ma typologie était en effet incomplète.

 

Mettons les choses comme ça:

La définition que tu proposes du DN me semble reposer sur 1) la distinction des droits objectifs et subjectifs. Mais j'ai essayé de montrer dans mon wot qu'elle n'était pas inhérente à la tradition jusnaturaliste antique ni médiévale. 2) Une conception anhistorique, critique du DN. Mais j'ai essayé de montrer, dans mon wot et ici aussi, que c'était une tradition parmi d'autres, qui s'opposait à la tradition "conservatrice", qui considère le droit d'un point de vue social, comme 'chose' au sens de Villey, complexe de relations, et non comme droit de propriété individuel, sans pour autant qu'on ne puisse pas utiliser le DN contre le droit positif. 3) Une conception égalitariste de la nature humaine (condamnation de l'esclavage), qui pour le coup ne me paraît ni antique, ni moderne (mais plutôt droit-de-l'hommiste ou contemporaine).

 

Hayek, lui, mélange un peu tout, ce qui le rend difficile à classer. Il reprend, si je résume, aux médiévaux l'idée de la découverte du droit, aux conservateurs une conception non-critique et "plurielle" du DN, qu'il appuie sur une conception moderne de la nature, qui n'est pas le cosmos de la physis grecque mais la nature telle que la pense Hume et les Lumières écossaises, enrichie par l'évolutionnisme Darwinien, qui joue un rôle de pont entre l'historicisme hégélien et l'anhistoricisme du DN moderne relu et corrigé par Rothbard ou les droits de l'homme.

 

(J'ai édité)

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Il y a 13 heures, Vilfredo a dit :

Villey me rappelle une remarque de E Barker dans Plato and His Predecessors, qui note que les Anciens étaient marqués par le primauté de la loi, tandis que les Modernes le sont par celle du droit.

(Aparté : on retrouve la même réflexion chez Strauss dans Droit naturel et histoire : la pensée des anciens part d'une Loi Naturelle, les modernes d'un (des) Droit(s) naturel(s), la conservation de soi pour Hobbes et Locke).

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Le 03/01/2022 à 00:29, Vilfredo a dit :

...

 

La raison pour laquelle cette morale antique se distingue radicalement du DN moderne est que l’inégalité y est la règle, et qu’elle ne reconnaît pas de concept unifié de nature humaine : la femme ne saurait avoir les mêmes droits que l’homme, le débiteur que le créancier, le criminel que l’innocent ; l’Antiquité ne connaît pas la personne humaine (une notion chrétienne), l’homo noumenon de Kant ; elle ne connaît que des personnes et des cas. Que le droit civil s’élargît, par exemple à Rome, de façon significative, vu l’ampleur de l’empire, n’a jamais donné naissance à des droits de l’homme : ce droit restait civil, propre à une Cité (Rome)....

 

Non, je ne suis pas vraiment d'accord. Si historiquement, la société grecque ne reconnaissait pas l'égalité en droit, avec ses 3 classes sociales (citoyen, métèque et esclave), c'est bien la philosophie grecque qui est la mère des DN, elle qui met l'usage de la raison au centre. Il n'y aurait pas de DN sans philosophie grecque et sans philosophie des lumières.

La condamnation à mort de Socrate est simplement l'illustration que la loi fut elle injuste prime sur l'individu et sur la raison. Ce qui reste vrai aujourd'hui...

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La notion d’individu n’a pas de sens en Grèce antique. Et ils n’ont même pas non plus la notion d’un droit qui s’oppose à la loi: Socrate refuse de fuir quand il le peut encore par respect pour la loi

  • Yea 4
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Ton argumentation consiste à dire que la morale antique est contraire au droit naturel, et donc que le droit naturel n'existe pas dans l'antiquité.

Le problème c'est qu'on tout aussi bien prendre pour exemple nos sociétés, les lois qui sont en vigueur, et considérer que le droit naturel n'y existe pas davantage dans la mesure où le droit de propriété est très relatif, la liberté également...

La base du droit naturel c'est le primat de la raison en l'homme qui lui permet d'affirmer son indépendance et sa liberté vis à vis de la société. 

C'est précisément cet aspect de la liberté qui fut reproché à Socrate et la raison de sa mise à mort.

Socrate est un des pères fondateurs du DN, il l'a payé de sa vie.

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il y a 17 minutes, POE a dit :

Ton argumentation consiste à dire que la morale antique est contraire au droit naturel,

Mais de quel droit naturel parle-t-on dans cette phrase?

il y a 17 minutes, POE a dit :

Le problème c'est qu'on tout aussi bien prendre pour exemple nos sociétés, les lois qui sont en vigueur, et considérer que le droit naturel n'y existe pas davantage dans la mesure où le droit de propriété est très relatif, la liberté également...

Dans une branche de l'analogie, on a la morale et "le" droit naturel (whatever that means)

Dans l'autre on les lois et "le" droit naturel

Mais les lois != la morale

il y a 18 minutes, POE a dit :

La base du droit naturel c'est le primat de la raison en l'homme qui lui permet d'affirmer son indépendance et sa liberté vis à vis de la société. 

Non

il y a 19 minutes, POE a dit :

Socrate est un des pères fondateurs du DN, il l'a payé de sa vie.

Et non plus

 

C'est bien ça servait pas à rien de résumer Villey. Je me disais que c'était parfois un peu trop long comme résumé pour le sujet mais finalement...

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Si tu pars du principe qu'il y a plusieurs DN, et qu'il faut avoir forcément lu tous les auteurs qui en ont parlé, le droit en question n'a effectivement plus rien de naturel.

La base du DN c'est de considérer que les personnes auxquelles il peut s'appliquer sont identiques par leur nature, c'est à dire une nature humaine qui leur permet d'utiliser la lumière de la raison pour découvrir par eux même ce qui est bien ou mal.

 

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C'est à dire que le DN n'appartient même pas aux libéraux, ni à personne. Ce sont les préceptes universels de droit que chaque individu peut découvrir par lui même.

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il y a 11 minutes, POE a dit :

Si tu pars du principe qu'il y a plusieurs DN

Plutôt plusieurs traditions (grosso-modo deux : l'Ancien et le Moderne, la rupture se situant avec Hobbes, avec des points de départ et des finalités différentes).

 

il y a 11 minutes, POE a dit :

C'est à dire que le DN n'appartient même pas aux libéraux

Y a une tradition libérale du DN (avec Locke), mais tous les jusnaturalistes ne sont pas libéraux.

 

il y a 33 minutes, Vilfredo a dit :

Et non plus

Ah ? Tu ne considères pas le Socrate de Platon comme un des pères du DN ? (Vraie question).

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à l’instant, Ultimex a dit :

Ah ? Tu ne considères pas le Socrate de Platon comme un des pères du DN ? (Vraie question).

Ben càd que quand @POE dit "DN" il réfère au DN moderne, donc... Sinon, ce qui est fondamental dans le comportement de Socrate c'est qu'il se reconnaît comme esclave de la loi. Et qu'il est condamné pour ne pas croire dans les dieux de la cité d'Athènes. Enfin, dans l'Euthyphron, Socrate fait fameusement le point suivant: ce qui est juste n'est pas juste parce que c'est aimé par les dieux, c'est ce qui est aimé par les dieux qui est aimé par les dieux parce que juste. Il faut pas croire, la cité définit la justice comme: obéis aux lois. Donc de ce point de vue Socrate est bien le fondateur du DN antique, parce qu'il distingue la loi naturelle et la loi divine. Pour autant, il se soumet à la loi de sa cité (c'est une manifestation de la morale commune, la Sittlichkeit de Hegel), donc ce n'est pas la morale opposable qu'est le DN moderne. Antigone serait plus proche de ça (si ma mémoire est bonne, la pièce de Sophocle vient avant le procès de Socrate) mais je vous rappelle qu'elle meurt. L'interprétation que fait Hegel dans l'Esthétique, à savoir que les personnages de tragédie antique sont simplement trop bons (trop extrêmement moraux généralement) pour survivre dans ce monde, me paraît plus intéressante pour comprendre comment c'était perçu.

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@POE ok mais l'idée que le DN c'est ce que chaque humain peut découvrir avec sa raison, c'est déjà en soi une version du DN. Donc on peut continuer longtemps à jouer au jeu de cette version du DN est le vrai DN!, ça reste une interprétation partielle et vaguement thomiste (doctrine de la syndérèse, pas vraiment un truc grec antique) du DN. Au risque de me répéter, il n'y a pas d'égalité entre tous les "hommes" ni de nature humaine en Grèce. Il y a des Grecs et des barbares, des femmes qui servent à rien d'autre qu'à faire des gosses et des hommes libres. Pour reprendre un exemple de Strauss (je crois), c'est naturel que la tête commande aux pieds, donc c'est naturel que Prospéro commande à Caliban (ne lui dit-il pas, quand il se rebelle: 'my foot my tutor?'). C'est pas vraiment un giodébat, c'est plutôt un jordébat

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Je me bats vraiment pour cette idée que la nature humaine, ça n'est pas l'égalité entre les hommes. Ça c'est un truc inventé par les Untermenschen chrétiens. D'ailleurs il y a une différence visible entre disons la Bible et l'Euthyphron, c'est que ce que croit Euthyphron, c'est que les dieux aiment les hommes pour leurs qualités (s'ils sont forts, beaux (beauté physique = signe de beauté morale), et justes évidemment), alors que dans la Bible, Dieu nous aime parce qu'on est des hommes, et précisément pas pour nos qualités (ou alors je ne comprends rien à la charité chrétienne), juste pour notre "humanité" (ce nouveau concept). Pour être clair sur ce que ça implique, Strauss distingue 3 types de DN classique :

 

1.       Le DN platonicien. Le DN a une idée de la justice qui consiste à donner à chacun ce qui lui revient en vertu de sa nature. Si un petit garçon porte un grand manteau et un grand garçon un petit manteau, au mépris du droit de propriété, la conception platonicienne du DN commande qu’on inverse les attributions (car il est dans la nature du grand garçon d’avoir un grand manteau et vice-versa). Un autre exemple serait celui de l’homme juste qui refuse de rendre à un fou meurtrier l’arme qui lui appartient. La justice donne à chacun ce qui est bon pour lui par nature, indépendamment de la loi et de la société civile.

2.       Pour Aristote au contraire, un droit ne peut être « naturel » s’il va à l’encontre des coutumes de la société. Le DN est partie intégrante du droit politique et c’est sa forme la plus accomplie. L’autre thèse d’Aristote est que le DN est « variable », ce qui a fait l’objet de deux interprétations :

a.       Selon Thomas, ce qui est variable sont seulement les règles particulières dérivées d’axiomes eux immuables.

b.       Selon Averroès, le DN aristotélicien se rapprocherait du droit positif, dont il ne se distinguerait que dans la mesure où il englobe des conventions reconnues par tout le monde.

C’est que l’approche aristotélicienne est bottom-up : une juste décision dans une situation est plus juste qu’une règle générale et le DN est constitué par de telles décisions. Donc il est forcément instable selon Strauss, qui interprète cela comme une force du DN aristotélicien, qui peut s’adapter à l'exception (Aristote il aime bien ça, s'adapter à l'exception). En gros c'est un peu la common law des Grecs.

3.       Pour Thomas, le DN peut être communiqué à tous et revêtir par là un caractère universel. De l’esprit des lois de Montesquieu par exemple peut être lu comme une entreprise anti-thomiste. Je connais pas grand chose à Thomas, je me suis acheté ses Selected Writings en Penguin pour m'y mettre.

 

Mais en attendant "le DN c'est ce que chaque humain découvre avec ses 100 de QI"

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Du coup je vais recopier ici une partie d'un de mes messages sur le thread de l'éthique, qui résume ma vision (qui n'engage que moi etc.) des processus impliqués.

 

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La morale est aussi une entreprise éminemment sociale, et certains principes moraux ont vocation à être appliqués à l'échelle d'une société. Lorsque certaines manières de penser s'imposent dans un groupe elles deviennent des normes qu'il est acceptable de faire respecter a priori au sein de ce groupe. Les lois sont le sous-ensemble de ces normes suffisamment cristallisé (ne pas tuer, ne pas voler, etc.) pour que le groupe trouve légitime de les faire respecter au besoin par la force (du moins c'est le cas quand le processus n'est pas perverti par des législateurs trop zélés). La société peut alors se mêler des affaires d'un de ses membres dans la mesure où il ne respecte pas la loi.
 
Notre sensibilité morale a été forgée par les normes (civilisationnelles, culturelles, familiales...) de l'environnement dans lequel nous avons été élevés. Cependant nous avons la capacité, en notre âme et conscience et d'après notre familiarité avec une situation particulière, de ne pas être d'accord avec certaines de ces normes, de juger qu'elles sont mal représentées par telle ou telle loi ou qu'elles ne devraient pas s'appliquer dans un cas précis. Au niveau collectif les systèmes juridiques incluent typiquement des recours et une prise en compte des circonstances au cas par cas. Les normes évoluent d'ailleurs continuellement.
 
Un des principaux moteurs de l'évolution des systèmes de normes est qu'ils sont en concurrence. Dans une perspective évolutionniste, les bonnes lois constituent un avantage et les mauvaises lois un désavantage pour les nations qui les adoptent. Si on admet qu'il existe des caractéristiques suffisamment invariantes dans toutes les sociétés humaines, l’étude comparative et historique du Droit doit donc mener à la découverte de principes qui, lorsqu'ils sont pris en compte par les lois, nous permettent de survivre et prospérer. Cela ne signifie pas qu'il existe un système de normes idéal unique. Certains principes, comme celui de non-agression, peuvent avoir une portée très générale tandis que d'autres sont plus dépendants du contexte. Par ailleurs l'existence d'un principe ne veut pas dire qu'il n'y a qu’une seule manière d’implémenter ce principe.

 

Les concepts que j'aime manipuler récemment sont un peu éloignés de la formulation en termes de droit naturel, mais ma position sur la question n'a pas tant changé que ça après une dizaine d'années et on peut faire une traduction de manière assez transparente :

  • "des caractéristiques suffisamment invariantes dans toutes les sociétés humaines" => une nature humaine
  • "les bonnes lois constituent un avantage et les mauvaises lois un désavantage pour les nations qui les adoptent" => il existe une loi naturelle qui s'applique
  • "la découverte de principes qui, lorsqu'ils sont pris en compte par les lois, nous permettent de survivre et prospérer" => le droit naturel et son étude

 

Sur la question des différences de systèmes juridiques qu'on observe entre sociétés et si c'est un argument suffisant pour abandonner l'idée du DN, c'est un peu abordé dans la fin du paragraphe. Au risque d'embrouiller les choses en ajoutant d'autres concepts (et je dois encore faire un wall of text satisfaisant sur l'ontologie, l'épistémologie et les processus évolutifs mais ça n'est pas le moment ni le lieu) j'y ajouterais des extraits d'autres messages qui parlent de l'universalité des normes morales :

 

Quote

le fait que le même jugement soit (potentiellement ou nécessairement) fait par différentes personnes. C'est un critère que je considère comme fondamental pour définir l'objectivité en épistémologie (en une phrase quelque chose peut être qualifié d'objectif pour les êtres humains dans la mesure où n'importe quel être humain a la capacité de constater cette chose en supposant sa bonne foi, des facultés et une éducation suffisantes), mais je le vois mal se traduire dans le domaine moral sauf pour des exceptions très bourrines (odeur de pourri => dégoût). Ou alors à un niveau plus méta avec des réflexions de type droit naturel ("les gars à chaque fois que des normes de ce type ont été adoptées ça a foutu une merde pas possible, peut-être bien qu'elles ne sont pas compatibles avec la nature humaine ?").

 

Quote

Ensuite effectivement il y a la question de l'objectiv(abil)ité des normes morales. Je considère que c'est une question d'épistémologique et donc j'adopte le même critère que pour le reste, qui est celui que j'ai décrit dans mon message précédent. Ça permet d'arriver à de grosses lignes directrices pour les types de normes qu'il est judicieux ou pas d'adopter au vu de ce que nous savons de la manière dont les sociétés humaines fonctionnent, de nos expériences historiques etc. Dit autrement, une forme de DN.

 

Je pense que dans "quelque chose peut être qualifié d'objectif pour les êtres humains dans la mesure où n'importe quel être humain a la capacité de constater cette chose en supposant sa bonne foi, des facultés et une éducation suffisantes" la partie en italique devrait satisfaire @Vilfredo sur les histoires de l'homme moyen à 100 de QI.

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il y a 6 minutes, Lancelot a dit :

le fait que le même jugement soit (potentiellement ou nécessairement) fait par différentes personnes. C'est un critère que je considère comme fondamental pour définir l'objectivité en épistémologie

Je crois qu'on avait eu une discussion là-dessus dans le thread sur l'éthique. Je répète ta position pour être sûr de bien la comprendre: le fait que le même jugement puisse être fait par différentes personnes garantit son objectivité, mais comment sait-on a priori que ce jugement est tel qu'il soit susceptible d'être fait par plusieurs personnes? Le fait que le même jugement soit nécessairement fait par plusieurs personnes, qu'elles soient pour ainsi dire forcées de l'accepter (comme vrai?) est un deuxième critère d'objectivité du jugement moral, mais il ressemble surtout à une définition de l'analyticité. C'est intéressant parce que ça coupe un peu l'herbe sous le pied de ceux pour qui les jugements de valeur ne sont pas susceptibles d'être vrais ou faux (ton côté pragmatique). D'un autre côté, si on adopte cette perspective 'philo du langage', on ne peut pas être sûr si l'accord des individus est un fait à propos de la nature humaine ou à propos du sens des mots. L'énoncé analytique c'est: le langage est tel que tel énoncé est toujours vrai (par exemple les tautologies sont des énoncés comme ça, et il existe même en linguistique des deep tautologies, donc c'est aussi trans-culturel). Alors ici ça serait: le langage est tel que tel énoncé est toujours accepté par, disons, la majorité des locuteurs d'une langue donnée, et ça compte comme: vrai, mais ça, ça nous apprendrait plutôt quelque chose sur notre langage; 'accepté/acceptable par tous les locuteurs de la langue' est une propriété de l'énoncé, dans ce scénario, de manière analogue à sa fonction de valuation dans le cas de l'analyticité. Peut-être donc que l'assentiment général, ça veut tout simplement dire que tel énoncé, en vertu de la structure du langage, prend toujours la valeur vrai, ou suscite toujours (presque causalement; je pense aux énoncés "stimulus-analytiques" de Quine) l'assentiment du locuteur. Enfin c'est juste un détail mais le sceptique nihiliste en moi trouve ça amusant. Plus généralement, il faudrait déterminer ce que c'est que l'assentiment spécifiquement moral, sinon toutes les tautologies deviennent des énoncés moraux objectifs. On peut pas vraiment dire que ça se mesure en dispositions à agir, parce que les énoncés vrais sur des états de fait aussi, et si on dit ah ha oui mais à agir moralement, on a seulement mis un nom sur le problème. Bon du reste tu dis toi-même que tu vois mal comment ça s'appliquerait. Je sais bien que "ne pas tuer" n'est pas une règle syntaxique, je dis juste que ton test me paraît être plus calibré pour détecter les règles syntaxiques (ou les énoncés en général qui provoquent l'assentiment des locuteurs en vertu de la structure du langage) que pour isoler les objectivités morales. Bon sinon y a Hoppe.

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Oui c'est pour ça que pour faire bien les choses j'aurais préféré avoir déjà le wall of text sur l'ontologie, l'épistémologie et les processus évolutifs.

 

Peut-être que je peux aider à remettre un peu les choses en ordre en disant que mon point de départ n'est pas la philosophie morale ou du langage mais bien l'épistémologie scientifique, en particulier (et tu fais donc bien de parler de pragmatisme) des développements comme celui de Peirce dans How to Make our Ideas Clear:

Quote

Different minds may set out with the most antagonistic views, but the progress of investigation carries them by a force outside of themselves to one and the same conclusion. This activity of thought by which we are carried, not where we wish, but to a fore-ordained goal, is like the operation of destiny. No modification of the point of view taken, no selection of other facts for study, no natural bent of mind even, can enable a man to escape the predestinate opinion. This great hope is embodied in the conception of truth and reality. The opinion which is fated to be ultimately agreed to by all who investigate, is what we mean by the truth, and the object represented in this opinion is the real. That is the way I would explain reality.
But it may be said that this view is directly opposed to the abstract definition which we have given of reality, inasmuch as it makes the characters of the real depend on what is ultimately thought about them. But the answer to this is that, on the one hand, reality is independent, not necessarily of thought in general, but only of what you or I or any finite number of men may think about it; and that, on the other hand, though the object of the final opinion depends on what that opinion is, yet what that opinion is does not depend on what you or I or any man thinks. Our perversity and that of others may indefinitely postpone the settlement of opinion; it might even conceivably cause an arbitrary proposition to be universally accepted as long as the human race should last. Yet even that would not change the nature of the belief, which alone could be the result of investigation carried sufficiently far; and if, after the extinction of our race, another should arise with faculties and disposition for investigation, that true opinion must be the one which they would ultimately come to. "Truth crushed to earth shall rise again," and the opinion which would finally result from investigation does not depend on how anybody may actually think. But the reality of that which is real does depend on the real fact that investigation is destined to lead, at last, if continued long enough, to a belief in it.

 

Pour simplifier le problème disons que je me trouve face à un mur. L'existence de ce mur est objective dans la mesure où je constate son existence en me cognant dessus, et n'importe qui d'autre dans ma situation se cognerait dessus de même, même une personne a priori persuadée qu'il n'y a pas de mur, même une personne qui n'utilise pas le même mot que moi pour dire "mur". Le critère de la bonne foi élimine le solipsiste gars qui persiste à dire qu'il n'y a pas de mur alors qu'il est en train de se cogner. Le critère des facultés élimine le gars qui ne peut pas se cogner parce qu'il est dans le coma ou autre objections de ce type. Le critère de l'éducation élimine par exemple le gars qui ne comprend pas ce qu'on lui demande parce qu'il n'a jamais appris ce qu'est un mur (un exemple plus frappant ici serait une démonstration mathématique). On voit bien que ça va au delà du langage mais que ça parle bien d'objets et de relations dans le monde.

Là où ça devient plus vicieux c'est qu'il n'y a pas une binarité entre objectif et non-objectif. L'objectivité est conçue comme la limite tendancielle d'un processus de recherche infini, donc en attendant on n'a que nos opinions sur ce qui est plus ou moins objectif selon notre propre entendement. De ce point de vue, le processus de cristallisation des normes dans une société (comme celui de l'adoption de théories et concepts scientifiques) est une forme d'objectivisation au moins pour les membres de cette société, qui peuvent très bien se gourer. On peut aussi ajouter à ça qu'on ne converge pas nécessairement vers un point unique mais plutôt (dans le cas du langage certainement, dans le cas du droit sans doute aussi, dans le cas des théories scientifiques quand on est dans un cas à la Kuhn) vers un ensemble de configurations qui n'ont pas d'avantage décisif les unes par rapport aux autres.

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Il y a 10 heures, Vilfredo a dit :

@POE ok mais l'idée que le DN c'est ce que chaque humain peut découvrir avec sa raison, c'est déjà en soi une version du DN. Donc on peut continuer longtemps à jouer au jeu de cette version du DN est le vrai DN!,

 

Ah non, je n'ai jamais eu la prétention d'exposer la seule et unique doctrine DN, je n'exprime que mon opinion. L'avantage de cette dernière c'est qu'elle ne repose pas sur la lecture de tel ou tel auteur, et peut donc être plus facilement partagée et comprise par tous.

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Il y a 10 heures, Vilfredo a dit :

 Au risque de me répéter, il n'y a pas d'égalité entre tous les "hommes" ni de nature humaine en Grèce. Il y a des Grecs et des barbares, des femmes qui servent à rien d'autre qu'à faire des gosses et des hommes libres.

 

 

Dans les faits, oui, et après ?  Est ce que la pratique de l'esclavage, le peu de droit des femmes dans nos sociétés, invalident les réflexions des penseurs de ces époques ?

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Il y a 10 heures, Vilfredo a dit :

 

 

Je me bats vraiment pour cette idée que la nature humaine, ça n'est pas l'égalité entre les hommes. Ça c'est un truc inventé par les Untermenschen chrétiens. D'ailleurs il y a une différence visible entre disons la Bible et l'Euthyphron, c'est que ce que croit Euthyphron, c'est que les dieux aiment les hommes pour leurs qualités (s'ils sont forts, beaux (beauté physique = signe de beauté morale), et justes évidemment), alors que dans la Bible, Dieu nous aime parce qu'on est des hommes, et précisément pas pour nos qualités (ou alors je ne comprends rien à la charité chrétienne), juste pour notre "humanité" (ce nouveau concept). Pour être clair sur ce que ça implique, Strauss distingue 3 types de DN classique :

 

 

 

 

Attention le terrain est glissant. La nature humaine selon les chrétiens ça n'est pas l'homme des droits de l'homme, c'est le dieu fait homme à travers son fils.

L'homme pour la religion monothéiste est au dessus des Dieux, et des anges, car il a reçu le libre arbitre.

Libre arbitre sans lequel aucun droit n'est possible. 

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Il y a 7 heures, Lancelot a dit :

Pour simplifier le problème disons que je me trouve face à un mur. L'existence de ce mur est objective dans la mesure où je constate son existence en me cognant dessus, et n'importe qui d'autre dans ma situation se cognerait dessus de même, même une personne a priori persuadée qu'il n'y a pas de mur, même une personne qui n'utilise pas le même mot que moi pour dire "mur".

 

On peut se cogner sur un mur, mais peut on se cogner sur un jugement moral ? 

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9 hours ago, POE said:

On peut se cogner sur un mur, mais peut on se cogner sur un jugement moral ? 

Les actions ont des conséquences et celles-ci reviennent à se cogner à la réalité, qu'elle soit physique comme un mur ou pas.

 

7 hours ago, Ultimex said:

https://www.contrepoints.org/2021/09/24/406373-droit-naturel-aux-racines-du-liberalisme (certainement plein de choses à redire, la partie DN Ancien n'étant pas aussi détaillée que celle présentée par Vilfredo par exemple mais bon).

Se retenir de regarder les commentaires, se retenir de regarder... trop tard. Je suis maintenant déprimé en conséquence de mes actions. Je me suis cogné contre le mur du con.

  • Haha 2
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Le 02/01/2022 à 23:27, Solomos a dit :

D'ailleurs ne pourrait-on pas dire que chez Marx les lois naturelles ce sont les lois économiques, que l'histoire les rend manifestes et que ce déroulement historique est un étalon dans la mesure où l'on peut juger le droit positif selon qu'il favorise ou non l'aliénation ?

 

Marx écrit dans une préface (ou postface je sais plus) du tome 1 du Capital que le mode de production capitaliste tend à son auto-abolition "avec la nécessité d'airain qui préside aux métamorphoses de la nature." (Ce qui n'est pas flagrant jusqu'ici).

Cela ne signifie pas qu'il ne différencie pas la nature (le physique et le biologique) de l'histoire (monde social), mais il y a effectivement un déterminisme commun aux deux (plus le sens de l'histoire, qui n'est pas réellement du déterminisme mais une providence laïcisée, et qui n'a vraiment rien à faire là dans une philosophie matérialiste). 

 

Le problème et c'est ce que je disais un jour à @Rinceventen soulignant que le marxisme ne comporte pas de philosophie éthique ; c'est que ok admettons que l'histoire tend à abolir le capitalisme, ça ne résous pas la loi du Hume et le problème du passage des faits aux normes ; ça ne justifie pas pourquoi cette évolution de l'histoire serait bonne ou morale ou désirable et qu'il y aurait un devoir de choisir d'accélérer le processus*. 

 

 

*On pourrait d'ailleurs peut-être dire la même chose de Nietzsche et de ceux de ses successeurs qui choisissent d'accélérer la "décadence" de la modernité.

 

Il y aussi chez le jeune Marx une critique de l'aliénation mais c'est assez oublié dans son œuvre ultérieure. Et de toute façon Marx ne justifie jamais vraiment pourquoi il faut combattre l'aliénation et l'exploitation (et si un tel engagement moral repose sur une éthique objective / universelle) ; ça lui paraît évident qu'il faut le faire. Il y a un humanisme chez Marx (certains essayent d'en faire un héritage de Kant), mais il ne s'intéresse pas à la fondation de la morale. Et à peu près aucun marxiste après lui n'a attaqué le problème sinon Yvon Quiniou

 

Après environ dix ans de réflexions ma conclusion c'est que la partie pertinente de l'œuvre de Marx n'est ni la critique de l'économie politique, ni sa philosophie post-hégélienne. C'est son versant sociologique

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Le 04/01/2022 à 23:31, Lancelot a dit :

 

https://fr.wikipedia.org/wiki/Intersubjectivité_(phénoménologie)

 

Il y a 18 heures, POE a dit :

Dans les faits, oui, et après ?  Est ce que la pratique de l'esclavage, le peu de droit des femmes dans nos sociétés, invalident les réflexions des penseurs de ces époques ?

J'ai l'impression qu'il y a de l'ironie mais non, pas compris

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Il y a 7 heures, Johnathan R. Razorback a dit :

Après environ dix ans de réflexions ma conclusion c'est que la partie pertinente de l'œuvre de Marx n'est ni la critique de l'économie politique, ni sa philosophie post-hégélienne. C'est son versant sociologique

Oui, c'est un sociologue important, un philosophe très oubliable, et un économiste à chier.

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9 hours ago, Vilfredo said:

Oui ? Je suis familier avec le concept d'intersubjectivité tel qu'utilisé en épistémologie (où on le relie généralement à l'approche de Popper mais je ne me souviens plus si lui-même utilise ce terme), en sciences sociales et en psychologie (dont surtout psychanalyse). Je ne connais pas trop la phénoménologie, enfin je connais le concept mais à chaque fois que j'ai essayé de m'y intéresser j'ai eu l'impression (1) que c'était complètement imbitable et (2) que dans la mesure où je pouvais biter ça enfonçait beaucoup de portes ouvertes. Mais peut-être que tu peux me donner tort.

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