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Hayek et le DN


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4 hours ago, Vilfredo said:

Ainsi, on peut opposer radicalement une description d'intention, qui va convoquer des objets intentionnels, et un énoncé d'observation, qui va convoquer des objets matériels, dans la mesure où il est censé pouvoir faire l'objet d'une confirmation par les autres locuteurs du langage dans lequel l'énoncé est formulé, pourvu qu'ils aient été témoin du contenu de l'observation. Par exemple, "mon copain est passé dans le couloir" ne sera pas un énoncé d'observation, car il décrit un objet intentionnel (ce n'est pas visible que c'est mon copain pour tout le monde), mais "un garçon d'environ 1,80 m avec des cheveux châtains légèrement bouclés portant un sac à dos en cuir noir est passé dans le couloir", oui (pour la raison diamétralement opposée).

Je ne suis pas certain que l'opposition soit aussi radicale que ça. Ça dépend de comment tu définis "visible pour tout le monde". En m'inspirant de ce que tu racontes de Quine plus loin je pourrais dire que pour tout énoncé "visible pour tout le monde" on peut faire correspondre au moins plusieurs situations observables différentes qui s'y rapportent, et vice versa pour la même situation on peut imaginer différents locuteurs en donnant des descriptions différentes. Du coup peut-être que l'intentionnalité est un truc qui existe mais c'est un mauvais critère pour la définir parce qu'on est obligés de conclure que tout est plus ou moins intentionnel, ou que rien ne l'est. Mais je reviendrai sur ces quineries.

 

4 hours ago, Vilfredo said:

Hmm il me semble plutôt que Scruton explique que le délai entre la réaction du cerveau et l'expression de l'intention n'entame en rien le fait que l'action soit intentionnelle.

Il me semble que c'est exactement ce que je dis si tu remplaces "intentionnel" par "attribuée à moi" ce qui me semble fair vu ta définition. A contrario mon réflexe quand le médecin me tape sur le genou n'est pas intentionnel/je n'en suis pas à l'origine.

 

4 hours ago, Vilfredo said:

Il ne défend pas un dualisme classique, mais plutôt un dualisme "cognitif" comme il l'appelle, selon lequel il y a plusieurs points de vue irréductibles les uns aux autres sur l'action. Il fait ensuite une inférence qui me paraît justifiée, à savoir que si une action est intentionnelle (i.e. qu'il existe une description de cette action qui présente une action que l'agent reconnaît comme sienne), alors cette action est libre.

Meh à ce compte là je préfère la réponse de Hanno Sauer contre Haidt sur la question de la réflexion morale. Haidt dit qu'il ne s'agit que d'un épiphénomène parce que les jugement moraux sont des réactions émotionnelles rapides durant lesquelles la réflexion n'intervient pas ("the emotional dog and its rational tail"). Sauer répond que pour un jugement moral donné peut-être pas, mais la réflexion a posteriori permet de se conditionner à mieux répondre la prochaine fois et donc elle est tout de même dans la boucle.

 

4 hours ago, Vilfredo said:

Oui, c'est l'argument du langage privé. Wittgenstein ne dit pas autre chose...?

Ben tu dis "Là-dessus je pense justement que Wittgenstein dirait que le tremblement signifie la peur et que la peur n'est pas "ailleurs" que dans le tremblement.", je te réponds que ce dont il est question ici ce n'est pas le tremblement mais ton interprétation de ton tremblement qui est ailleurs que dans le tremblement. Comme le prouve le fait qu'il n'existe pas une relation 1:1 entre les réponses physiologiques et les états émotionnels, ce que tu reprends toi-même plus tard.

 

4 hours ago, Vilfredo said:

on ne peut pas non plus associer un mot à une signification: depuis Frege on sait que le sens détermine la référence (un sens: "Cicéron", "Tullius"; une référence: l'homme Cicéron qui a existé) mais qu'il n'y a pas de chemin arrière de la référence au sens.

À ce sujet j'avais lu il y a longtemps Mimologiques de Gérard Genette qui est un effort assez héroïque pour trouver des conditions où on peut rétablir ce chemin (quoiqu'il l'exprime plutôt dans les termes de Saussure). Du point de vue de la recherche le contre-exemple le plus connu est sans doute l'effet Bouba/Kiki.

 

4 hours ago, Vilfredo said:

Depuis Quine on a aussi des problèmes d'indécidabilité de la traduction, qui prend plutôt le problème à l'envers: ce n'est pas qu'un stimulus peut être associé à différentes significations, mais plutôt que je ne sais pas quel aspect du stimulus le signifiant (pas le signifié) (le signifiant pouvant être aussi considéré comme un stimulus, si je le réduis au bruit que je fais en prononçant le mot ou au percept que constitue le mot écrit) dénote. Sur les détails de l'exemple de Quine: https://en.wikipedia.org/wiki/Indeterminacy_of_translation

Mon problème avec ça (le même problème que j'ai avec Kuhn dans un autre domaine d'ailleurs) est que sous prétexte qu'il n'y a pas une solution unique objectivement meilleure on jette le bébé avec l'eau du bain. Mais si on admet qu'il y a bien des critères objectifs pour déterminer que certaines traductions sont meilleures que d'autres, alors même si à la fin il n'en reste pas qu'une seule mais un ensemble, on aura déjà circonscrit ce à quoi le signifiant fait référence. Même si un mot peut avoir une signification un peu différente pour chaque personne qui le comprend (pour ne pas tomber dans les histoires de locuteur/non locuteur), ces significations ne sont pas complètement arbitraires pour autant.

C'est parce qu'il veulent trouver une fonction qui associe rigoureusement telle classe d'objet dans le monde à tel mot que ces gens deviennent fous, parce que c'est impossible (déjà c'est moyennement possible de définir rigoureusement des concepts/classes d'objets alors...).

 

4 hours ago, Vilfredo said:

On pourrait partir de cette réduction possible du signifié à un autre stimulus pour dissoudre complètement la notion de signification, en parlant seulement de corrélation entre différents stimuli. Ce qui fait qu'on pourrait subsumer les questions sémantiques du sens des mots dans une approche scientifique avec des lois (pour tout élément du langage L, si tel événement physique est observé, alors tel élément sémantique sera articulé) et unifier la science.

Ceci étant c'est une approche rigolote et j'aimerais en voir le résultat si elle a été testée scientifiquement.

 

4 hours ago, Vilfredo said:

l'expérience de pensée de Nozick ci-dessous donne une bonne idée

Juste un petit commentaire là dessus, on ne peut pas dire que deux personnes qui ne parlent pas la même langue ont une "identical neurology" (whatever that means), déjà parce que les mots qu'on utilise font partie de cet état de notre cerveau (donc mot différent = état différent par définition même en supposant que la même chose soit désignée), et ensuite parce que les différence entre les langues (ici entre English et stage-English qui d'après ce que je comprends n'est pas juste une substitution de mots mais aussi une grammaire différente) ont un impact sur notre manière de penser et indeed notre activité cérébrale.

 

Je te donne des exemples (ça me rappelle le temps où je faisais des sciences du langage à la fac, tiens) :

Quote

Boutonnet, B., Dering, B., Viñas-Guasch, N., & Thierry, G. (2013). Seeing objects through the language glass. Journal of Cognitive Neuroscience, 23647557.

 

Recent streams of research support the Whorfian hypothesis according to which language affects one's perception of the world. However, studies of object categorization in different languages have heavily relied on behavioral measures that are fuzzy and inconsistent. Here, we provide the first electrophysiological evidence for unconscious effects of language terminology on object perception. Whereas English has two words for cup and mug, Spanish labels those two objects with the word "taza." We tested native speakers of Spanish and English in an object detection task using a visual oddball paradigm, while measuring event-related brain potentials. The early deviant-related negativity elicited by deviant stimuli was greater in English than in Spanish participants. This effect, which relates to the existence of two labels in English versus one in Spanish, substantiates the neurophysiological evidence that language-specific terminology affects object categorization.

 

Quote

Kemmerer, D. (2017). Categories of object concepts across languages and brains: the relevance of nominal classification systems to cognitive neuroscience. Language, Cognition and Neuroscience, 32(4), 401–424.

 

Research on how categories of object concepts are implemented in the human brain has focused primarily on the sorts of semantic structures that are found in English and a few other European languages. This paper provides a broader typological perspective by considering the multifarious categories of object concepts that are encoded by languages with nominal classification systems. In these languages, speakers must explicitly categorize objects at both basic and superordinate levels – indicating, for instance, that a particular entity is not just a pencil but an elongated thing. The following semantic parameters of nominal classification systems are discussed: animacy and related properties, shape and related properties, size, constitution, and interaction/function. For each parameter, cross-linguistically frequent and infrequent semantic distinctions are surveyed first, and then their relevance to cognitive neuroscience is considered. These analyses strongly suggest that the neural underpinnings of object concepts are influenced by both universal tendencies and cultural idiosyncrasies.

 

 

4 hours ago, Vilfredo said:

Son slogan c'était meanings ain't in the head. [...] Et là on en revient à l'argument du langage privé: quelque chose qui est "dans l'esprit" ne peut pas avoir de signification. La signification, c'est intersubjectif.

On mélange plusieurs choses ici. Le langage est intersubjectif, il nécessite plusieurs personnes pour exister. Une grosse partie de nos représentations s'appuie d'une manière ou d'une autre sur le langage, et par conséquent ne pourrait pas exister sans intersubjectivité. Ça n'implique en rien que ce ne sont pas des représentations internes "dans notre tête". Le langage nous sert d'espace (il y en a d'autres) pour partager ces représentations, les affiner, prouver qu'elles existent, tout ce que tu veux.

 

4 hours ago, Vilfredo said:

J'ai lu Fodor

Pour reprendre ton expression Fodor c'est un peu nul.

 

4 hours ago, Vilfredo said:

et j'ai même eu le privilège d'aller écouter Frances Egan et son cycle de conférences à l'ENS Representational content and computational modeling en novembre (une rock star de philo de l'esprit contemporaine qui adore les neurosciences et tout). L'idée de "contenu" (pour elle) implique des conditions de correction: si quelque chose (comme un état mental) a un contenu (notion sémantique), alors ce quelque chose, ce véhicule, est capable de misrepresentation.

Je ne comprends pas l'argument. Mais en admettant, si on adopte la perspective générativiste selon laquelle la raison d'être du système cognitif est de modéliser la cause de ses inputs, alors des erreurs il y en a nécessairement tout le temps (entre le modèle du monde et le monde).

 

4 hours ago, Vilfredo said:

De l'autre côté de la barricade, on se retrouve donc avec plusieurs positions naturalistes qui cherchent à spécifier la relation de représentation entre le truc de la réalité et la représentation mentale (la relation dont je parle ici est exactement comme une fonction en maths)

Une telle fonction est exactement ce qui ne peut pas exister avec l'argument de Hayek. Les approches comme le predictive coding s'échappent de cette difficulté parce que ce sont des systèmes évolutifs (i.e. dynamiques, non linéaires, adaptatifs).

 

4 hours ago, Vilfredo said:

Quand une grenouille voit une mouche (objet matériel (Frances Egan n'a pas recours à cette terminologie anscombienne mais moi je vais me gêner)), est-ce qu'elle voit: (objets intentionnels)

  • de la nourriture
  • une mouche
  • un objet volant noir non-identifié

?

Une vraie grenouille ne voit sans doute rien de tel. Une grenouille hautement anthropomorphisée ça dépendra du contexte (ce qui ne pose pas de problème particulier sauf si tu crois qu'il y a une grandmother cell pour chaque concept dans ton cerveau et que chacune doit être liée à exactement un stimulus dans le monde, ce qui de manière amusante est un peu la manière dont fonctionne la vraie grenouille pour détecter les mouches).

 

4 hours ago, Vilfredo said:

Une analogie de cette incapacité de misrepresentation, c'est les cellules de lieu dans l'hippocampe des rats. Tu m'arrêtes si je dis une connerie, mais elles répondent/sont activées à/par certaines propriétés de l'environnement spatial du rat, mais ne représentent pas cet environnement spatial (parce qu'elles peuvent pas se "tromper"). J'espère que c'est clair.

Elles peuvent certainement se tromper. Donne de l'alcool à ton rat et tu verras.

 

3 hours ago, Vilfredo said:

Oui du coup that doesn't prove a thing: le "sentiment musical" n'est pas le même chez toi et chez moi, même s'il inclut une référence commune aux Pink Floyd. Si tu avais raison, le quiproquo serait impossible, non?

Tu disais "je ne pourrais pas exprimer la réponse autrement que de façon pratique, càd en fredonnant l'air que j'ai dans la tête. Il n'y a rien d'autre que ça.", je t'ai donné une autre manière (qui serait d'ailleurs bien plus efficace que fredonner dans mon cas). Je ne sais pas ce que tu appelles le quiproquo mais une erreur est toujours possible. Par exemple peut-être que je me suis trompé et que je pensais en fait à la fin de Wish You Were Here.

 

3 hours ago, Vilfredo said:

Ici je vais peut-être te décevoir mais je crois que le prof fait surtout ça pour donner un background à Freud :mrgreen: Mais merci beaucoup pour les deux articles.

C'est bien ce qui me désole dans cette histoire. À quoi bon présenter ces débats si c'est pour ne pas aller jusqu'à l'état actuel de la recherche, à part former une génération d'étudiants has been avant même d'avoir eu la chance d'être ?

Lien vers le commentaire
il y a 24 minutes, Lancelot a dit :

Je ne suis pas certain que l'opposition soit aussi radicale que ça. Ça dépend de comment tu définis "visible pour tout le monde". En m'inspirant de ce que tu racontes de Quine plus loin je pourrais dire que pour tout énoncé "visible pour tout le monde" on peut faire correspondre au moins plusieurs situations observables différentes qui s'y rapportent, et vice versa pour la même situation on peut imaginer différents locuteurs en donnant des descriptions différentes. Du coup peut-être que l'intentionnalité est un truc qui existe mais c'est un mauvais critère pour la définir parce qu'on est obligés de conclure que tout est plus ou moins intentionnel, ou que rien ne l'est. Mais je reviendrai sur ces quineries.

En effet ça dépendra des connaissances des locuteurs. L'énoncé observationnel n'est pas une norme fixe universelle, mais l'idée est d'arriver à un niveau suffisamment basique pour que je puisse supposer que tout le monde ait accès au contenu de l'énoncé. Puisque je n'en suis plus à un book pic près: (Quine, The Web of Belief)

 

Révélation

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il y a 28 minutes, Lancelot a dit :

Il me semble que c'est exactement ce que je dis si tu remplaces "intentionnel" par "attribuée à moi" ce qui me semble fair vu ta définition. A contrario mon réflexe quand le médecin me tape sur le genou n'est pas intentionnel/je n'en suis pas à l'origine.

D'accord en effet mais du coup tu peux m'expliquer ce que tu reproches à Scruton quand il dit que l'expérience de Libet n'a aucune conclusion à fournir sur le libre-arbitre (si libre = intentionnel)?

 

il y a 50 minutes, Lancelot a dit :

Ben tu dis "Là-dessus je pense justement que Wittgenstein dirait que le tremblement signifie la peur et que la peur n'est pas "ailleurs" que dans le tremblement.", je te réponds que ce dont il est question ici ce n'est pas le tremblement mais ton interprétation de ton tremblement qui est ailleurs que dans le tremblement. Comme le prouve le fait qu'il n'existe pas une relation 1:1 entre les réponses physiologiques et les états émotionnels, ce que tu reprends toi-même plus tard.

What if I told you que le tremblement est déjà une interprétation de la réalité inscrite dans la réalité elle-même (au sens de ce qui est ici composé d'objets intentionnels) (j'interprète la situation en tremblant)? Un peu comme Nietzsche parle pour les rêves d'une interprétation des affects du dormeur (Humain trop humain, I, §§12-13 et Aurore, §119). Je reconnais que ce n'était pas très clair, mais c'est ainsi que je pense qu'il faut comprendre Wittgenstein quand il dit que la seule interprétation signifiante d'une oeuvre d'art est la réaction que nous avons devant elle (je crois que j'en ai parlé ici:

Citation

Ça le mène à des positions assez radicales en esthétique, où il va expliquer qu'il n'y a rien d'autre à ajouter sur mon sentiment de spectateur d'une oeuvre d'art que ma réaction physique à sa réception. Le sentiment qu'il y a plus que ça, un "sentiment musical" qui serait plus que l'air que j'ai en tête, ou (plus intéressant) une subjectivité et une personne "en plus" ou "derrière" l'expression que je lis sur un visage, est une illusion.

Autre exemple: quelle est l'expression de ma douleur? C'est le mouvement de mon bras qui s'éloigne à grande vitesse du poêle brûlant. Ce mouvement est comme un phrase qui dit: "c'est chaud" (bien sûr, la phrase peut aussi être "aïe"). C'est le body language. Je peux me tromper mais je ne pense pas que Wittgenstein dirait donc qu'il y a une interprétation supplémentaire à fournir. Tout est dans la réalité, tout est "dehors", l'interprétation y compris. Rien n'est "interne". Il y a une citation je ne sais plus où de LW qui dit que l'esprit est sur la feuille de papier quand il écrit. Peut-être que @Arlequin/TuringMachine qui connaît bien LW peut me confirmer que je ne me trompe pas.

 

On touche ici le point central: J'ai dit qu'il n'y avait pas de correspondance 1:1 entre stimulus et signification, mais ça veut simplement dire que je pourrais interpréter ce qui m'a fait trembler différemment (par un cri, par des sanglots etc) et qu'inversement un sentiment musical pourra prendre la forme d'un air des Pink Floyd ou d'un riff de Rammstein. Mais ça ne sera pas le même sentiment musical. Comment est-ce que tu pourrais réidentifier ce sentiment d'ailleurs, si son objet a changé? Si l'air que tu avais en tête était en fait celui de Wish You Were Here, alors en découvrant que c'était celui de Wish You Were Here, soit tu considères que tu découvres quel était en fait le sentiment musical que tu avais sans le savoir, ce qui me paraît une confusion entre objet intentionnel (l'air que tu avais en tête) et objet matériel (le véritable air, à savoir celui de Wish You Were Here), soit ça montre que meanings ain't in the head, parce que "l'air que tu avais en tête" n'avait en fait aucune référence (et que le seul air qui existe vraiment, c'est celui de Dark Side of the Moon ou de Wish You Were Here). Bien sûr, il faut partir du principe que ce qui n'a pas de référence n'a pas de signification.

 

Sinon sur Kuhn et Quine on pourrait dire que la thèse de l'indétermination de la traduction entraîne l'incommunicabilité des paradigmes. Mais Quine ne défendait pas cette thèse. C'est en découvrant ça que j'ai été déçu. Je me suis dit que son nihilisme (au sens de rien n'a de signification) n'allait pas assez loin finalement.

 

il y a une heure, Lancelot a dit :

Du point de vue de la recherche le contre-exemple le plus connu est sans doute l'effet Bouba/Kiki.

Pas tout à fait parce que dans l'effet Bouba Kiki on propose des sens et on demande de choisir. C'est impressionnant mais ça n'est pas Cratyle non plus. J'aime bien ce que j'ai lu de Genette donc je regarderai Mimologiques.

 

il y a une heure, Lancelot a dit :

Mais si on admet qu'il y a bien des critères objectifs pour déterminer que certaines traductions sont meilleures que d'autres, alors même si à la fin il n'en reste pas qu'une seule mais un ensemble, on aura déjà circonscrit ce à quoi le signifiant fait référence. Même si un mot peut avoir une signification un peu différente pour chaque personne qui le comprend (pour ne pas tomber dans les histoires de locuteur/non locuteur), ces significations ne sont pas complètement arbitraires pour autant.

Je ne crois pas que Quine serait en désaccord: Quine est bien d'accord qu'on peut isoler la position d'un signifiant dans le langage est reconstituer par analogie sa fonction instrumentale par rapport au nôtre, un peu comme les éléments d'un mythe acquièrent leur signification en fonction de leur relation avec d'autres éléments dans Lévi-Strauss. Ce que Quine vise ici, c'est l'idée qu'il y aurait une intension du terme "lapin" par exemple. C'est une variation sur la rengaine wittgensteinienne que la signification d'un mot, c'est son usage (à la fois dans le sens contextuel i.e. comment on utilise le mot dans telle communauté, et dans le sens pratique càd que tu fixes la signification à chaque fois que tu parles; j'aime bien présenter les choses de façon un peu humienne en disant qu'à chaque fois que tu emploies un mot avec un sens en tête, tu corrobores la théorie selon laquelle ce mot a bien telle signification; mais tu peux toujours te tromper, c'est pour ça que je parlais de quiproquo: en gros quelqu'un qui applique un terme correctement et soudain se met à mal l'appliquer: est-ce que ça prouve rétrospectivement qu'il ne connaissait pas la signification depuis le départ ou est-ce qu'il l'a oubliée?)

 

il y a une heure, Lancelot a dit :

C'est parce qu'il veulent trouver une fonction qui associe rigoureusement telle classe d'objet dans le monde à tel mot que ces gens deviennent fous, parce que c'est impossible (déjà c'est moyennement possible de définir rigoureusement des concepts/classes d'objets alors...).

Oui ça c'est les intensionnalistes. Aka ceux qui pensent que les concepts existent. Quine dit: si les concepts existent, alors quel(s) mot(s) correspond(ent) au concept de lapin dans telle langue? J'ai l'impression que tu fais un mauvais procès à WVOQ...

 

il y a une heure, Lancelot a dit :

Ceci étant c'est une approche rigolote et j'aimerais en voir le résultat si elle a été testée scientifiquement.

Je suis bien content de lire ça je pensais faire mon M2 là-dessus.

 

il y a une heure, Lancelot a dit :

Je te donne des exemples (ça me rappelle le temps où je faisais des sciences du langage à la fac, tiens) :

C'est intéressant mais je ne peux pas m'empêcher d'avoir une petite vibe phéno et de me dire so we don't see objects we see meanings.

 

Il y a 1 heure, Lancelot a dit :

Ça n'implique en rien que ce ne sont pas des représentations internes "dans notre tête".

Si c'est le cas ma position est de dire qu'elles n'ont pas de signification, parce qu'elles n'ont de signification que pour toi. C'est un peu comme quand on dit que si un adjectif s'applique à tout, alors il n'a pas de signification. C'est un peu le même genre de cas ici. Si tu veux lui donner une signification, il faut que tu le verbalises (content ascription). Après est-ce que ça veut dire que ce que tu verbalises contenait déjà une structure linguistique et que la verbalisation prouverait rétrospectivement l'existence de cette structure, je crois que l'insight de la psychanalyse est de dire que oui.

 

Il y a 1 heure, Lancelot a dit :

Je ne comprends pas l'argument. Mais en admettant, si on adopte la perspective générativiste selon laquelle la raison d'être du système cognitif est de modéliser la cause de ses inputs, alors des erreurs il y en a nécessairement tout le temps (entre le modèle du monde et le monde).

Tant mieux. Si j'ai été clair avec le § précédent, s'il y a une possibilité d'erreur, c'est qu'il y a du contenu/de la référence/de la signification. Tu peux aussi voir ça d'un point de vue poppérien: ce qui est toujours vrai (le langage privé) a 0 contenu (comme les tautologies) et plus tu ajoutes du contenu, plus tu prends le risque de te planter/plus l'erreur est possible. D'où ce mécanisme un peu maso de la recherche scientifique en régime poppérien où on fait tous les efforts du monde pour avoir tort.

 

Il y a 1 heure, Lancelot a dit :

Elles peuvent certainement se tromper. Donne de l'alcool à ton rat et tu verras.

Oui j'ai écrit une bêtise. Elles peuvent se tromper par rapport à l'environnement objectif, mais elles correspondent toujours à ce que le rat voit. Voilà une troisième façon d'expliquer pourquoi les représentations mentales privées (in the head) n'ont pas de signification: parce qu'elles ne peuvent pas être falsifiées.

 

Il y a 1 heure, Lancelot a dit :

C'est bien ce qui me désole dans cette histoire. À quoi bon présenter ces débats si c'est pour ne pas aller jusqu'à l'état actuel de la recherche, à part former une génération d'étudiants has been avant même d'avoir eu la chance d'être ?

Oh parce que si on arrive à avoir une connaissance détaillée et précise de Freud on sera déjà contents. On ne forme pas des chercheurs en psychologie et je suis sûr qu'il y a encore plein de choses passionnantes à dire sur le texte de Freud. Et bien que la psychanalyse ait beaucoup évolué, son évolution n'est pas exactement de la forme des théories scientifiques. Le slogan de Lacan était le "retour à Freud". Je ne connais pas beaucoup de "retours à" en histoire des sciences. Et c'est assez naturel au fond, parce que la psychanalyse a entre autres pour but, non pas de supprimer la souffrance, mais de permettre au patient de l'articuler. Le patient qui va voir un psychanalyste y va pour savoir la vérité sur son désir. Le patient qui va voir tout autre type de psy y va plutôt pour l'ignorer. Je n'ai aucun mépris pour les explications neurobiologiques de la dépression, mais elles ne parlent pas le langage du malade. Le malade ne vit pas une oxygénation relative de telle ou telle aire de son cerveau. Les anti-dépresseurs allègent la souffrance mais ne l'expliquent pas. Et je sais que ça "marche" (je n'aime déjà pas ce terme) pour plein de gens, que ça leur permet de retourner au travail, nourrir leurs familles etc je n'ai rien contre d'ailleurs qui suis-je pour être "contre"? Mais il ne faut pas négliger la particularité de l'approche analytique. Nuance: je sais qu'il existe d'autres approches psychothérapeutiques que la psychanalyse comme les trucs de Carl Rogers par exemple, donc je ne sais pas trop à quoi ça ressemble, mais mon point était qu'une connaissance approfondie de Freud a un intérêt en soi (plus qu'une connaissance approfondie de la biologie de Buffon en gros).

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13 hours ago, Vilfredo said:

En effet ça dépendra des connaissances des locuteurs. L'énoncé observationnel n'est pas une norme fixe universelle, mais l'idée est d'arriver à un niveau suffisamment basique pour que je puisse supposer que tout le monde ait accès au contenu de l'énoncé. Puisque je n'en suis plus à un book pic près: (Quine, The Web of Belief)

Si on prend une définition un peu rigoureuse de ce critère alors une telle définition d'observationnel correspond exactement à ma définition d'objectif plus tôt dans le thread : "quelque chose peut être qualifié d'objectif pour les êtres humains dans la mesure où n'importe quel être humain a la capacité de constater cette chose en supposant sa bonne foi, des facultés et une éducation suffisantes" (explicite "pour les locuteurs" dans les facultés/l'éducation pour te limiter à une langue et éviter les problèmes de traduction). Avec pour conséquence que l'énoncé le plus observationnel possible serait quelque chose comme une démonstration mathématique. Une autre conséquence serait le recoupement d'intentionnel et subjectif, ce qui impliquerait que l'énoncé le plus intentionnel possible serait du langage privé (? plus haut dans le thread je disais "des représentations qui me sont propres exprimées dans une terminologie qui m'est propre"). J'anticipe que tu auras des objections à ça :lol:

 

13 hours ago, Vilfredo said:

D'accord en effet mais du coup tu peux m'expliquer ce que tu reproches à Scruton quand il dit que l'expérience de Libet n'a aucune conclusion à fournir sur le libre-arbitre (si libre = intentionnel)?

Sur le fond rien. Je l'accuse de dire des banalités de manière fumeuse.

 

13 hours ago, Vilfredo said:

What if I told you que le tremblement est déjà une interprétation de la réalité inscrite dans la réalité elle-même (au sens de ce qui est ici composé d'objets intentionnels) (j'interprète la situation en tremblant)? Un peu comme Nietzsche parle pour les rêves d'une interprétation des affects du dormeur (Humain trop humain, I, §§12-13 et Aurore, §119).

Ce n'est pas impossible de confondre "interprétation" et "réponse" de la sorte mais ça demande plus de développement, par exemple de faire appel à une perspective générativiste (pour le côté "tout est affaire de modélisation/prédiction du monde avec un critère tel que l'homéostasie") et incarnée (pour le côté "les frontières sont floues entre réponse corporelle et cognitive").

Même avec ça définir le tremblement comme une interprétation en soi n'empêche pas d'autres interprétations du tremblement à un plus haut niveau qui font partie intégrante de la réponse émotionnelle. C'est là dessus que je suis sceptique pour l'histoire de "la seule interprétation signifiante" ou "rien n'est interne" qui me semblent être des affirmations qui tombent de nulle part, surtout si c'est pour enchaîner sur des trucs normatifs sur comment apprécier l'art ou que sais-je.

 

13 hours ago, Vilfredo said:

On touche ici le point central: J'ai dit qu'il n'y avait pas de correspondance 1:1 entre stimulus et signification

Il n'y a de correspondance 1:1 entre rien. Pas entre stimulus et représentation, pas entre stimulus et langage, pas entre représentation et langage, pas entre ma représentation et celle de mon voisin (en l'absence de télépathie), même pas entre mes représentations d'un stimulus à différents moments de ma vie. Par contre il y a des correspondances approximatives qui me permettent de me représenter suffisamment bien des stimuli, d'exprimer ces représentations suffisamment bien par le langage et d'utiliser ce langage pour les transmettre avec un succès satisfaisant à mon voisin.

 

13 hours ago, Vilfredo said:

mais ça veut simplement dire que je pourrais interpréter ce qui m'a fait trembler différemment (par un cri, par des sanglots etc) et qu'inversement un sentiment musical pourra prendre la forme d'un air des Pink Floyd ou d'un riff de Rammstein. Mais ça ne sera pas le même sentiment musical. Comment est-ce que tu pourrais réidentifier ce sentiment d'ailleurs, si son objet a changé? Si l'air que tu avais en tête était en fait celui de Wish You Were Here, alors en découvrant que c'était celui de Wish You Were Here, soit tu considères que tu découvres quel était en fait le sentiment musical que tu avais sans le savoir, ce qui me paraît une confusion entre objet intentionnel (l'air que tu avais en tête) et objet matériel (le véritable air, à savoir celui de Wish You Were Here), soit ça montre que meanings ain't in the head, parce que "l'air que tu avais en tête" n'avait en fait aucune référence (et que le seul air qui existe vraiment, c'est celui de Dark Side of the Moon ou de Wish You Were Here). Bien sûr, il faut partir du principe que ce qui n'a pas de référence n'a pas de signification.

Je ne retrouverai jamais deux fois exactement le "même sentiment musical" (à cause de l'aspect reconstructif de la mémoire). Je peux réidentifier mes représentations (et les sentiments qui y sont associés) simplement en me les remémorant, et si à un moment donné je me rend compte que j'ai fait une erreur je peux ajouter ce nouveau souvenir ("j'ai découvert que je me trompais sur le titre de l'album qui est en fait Wish You Were Here") au package pour corriger la représentation, ça ne présente pas une très grande difficulté. J'aurais peut-être besoin de plus développer sur la mémoire qui est un aspect qu'on n'a pas trop abordé jusqu'à maintenant. Si on continue comme ça toute la psychologie/neuroscience va y passer !

Après j'ai l'impression que tu donnes à "signification" le même sens que je donne à "objectivité" et je suis évidemment d'accord pour dire que pour atteindre une forme d'objectivité tu dois aiguiser tes représentations sur le monde et sur celles des autres, en ce sens là tu ne trouveras pas d'objectivité en restant dans ta tête. Par contre les représentations (qu'elles soient plus ou moins objectives) sont bien dans la tête des gens et ne se balladent pas dans l'éther.

 

13 hours ago, Vilfredo said:

Je ne crois pas que Quine serait en désaccord: Quine est bien d'accord qu'on peut isoler la position d'un signifiant dans le langage est reconstituer par analogie sa fonction instrumentale par rapport au nôtre, un peu comme les éléments d'un mythe acquièrent leur signification en fonction de leur relation avec d'autres éléments dans Lévi-Strauss. Ce que Quine vise ici, c'est l'idée qu'il y aurait une intension du terme "lapin" par exemple. C'est une variation sur la rengaine wittgensteinienne que la signification d'un mot, c'est son usage (à la fois dans le sens contextuel i.e. comment on utilise le mot dans telle communauté, et dans le sens pratique càd que tu fixes la signification à chaque fois que tu parles; j'aime bien présenter les choses de façon un peu humienne en disant qu'à chaque fois que tu emploies un mot avec un sens en tête, tu corrobores la théorie selon laquelle ce mot a bien telle signification

Je n'ai pas de problème avec ça, et c'est la raison pour laquelle on ne peut pas dire que "rien n'a de signification". Ou du moins rien n'a de signification exacte mais tout à une signification approximative et contextuelle, ce qui est suffisant.

 

13 hours ago, Vilfredo said:

mais tu peux toujours te tromper, c'est pour ça que je parlais de quiproquo: en gros quelqu'un qui applique un terme correctement et soudain se met à mal l'appliquer: est-ce que ça prouve rétrospectivement qu'il ne connaissait pas la signification depuis le départ ou est-ce qu'il l'a oubliée?)

Mon hypothèse (en l'absence de problème neuropsy) serait que le contexte dans lequel il utilise ce terme a changé et que le nouvel usage correspond au nouveau contexte.

 

13 hours ago, Vilfredo said:

J'ai l'impression que tu fais un mauvais procès à WVOQ...

J'essaie de comprendre en me faisant les dents dessus, ce n'est pas un procès :mrgreen:

 

13 hours ago, Vilfredo said:

Si c'est le cas ma position est de dire qu'elles n'ont pas de signification, parce qu'elles n'ont de signification que pour toi. C'est un peu comme quand on dit que si un adjectif s'applique à tout, alors il n'a pas de signification. C'est un peu le même genre de cas ici. Si tu veux lui donner une signification, il faut que tu le verbalises (content ascription). Après est-ce que ça veut dire que ce que tu verbalises contenait déjà une structure linguistique et que la verbalisation prouverait rétrospectivement l'existence de cette structure, je crois que l'insight de la psychanalyse est de dire que oui.

Les histoires de "n'ont pas de signification" s'appliquent peut-être pour certaines représentations les plus subjectives possibles, mais note que la plupart de mes représentations internes ne sont pas aussi informes. Elles sont structurées par ma mémoire, mon langage, par des interactions précédentes... et donc elles ont une part d'objectivité. J'ai l'impression en te lisant que tu pars du principe que tout ça n'existe pas avant que je les communique à quelqu'un, et que ça disparaît dès que ma communication est finie (puisque rien n'est dans ma tête).

 

13 hours ago, Vilfredo said:

Oui j'ai écrit une bêtise. Elles peuvent se tromper par rapport à l'environnement objectif, mais elles correspondent toujours à ce que le rat voit. Voilà une troisième façon d'expliquer pourquoi les représentations mentales privées (in the head) n'ont pas de signification: parce qu'elles ne peuvent pas être falsifiées.

Si je me cogne dans un meuble parce que je suis bourré et que ma représentation de l'espace est déformée, cette représentation est falsifiée (mon tibia peut en témoigner).

 

13 hours ago, Vilfredo said:

Oh parce que si on arrive à avoir une connaissance détaillée et précise de Freud on sera déjà contents. On ne forme pas des chercheurs en psychologie et je suis sûr qu'il y a encore plein de choses passionnantes à dire sur le texte de Freud.

Tu cherches à devenir thérapeuthe ?

 

13 hours ago, Vilfredo said:

Je ne connais pas beaucoup de "retours à" en histoire des sciences.

C'est assez classique en fait de revenir à (ou du moins se revendiquer) de vieilles idées en science. Mais on le fait à la lueur des nouvelles données. Il y a certainement des choses qui font toujours autorité chez Freud, et d'autres choses qu'on pourrait encore en tirer, mais (par exemple) l'état de la connaissance scientifique sur la schizophrénie par la médecine de son époque n'en fait pas partie à part à titre historique pour expliquer le contexte de l'émergence de sa pensée.

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Le 27/02/2022 à 18:02, Lancelot a dit :

Tu cherches à devenir thérapeuthe ?

Je réponds très bientôt au reste mais la dessus: 1/ pour ce que ça vaut, je sais que quiconque me connaît personnellement éclaterait plus ou moins ouvertement de rire à cette perspective 2/ je ne pense pas que j’aie envie de passer une bonne partie de mes journées à entendre les gens geindre et me raconter leurs vies chiantes pendant le reste de la mienne 3/ plus sérieusement et plus fondamentalement c’est une immense responsabilité (un mot de trop ou une maladresse avec un dépressif et Dieu sait ce qu’il peut se faire) avec laquelle je ne pense pas que je pourrais vivre. 4/ actuellement je fais mes études en philosophie et ça peut paraître surprenant ce que je vais écrire mais je pense que le genre de savoir qu’on cultive en philo est l’opposé du savoir psychanalytique ou thérapeutique en général: il s’agit d’une forme de maîtrise (des concepts, des systèmes, des arguments) alors que le thérapeute doit dépasser la maîtrise qu’il a acquise pour écouter, interpréter etc. Ce n’est pas en “maîtrisant” l’autre qu’on parvient à lui faire entendre la langue qu’il parle sans la connaître (il y a cette citation de Queneau qui dit ça magnifiquement : “les mots qui vont surgir savent de nous des choses que nous ignorons d’eux.”) Mon gut feeling la dessus c’est qu’en gros les philosophes veulent soit mettre l’ordre du concept dans le réel, soit poser des problèmes plutôt qu’en résoudre, alors qu’un thérapeute ne crée ni n’élimine les problèmes il apprend aux patients à vivre avec. Enfin ça t’isole à mon avis beaucoup des autres humains (sans tomber dans le cliché du psy comme une espèce de surhomme avec des super pouvoirs de mind reading et ce genre de conneries). Mais bon ça c’est peut-être le seul truc qui me changerait pas beaucoup même si je suis trop jeune pour en juger.
 

Si je n’avais ni l’ENS ni sciences po j’avais envisagé de partir en psycho, avec la justification que rien dans le comportement humain ne me semblait aller de soi genre tout ce qui est humain m’est étranger (ce qui fait de moi un idiot parfait dans un contexte social où il y a plus de 3 personnes) mais c’était debile. Ça m’a rendu Husserl plus facile d’accès (les gens sont souvent perturbés par la réduction phénoménologique: comment peut-il y avoir un autre corps que le mien, comment peut il y avoir une communication… moi cest mon paysage mental naturel quotidien; d’où l’humour absurde, qui est en un sens un grand raffinement psychologique; et les génies de l’humour absurde sont tous des dépressifs) mais pas Freud. Ironiquement le seul mec à qui j’aie parlé des Méditations cartésiennes m’a expliqué qu’il avait le même sentiment bizarre. Résultat (je crois qu’) on s’aime bien mais on se voit jamais.

 

Ceci étant dit, psy et plus particulièrement psychiatre est sans doute la profession qui suscite ma plus grande admiration 

 

Et toi, pardonne ma curiosité mais qu’est-ce qui t’a 1/ poussé vers la psycho après avoir abandonné le droit? 2/ éloigné de la psycho clinique/thérapie? 

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Petite digression: l’impression de “tout ce qui est humain mest étranger” et le don du quiproquo font partie de ce que j’adore dans les romans de Bret Easton Ellis. American psycho est un chef d’œuvre pour ça et cette scène est le sommet de cet humour absurde et noir que j’aime tellement (début du roman, p. 86 du paperback Vintage que j’ai). Évidemment tout le monde semble y voir avant tout un roman sur la violence le capitalisme etc (sighs)

Citation

I glare at the Chinese woman once more and rush the hell out of there, dashing after a nonexistent cab, and then I
slow down a block or two up past the cleaners and suddenly I find myself eyeing a very pretty homeless girl sitting on the steps of a brownstone on Amsterdam, a Styrofoam coffee cup resting on the step below her feet, and as if guided by radar I move toward her, smiling, fishing around in my pocket for change. Her face seems too young and fresh and tan for a homeless person's; it makes her plight all the more heartbreaking. I examine her carefully in the seconds it takes to move from the edge of the sidewalk to the steps leading up to the brownstone where she sits, her head bowed down, staring dumbly into her empty lap. She looks up, unsmiling, after she notices me standing over her. My nastiness vanishes and, wanting to offer something kind, something simple, I lean in, still staring, eyes radiating sympathy into her blank, grave face, and dropping a dollar into the Styrofoam cup I say, "Good luck."
Her expression changes and because of this I notice the book – Sartre – in her lap and then the Columbia book bag by her side and finally the tan‐colored coffee in the cup and my dollar bill floating in it and though this all happens in a matter of seconds it's played out in slow motion and she looks at me, then at the cup, and shouts, "Hey, what's your goddamn problem?" and frozen, hunched over the cup, cringing, I stutter, "I didn't... I didn't know it was... full," and shaken, I walk away, hailing a taxi, and heading toward Hubert's in it I hallucinate the buildings into mountains, into volcanoes, the streets become jungles, the sky freezes into a backdrop, and before stepping out of the cab I have to cross my eyes in order to clear my vision. Lunch at Hubert's becomes a permanent hallucination in which I find myself dreaming while still awake.

/petite digression

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14 hours ago, Vilfredo said:

Et toi, pardonne ma curiosité mais qu’est-ce qui t’a 1/ poussé vers la psycho après avoir abandonné le droit? 2/ éloigné de la psycho clinique/thérapie? 

Je faisais en fait une sorte de double licence Droit/science politique et la partie science politique ne me posait pas particulièrement de problème. Si j'avais pu juste abandonner le Droit je pense que je l'aurais fait (et qui sait où j'aurais fini), mais ce n'était pas possible, donc s'est posée la question d'où me réfugier. Je n'avais certainement pas envie de me taper une prépa quelconque ou médecine avec deux ans de retard, ni une formation courte quelconque pour technicien, donc ça laissait la fac. Par ailleurs mes lectures en science politique s'étaient au fil du temps décalées vers des trucs en sociologie de plus en plus psychologisante, genre psychologie des foules, outsiders, la mise en scène de la vie quotidienne, et bien sûr Simmel (je me souviens d'être en train de faire la queue au milieu du centre d'inscription de Lyon 2 en lisant ce bouquin). J'étais aussi intéressé par la psychologie de la personnalité bien sûr et par l'épistémologie. Du coup me rediriger vers psychologie/sciences cognitives m'a semblé un bon compromis à l'époque pour ne pas non plus finir chez les crasseux de socio/anthropo (no offense @poney :mrgreen:).

La clinique n'a donc jamais été un facteur dans mon radar pour ce choix, et d'ailleurs j'ai toujours évité le plus possible de bosser avec des malades même si j'ai appris à les apprécier comme modèle pour éclairer le fonctionnement non-pathologique. Cette question revient régulièrement sur le tapis et les gens qui me connaissent très bien se séparent en deux camps : ceux qui pensent que faire de la clinique serait la pire idée du monde pour moi et ceux qui pensent qu'en fait je serais plutôt bon. Après tout on peut être psy sans être chaleureux.

  • Yea 1
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Le 27/02/2022 à 18:02, Lancelot a dit :

Si on prend une définition un peu rigoureuse de ce critère alors une telle définition d'observationnel correspond exactement à ma définition d'objectif plus tôt dans le thread : "quelque chose peut être qualifié d'objectif pour les êtres humains dans la mesure où n'importe quel être humain a la capacité de constater cette chose en supposant sa bonne foi, des facultés et une éducation suffisantes" (explicite "pour les locuteurs" dans les facultés/l'éducation pour te limiter à une langue et éviter les problèmes de traduction). Avec pour conséquence que l'énoncé le plus observationnel possible serait quelque chose comme une démonstration mathématique. Une autre conséquence serait le recoupement d'intentionnel et subjectif, ce qui impliquerait que l'énoncé le plus intentionnel possible serait du langage privé (? plus haut dans le thread je disais "des représentations qui me sont propres exprimées dans une terminologie qui m'est propre"). J'anticipe que tu auras des objections à ça :lol:

Non je pense que tu résumes bien la dichotomie, à ceci près que tu mets de côté la question de l’intension, que Quine veut réduire à la simple intersubjectivité justement, donc ultimement à la réaction des gens, qui constituerait la signification au lieu qu’elle la determine. Ensuite la frontière entre énonce observationnel et intentionnel reste floue (mais ça tu l’as déjà dit) et je ne crois pas qu’intentionnel et privé soit la même chose. Intentionnel est toujours le point de vue de l’autre sur mon action, la description sous laquelle je reconnais mon action. D’un point de vue superficiel, il y a une dichotomie mais en fait, la reconnaissance de l’intention presuppose aussi l’intersubjectivité. Je peux avoir une intention de sortir et ne pas sortir, même si on pourrait me rétorquer de façon un peu tautologique que dans ce cas je n’ai pas réellement l’intention de sortir. Ici, il y a une connexion intéressante à faire (on retrouve acrobatiquement le sujet!) avec la critique de la théorie des préférences révélées par Rothbard dans Toward a reconstruction of utility and welfare economics et la critique qu’en fait à son tour Caplan dans Why i am not an Austrian economist. Fun fact Kripke est le premier a avoir pointé une similitude entre l’argument de LW sur le langage privé et l’argument de Mises sur les prix (les prix sont l’équivalent du langage courant, intersubjectif bla bla) dans son livre sur Wittgenstein!

 

Le 27/02/2022 à 18:02, Lancelot a dit :

Ce n'est pas impossible de confondre "interprétation" et "réponse" de la sorte mais ça demande plus de développement, par exemple de faire appel à une perspective générativiste (pour le côté "tout est affaire de modélisation/prédiction du monde avec un critère tel que l'homéostasie") et incarnée (pour le côté "les frontières sont floues entre réponse corporelle et cognitive").

Je crois qu’il s’agit surtout de l’idée qu’il n’y a que le tremblement qui peut être lu, qui compte comme signe, et qui donc a une signification. Cela dit je suis preneur d’articles qui développeraient cette perspective, par curiosité. Pour LW il s’agit simplement d’une théorie sur le monde comme ensemble de faits et que chaque fait doit avoir une signification donc être structuré comme un énoncé. Il y a, si on veut, un homomorphisme entre le langage et la réalité.

 

Le 27/02/2022 à 18:02, Lancelot a dit :

Par contre les représentations (qu'elles soient plus ou moins objectives) sont bien dans la tête des gens et ne se balladent pas dans l'éther.

Peut-être une autre façon de le présenter est qu’elles se baladent dans le langage, et que même dans ma tête, elles se conforment à la structure (externe par rapport à moi) du langage, ce qui fait que “mes” représentations n’ont en fait rien de “mien”; elles sont plutôt la marque dune extériorité en moi. Quand je m’en rends compte je suis “angoissé” au sens où je réalise que je ne suis rien (d’autre qu’une pure structure relationnelle sans substrat). D’ailleurs quand quelqu’un a une crise d’angoisse on lui dit “ce n’est rien”. Heidegger argumente qu’on doit prendre cette parole supposément apaisante comme l’expression de l’angoisse, littéralement. Un mec comme Rorty nous habitue à lire LW et Heidegger ensemble sur ce sujet (le mythe de l’intériorité), ce n’est pas une mauvaise idée. (Pour Heidegger la référence serait Qu’est-ce que la métaphysique?)

 

Maintenant sur les airs des Pink Floyd d’abord tu as de la chance j’ai passé la semaine avec Born to die de Lana del Rey et ensuite on pourrait considérer que chaque occurrence de tel air est une version particularisée (dans le temps et l’espace par rapport à toi) d’un universel (l’air en question tel qu’il peut être communiqué à d’autres gens, ce qui fait que je vois de quel air tu parles), ce que la métaphysique analytique contemporaine appelle un “trope”. https://plato.stanford.edu/entries/tropes/ Selon les theorists des tropes, et here is the catch, Les universaux sont en fait composés, ne sont rien d’autres que, des tropes (bundles of tropes). A partir de là peut se poser le problème de: deux tropes au sein d’un bundle peuvent moins se ressembler que deux tropes de bundles différents (un peu l’équivalent métaphysique de l’argument de Lewontin sur la variabilité interne/externe en génétique). Il y a aussi le problème de ré identifier des propriétés (par definition universelles, au sens: susceptibles en principe d’être instanciées dans plusieurs particuliers: le rouge, le beau, le bien) dans différents particuliers (deux choses rouges). En même temps on sait depuis des débats de logiciens des années 50 (des noms assez oubliés aujourd’hui comme Bochenski, Pap, Armstrong) qu’il existe des relations de ressemblance entre universaux irréductibles a des relations entre particuliers (le rouge ressemble plus à lorange que au bleu ne veut pas dire que n’importe quelle chose rouge ressemblera plus à n’importe quelle chose orange etc). 

Le 27/02/2022 à 18:02, Lancelot a dit :

Je n'ai pas de problème avec ça, et c'est la raison pour laquelle on ne peut pas dire que "rien n'a de signification". Ou du moins rien n'a de signification exacte mais tout à une signification approximative et contextuelle, ce qui est suffisant.

Je suis un pessimiste donc j’ai envie de dire que rien n’a de signification au même sens que les lois de la nature n’existe pas (dans la théorie de hume, le problème de l’induction). Une signification devrait être un surplus par rapport à l’usage comme la loi devrait être un surplus par rapport à la généralité. Tiens la dessus le bouquin de Van Fraassen Laws and symmetry que je lisais à Noël a renforcé mon nihilisme

 

Le 27/02/2022 à 18:02, Lancelot a dit :

serait que le contexte dans lequel il utilise ce terme a changé et que le nouvel usage correspond au nouveau contexte.

Oui mais si le contexte n’a pas changé pour moi, que la situation est en continuité parfaite, est ce que ce n’est pas gratuit de postuler que le contexte a du changer pour lui sinon je ne peux pas expliquer ce qu’il fait? Ou alors je comprends de travers ce que tu appelles “contexte”? C’est à mon avis la structure la plus élémentaire du cauchemar: l’incapacité à articuler et communiquer la rupture de la communication. Soudain je me rends compte que je ne communiquais pas avec cette personne et que ce que je prenais pour garanties de la communication n’existait pas. Et sans ces garanties, je ne m’entends même pas moi même (sauf, again, à croire au langage privé, mais même avec ça la perspective reste angoissante en tout cas pour moi)

 

 

Le 27/02/2022 à 18:02, Lancelot a dit :

Elles sont structurées par ma mémoire, mon langage, par des interactions précédentes...

Il faut dire que dans le cas de la mémoire on passe déjà par le langage pour que la chaîne ait une objectivité (sinon qu’est-ce qui me garantit que ce n’est pas un faux souvenir?). “Mon” langage C’est celui des autres donc ce n’est pas “interne”, et mes interactions précédentes ça n’existe que dans la mémoire… donc oui j’ai du mal à voir ce qui outre le langage structure la représentation. Quant à l’aspect “stroboscopique”, instantané de ma présentation des états mentaux, je plaide coupable c’est un peu Descartes (“je suis, j’existe, cela reste vrai du moment que je le conçois en mon esprit” sous entendu une fois que je cesse d’y penser je ne peux plus en être sûr, modulo l’hypothèse de l’existence de Dieu). Il y a effectivement un côté “je mets tout en jeu à chaque coup” ce qui est cohérent avec l’absence de fondation de la signification extérieure au langage ou au monde (l’esprit du truc est humien et athée). Si on est extensionnaliste, que le monde est l’ensemble de tous les faits et que la signification des mots n’est qu’un fait de plus, il faudrait quelque chose d’extérieur au monde pour lui donner un sens (d’où le fait qu’on parle de temps en temps de Dieu dans ce topic :mrgreen:).

 

Le 02/03/2022 à 16:35, Lancelot a dit :

Je faisais en fait une sorte de double licence Droit/science politique et la partie science politique ne me posait pas particulièrement de problème. Si j'avais pu juste abandonner le Droit je pense que je l'aurais fait (et qui sait où j'aurais fini), mais ce n'était pas possible, donc s'est posée la question d'où me réfugier. Je n'avais certainement pas envie de me taper une prépa quelconque ou médecine avec deux ans de retard, ni une formation courte quelconque pour technicien, donc ça laissait la fac. Par ailleurs mes lectures en science politique s'étaient au fil du temps décalées vers des trucs en sociologie de plus en plus psychologisante, genre psychologie des foules, outsiders, la mise en scène de la vie quotidienne, et bien sûr Simmel (je me souviens d'être en train de faire la queue au milieu du centre d'inscription de Lyon 2 en lisant ce bouquin). J'étais aussi intéressé par la psychologie de la personnalité bien sûr et par l'épistémologie. Du coup me rediriger vers psychologie/sciences cognitives m'a semblé un bon compromis à l'époque pour ne pas non plus finir chez les crasseux de socio/anthropo (no offense @poney :mrgreen:).

La clinique n'a donc jamais été un facteur dans mon radar pour ce choix, et d'ailleurs j'ai toujours évité le plus possible de bosser avec des malades même si j'ai appris à les apprécier comme modèle pour éclairer le fonctionnement non-pathologique. Cette question revient régulièrement sur le tapis et les gens qui me connaissent très bien se séparent en deux camps : ceux qui pensent que faire de la clinique serait la pire idée du monde pour moi et ceux qui pensent qu'en fait je serais plutôt bon. Après tout on peut être psy sans être chaleureux.

Intéressant merci. C’est bien Erving Goffman alors? (Et un lacanien dirait même qu’un psy ne doit pas être chaleureux,en tout cas pas par principe.)

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il y a 48 minutes, Vilfredo a dit :

C’est bien Erving Goffman alors?

L'école sociologique de Chicago, c'est très bien. Pas toujours juste, mais souvent intéressant. 

  • Yea 1
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Le 07/03/2022 à 00:05, Rincevent a dit :

L'école sociologique de Chicago, c'est très bien. Pas toujours juste, mais souvent intéressant. 

 

Le 07/03/2022 à 07:35, Boz a dit :

Erving Goffman c'est un must have read.

Très bien je vais donc lire ça aussi

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1 hour ago, Vilfredo said:

 

Très bien je vais donc lire ça aussi

Tu ne le regretteras pas, parole de mec qui a lu un de ses bouquins il y a vingt ans !

(Stigmate).

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On 3/6/2022 at 10:15 PM, Vilfredo said:

Non

Mais en fait si, espèce d'agreeable :lol:

 

On 3/6/2022 at 10:15 PM, Vilfredo said:

tu mets de côté la question de l’intension, que Quine veut réduire à la simple intersubjectivité justement, donc ultimement à la réaction des gens, qui constituerait la signification au lieu qu’elle la determine.

Si j'essaie de traduire et que j'inclue les processus internes dans "la réaction des gens", ça veut dire que les mots n'ont pas de signification en soi en dehors de la manière dont ils sont utilisés ? Je suis plutôt d'accord avec ça sachant que les définitions ont naturellement tendance à évoluer de manière mémétique avec de nouvelles applications qui apparaissent et des anciennes qui tombent en désuétude. Par exemple le mot "terrible" dans son histoire varie entre des connotations positives (du temps de Johnny) et négatives (actuellement par anglicisme). Ce qui ne veut pas dire (parce que je te vois venir) que tout ça est arbitraire et que rien n'a de sens parce qu'il y a tout de même une inertie dans ces mécanismes qui fait qu'à un instant t les locuteurs se comprennent plutôt très bien. Par contre communiquer avec un français moyen d'il y a quelques siècles ne serait pas évident (pire qu'avec un quèb sans doute, c'est dire).

 

On 3/6/2022 at 10:15 PM, Vilfredo said:

je ne crois pas qu’intentionnel et privé soit la même chose. Intentionnel est toujours le point de vue de l’autre sur mon action, la description sous laquelle je reconnais mon action. D’un point de vue superficiel, il y a une dichotomie mais en fait, la reconnaissance de l’intention presuppose aussi l’intersubjectivité.

Pourtant c'est impliqué par mes définitions, qui essayaient d'éclaircir les tiennes, et c'est bien là dessus que je m'attendais à des objections d'ailleurs. Le degré ultime de l'intentionnalité serait une représentation purement privée, sans langage, qui fait référence à un évènement que toi seul connais et à ta manière personnelle de le ressentir. Dès que tu commences (volontairement ou pas d'ailleurs) à le traduire dans un format plus partageable avec autrui (par exemple en essayant de le décrire en langage), tu commences aussi à faire des concessions à l'intersubjectif et à l'observationnel.

 

On 3/6/2022 at 10:15 PM, Vilfredo said:

Je crois qu’il s’agit surtout de l’idée qu’il n’y a que le tremblement qui peut être lu, qui compte comme signe, et qui donc a une signification.

Ce qui est faux puisque tu peux aussi transmettre (par le langage ou pas) ton interprétation du tremblement qui compte également comme signe et qui a également une signification.

 

On 3/6/2022 at 10:15 PM, Vilfredo said:

Pour LW il s’agit simplement d’une théorie sur le monde comme ensemble de faits et que chaque fait doit avoir une signification donc être structuré comme un énoncé. Il y a, si on veut, un homomorphisme entre le langage et la réalité.

Et on a déjà vu pourquoi je pense qu'exiger ça du langage ou de la réalité est une connerie. J'entends bien que Ludwig voudrait que ça marche comme ça mais ce n'est pas le cas, et ce n'est pas en faisant une nerd rage ou une dépression existentielle que ça va changer.

 

On 3/6/2022 at 10:15 PM, Vilfredo said:

Peut-être une autre façon de le présenter est qu’elles se baladent dans le langage, et que même dans ma tête, elles se conforment à la structure (externe par rapport à moi) du langage, ce qui fait que “mes” représentations n’ont en fait rien de “mien”; elles sont plutôt la marque dune extériorité en moi.

C'est encore beaucoup trop optimiste sur la capacité du langage à rester constant d'une personne à l'autre. Il n'a besoin de rester que suffisamment constant pour permettre la communication, mais au delà de ça que mon concept "table" soit exactement le même concept "table" que le tien au point qu'on pourrait dire qu'il est externe à nous deux, ce n'est vraiment pas nécessaire. Et il n'y a qu'à observer des débats entre philosophes ou scientifiques pour constater que même avec la meilleure volonté du monde rendre un élément de langage complètement objectif ce n'est pas une mince affaire. On y arrive à peu près dans des domaines très spécialisés comme les maths. Ceci étant bien sûr que la plupart de nos représentations sont teintées d'intersubjectivité, sinon on serait quand même bien emmerdés pour survivre. Ça n'implique pas qu'elles n'ont "rien de tien" ou autre conclusion aussi dramatique. Tu montes vite dans les absolus quand même.

 

On 3/6/2022 at 10:15 PM, Vilfredo said:

Quand je m’en rends compte je suis “angoissé”

Hors sujet mais ta phrase me fait penser au titre de ce bouquin, que je n'ai pas lu mais qui était a-do-ré par profs d'obédience psychanalytique à l'université.

 

On 3/6/2022 at 10:15 PM, Vilfredo said:

Maintenant sur les airs des Pink Floyd d’abord tu as de la chance j’ai passé la semaine avec Born to die de Lana del Rey

Là au moment où j'écris il se trouve que j'ai Alan's Psychedelic Breakfast, autour de la minute 7.

 

On 3/6/2022 at 10:15 PM, Vilfredo said:

et ensuite on pourrait considérer que chaque occurrence de tel air est une version particularisée (dans le temps et l’espace par rapport à toi) d’un universel (l’air en question tel qu’il peut être communiqué à d’autres gens, ce qui fait que je vois de quel air tu parles), ce que la métaphysique analytique contemporaine appelle un “trope”. https://plato.stanford.edu/entries/tropes/ Selon les theorists des tropes, et here is the catch, Les universaux sont en fait composés, ne sont rien d’autres que, des tropes (bundles of tropes). A partir de là peut se poser le problème de: deux tropes au sein d’un bundle peuvent moins se ressembler que deux tropes de bundles différents (un peu l’équivalent métaphysique de l’argument de Lewontin sur la variabilité interne/externe en génétique). Il y a aussi le problème de ré identifier des propriétés (par definition universelles, au sens: susceptibles en principe d’être instanciées dans plusieurs particuliers: le rouge, le beau, le bien) dans différents particuliers (deux choses rouges). En même temps on sait depuis des débats de logiciens des années 50 (des noms assez oubliés aujourd’hui comme Bochenski, Pap, Armstrong) qu’il existe des relations de ressemblance entre universaux irréductibles a des relations entre particuliers (le rouge ressemble plus à lorange que au bleu ne veut pas dire que n’importe quelle chose rouge ressemblera plus à n’importe quelle chose orange etc). 

Hum, je ne connais pas cette littérature mais j'ai l'impression qu'on retombe largement dans les problèmes de concepts dont on parlait à la page précédente.

 

On 3/6/2022 at 10:15 PM, Vilfredo said:

Je suis un pessimiste donc j’ai envie de dire que rien n’a de signification au même sens que les lois de la nature n’existe pas (dans la théorie de hume, le problème de l’induction). Une signification devrait être un surplus par rapport à l’usage comme la loi devrait être un surplus par rapport à la généralité. Tiens la dessus le bouquin de Van Fraassen Laws and symmetry que je lisais à Noël a renforcé mon nihilisme

Concernant l'épistémologie c'est un autre débat et je pourrais tomber d'accord que le terme "lois de la nature" est trompeur dans la mesure où, quand on cherche à modéliser des phénomènes, les lois sont une propriétés de nos modèles et pas nécessairement des phénomènes. Concernant le langage je note que tu veux que rien n'ait de signification et pourtant tu continues à utiliser tous les jours le langage pour communiquer avec tes prochains, comme si tu pouvais leur transmettre des énoncés dont ils comprennent la signification et qu'ils pouvaient faire de même avec toi :mrgreen:

 

On 3/6/2022 at 10:15 PM, Vilfredo said:

Oui mais si le contexte n’a pas changé pour moi, que la situation est en continuité parfaite, est ce que ce n’est pas gratuit de postuler que le contexte a du changer pour lui sinon je ne peux pas expliquer ce qu’il fait?

Généralement quand on observe un effet on suppose qu'il y a une cause. Après si tu me dis "supposons qu'il existe un effet sans cause" effectivement on va avoir du mal à expliquer ce qui se passe. Je me permets de douter que ça arrive très souvent. Pour la définition du contexte je te renvoie à l'histoire de "terrible" plus haut.

 

On 3/6/2022 at 10:15 PM, Vilfredo said:

Il faut dire que dans le cas de la mémoire on passe déjà par le langage pour que la chaîne ait une objectivité (sinon qu’est-ce qui me garantit que ce n’est pas un faux souvenir?).

D'une part un souvenir n'implique pas nécessairement du langage, d'autre part je ne vois pas le rapport avec les faux souvenirs (qui classiquement tendent plutôt à être induits par le langage). Quand tu racontes un souvenir ce que tu objectives c'est "Vilfredo se souvient de X" mais ça n'est pas tout à fait la même chose qu'objectiver "il s'est passé X" (ce qui serait possible en recoupant plusieurs témoignages ou en faisant appel à d'autres types de preuves par exemple).

 

On 3/6/2022 at 10:15 PM, Vilfredo said:

mes interactions précédentes ça n’existe que dans la mémoire…

Aies un peu plus de respect pour la mémoire, après tout toi-même tu ne seras bientôt plus qu'un souvenir pour ton toi futur :lol:

 

On 3/6/2022 at 10:15 PM, Vilfredo said:

donc oui j’ai du mal à voir ce qui outre le langage structure la représentation.

C'est quand même étrange de dire ça pour quelqu'un qui s'intéresse autant à la psychanalyse.

 

On 3/6/2022 at 10:15 PM, Vilfredo said:

Si on est extensionnaliste, que le monde est l’ensemble de tous les faits et que la signification des mots n’est qu’un fait de plus, il faudrait quelque chose d’extérieur au monde pour lui donner un sens (d’où le fait qu’on parle de temps en temps de Dieu dans ce topic :mrgreen:).

Meh si Dieu existe qui te dit qu'il a envie de s'emmerder à faire ça alors que nous le faisons très bien nous mêmes ?

 

On 3/6/2022 at 10:15 PM, Vilfredo said:

 C’est bien Erving Goffman alors?

Ma lecture date de longtemps mais je me souviens que ça a changé ma perspective sur différents trucs à l'époque.

  • Yea 1
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il y a 18 minutes, Lancelot a dit :

. Ce qui ne veut pas dire (parce que je te vois venir) que tout ça est arbitraire et que rien n'a de sens parce qu'il y a tout de même une inertie dans ces mécanismes qui fait qu'à un instant t les locuteurs se comprennent plutôt très bien. Par contre communiquer avec un français moyen d'il y a quelques siècles ne serait pas évident (pire qu'avec un quèb sans doute, c'est dire).

Une position proche de la tienne ici en épistémologie serait de dire que deux théories ne donnent pas différents concepts de différentes choses (donc incommunicabilité etc) mais deux conceptions de la meme chose (en soi, probablement inaccessible). Le problème c’est que je vois pas pourquoi on continue de poser un extérieur du langage ici (ironiquement c’est un peu comme poser dieu ou des lois en plus de la régularité). Deux façons de répondre précisément à ta phrase sur les mécanismes d’inertie: 1/ on est d’accord sur l’idée que le langage est ce genre d’institution qui existe seulement quand et pourvu qu’on y croie, donc il n’y a pas de manière de l’observer quand on y croit pas (ça serait comme expérimenter la chose en soi) 2/ de meme, on ne peut pas prendre une perspective extérieure et dire: ces gens se comprennent, parce quaucun des deux membres de la relation ne peut assurer que l’autre l’a compris (c’est toujours comme si: comme s’il avait compris, comme s’il y avait une intension, comme s’il y avait une intention, comme s’il y avait des lois etc). Pour résumer, on ne peut pas dire: le langage existe seulement quand on y croit mais on peut avoir un point de vue extérieur dessus (et assurer que les gens se comprennent). Après je crois que Rorty par exemple argumente contre ce genre de trucs donc je t’en dirai plus et je changerai peut-être de perspective quand j’aurai lu Heidegger and other essays et ses autres livres. Ou pas parce que ça n’a pas l’air ouf non plus.

 

il y a 27 minutes, Lancelot a dit :

s. Le degré ultime de l'intentionnalité serait une représentation purement privée, sans langage, qui fait référence à un évènement que toi seul connais et à ta manière personnelle de le ressentir

Well C’est ici qu’on n’est pas d’accord parce que pour moi j’ai besoin du langage pour meme identifier ce que je fais. Si je veux moi même m’entendre j’ai besoin d’un critère me permettant de m’assurer que j’ai réussi à communiquer, d’une instance extérieure à la pure subjectivité, si une telle chose existe (et je ne vois pas trop comment: meme ma voix m’apparaît comme étrange quand je l’écoute enregistrée). Sinon je ne peux pas être sûr que je ressens ceci (ou quoi que ce soit d’autre d’ailleurs), en gros

 

il y a 31 minutes, Lancelot a dit :

Ce qui est faux puisque tu peux aussi transmettre (par le langage ou pas) ton interprétation du tremblement qui compte également comme signe et qui a également une signification

Oui mais ça serait une traduction d’une langue dans une autre mais au sein du même langage 

 

il y a 32 minutes, Lancelot a dit :

C'est quand même étrange de dire ça pour quelqu'un qui s'intéresse autant à la psychanalyse

Ah? Intuitivement j’ai plutôt envie de dire que la psychanalyse souligne l’importance du langage dans la formulation du désir. C’est pas pour rien qu’on parle pendant la cure 

 

je réponds au reste bientôt j’ai plus de batterie 

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1 hour ago, Vilfredo said:

Une position proche de la tienne ici en épistémologie serait de dire que deux théories ne donnent pas différents concepts de différentes choses (donc incommunicabilité etc) mais deux conceptions de la meme chose (en soi, probablement inaccessible).

Il y a une part d'incommunicabilité entre théories (et entre langages, et entre deux utilisations du même langage par deux locuteurs) mais ce qui a tendance à m'agacer c'est quand on caricature ça en la litanie des kuhners "rien n'est commensurable", "tout se vaut" etc.

 

1 hour ago, Vilfredo said:

Le problème c’est que je vois pas pourquoi on continue de poser un extérieur du langage ici

Je n'avais pas l'impression de parler particulièrement d'un extérieur du langage ici. Cependant le langage ne pourrait pas exister sans réalité externe bien sûr (sinon tu communiquerais avec qui, à propos de quoi ?).

 

1 hour ago, Vilfredo said:

1/ on est d’accord sur l’idée que le langage est ce genre d’institution qui existe seulement quand et pourvu qu’on y croie, donc il n’y a pas de manière de l’observer quand on y croit pas (ça serait comme expérimenter la chose en soi)

Tu as déjà rencontré quelqu'un qui ne croit pas au langage ? Comment est-ce qu'il te l'a dit ? :mrgreen:

Blague à part je ne comprends pas ce que tu veux dire ici, mais je pense que tu fais l'erreur de considérer le langage comme une sorte de bloc. Or (et c'est un peu mon point depuis le début sur l'objectivité) il y a une différence entre une proposition comme "la vitesse de la lumière est approximativement égale à 300000km/s" et une autre comme "ok boomer". Il est possible d'utiliser le langage pour approcher une forme d'objectivité (pour les humains toujours), et on obtient alors des propositions qui deviennent plus universellement compréhensibles, plus immuables (ou au moins plus faciles à traduire). Du coup rien n'empêche d'observer les mécanismes de fluctuation d'une partie du langage à partir d'une partie plus stable, ça ne se mord pas la queue. Que s'apelerio sciences du langage.

 

1 hour ago, Vilfredo said:

2/ de meme, on ne peut pas prendre une perspective extérieure et dire: ces gens se comprennent, parce quaucun des deux membres de la relation ne peut assurer que l’autre l’a compris (c’est toujours comme si: comme s’il avait compris, comme s’il y avait une intension, comme s’il y avait une intention, comme s’il y avait des lois etc).

À proprement parler tu n'auras jamais accès qu'à tes modèles internes du monde. Seulement tes modèles ne seraient pas tel qu'ils sont si le langage ne permettait pas de se comprendre (tu n'aurais dans ce cas pas de langage du tout). Ce qui n'empêche pas que tu peux te tromper dans une instance particulière où tu crois que ton interlocuteur a compris alors que non.

 

1 hour ago, Vilfredo said:

Well C’est ici qu’on n’est pas d’accord parce que pour moi j’ai besoin du langage pour meme identifier ce que je fais. Si je veux moi même m’entendre j’ai besoin d’un critère me permettant de m’assurer que j’ai réussi à communiquer, d’une instance extérieure à la pure subjectivité, si une telle chose existe (et je ne vois pas trop comment: meme ma voix m’apparaît comme étrange quand je l’écoute enregistrée). Sinon je ne peux pas être sûr que je ressens ceci (ou quoi que ce soit d’autre d’ailleurs), en gros

T'assurer que tu ressens un truc est déjà un pas vers l'objectivité comparé à juste le ressentir. Ceci étant on peut ressentir des trucs et les communiquer sans langage. Fréquente un peu un nouveau né pour voir.

 

1 hour ago, Vilfredo said:

Oui mais ça serait une traduction d’une langue dans une autre mais au sein du même langage 

Tu peux avoir la même réaction physiologique traduite en des émotions très différentes (pleurer de joie vs pleurer de douleur) selon le contexte.

 

1 hour ago, Vilfredo said:

Ah? Intuitivement j’ai plutôt envie de dire que la psychanalyse souligne l’importance du langage dans la formulation du désir. C’est pas pour rien qu’on parle pendant la cure

Tu parles pour objectiver des trucs subjectifs (formuler des trucs inconscients). Ce qui est supposé aider somehow.

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Il y a 2 heures, Lancelot a dit :

Hors sujet mais ta phrase me fait penser au titre de ce bouquin, que je n'ai pas lu mais qui était a-do-ré par profs d'obédience psychanalytique à l'université.

On m'a parlé en bien de Devereux. En ethnopsychiatrie ça a l'air mieux que Nathan par exemple...

Il y a 2 heures, Lancelot a dit :

Concernant le langage je note que tu veux que rien n'ait de signification et pourtant tu continues à utiliser tous les jours le langage pour communiquer avec tes prochains, comme si tu pouvais leur transmettre des énoncés dont ils comprennent la signification et qu'ils pouvaient faire de même avec toi :mrgreen:

J'ai du mal à communiquer avec les gens (on n'aurait pas imaginé je sais). Je préfère parler de philo ou de maths, là où l'intention ne compte pas.

Il y a 2 heures, Lancelot a dit :

Généralement quand on observe un effet on suppose qu'il y a une cause. Après si tu me dis "supposons qu'il existe un effet sans cause" effectivement on va avoir du mal à expliquer ce qui se passe. Je me permets de douter que ça arrive très souvent. Pour la définition du contexte je te renvoie à l'histoire de "terrible" plus haut.

C'est un peu le moment où on commence à se tirer par les cheveux pour avancer dans le raisonnement, parce que c'est sûr que si on observe le phénomène comme un effet, ça a du sens de se demander quelle est la cause, mais pas si on le considère comme un effet de quoi que ce soit (donc ma supposition ne serait pas: et s'il y avait un effet sans cause?). Bien sûr, ce n'est pas si simple que: imaginons juste que quelque chose de non-causé se produise, parce que si je peux imaginer qu'un lapin apparaisse dans ma chambre dans cinq secondes, ça n'équivaut pas à m'imaginer que quelque chose vienne à l'existence dans ma chambre dans cinq secondes. Je pourrais très bien imaginer que je n'ai simplement pas vu le lapin venir (parce qu'il voyage dans le temps, traverse les murs que sais-je). Ce n'est rien d'autre que la 3e antinomie de Kant. Mais ça veut aussi dire qu'on ne peut pas observer la qualité de cause ou d'effet d'une cause ou d'un effet, parce que "cause" et "effet" ne font que qualifier la manière dont on perçoit ce qu'on appelle respectivement "cause" et "effet". Bref, si je disais: supposons qu'on observe quelque chose qui se produit sans cause, je serais inintelligible.

 

Dans mon histoire de mec qui change son usage du mot sans changement du contexte de mon point de vue, je ne fais cependant pas une telle supposition, parce que c'est bien de mon point de vue que le contexte n'a pas changé. Et parce que je n'ai que mon point de vue de disponible + ce que je crois être pertinent pour un être humain pour déterminer le contexte linguistique d'un échange (ce que Searle appellerait la background knowledge qui me permet, par exemple, d'interpréter des énoncés ambigus comme "la petite brise la glace" ou "il a ouvert la porte avec sa clé" (et là-dessus on peut faire des développements darwiniens sur comment il pourrait y avoir un substrat biologique pour ce genre de rule-following sans lequel on ne peut pas survivre, et le pompon c'est que Nietzsche dirait quelque chose de semblable)), je ne peux pas assurer que, pour mon interlocuteur, le contexte n'ait pas changé. Mais ça paraît absurde. En fait, il n'y a pas vraiment de différence entre "identifier le contexte dans lequel ses mots prennent sens" et "comprendre ce qu'il dit", càd décider entre: il a oublié la signification des mots et: il n'a jamais connu la signification des mots, ou (autre formulation): il a changé de contexte et: nous n'avons en fait jamais été dans le même contexte et je m'en rends compte seulement maintenant. Ici, il me paraît clair que nous n'utilisons pas "contexte" dans le même sens: tu parles du contexte dans le sens de l'état de la langue (française par exemple) à telle époque de son évolution historique, je parle simplement du minimum d'intentionalité qui s'immisce dans les discussions pourvu qu'on n'échange pas simplement par énoncés observationnels.

 

Il y a 2 heures, Lancelot a dit :

D'une part un souvenir n'implique pas nécessairement du langage, d'autre part je ne vois pas le rapport avec les faux souvenirs (qui classiquement tendent plutôt à être induits par le langage).

Le rapport auquel je pensais, c'est que tant que je n'ai pas articulé ce souvenir, je ne peux pas être sûr qu'il s'est produit, et je pourrais me tromper. Par exemple j'ai longtemps cru que j'avais fait quelque chose à quelqu'un et en fait non je l'avais seulement rêvé. Tant que j'ai pas vérifié avec la personne ou un témoin, je peux pas faire la différence entre ce que Hume appellerait l'idée et l'impression (Hume's point étant que je commence par avoir une impression quand je vis un truc, puis le quantum d'affect s'atténue peu à peu et ça devient une idée (= un souvenir), et la mémoire consiste simplement à revivifier l'idée de telle sorte qu'elle atteigne presque le niveau affectif de l'impression, et parfois, la différence peut être telle que j'ai du mal à distinguer l'idée de l'impression: c'est ainsi que Hume expliquerait, je pense, les impressions de déjà vu). Après, je suis aussi d'accord que le langage est à double-tranchant et peut causer des faux souvenirs (j'ai un peu lu Loftus après que tu l'avais mentionnée il y a deux ans sur le forum) et que, comme je suis visiblement très sceptique sur la capacité de l'intersubjectivité à servir de fondement à une forme d'objectivité, cette tentative reste vouée à l'échec. Je pense ici à une tradition en épistémologie qui travaille sur l'idéalisation (surtout en physique) comme une sorte de mensonge, mais pas de façon naïve ("c'est un modèle c'est pas la réalité gnéhé"), plutôt pour dire que l'idéalisation laisse supposer qu'il existe un substrat qui est idéalisé (de la même façon qu'un voile peut laisser penser que quelque chose existe derrière le voile alors qu'il n'y a rien, et qu'on penserait pas qu'il y a quelque chose si le quelque chose, càd le rien, n'était pas inaccessible à la perception (et pour cause). Nietzsche est un peu sur cette ligne, et en épistémologie au sens plus traditionnel you might want to look into Nancy Cartwright, qui a carrément écrit un How the Laws of Physics Lie https://oxford.universitypressscholarship.com/view/10.1093/0198247044.001.0001/acprof-9780198247043 Enfin l'anti-réalisme est une longue tradition, c'est aussi un aspect qui m'avait beaucoup intéressé dans la pensée de Carnap (pour en revenir à quelque chose de plus philo du langage). Evidemment the catch c'est que cette idéalisation est nécessaire à la survie, à la communication, à la pensée (abstraite), que la vie en bonne santé suppose surtout d'acquérir the proper distance par rapport à la réalité. C'est aussi ce qu'essaie de parvenir à faire la psychanalyse: arracher le patient à sa trop grande identification avec certains signifiants en les vidant de leur contenu fantasmatique. C'est pourquoi je comprenais pas ta remarque sur la psychanalyse. Pour moi la psychanalyse c'est l'opposé de l'approche qui dit: vous pensez ça, mais en fait la signification c'est plutôt ça, deal with it. Sinon le patient pourrait dire: non, au revoir. Et surtout on comprend pas pourquoi c'est le patient qui devrait tellement parler. La psychanalyse est sans doute la discipline qui établit avant tout la plus grande importance du signifiant (par rapport au signifié) sur notre vie (ie sur notre désir).

 

Il y a 2 heures, Lancelot a dit :

Meh si Dieu existe qui te dit qu'il a envie de s'emmerder à faire ça alors que nous le faisons très bien nous mêmes ?

Sauf que Dieu (par définition) ne peut pas se tromper. On pourrait rétorquer: et pourquoi pas (le Dieu brouillon qui a fait un travail de sagouin et nous a laissé un monde mal foutu du gnosticisme) mais alors on se bat sur la définition de "Dieu" comme les philosophes du XVIIe siècle. Mais ici on touche à la question de la psychanalyse (c'est pas moi qui ai remis ça sur la table): c'est une idée lacanienne cachée que le langage c'est "l'Autre" en nous (le "grand Autre" c'est comme ça que Lacan appelle l'ordre symbolique), et ici je vais peut être mieux réussir à expliquer ce que c'est que ce Réel qui n'est pas la réalité, et qui donnerait raison à ta remarque sur la psychanalyse. Lacan explique que ma voix, par exemple, est un objet en un sens inobjectivable, parce que c'est le support de mon discours, donc je ne peux pas en fait l'objet de mon discours (je ne peux pas dire ma voix, ça n'a pas de sens), et c'est à la fois ce qui m'est le plus intime, ce par quoi les autres m'identifient par exemple, et ce qui m'est étranger (l'expérience désagréable quand on entend sa voix enregistrée: c'est un peu l'inverse de la voix de la raison kantienne, qu'on peut entendre sans l'écouter: à l'inverse, ma voix, je l'écoute mais je ne l'entends jamais -- sauf enregistrée, et alors je la reconnais à peine: "c'est vraiment comme ça que je parle?"). C'est ce qui rend possible le fait que je dise des trucs, mais qui n'est pas lui-même quelque chose que je peux dire. En fait, c'est bien parce que ma voix m'est tellement intime qu'elle me paraît étrangère quand elle est "sortie" de moi, rendue indépendante de mon corps, comme une voix au téléphone. Et bien sûr c'est pour ça qu'on parle sans regarder l'analyste: en analyse, on est réduit au statut de pure voix, même pas de discours (parce qu'on ne sait même pas ce qu'on dit). La voix, en ce sens, c'est la parole - le discours. Lacan exprime cet étrange paradoxe que ce qui m'est le plus intime soit aussi le plus étranger en inventant la notion d'objet "extime". Alors on pourrait se demander ce qu l'objet extime a d'extérieur si c'est le coeur de notre subjectivité (notre voix), ou plutôt ce qu'il y a d'autre que cet Autre, si cet Autre est aussi ce qui nous est le plus intime. Or, pour Lacan, il n'y a pas une telle extériorité, ce qu'il exprime par son slogan (Lacan a plein de slogans) "il n'y a pas d'autre de l'Autre", en tout cas pas dans le symbolique (dans le signifiant), dans le langage. https://fr.wikipedia.org/wiki/Grand_Autre Cet autre serait le sujet, mais le sujet barré ($ dans les "mathèmes" de Lacan), càd le sujet castré de son rapport au symbolique, donc rien du tout en fait (et ici certains écrits de Lacan à une certaine époque font un rapport entre cette conception lacanienne du sujet barré et le Dasein, avec cette grande différence que, dans Heidegger, le Dasein expérimente l'angoisse comme sans objet ("je ne suis rien" ou plutôt, puisque même "je" est déjà de trop, "le néant néantise"), alors que, bien sûr, dans Lacan l'angoisse a un objet: c'est l'objet petit a, qui est le reste de Réel qui échappe à la symbolisation, ce qui rend possible l'expérience symbolique, le langage, sans pouvoir devenir formulable dans les termes de ce langage (d'où un autre slogan lacanien qui revient à "il n'y a pas d'autre de l'Autre": "il n'y a pas de métalangage").

 

Ici on déborde sur un truc que je suis en train d'écrire en ce moment, mais la constitution de la réalité passe essentiellement par l’exclusion de l’objet fantasmatique ; à la liste des objets partiels de Freud (le sein, les excréments, le phallus), Lacan en ajoute deux : la voix et le regard. Le regard jeté sur un objet est une expérience marquée par le renvoi de ce regard par l’objet depuis un point aveugle qui est, bien sûr, celui de l’objet partiel (l’objet petit a). Cette expérience est donc une sorte d’écho de la réalité, comme si, note Zizek, lorsque nous parlons, nous répondions toujours-déjà à une question primordiale posée par le grand Autre, l’autre nom de l’ordre symbolique. Pour être plus précis, c’est même ce vide qui rend possible l’émergence de la voix justement comme objet partiel. On comprend donc bien ici pourquoi c’est toujours à partir du point aveugle dans l’objet que celui-ci renvoie le regard ou l’écho. Ce n'est pas faux de dire que l'image est dans mon oeil, the beauty in the eye of the beholder, la réalité dans ma tête etc mais il faut ajouter que je suis, en retour, dans l'image en question. On voit bien je crois comment ce genre de développements peut avoir une pertinence pour la psychanalyse (le stade du miroir, la non-coïncidence avec soi-même etc).

 

Sinon pour l'histoire du Dieu qui se trompe, ça me fait penser à une blague que j'aime beaucoup (c'est un truc de freudien et d'analytique d'expliquer ce qu'on pense par blagues): deux mecs jouent dans un bar à tirer sur des bouteilles de bière avec une balle de tennis. Il y en a un qui arrête pas de rater. Il finit par dire: "Nom de Dieu putain j'ai encore raté!" L'autre, assez religieux croyant et tout, lui répond que ça ne se fait pas de jurer comme ça, que c'est un blasphème et qu'il espère que la foudre de Dieu le punira comme il le mérite. Quelques minutes plus tard, la foudre frappe effectivement, et elle crâme à moitié le croyant en question. Sanguinolent, à moitié mort, il lève son poing vers le ciel et s'écrie: "pourquoi m'as-tu frappé? pourquoi n'as-tu pas puni le vrai coupable?" Et on entend Dieu s'exclamer: "Nom de Dieu putain j'ai encore raté!"

 

Au passage ça explique bien aussi l'histoire de il n'y a pas de métalangage.

 

il y a une heure, Lancelot a dit :

Tu as déjà rencontré quelqu'un qui ne croit pas au langage ? Comment est-ce qu'il te l'a dit ? :mrgreen:

Ben c'est une bonne blague, parce que s'il pouvait me le dire, ça me donnerait une raison de "croire" au langage. Le fait qu'il ne puisse pas me le dire laisse bien supposer un surplus impossible à signifier. C'est un vieux problème de philosophie en fait, qu'on ne doit croire que les histoires racontées par des témoins prêts à se faire égorger, sauf qu'évidemment s'il faut les faire égorger pour s'assurer qu'ils ne mentent pas, on n'entendra pas l'histoire. Donc il faut "croire" (quitte à les égorger après). C'est un truc de Pascal, qui explique pourquoi on peut croire les histoires des juifs (que s'appelerio la bible) parce que justement ils se sont faits égorger parce qu'ils ne comprenaient pas ce qu'ils disaient. La preuve qu'ils ne le comprenaient pas, c'est qu'ils l'ont raconté. S'ils avaient compris ce qui les attendait, ils ne l'aurait pas raconté.

 

il y a une heure, Lancelot a dit :

il y a une différence entre une proposition comme "la vitesse de la lumière est approximativement égale à 300000km/s" et une autre comme "ok boomer"

C'est pas pour chipoter mais rigoureusement, "proposition" ne s'applique pas à "ok boomer". Je distinguerais

  • une occurrence de phrase, qui est l'effet d'une phrase dans la réalité
  • un énoncé, une phrase (déclarative) dont on peut dire si elle est vraie ou fausse
  • une proposition, le contenu de signification d'un énoncé, une même proposition pouvant être exprimée de différentes façons pourvu qu'elles aient la même référence ("ok boomer" n'en a pas) (pour la désigner, on utilise des "that clause")
  • un jugement, un acte par lequel la proposition d'un énoncé est reconnue vraie ou fausse

Moi je ne m'intéressais en fait qu'au langage comme moyen de référence (comme dans le problème du mec qui soudain commence à employer un mot différemment). Le reste du langage, les phrases qui n'ont pas de référence (les ordres, les exclamations, les différentes manifestations de la fonction phatique), je pense que c'est intéressant mais assez coïncidant ou superflu par rapport au body language. "Ok boomer" je peux le remplacer par un regard méprisant, ce genre de choses, à peu près en tout cas. "La vitesse de la lumière égale...", plus difficilement quand même.

 

il y a une heure, Lancelot a dit :

Il est possible d'utiliser le langage pour approcher une forme d'objectivité (pour les humains toujours), et on obtient alors des propositions qui deviennent plus universellement compréhensibles, plus immuables (ou au moins plus faciles à traduire). Du coup rien n'empêche d'observer les mécanismes de fluctuation d'une partie du langage à partir d'une partie plus stable, ça ne se mord pas la queue. Que s'apelerio sciences du langage

Ici je pense que j'ai envie de répondre par cette partie de ce même message:

Citation

je parle simplement du minimum d'intentionalité qui s'immisce dans les discussions pourvu qu'on n'échange pas simplement par énoncés observationnels.

Pour clarifier donc, je dirais que je suis bien d'accord que le langage permet de formuler des énoncés observationnels, et je te rejoins pour dire que c'est pas parce que la frontière observationnel/intentionnel est sensible au contexte que ça n'existe pas et qu'il faut foutre le bébé par la fenêtre avec l'eau du bain, mais il n'en reste pas moins qu'on communique (et ce en utilisant des énoncés qui ont une référence) pas seulement, et même quasiment jamais, avec des énoncés observationnels. Sauf entre INTPs et dans les romans de Rand peut-être.

 

il y a une heure, Lancelot a dit :

T'assurer que tu ressens un truc est déjà un pas vers l'objectivité comparé à juste le ressentir.

But what is this "le" :lol:

Je peux très bien imaginer que le nouveau-né ne ressent rien (après on peut se demander si simplement parce que je peux me l'imaginer ça veut dire que c'est possible ou pas). Je pense que tu vas détester mais https://prawfsblawg.blogs.com/files/wittgenstein-on-certainty.pdf

 

il y a une heure, Lancelot a dit :

Tu peux avoir la même réaction physiologique traduite en des émotions très différentes (pleurer de joie vs pleurer de douleur) selon le contexte.

Oui je suis d'accord avec ça. Je disais:

- Il n'y a que le tremblement qui peut être lu.

Tu as dit:

- Non, tu peux aussi exprimer le tremblement.

J'ai dit:

- Oui, mais c'est simplement une traduction.

Tu as dit:

- Il y a différentes traductions de la même chose.

Je crois pas qu'on soit en désaccord sur toute cette histoire (de même en fait que je disais que plusieurs phrases peuvent exprimer la même proposition parce qu'elles ont la même référence; mais bon après mon scepticisme revient et je me demande s'il ne serait pas possible que quelqu'un ou un groupe de personnes comprenne une de ces phrases différemment et comment alors je pourrais leur prouver, même s'ils sont de mauvaise foi et veulent juste me martyriser (j'ai des cauchemars linguistiques terribles), que ça veut bien dire la même chose). Je tiens juste à souligner que le tremblement est déjà quelque chose de linguistique ou plus exactement de signifiant, dont la structure est préservée dans la langue. Mais on peut le formuler dans plein de langues (la langue des émotions, la langue française etc), on ne le formule jamais dans un autre langage (ie une autre structure). Je cherchais juste à établir le fait que le schéma n'était pas: "traduction" dans le "langage" d'une entité extra-linguistique qui serait le comportement, les émotions et tout ce qui serait pré-linguistique (au sens: pré-langage, pas pré-langue; même si on peut considérer que la pensée est déjà l'introduction de la langue avant même l'articulation, si on revient sur les trucs de voix intérieure).

 

Sur toutes ces choses, je recommande cet article de Sandra Laugier: https://www.nordicwittgensteinreview.com/article/view/3364 (Avec cette citation de LW “You know that you are lying; if you are lying, you know it. An inner voice, a feeling tells me? Might this feeling not deceive me? Does a voice always tell me? And when does it speak? The whole time?”)

 

il y a une heure, Lancelot a dit :

Tu parles pour objectiver des trucs subjectifs (formuler des trucs inconscients). Ce qui est supposé aider somehow.

(Edit: ici je crois qu'on touche au coeur de la discussion)

Justement c'est ici que j'ai envie de poser une question de philosophe et dire: mais comment cette objectivation est-elle possible (d'autant qu'on a vu qu'objectiver ma voix, c'était déjà une dénaturation de l'expérience que j'en faisais "subjectivement") à moins que le contenu "à objectiver" (l'objectivandum?) n'ait toujours-déjà la structure objective qu'on essaie de lui donner, càd, and of course that is just my point, une structure linguistique? Parce qu'autrement ça apparaît un peu comme un miracle qu'on puisse objectiver des trucs. Le problème du langage privé n'est pas seulement: ce que je ne fais que garder pour moi ne peut pas avoir de signification, c'est plutôt en fait: comment est-ce que je peux reconnaître ce que je veux dire (ce que j'ai l'intention de dire, ce que je veux signifier) dans ce que je dis, et que les autres entendent? Ici encore, la psychanalyse nous fait remarquer qu'on reconnaît souvent mal. Et c'est aussi cette phrase de ton post qui m'a motivé à linker l'article de Laugier, où elle écrit: “The problem is not being unable to express or exteriorize what I have “inside”; to think, or feel something without being able to say it (a problem Wittgenstein dealt with in the Tractatus). The problem is the opposite: not meaning what I say.” Et elle cite pertinemment LW sur ce point: “So in the end when one is doing philosophy one gets to the point where one would like just to emit an inarticulate sound.”

 

Ah vraiment quand je lis LW je me sens moins seul dans mon délire. Parfois je me dis que je fais juste de la philo pour ça. Pour me sentir moins seul dans mon délire. Jusqu'au moment où j'en parle à un prof de Paris I, un mec sérieux et tout, et que je vais dans son bureau en me disant "évidemment il va me dire que je déconne à pleins tubes", je lui explique mon truc, et il me dit: "hm, c'est très intéressant, je vous prends en master". Et là il y a un sentiment d'irréalité encore pire qu'avant en fait. C'est un peu ce que décrit Freud: superficiellement, on croit que les gens fuient la réalité dans leurs rêves, et c'est vrai to a degree, mais dans le rêve, ils rencontrent des désirs qu'ils ne savent même pas qu'ils ont, si terrifiants qu'ils sont rassurés par la réalité quand ils se réveillent. Donc ça commence par: les rêves, c'est la drogue de ceux qui ne sont pas capables d'affronter la réalité. Et ça finit en: la réalité, c'est la drogue de ceux qui ne sont pas capables d'affronter leurs rêves.

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il y a 53 minutes, Vilfredo a dit :

(c'est un truc de freudien et d'analytique d'expliquer ce qu'on pense par blagues)

Je me demande bien pourquoi. :juif:

 

:mrgreen:

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15 minutes ago, Vilfredo said:

J'ai du mal à communiquer avec les gens (on n'aurait pas imaginé je sais). Je préfère parler de philo ou de maths, là où l'intention ne compte pas.

Une remarque générale sur laquelle je reviendrai est que tu persistes dans des dichotomies là où elles n'ont pas lieu d'être ("là où l'intention ne compte pas", un énoncé est soit observationnel soit intentionnel...), ce qui t'amène à des raisonnements absurdes.

 

15 minutes ago, Vilfredo said:

Dans mon histoire de mec qui change son usage du mot sans changement du contexte de mon point de vue, je ne fais cependant pas une telle supposition, parce que c'est bien de mon point de vue que le contexte n'a pas changé.

En gros tu me proposes un arbitrage entre considérer que je suis dans un Univers où il y a de la causalité ou pas. Jusqu'à maintenant je n'ai aucune raison de penser que je suis dans le second cas ou qu'on pourrait y basculer. Peut-être que dans deux minutes je vais me faire arracher la tête par un raptor orange invisible. Je n'ai aucun moyen de m'assurer complètement que ça ne sera pas le cas (après tout l'Univers peut arrêter d'être tel que je l'ai connu jusqu'à maintenant). Je ne me sens pas obligé d'accorder une très grande importance à cette éventualité.

 

15 minutes ago, Vilfredo said:

En fait, il n'y a pas vraiment de différence entre "identifier le contexte dans lequel ses mots prennent sens" et "comprendre ce qu'il dit", càd décider entre: il a oublié la signification des mots et: il n'a jamais connu la signification des mots, ou (autre formulation): il a changé de contexte et: nous n'avons en fait jamais été dans le même contexte et je m'en rends compte seulement maintenant.

Les deux sont deux hypothèses valables dans un Univers causal en fait. Peut-être que nos définitions avaient une grosse différence depuis le début (comme je le disais plus haut il faut s'attendre à des différences plus ou moins marginales entre locuteurs pour à peu près tous les mots), que jusqu'à maintenant nous avions toujours été confrontés à des utilisations du mot pour lesquelles cette différence n'avait pas d'impact, et que d'un coup une nouvelle situation l'a mise en évidence. Rien de très dramatique ou qui justifie de tomber dans une abysse d'angoisse existentielle.

 

15 minutes ago, Vilfredo said:

Le rapport auquel je pensais, c'est que tant que je n'ai pas articulé ce souvenir, je ne peux pas être sûr qu'il s'est produit, et je pourrais me tromper. Par exemple j'ai longtemps cru que j'avais fait quelque chose à quelqu'un et en fait non je l'avais seulement rêvé. Tant que j'ai pas vérifié avec la personne ou un témoin, je peux pas faire la différence entre ce que Hume appellerait l'idée et l'impression (Hume's point étant que je commence par avoir une impression quand je vis un truc, puis le quantum d'affect s'atténue peu à peu et ça devient une idée (= un souvenir), et la mémoire consiste simplement à revivifier l'idée de telle sorte qu'elle atteigne presque le niveau affectif de l'impression, et parfois, la différence peut être telle que j'ai du mal à distinguer l'idée de l'impression: c'est ainsi que Hume expliquerait, je pense, les impressions de déjà vu). Après, je suis aussi d'accord que le langage est à double-tranchant et peut causer des faux souvenirs (j'ai un peu lu Loftus après que tu l'avais mentionnée il y a deux ans sur le forum) et que, comme je suis visiblement très sceptique sur la capacité de l'intersubjectivité à servir de fondement à une forme d'objectivité, cette tentative reste vouée à l'échec.

Je ne pense pas que tu dises là dedans quelque chose de différent de mon "Quand tu racontes un souvenir ce que tu objectives c'est "Vilfredo se souvient de X" mais ça n'est pas tout à fait la même chose qu'objectiver "il s'est passé X" (ce qui serait possible en recoupant plusieurs témoignages ou en faisant appel à d'autres types de preuves par exemple)", sauf à la toute fin où tu te contredis...

 

15 minutes ago, Vilfredo said:

"c'est un modèle c'est pas la réalité gnéhé"

Si déjà les gens pouvaient comprendre ça ce serait un bon début. Ensuite concernant tes histoires de voile qui cache peut-être quelque chose ou pas, le pragmatisme me dirait que ce n'est pas un problème qu'on peut résoudre et donc que ce n'est pas pertinent de s'y intéresser, comme le raptor orange invisible (qui finalement n'est pas venu, quelle surprise). Je suis content avec ma forme modeste d'objectivité qu'on peut au moins fonder sur quelque chose.

 

15 minutes ago, Vilfredo said:

Evidemment the catch c'est que cette idéalisation est nécessaire à la survie, à la communication, à la pensée (abstraite), que la vie en bonne santé suppose surtout d'acquérir the proper distance par rapport à la réalité.

And what does that tell you?

 

15 minutes ago, Vilfredo said:

C'est aussi ce qu'essaie de parvenir à faire la psychanalyse: arracher le patient à sa trop grande identification avec certains signifiants en les vidant de leur contenu fantasmatique.

En parlant.

 

15 minutes ago, Vilfredo said:

Sauf que Dieu (par définition) ne peut pas se tromper.

Alors oui mais non :lol: Je ne vais pas me taper un wall of text sur Dieu et fucking Lacan pour me punir d'avoir fait une blague. Je ne suis pas croyant (y compris en la psychanalyse), la glose ça va deux minutes.

 

15 minutes ago, Vilfredo said:

Ben c'est une bonne blague, parce que s'il pouvait me le dire, ça me donnerait une raison de "croire" au langage.

Surtout le fait de te le dire serait une contradiction performative qui prouve qu'en fait il y croit. Mais je relevais parce que c'est absurde de parler de "croire" au langage. Au delà du fait que ce n'est pas quelque chose auquel on peut décider d'adhérer ou pas, on ne peut même pas avoir la notion de "ne pas croire" en quelque chose sans utiliser le langage. Tu peux croire de toutes tes forces que tu n'existes pas, tu n'arriveras qu'à confirmer que tu existes.

 

15 minutes ago, Vilfredo said:

Ici je pense que j'ai envie de répondre par cette partie de ce même message

La dichotomie n'a pas lieu d'exister de cette manière et tu auras des degrés d'intentionalité à peu près partout. Ça n'a pas vraiment d'importance pour la partie du message à laquelle tu réponds though.

 

15 minutes ago, Vilfredo said:

But what is this "le" :lol:

Le truc que tu ressens.

 

15 minutes ago, Vilfredo said:

Je peux très bien imaginer que le nouveau-né ne ressent rien (après on peut se demander si simplement parce que je peux me l'imaginer ça veut dire que c'est possible ou pas).

Je réitère donc mon invitation à passer du temps en sa compagnie et je ne pense pas que ton imagination y survivra. Au passage si le nouveau-né ne ressent rien alors tu peux plus ou moins jeter Freud à la poubelle.

 

15 minutes ago, Vilfredo said:

Je tiens juste à souligner que le tremblement est déjà quelque chose de linguistique ou plus exactement de signifiant, dont la structure est préservée dans la langue.

Que ça puisse être interprété comme signifiant oui sans doute. La préservation dans la langue j'en doute plus. Que ça soit linguistique non à moins de torturer la définition de linguistique pour y faire entrer tout et n'importe quoi.

 

15 minutes ago, Vilfredo said:

Justement c'est ici que j'ai envie de poser une question de philosophe et dire: mais comment cette objectivation est-elle possible (d'autant qu'on a vu qu'objectiver ma voix, c'était déjà une dénaturation de l'expérience que j'en faisais "subjectivement") à moins que le contenu "à objectiver" (l'objectivandum?) n'ait toujours-déjà la structure objective qu'on essaie de lui donner, càd, and of course that is just my point, une structure linguistique? Parce qu'autrement ça apparaît un peu comme un miracle qu'on puisse objectiver des trucs.

Tu fais une traduction, qui sera forcément approximative. Tu peux voir encore une fois le pattern ici : le problème commence quand on cherche à avoir des trucs exacts parce que si la traduction exacte en langage d'un truc existe, est-ce que ce n'était pas déjà du langage pour commencer ? Mais si par exemple je traduis un livre de l'anglais au français (oui je prends l'exemple d'une traduction de langage à langage, c'est une métaphore), d'une part la traduction ne sera pas parfaite, et d'autre part on ne pourra pas en conclure que ma traduction existait déjà. Au contraire ma traduction est une rencontre de ma propre subjectivité, mes propres idiosyncraties linguistiques en anglais et en français, avec le texte initial, et personne d'autre que moi n'aurait pu produire cette traduction en particulier (sans doute même pas moi à quelques temps d'écart).

De la même manière mon système nerveux récupère des informations provenant de mon corps (différence de température, de sudation, micro-tremblement...) ainsi que des informations sensorielles venant de l'extérieur, intègre tout ça à mon modèle interne pré-existant du monde, et si j'y prête attention je peux traduire ça disons en termes d'émotion ("je suis fatigué"). Ça me permet par la suite d'exprimer cette émotion à d'autres qui m'apporteront peut-être de nouveaux éléments ("ah oui je t'ai endendu remuer toute la nuit dernière, et je me disais bien que tu avais des grosses cernes aujourd'hui"). Et donc ma fatigue s'objective.

 

15 minutes ago, Vilfredo said:

Le problème du langage privé n'est pas seulement: ce que je ne fais que garder pour moi ne peut pas avoir de signification

Ça dépend de ce que tu veux dire par "signification". Si c'est "est exprimé par des signes" alors ça n'a pas forcément de signification mais ça peut en avoir, si c'est "peut être traduit en termes de signes" alors non à moins que tu parles de quelque chose d'inexprimable (ce qui est une notion qu'on n'a pas encore abordé jusqu'à maintenant).

 

15 minutes ago, Vilfredo said:

comment est-ce que je peux reconnaître ce que je veux dire (ce que j'ai l'intention de dire, ce que je veux signifier) dans ce que je dis, et que les autres entendent ? Ici encore, la psychanalyse nous fait remarquer qu'on reconnaît souvent mal.

Les gens sont généralement de mauvais traducteurs oui. Surtout quand tu dois adapter ta traduction à chaque personne en prenant en compte ce que tu connais de ses propre idiosyncraties etc (c'est comme si je devais traduire mon bouquin en sachant qu'il sera lu uniquement par telle personne en particulier). Le monde social c'est du boulot. La mise en scène de la vie quotidienne peut être intéressant à lire là dessus pour le coup.

 

15 minutes ago, Vilfredo said:

Ah vraiment quand je lis LW je me sens moins seul dans mon délire.

Eh bien tu as réussi à m'en dégoûter avant de l'avoir lu :lol:

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il y a 8 minutes, Lancelot a dit :

Une remarque générale sur laquelle je reviendrai est que tu persistes dans des dichotomies là où elles n'ont pas lieu d'être ("là où l'intention ne compte pas", un énoncé est soit observationnel soit intentionnel...),

Pourtant j'avais précisé que

Il y a 2 heures, Vilfredo a dit :

je dirais que je suis bien d'accord que le langage permet de formuler des énoncés observationnels, et je te rejoins pour dire que c'est pas parce que la frontière observationnel/intentionnel est sensible au contexte que ça n'existe pas et qu'il faut foutre le bébé par la fenêtre avec l'eau du bain, mais il n'en reste pas moins qu'on communique (et ce en utilisant des énoncés qui ont une référence) pas seulement, et même quasiment jamais, avec des énoncés observationnels.

et la dernière phrase dit la même chose que toi dans

il y a 10 minutes, Lancelot a dit :

tu auras des degrés d'intentionalité à peu près partout

donc...

 

il y a 12 minutes, Lancelot a dit :

"Vilfredo se souvient de X"

Vilfredo ne se souvient pas de X si X ne s'est pas passé. Dans ce cas, Vilfredo vient d'inventer X, Vilfredo raconte des conneries, Vilfredo fait son mytho.

 

il y a 13 minutes, Lancelot a dit :

Ensuite concernant tes histoires de voile qui cache peut-être quelque chose ou pas, le pragmatisme me dirait que ce n'est pas un problème qu'on peut résoudre et donc que ce n'est pas pertinent de s'y intéresser,

Un peu quand même parce que c'est une image qu'on peut utiliser si on pense qu'il n'y a pas de signification mais seulement des signifiants qui ont un certain effet sur les gens (ce que j'évoquais plus tôt en disant que la signification c'est juste des corrélations entre stimuli et réponses).

 

il y a 15 minutes, Lancelot a dit :

Je réitère donc mon invitation à passer du temps en sa compagnie et je ne pense pas que ton imagination y survivra. Au passage si le nouveau-né ne ressent rien alors tu peux plus ou moins jeter Freud à la poubelle.

Deux choses là-dessus: je m'intéressais surtout au fait qu'il était possible d'imaginer qu'il ne ressente rien, sans préjuger du lien entre cette possibilité et la possibilité physique, réelle, d'un bébé qui ne sent rien. Ensuite, "on peut jeter Freud à la poubelle" dans ce cas effectivement. Le petit "wall of text" était justement là pour contraster Freud et LW sur ce point (tl;dr: il y a bien un ailleurs à l'ordre symbolique pour Freud, et c'est la pulsion).

 

il y a 19 minutes, Lancelot a dit :

on ne pourra pas en conclure que ma traduction existait déjà

Je n'ai pas compris ce point-là. Bien sûr que la traduction n'existe pas avant la traduction. Mais l'ensemble de relations que la traduction reproduit (mon prof d'anglais me disait toujours de traduire les idées et pas les mots) existait déjà. Pour le dire comme Quine, tu peux traduire un ensemble de relations comme tu veux, càd dans l'ontologie que tu veux, du moment que tu gardes les mêmes rapports (et on peut traduire des positions géographiques avec des rues et des numéros en coordonnées sur une carte ou en "tranches spatio-temporelles"). Ce que je dis c'est que ma position (l'"objectivation" révèle une structure à l'état latent ou dispositionnel dans le truc objectivé) est plus facile à comprendre que la tienne, où on ne comprend pas bien d'où sort cette objectivation. Et j'ai essayé d'expliquer qu'il y avait des objets "inobjectivables" (ma voix). Le premier argument était wittgensteinien, le second freudien, et effectivement ça ne va pas bien ensemble.

 

il y a 28 minutes, Lancelot a dit :

De la même manière mon système nerveux récupère des informations provenant de mon corps (différence de température, de sudation, micro-tremblement...) ainsi que des informations sensorielles venant de l'extérieur, intègre tout ça à mon modèle interne pré-existant du monde, et si j'y prête attention je peux traduire ça disons en termes d'émotion ("je suis fatigué"). Ça me permet par la suite d'exprimer cette émotion à d'autres qui m'apporteront peut-être de nouveaux éléments ("ah oui je t'ai endendu remuer toute la nuit dernière, et je me disais bien que tu avais des grosses cernes aujourd'hui"). Et donc ma fatigue s'objective.

Non mais je sais comment la vie quotidienne fonctionne. Les gens ressentent des trucs, en parlent, se comprennent. Cool. Maintenant il y a deux possibilités: soit on essaie de retrouver ça par de la théorie, et c'est la philosophie du sens commun (une bonne partie de la philo analytique, par exemple Moore qui est connu pour tenir la position que si ta philosophie va contre le sens commun, c'est que c'est faux; autant ne pas faire de philo alors), soit on essaie de partir du principe que ce n'est pas évident, on se demande comment c'est possible (une petite partie de la philo analytique). Soit on cherche à décrire, soit on cherche à expliquer (pour nous, pas scientifiquement). Je ne suis pas en train de dire que ta description du monde est fausse. J'essaie de prendre du recul en me demandant, par exemple, comment je sais que je ressens quelque chose. Alors après tu me dis en gros que les gens se posent pas cette question et que dans la vie on fait sans. Certes. C'est là qu'on se rend compte que la science nous apprend des trucs alors que par définition la philo ne nous apprend rien du tout.

 

il y a 36 minutes, Lancelot a dit :

And what does that tell you?

Que l'erreur pourrait être nécessaire à la survie? (Le Gai Savoir, §121) Et que du coup c'est pas étonnant que, contrairement à la science, les théorie philosophiques soient contre-intuitives.

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45 minutes ago, Vilfredo said:

Pourtant j'avais précisé que

et la dernière phrase dit la même chose que toi dans

donc...

Ok désolé si je rebats du terrain connu, je ré-explicite une dernière fois pour être sûr. Un pur énoncé observationnel je ne suis pas certain que ça existe mais ça serait quelque chose comme "2+2=4" ou "la vitesse de la lumière est à peu près égale à 300000km/s". De la même manière un pur énoncé intentionnel je ne pense pas que ça existe parce que dès lors qu'on utilise le langage on est déjà dans un espace intersubjectif. Même si tu inventes une langue pour te parler tout seul tu vas t'appuyer sur tes connaissances des langues que tu connais déjà et on ne peut pas apprendre à parler tout seul (d'après la légende on a fait des expériences là-dessus). Peut-être qu'il peut exister quelque chose comme une pensée non verbale purement intentionnelle, qui consisterait peut-être juste à agir ? Quoi qu'il en soit quand on parle de communication courante on ne devrait pas dire "énoncé observationnel" ou "énoncé intentionnel" mais discuter des degrés d'observationnalité et d'intentionnalité de l'énoncé. C'est important parce que ça empêche de dire des choses comme "c'est un énoncé intentionnel donc X" ou "c'est un énoncé observationnel donc Y" mais plutôt "X dans la mesure où il y a de l'intentionnalité et Y dans la mesure où il y a de l'observationnalité dans cet énoncé". Voilà pour en finir avec la dichotomie.

 

45 minutes ago, Vilfredo said:

Vilfredo ne se souvient pas de X si X ne s'est pas passé. Dans ce cas, Vilfredo vient d'inventer X, Vilfredo raconte des conneries, Vilfredo fait son mytho.

Ça dépend si Vilfredo a un faux souvenir ou ment consciemment. La possibilité de mentir ajoute un nouveau niveau si tu veux, donc ce qui est objectivé dans l'esprit de ceux qui écoutent c'est "Vilfredo raconte qu'il se souvent de X", et ils feraient effectivement bien de ne pas trop confondre ça sans plus de preuves avec "Vilfredo se souvient de X" ou, pire, "il s'est passé X".

 

45 minutes ago, Vilfredo said:

Un peu quand même parce que c'est une image qu'on peut utiliser si on pense qu'il n'y a pas de signification mais seulement des signifiants qui ont un certain effet sur les gens (ce que j'évoquais plus tôt en disant que la signification c'est juste des corrélations entre stimuli et réponses).

"Un certain effet sur les gens" comme celui qu'ils lui associent une signification ? Tu vas me dire que non parce que la signification devrait être quelque chose de plus qui est indépendant des petites définitions subjectives de chacun. Je te dirai qu'on peut s'approcher de quelque chose comme ça si on considère que malgré les variations individuelles il y a suffisamment d'accord entre les définitions pour permettre aux locuteurs de communiquer entre eux, qu'on peut imaginer le mécanisme sous-jacent comme un processus de diffusion mémétique (donc évolutif mais avec des zones de convergence), et que ça marche un peu (en moins convergent) comme la recherche de l'objectivité. Tu me répondra que ce n'est toujours pas assez pour satisfaire ta définition de signification et je te dirai ok donc nous ne sommes pas d'accord sur cette définition de signification, la mienne est plus proche du sens commun, donc restons-en là.

 

45 minutes ago, Vilfredo said:

Deux choses là-dessus: je m'intéressais surtout au fait qu'il était possible d'imaginer qu'il ne ressente rien, sans préjuger du lien entre cette possibilité et la possibilité physique, réelle, d'un bébé qui ne sent rien. Ensuite, "on peut jeter Freud à la poubelle" dans ce cas effectivement. Le petit "wall of text" était justement là pour contraster Freud et LW sur ce point (tl;dr: il y a bien un ailleurs à l'ordre symbolique pour Freud, et c'est la pulsion).

L'intentionnalité à l'état pur serait donc la pulsion :lol:

 

45 minutes ago, Vilfredo said:

Je n'ai pas compris ce point-là. Bien sûr que la traduction n'existe pas avant la traduction. Mais l'ensemble de relations que la traduction reproduit (mon prof d'anglais me disait toujours de traduire les idées et pas les mots) existait déjà.

Pas exactement parce que mon interprétation des idées n'est pas exactement la même que la tienne. Et pour revenir à l'histoire du destinataire, si j'ai envie de transmettre au mieux ces idées (ou du moins l'interprétation que j'en ai), je ne le ferai pas exactement de la même manière selon la personne pour qui j'écris cette traduction (pour prendre en compte qu'elle sera plus sensible à tel ou tel truc). C'est un vaste jeu de téléphone arabe où on espère que le sens ne se perdra pas trop en cours de route, et ça ne peut pas être autrement tant qu'on ne sera pas télépathes. On peut avoir des stratégies pour ça, par exemple une manière systématique de dessiner des cartes.

 

45 minutes ago, Vilfredo said:

Ce que je dis c'est que ma position (l'"objectivation" révèle une structure à l'état latent ou dispositionnel dans le truc objectivé) est plus facile à comprendre que la tienne, où on ne comprend pas bien d'où sort cette objectivation.

Posé de cette manière je dirais qu'il y a moins une capacité latente à être objectivé dans les trucs qu'une capacité à objectiver des trucs dans le cerveau. Pour reprendre un exemple plus haut, si je vois un nuage qui ressemble à un visage, je ne pense pas qu'il y ait dans l'ontologie de ce nuage une faculté à ressembler à un visage. Par contre il y a dans mon système visuel une capacité à percevoir des visages qui sont des stimuli importants. Du coup je vais percevoir un "nuage qui ressemble à un visage", et je pourrai communiquer avec mon voisin à ce sujet. Si mon voisin est d'accord, j'aurai progressé dans l'objectivation du fait que "ce nuage ressemble à un visage" puisqu'au moins deux personnes sont d'accord. Maintenant pour finaliser le processus d'objectivation il ne me reste plus qu'à prouver que "ce nuage ressemble à un visage" pour n'importe quel humain !

 

45 minutes ago, Vilfredo said:

Et j'ai essayé d'expliquer qu'il y avait des objets "inobjectivables" (ma voix).

Le revers de la médaille c'est qu'une objectivation parfaite est quasi-impossible sauf exceptions (comme une preuve mathématique). Un truc comme mon humeur à un instant t est inobjectivable, je peux t'en parler mais ça n'en sera jamais une traduction parfaite. Du coup il me semble que ma position résout le paradoxe.

 

45 minutes ago, Vilfredo said:

Non mais je sais comment la vie quotidienne fonctionne. Les gens ressentent des trucs, en parlent, se comprennent. Cool.

Désolé encore une fois si je dis des banalités mais quand tu me dis que tu es nihiliste, que rien n'a de signification, qu'on peut ne pas croire au langage etc., je m'inquiète et j'ai l'impression qu'on est en train de glisser, donc je préfère reposer des bases.

 

45 minutes ago, Vilfredo said:

Maintenant il y a deux possibilités: soit on essaie de retrouver ça par de la théorie, et c'est la philosophie du sens commun (une bonne partie de la philo analytique, par exemple Moore qui est connu pour tenir la position que si ta philosophie va contre le sens commun, c'est que c'est faux; autant ne pas faire de philo alors), soit on essaie de partir du principe que ce n'est pas évident, on se demande comment c'est possible (une petite partie de la philo analytique). Soit on cherche à décrire, soit on cherche à expliquer (pour nous, pas scientifiquement). Je ne suis pas en train de dire que ta description du monde est fausse. J'essaie de prendre du recul en me demandant, par exemple, comment je sais que je ressens quelque chose. Alors après tu me dis en gros que les gens se posent pas cette question et que dans la vie on fait sans. Certes. C'est là qu'on se rend compte que la science nous apprend des trucs alors que par définition la philo ne nous apprend rien du tout.

J'aime assez la perspective du sens commun, du moins tant qu'il n'y a pas de raison particulière de penser qu'il ne s'applique pas (par exemple "le soleil tourne autour de la terre"). Ceci étant il me semble que je  fais un peu plus que dire "c'est le sens commun donc c'est comme ça et puis c'est tout", notamment ma position s'appuie sur des théories en neurosciences sur le fonctionnement des émotions, de la mémoire, de la perception, du langage... qui sont loin d'être de notoriété publique.

 

45 minutes ago, Vilfredo said:

Que l'erreur pourrait être nécessaire à la survie? (Le Gai Savoir, §121) Et que du coup c'est pas étonnant que, contrairement à la science, les théorie philosophiques soient contre-intuitives.

Pour ma part je dirais qu'il est tout à fait possible que la "vraie nature" des choses échappe totalement à nos représentations et que notre niche évolutive ne soit qu'une infime partie des phénomènes dans l'Univers, mais que ça reste la seule chose à laquelle on peut s'accrocher. Sinon, bah, on devient fou et on meurt.

  • Yea 1
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@Raffarin2012 m'a convaincu de l'acheter il y a quelques mois mais je ne l'ai pas encore lu.

Là en ce moment je lis The Outer Limits of Reason, bouquin d'un physicien bourrin qui passe en revue des tas de problèmes cool dans plein de domaines en s'essayant parfois à la philo. Il y a aussi des parallèles surprenants avec cette discussion.

  • Yea 1
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Il y a 1 heure, Boz a dit :

Si vous ne l'avez jamais lu, le roman de hard SF "blindsight" correspond parfaitement (avec une excellente intrigue et une atmosphère du tonnerre pour ne rien gâcher) à votre discussion (enfin de ce que j'en comprends).

https://en.m.wikipedia.org/wiki/Blindsight_(Watts_novel)

Blindsight dans un fil sur le DN ? Je vais me taper tout le fil.

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il y a une heure, Lancelot a dit :

Là en ce moment je lis The Outer Limits of Reason, bouquin d'un physicien bourrin qui passe en revue des tas de problèmes cool dans plein de domaines en s'essayant parfois à la philo. Il y a aussi des parallèles surprenants avec cette discussion.

Je suis sûr de ne pas être de seul qui aimerait en lire une revue détaillée de ta part. ;)

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@Vilfredo, je suis tombé sur ça qui recoupe et résume pas mal de trucs sur le langage, la pensée, la traduction de l'un à autre, le monologue interne...

Quote

https://philpapers.org/rec/VICSFT

 

Vicente, A. Speaking for Thinking:“Thinking for Speaking” reconsidered.
 

Two connected questions that arise for anyone interested in inner speech are whether we tell ourselves something that we have already thought; and, if so, why we would tell ourselves something that we have already thought. In this contribution I focus on the first question, which is about the nature and the production of inner speech. While it is usually assumed that the content of what we tell ourselves is exactly the content of a non-linguistic thought, I argue that there can be a lot of transformation in the process of converting a thought into words. Thus, the content of what we tell ourselves, being intrinsically linguistic, is different from the content of the thought our speech transmits. Fleshing out this kind of approach implies dealing with complicated questions which we lack enough knowledge about: the nature of non-linguistic thinking, and how speech (inner and overt) is produced; i.e. how the speaker goes from format a (format of thought) to format b (language). I show that these are pressing issues for any other position, but also suggest ways in which we could tackle such complicated issues.

 

Compare/contraste avec ce qu'on a pu en dire ici. Une des plus grandes différences à mon sens avec ma position ou la tienne est qu'il considère qu'au deçà de l'expression dans un langage particulier il n'y a pas un langage privé mais un langage universel ("CR" est l'abbréviation de "conceptual representations" par opposition à "semantic representations") :

Quote

On the other hand, it does not seem easy to be eliminativist about CR. If we do without CR, a universal conceptual system, we are doomed to a strong whorfianism whose evidential support is currently non-existent and which has well known problems. To put some classic examples from Arnauld and Nicole (1996) in their Logic or the Art of Thinking: (i) if we could only think according to the way our different languages articulate the world, it would be impossible for a French speaker to understand how a German speaker behaves and vice versa; and (ii) explaining how linguistic conventions arose requires that they have some prior way of thinking about things in the world.

(bien entendu une critique évidente est "dans ce cas pourquoi est-ce qu'il y a plusieurs langues et pourquoi est-ce qu'on s'emmerde à communiquer dans un autre format que ce langage universel ?")

 

L'auteur publie aussi sur la relation entre le dialogue interne et la schizophrénie ou l'autisme :

Quote
Petrolini, V., Jorba, M., & Vicente, A. (2020). The role of inner speech in executive functioning tasks: schizophrenia with auditory verbal hallucinations and autistic spectrum conditions as case studies. Frontiers in psychology, 2452.
 
Several theories propose that one of the core functions of inner speech (IS) is to support subjects in the completion of cognitively effortful tasks, especially those involving executive functions (EF). In this paper we focus on two populations who notoriously encounter difficulties in performing EF tasks, namely, people diagnosed with schizophrenia who experience auditory verbal hallucinations (Sz-AVH) and people with autism spectrum conditions (ASC). We focus on these two populations because they represent two different ways in which IS can fail to help in EF tasks, which can be illustrative for other mental conditions. First, we review the main components of EF (see section “Executive Functions”). Then we explain the functions that IS is taken to perform in the domain of EF (see section “Inner Speech and Executive Functions”) and review the evidence concerning problems about EF in the two populations of our study: Sz-AVH (see section “Executive Functions and Inner Speech in Sz-AVH”) and ASC (see section “Executive Function and Inner Speech in ASC”). After this we further detail our account about what a properly functioning IS can do for both populations and how different IS profiles may impact EF performance: in the case of Sz-AVH, the uncontrolled and intrusive character of IS negatively affects EF performance, whereas in ASC, EF is not sufficiently supported by IS, given the tendency in this population to present a diminished use of IS (see section “IS in ASC and Sz-AVH: How It Relates to EF”). We finally briefly discuss Attention Deficit/Hyperactivity Disorder (ADHD) and Developmental Language Disorders (DLD) (see section “Further Considerations”).
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Le 10/03/2022 à 22:30, Lancelot a dit :

"2+2=4

C'est assez peu commun en philosophie des maths de penser que "2" est une propriété des objets, càd des prédicats du 1er ordre. On considère plutôt (depuis Frege et Russell je pense, peut-être avant) que les propriétés numériques sont du 2nd ordre, de même que l'existence est la propriété d'un concept. Exemple: "Il y a peu ( = un petit nombre de) bons restaurants." C'est un énoncé grammatical et bien formé, mais on ne peut pas en déduire, si on tombe sur un bon restaurant, que ce bon restaurant est "peu". Etant donné que les énoncés observationnels dont on parlait jusqu'ici comme "J'ai croisé un garçon plutôt grand et brun avec un sac à dos en cuir" étaient prédicatifs, on ne peut pas inclure des énoncés comme 2+2=4 dedans. Ou alors il faut faire du heavy-lifting métaphysique en expliquant qu'il y a une dimension prédicative des propriétés numériques parce que les nombres sont "indispensables". Mais c'est autre chose.

 

Le 10/03/2022 à 19:39, Lancelot a dit :

Le truc que tu ressens.

Sur la différence entre

  • ressentir quelque chose et attribuer un état mental à soi-même
  • s'attribuer quelque chose (comme un état mental) et décrire un objet empirique

je recommande (au moins les deux-trois premières pages de) ce (bref) article (un universitaire connu pour ses travaux sur Hume et Wittgenstein et le scepticisme en général, Barry Stroud). Le célèbre language game des beetles (Philosophical Investigations, §293) explique aussi comment on peut communiquer et se comprendre sans parler du même objet (matériel, au sens de Anscombe) voire avec toi qui parle d'un objet et moi qui parle de rien du tout. A cela tu pourrais me répondre: c'est peut-être un quiproquo mais c'est pas grave. Tu aurais un peu raison. Mais c'est une vision tout de même très différente de la conversation intersubjective sur (à peu près) le "même" objet. Par exemple ce que tu décris ici:

 

Le 10/03/2022 à 22:30, Lancelot a dit :

"Un certain effet sur les gens" comme celui qu'ils lui associent une signification ? Tu vas me dire que non parce que la signification devrait être quelque chose de plus qui est indépendant des petites définitions subjectives de chacun. Je te dirai qu'on peut s'approcher de quelque chose comme ça si on considère que malgré les variations individuelles il y a suffisamment d'accord entre les définitions pour permettre aux locuteurs de communiquer entre eux, qu'on peut imaginer le mécanisme sous-jacent comme un processus de diffusion mémétique (donc évolutif mais avec des zones de convergence), et que ça marche un peu (en moins convergent) comme la recherche de l'objectivité. Tu me répondra que ce n'est toujours pas assez pour satisfaire ta définition de signification et je te dirai ok donc nous ne sommes pas d'accord sur cette définition de signification, la mienne est plus proche du sens commun, donc restons-en là.

 

 

Le 10/03/2022 à 22:30, Lancelot a dit :

L'intentionnalité à l'état pur serait donc la pulsion :lol:

Pourquoi pas? Après tout la pulsion est bien "l'autre de l'Autre", l'extérieur de l'ordre symbolique (en Lacantique).

 

Le 10/03/2022 à 22:30, Lancelot a dit :

Posé de cette manière je dirais qu'il y a moins une capacité latente à être objectivé dans les trucs qu'une capacité à objectiver des trucs dans le cerveau. Pour reprendre un exemple plus haut, si je vois un nuage qui ressemble à un visage, je ne pense pas qu'il y ait dans l'ontologie de ce nuage une faculté à ressembler à un visage. Par contre il y a dans mon système visuel une capacité à percevoir des visages qui sont des stimuli importants. Du coup je vais percevoir un "nuage qui ressemble à un visage", et je pourrai communiquer avec mon voisin à ce sujet. Si mon voisin est d'accord, j'aurai progressé dans l'objectivation du fait que "ce nuage ressemble à un visage" puisqu'au moins deux personnes sont d'accord. Maintenant pour finaliser le processus d'objectivation il ne me reste plus qu'à prouver que "ce nuage ressemble à un visage" pour n'importe quel humain !

C'est intéressant et il semblerait bien, si je rapproche ce que Damasio écrit dans L'Erreur de Descartes d'autres lectures en psychologie de la perception (tu aimerais sans doute The Object Stares Back de James Elkins et le chapitre "Seeing Bodies" où il explique que bah justement on a tendance à voir avant tout des corps et à capturer les formes comme des formes de corps), que notre perception du monde soit modelée sur notre proprioception du corps (ensuite projetée sur "l'extérieur"). Mais du coup j'ai envie de te dire que ce que tu décris est moins un processus d'objectivation que de subjectivation: tu prends conscience du fait que ton cerveau, ton système visuel (qui a évolué darwiniennement pour percevoir des corps un peu partout même dans les nuages) est le même que celui de ton voisin et des autres créatures dont tu juges qu'elles sont des hommes.

 

Le 13/03/2022 à 13:49, Lancelot a dit :

While it is usually assumed that the content of what we tell ourselves is exactly the content of a non-linguistic thought, I argue that there can be a lot of transformation in the process of converting a thought into words. Thus, the content of what we tell ourselves, being intrinsically linguistic, is different from the content of the thought our speech transmits. Fleshing out this kind of approach implies dealing with complicated questions which we lack enough knowledge about: the nature of non-linguistic thinking, and how speech (inner and overt) is produced; i.e. how the speaker goes from format a (format of thought) to format b (language). I show that these are pressing issues for any other position, but also suggest ways in which we could tackle such complicated issues.

C'est bien mais parfois je me demande si ces philosophes ont lu un peu de philo, de Hegel qui explique qu'il n'y a pas de pensée pré-linguistique à Frege pour qui la pensée est le sens de tout énoncé susceptible d'être vrai. Au lieu de ça généralement la philosophie (même de l'esprit) pour ces gens commence avec Fodor... Je veux bien que la pensée soit par exemple plus condensée qu'une phrase (je peux penser juste un mot sans avoir à faire une phrase complète comme je le devrais si j'essayais de communiquer à quelqu'un qui, par définition, n'est pas dans ma tête). Mais que la pensée soit non-linguistique je ne vois pas très bien ce que ça veut dire. Mais ça a l'air "generally admitted" :jesaispo: C'est un peu le pb avec la scientifisation de la philo: les philosophes produisent des masses de "papers" où ils répètent ce que l'autre a dit en raffinant telle ou telle doctrine à laquelle ils donnent un acronyme (CR, SR etc) et en glosant sur ce que tout le monde pense ou en essayant de comprendre ce que les scientifiques font.

 

Citation

why would we communicate to ourselves thoughts that we have already had?

Pour savoir qu'on les "a"? Et d'ailleurs pourquoi penser que nous "avons" des pensées? Pourquoi pas l'inverse (que ce sont les pensées qui nous "ont")? Cette idée qu'on pense d'abord et qu'on parle après et qu'on "exprime" nos pensées est la reconstruction du sens commun avec du vocabulaire philosophique. Et je pense que non seulement c'est du sens commun, donc pas intéressant, mais qu'en plus c'est faux. Je me rends compte de ce que je pense en parlant. Penser que je l'ai pensé avant, c'est décrire comme un processus conscient quelque chose qui ne l'est pas, un sophisme que LW dénonçait déjà en philo de l'esprit il y a 70 ans (et la pertinence de distinguer entre l'expression et la self-ascription d'un état mental revient with a vengeance). L'absurdité du truc me frappe quand l'auteur de l'article commence à parler de la pensée qui serait "déterminée" par le langage ou les effets du langage sur la pensée (comme si on parlait de deux boules de billard). Si le langage "détermine" la pensée, ça veut dire qu'il la spécifie, possiblement à partir d'un ensemble de pensées "possibles" et non- ou pré-linguistiques, mais ces pensées "possibles" ne seraient donc pas déterminées par le langage, et ne seraient donc pas des pensées, si le langage détermine la pensée! "Généralement" comme il dit, on pense que le langage "détermine" la pensée par exemple quand on fait des associations libres, mais pourquoi ne pas considérer que la pensée n'est que ça, justement: une association (de signifiants)? Makes a lot more sense than "Mentalese"...

 

Le 13/03/2022 à 13:49, Lancelot a dit :

(bien entendu une critique évidente est "dans ce cas pourquoi est-ce qu'il y a plusieurs langues et pourquoi est-ce qu'on s'emmerde à communiquer dans un autre format que ce langage universel ?")

Ben je te le fais pas dire. J'ai l'impression que Mentalese est juste une entité théorique postulée pour ne pas avoir à modifier le modèle sens commun de "la pensée est exprimée par le langage, moyennant un processus de traduction". Je m'intéresse beaucoup plus aux phénomènes comme les analyses des rêves de polyglottes (dont l'homme aux loups est un exemple célèbre). Tout ce que je vois d'universel c'est une certaine capacité à apprendre le langage (le truc de Chomsky contre les behavioristes) et faire des associations entre signifiants en fonction de l'expérience personnelle (Freud). Le mélange des deux (l'universalité de certaines associations, en gros le point de vue symboliste) ne me convainc pas.

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22 hours ago, Vilfredo said:

philosophie des maths

Ne partons pas là dessus et remplace par une autre proposition que tu préfères.

 

22 hours ago, Vilfredo said:

Sur la différence entre

  • ressentir quelque chose et attribuer un état mental à soi-même
  • s'attribuer quelque chose (comme un état mental) et décrire un objet empirique

je recommande (au moins les deux-trois premières pages de) ce (bref) article (un universitaire connu pour ses travaux sur Hume et Wittgenstein et le scepticisme en général, Barry Stroud).

J'ai lu l'article mais je ne comprends pas le problème.

À la limite quand il dit:

Quote

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La recherche "about the kind of knowledge we have of ourselves and our states and our actions and intentions, and about what it takes for us to have that kind of knowledge" est tout à fait dans l'esprit de Damasio par exemple, qui en fait une investigation empirique (quelles sont les origines biologiques de la sensation de douleur ? en quoi sont-elles différentes de celles d'autres sensation comme celle de percevoir du rouge ? par quels mécanismes peut-on expliquer l'apparition d'une expérience subjective ?...).

D'un autre point de vue il y a aussi le fait qu'un enfant commence en étant très égocentré. La difficulté pour arriver à pouvoir dire "j'ai mal", ou disons commencer à avoir l'intuition de l'intérêt de le dire, c'est de comprendre qu'il est possible que les autres puissent ressentir autre chose que moi (donc que je puisse avoir mal sans que tout le monde ressente ma douleur). Et là on revient sur la theory of mind, Sally et Ann, tout ça.

 

22 hours ago, Vilfredo said:

Le célèbre language game des beetles (Philosophical Investigations, §293) explique aussi comment on peut communiquer et se comprendre sans parler du même objet (matériel, au sens de Anscombe) voire avec toi qui parle d'un objet et moi qui parle de rien du tout. A cela tu pourrais me répondre: c'est peut-être un quiproquo mais c'est pas grave. Tu aurais un peu raison. Mais c'est une vision tout de même très différente de la conversation intersubjective sur (à peu près) le "même" objet. Par exemple ce que tu décris ici:

Je ne crois pas que mon paragraphe nécessite de s'appliquer à un objet matériel. Tu peux l'appliquer tel quel à l'objet "beetle" je pense, qui quel qu'il soit matériellement dans un cas particulier a comme effet que les gens lui associent une signification par ailleurs.

 

22 hours ago, Vilfredo said:

C'est intéressant et il semblerait bien, si je rapproche ce que Damasio écrit dans L'Erreur de Descartes d'autres lectures en psychologie de la perception (tu aimerais sans doute The Object Stares Back de James Elkins et le chapitre "Seeing Bodies" où il explique que bah justement on a tendance à voir avant tout des corps et à capturer les formes comme des formes de corps), que notre perception du monde soit modelée sur notre proprioception du corps (ensuite projetée sur "l'extérieur"). Mais du coup j'ai envie de te dire que ce que tu décris est moins un processus d'objectivation que de subjectivation: tu prends conscience du fait que ton cerveau, ton système visuel (qui a évolué darwiniennement pour percevoir des corps un peu partout même dans les nuages) est le même que celui de ton voisin et des autres créatures dont tu juges qu'elles sont des hommes.

Oui tout à fait, et c'est pour ça que je parle d'objectivité relative à la nature humaine. Tu peux même en faire une sorte de platonisme si tu veux, où le ciel des idées serait composé de l'ensemble des représentations accessibles à la pensée humaine.

 

22 hours ago, Vilfredo said:

C'est bien mais parfois je me demande si ces philosophes ont lu un peu de philo, de Hegel qui explique qu'il n'y a pas de pensée pré-linguistique à Frege pour qui la pensée est le sens de tout énoncé susceptible d'être vrai. Au lieu de ça généralement la philosophie (même de l'esprit) pour ces gens commence avec Fodor... Je veux bien que la pensée soit par exemple plus condensée qu'une phrase (je peux penser juste un mot sans avoir à faire une phrase complète comme je le devrais si j'essayais de communiquer à quelqu'un qui, par définition, n'est pas dans ma tête). Mais que la pensée soit non-linguistique je ne vois pas très bien ce que ça veut dire. Mais ça a l'air "generally admitted" :jesaispo:

Note que de mon point de vue de non philosophe me dire "Hegel ou Frege (ou indeed Fodor) n'était pas d'accord avec ça" comme un argument d'autorité n'aura aucun impact sur mon opinion. Je me doute bien qu'on peut définir "pensée" de telle manière que tout ce qui n'est pas linguistique soit exclu mais ce genre de jeu ne m'intéresse pas outre mesure non plus.

Je veux bien essayer de trouver des exemple de trucs qui se passent dans ma tête mais qui ne sont pas nécessairement formulés en langage : regarder un paysage (je n'ai pas besoin de formuler une description pour voir ce qu'il y a), écouter de la musique sans parole (n'étant pas musicien je serais bien emmerdé pour traduire une mélodie en langage), faire du vélo (je n'ai heureusement pas besoin de me décrire à moi-même tout ce que je fais ou même de me répéter "je fais du vélo" pour avancer sans tomber)...

 

22 hours ago, Vilfredo said:

C'est un peu le pb avec la scientifisation de la philo: les philosophes produisent des masses de "papers" où ils répètent ce que l'autre a dit en raffinant telle ou telle doctrine à laquelle ils donnent un acronyme (CR, SR etc) et en glosant sur ce que tout le monde pense ou en essayant de comprendre ce que les scientifiques font.

Je ne vois pas très bien la différence avec la philo non scientifisée à part la dernière partie :lol:

 

22 hours ago, Vilfredo said:

L'absurdité du truc me frappe quand l'auteur de l'article commence à parler de la pensée qui serait "déterminée" par le langage ou les effets du langage sur la pensée (comme si on parlait de deux boules de billard). Si le langage "détermine" la pensée, ça veut dire qu'il la spécifie, possiblement à partir d'un ensemble de pensées "possibles" et non- ou pré-linguistiques, mais ces pensées "possibles" ne seraient donc pas déterminées par le langage, et ne seraient donc pas des pensées, si le langage détermine la pensée! "Généralement" comme il dit, on pense que le langage "détermine" la pensée par exemple quand on fait des associations libres, mais pourquoi ne pas considérer que la pensée n'est que ça, justement: une association (de signifiants)? Makes a lot more sense than "Mentalese"...

Note que le papier n'est pas franchement une défense du mentalese (enfin je crois). Au final il son argument est qu'il faut se passer du concept de "semantic representations" comme une sorte d'intermédiaire entre pensée non-linguistique et pensée dans une langue, que toute pensée sémantique s'exprime déjà dans notre langue et que donc le problème est la traduction entre pensée sémantique vs non sémantique. Ça recoupe plutôt bien des trucs dont on a parlé avant (notamment quand tu me demandais comment on peut passer d'une structure non-sémantique à une structure sémantique). Le mentalese au contraire évacue la question en disant "on pense en mentalese et donc le problème c'est de traduire du mentalese à la langue qu'on parle".

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Il y a 2 heures, Lancelot a dit :

J'ai lu l'article mais je ne comprends pas le problème.

Je pense que la réponse est ensuite dans

Il y a 2 heures, Lancelot a dit :

La recherche "about the kind of knowledge we have of ourselves and our states and our actions and intentions, and about what it takes for us to have that kind of knowledge" est tout à fait dans l'esprit de Damasio par exemple, qui en fait une investigation empirique

Parce que justement l’idée est que le beetle pourrait être un rien

Citation

293. If I say of myself that it is only from my own case that I know what the word "pain" means—must I not say the same of other people too? And how can I generalize the one case so irresponsibly?
Now someone tells me that he knows what pain is only from his own case!——Suppose everyone had a box with something in it: we call it a "beetle". No one can look into anyone else's box, and everyone says he knows what a beetle is only by looking at his beetle.—Here it would be quite possible for everyone to have something different in his box. One might even imagine such a thing constantly changing.—But suppose the word "beetle" had a use in these people's language?—If so it would not be used as the name of a thing. The thing in the box has no place in the language-game at all; not even as a something: for the box might even be empty.—No, one can 'divide through' by the thing in the box; it cancels out, whatever it is.
That is to say: if we construe the grammar of the expression of sensation on the model of 'object and designation' the object drops out of consideration as irrelevant.

 

Il y a 2 heures, Lancelot a dit :

Je ne crois pas que mon paragraphe nécessite de s'appliquer à un objet matériel. Tu peux l'appliquer tel quel à l'objet "beetle" je pense,

Mais ce n’est pas un objet. C’est un signe. C’est comme si j’écrivais un S sur le calendrier à chaque fois que je ressentais une certaine sensation de sorte que ma seule façon de référer à cette sensation serait de dire qu’elle me fait écrire un S sur le calendrier (et pas ressentir qqch au fond de moi). Je pense que c’est aussi la rupture entre la psychanalyse et la psychologie empirique, qui étudie un objet positif (le cerveau) la ou la psychanalyse étudie un manque ou un vide dans le psychisme (l’inconscient). Comme tu m’avais parlé de Naccache je te recommande Cadell Last. https://cadelllast.files.wordpress.com/2020/06/the-difference-between-neuroscience-and-psychoanalysis-google-docs.pdf

Il y a 2 heures, Lancelot a dit :

Tu peux même en faire une sorte de platonisme si tu veux, où le ciel des idées serait composé de l'ensemble des représentations accessibles à la pensée humaine

Ça commence à ressembler à Kant ça non? (Avec “entendement” à la place de “pensée humaine”) Sauf que Kant explique ensuite les modalités de l’accès aux Idées suprasensible dans la Critique de la faculté de juger. Ce qui fait qu’avant même la psychanalyse on est assez loin de l’opposition réalisme/idéalisme. Même dans Platon le rapport entre les Idées et le monde sensible est très compliqué, et un texte qui chamboule pas mal les préjugés à ce sujet c’est la Lettre VII qui défait la conception d’une chaîne ordonnée du sensible à l’idée. Même dans un texte aussi connu que l’allégorie de la caverne il n’y a pas deux entités (le soleil et les ombres) mais trois (les marionnettes qui projettent leurs ombres sur le mur).

C’est aussi pour ça que je ne pense pas que les philosophes soient juste des gens qui s’amusent à définir les termes comme ils veulent et je m’excuse si je donne cette impression dans mes messages aussi longs et détaillés qu’ils soient (parfois). Ma prof de terminale parlait des plans “liste de courses” en dissertation quand tu fais juste I) tel philosophe pense ça II) tel autre philosophe pense ça III) etc. Par exemple pour Frege la pensée est le sens d’un énoncé, ça veut dire qu’elle détermine sa référence, et qu’elle doit être la même pour que la communication ait lieu. La révolution des années 70 en philo du langage (associée aux noms de Donnellan, Kripke et Putnam), c’est de montrer qu’on peut parler de choses qu’on ne peut pas définir et même réussir à référer avec des descriptions fausses (des quiproquos qui se passent bien si on veut; par exemple si je dis quel est cet homme qui boit un martini et que c’est une femme qui boit de la limonade mais que mon interlocuteur comprend quand même de qui je parle; bien sûr cela suppose un usage attributif et pas référentiel de la dénotation, ce dont on avait parlé dans le fil sur Kripke).

Dans Hegel pour le dire vite ça a à voir avec la capacité de la pensée à l’abstraction c’est à dire la formation de concepts à partir du divers sensible dans la “synthèse”. C’est une chose d’avoir conscience de son corps (selbstgegühl) et c’en est une autre d’avoir conscience de soi (selbstbewusstsein), c’est à dire de se voir comme une puissance de négativité. Le problème c’est que Hegel c’est comme la physique quantique: au bout d’un moment il faut en passer par le jargon (ou les maths).

Cela dit mon choix de Hegel et Frege n’était pas anodin car depuis une vingtaine d’années au moins c’est une tendance de relire la Phénoménologie avec un biais philo du langage. Ça donne les livres de Robert Brandom par exemple. Strawson avait fait ça pour Kant.

Tout ce que je voulais déplorer était seulement l’absence d’une position philosophique des problèmes en “philosophie” de l’esprit (autrement dit faire comme si la philosophie commençait avec les années 1980; c’est aussi une tendance qu’on trouve dans les débuts de la philo analytique avec Russell et son Histoire de la philo ou en gros la philo commence quand Bertrand Russell commence à écrire). Avec cet aspect ridicule que certains philosophes analytiques redécouvrent l’eau tiède. Mais j’arrête de râler.

 

Il y a 2 heures, Lancelot a dit :

regarder un paysage (je n'ai pas besoin de formuler une description pour voir ce qu'il y a)

Ca je ne suis pas d’accord je ne pense pas que tu voies ce que tu ne sais pas nommer. Je pense que ton regard est plutôt attiré vers ce que tu connais ou orienté faussement par ton ignorance. Elkins raconte dans son livre qu’il passe tous les jours devant des tuyaux muraux sans savoir lesquels conduisent l’eau lesquels l’électricité etc et non seulement il ne voit pas les différences mais il ne sait même pas qu’il y en a donc en fait il ne voit rien. Je pense qu’il y a un sens littéral dans lequel l’enrichissement du vocabulaire est un enrichissement de l’expérience (on le pensait à l’époque où on enseignait “les humanités” comme la culture de la sensibilité). Je ne sais plus où j’avais lu que si on montre un western à des indiens ils commentent l’allure des chevaux. Ils ne voient pas le film. L’exemple de l’art est extrême mais il s’applique aussi à la vie de tous les jours (ça nous ramènerait à qqch de développé plus tôt sur ce que c’est que vivre dans un monde pour Heidegger ou Husserl).

Tout le livre de Elkins part de cette idée très Husserlienne que la perception est une entreprise active et en grande partie indépendante de notre volonté (mon regard évite telle chose, voit ce qu’il voudrait ne pas voir etc).

Il y a 3 heures, Lancelot a dit :

faire du vélo (je n'ai heureusement pas besoin de me décrire à moi-même tout ce que je fais ou même de me répéter "je fais du vélo" pour avancer sans tomber)...

Tu peux faire du vélo sans y penser ou en pensant à autre chose, mais ça ne prouve pas que quand tu penses à faire du vélo, cette pensée est non linguistique (je ne vois toujours pas ce que ça peut vouloir dire hors d’une interprétation psychanalytique).

 

Il y a 3 heures, Lancelot a dit :

Le mentalese au contraire évacue la question en disant "on pense en mentalese et donc le problème c'est de traduire du mentalese à la langue qu'on parle".

Moui pour le coup ça c’est un peu un cas de je définis des mots pour résoudre des problèmes non? A aucun moment n’est démontée la thèse basique que je pense en langage naturel. Ou alors peut-être des trucs sur penser par images mais je n’ai entendu ça que dans les cours de jbp donc j’attends d’avoir une meilleure caution intellectuelle 

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2 hours ago, Vilfredo said:

Parce que justement l’idée est que le beetle pourrait être un rien

Ça reste une catégorie "ce qui est dans la boite" sur laquelle tout le monde est d'accord. Alors en effet on ne peut pas garantir que c'est une catégorie dont l'usage va servir à désigner systématiquement un objet matériel, mais ça ne pose problème que si on pense qu'il doit y avoir une correspondance 1:1 entre langage, monde physique et représentations.

À un autre niveau il me semble que la métaphore implique une signification culturelle qui rentre aussi dans le concept, ce n'est pas n'importe quelle boite, il y en a une par personne etc. Donc dans le cas où il n'y aurait rien dans la boite de quelqu'un son contenu existerait comme une fiction, comme on peut faire semblant par politesse de ressentir de l'intérêt pour quelque chose, ou comme on peut avoir une fiction juridique de filiation en cas d'adoption. Comme "jeu de langage" ça se pose quand même là.

 

2 hours ago, Vilfredo said:

Mais ce n’est pas un objet. C’est un signe. C’est comme si j’écrivais un S sur le calendrier à chaque fois que je ressentais une certaine sensation de sorte que ma seule façon de référer à cette sensation serait de dire qu’elle me fait écrire un S sur le calendrier (et pas ressentir qqch au fond de moi).

Dans ce cas ça voudrait dire que tu as décidé d'utiliser ce signe pour nommer ton concept de cette sensation et des réactions qu'elle entraine en toi (y compris écrire S). Pas sûr que ça soit un signe très efficace pour communiquer à autrui exactement en quoi consiste cette sensation mais déjà si tu te comprends toi-même c'est pas mal.

 

2 hours ago, Vilfredo said:

Je pense que c’est aussi la rupture entre la psychanalyse et la psychologie empirique, qui étudie un objet positif (le cerveau) la ou la psychanalyse étudie un manque ou un vide dans le psychisme (l’inconscient). Comme tu m’avais parlé de Naccache je te recommande Cadell Last. https://cadelllast.files.wordpress.com/2020/06/the-difference-between-neuroscience-and-psychoanalysis-google-docs.pdf

J'ai regardé en diagonale mais ça m'a l'air d'être un slogan plus qu'autre chose. Le gars a-t-il seulement conscience (hin, hin) qu'on peut étudier des phénomènes inconscients en neuroscience ? Genre les négligences, l'anosognosie, les effets subliminaux...

 

2 hours ago, Vilfredo said:

Ça commence à ressembler à Kant ça non?

Ou au monde comme représentation de Schopenhauer ou à tout ce que tu veux, ce n'est pas exactement original. Mais je ne me réclame de personne parce que je ne veux pas me trimballer de bagage genre "les modalités de l’accès aux Idées suprasensible dans la Critique de la faculté de juger" ou "le rapport entre les Idées et le monde sensible dans Platon". Mon but n'est pas de me réconcilier avec des auteurs morts mais d'enrichir la pensée de Lancelot. C'est une autre raison pour laquelle je suis mauvais philosophe.

 

2 hours ago, Vilfredo said:

Par exemple pour Frege la pensée est le sens d’un énoncé, ça veut dire qu’elle détermine sa référence, et qu’elle doit être la même pour que la communication ait lieu. La révolution des années 70 en philo du langage (associée aux noms de Donnellan, Kripke et Putnam), c’est de montrer qu’on peut parler de choses qu’on ne peut pas définir et même réussir à référer avec des descriptions fausses (des quiproquos qui se passent bien si on veut; par exemple si je dis quel est cet homme qui boit un martini et que c’est une femme qui boit de la limonade mais que mon interlocuteur comprend quand même de qui je parle; bien sûr cela suppose un usage attributif et pas référentiel de la dénotation, ce dont on avait parlé dans le fil sur Kripke).

Du coup je note que j'ai bien raison de ne pas être perturbé plus que ça par l'opinion de Frege :mrgreen:

 

2 hours ago, Vilfredo said:

Dans Hegel pour le dire vite ça a à voir avec la capacité de la pensée à l’abstraction c’est à dire la formation de concepts à partir du divers sensible dans la “synthèse”. C’est une chose d’avoir conscience de son corps (selbstgegühl) et c’en est une autre d’avoir conscience de soi (selbstbewusstsein), c’est à dire de se voir comme une puissance de négativité. Le problème c’est que Hegel c’est comme la physique quantique: au bout d’un moment il faut en passer par le jargon (ou les maths).

Si je prends ces termes en face value, je pourrais dire que le premier est un ingrédient du second selon Damasio. D'autres théories existent bien sûr, avec des expériences et des observations et des modèles à l'appui à chaque fois. Je ne dis pas que la question est tranchée, mais que si elle est tranchée un jour ce sera par un neuroscientifique, pas par Hegel. Ne serait-ce que parce que les neuroscientifiques sont vivants et ont potentiellement accès à Hegel alors que Hegel est mort et n'avait pas accès aux connaissances des neuroscientifiques. Ceci dit tu as peut-être raison de déplorer que les scientifiques ne respectent pas leur part du marché dans cette équation puisque (moi le premier) ils ne lisent pas Hegel. Et peut-être qu'on a besoin de philosophes pour les aider à y voir un intérêt.

 

2 hours ago, Vilfredo said:

Ca je ne suis pas d’accord je ne pense pas que tu voies ce que tu ne sais pas nommer. Je pense que ton regard est plutôt attiré vers ce que tu connais ou orienté faussement par ton ignorance.

Je suis d'accord avec ta seconde phrase mais je ne pense pas qu'elle ait une force suffisante pour justifier la première. Pour la faire courte on peut catégoriser des choses sans nécessairement traduire ces catégories en langage. Un exemple serait les études sur les bébés qui savent catégoriser avant de savoir parler.

 

2 hours ago, Vilfredo said:

Je pense qu’il y a un sens littéral dans lequel l’enrichissement du vocabulaire est un enrichissement de l’expérience

Absolument.

 

2 hours ago, Vilfredo said:

Tu peux faire du vélo sans y penser ou en pensant à autre chose, mais ça ne prouve pas que quand tu penses à faire du vélo, cette pensée est non linguistique (je ne vois toujours pas ce que ça peut vouloir dire hors d’une interprétation psychanalytique).

On va encore arriver à une impasse sur la définition de "penser" où si tu introduis l'utilisation du langage comme critère nécessaire alors tu auras raison par définition (mais ça devient une lapalissade sans intérêt). Quand tu fais du vélo (ou quand tu conduis, ou quand tu fais n'importe quelle tâche automatique qui ne nécessite qu'une surveillance minimale) tu as conscience de ce que tu fais. Tu sais que tu es en train de le faire, tu es engagé dans la tâche. Pour moi c'est suffisant pour dire que tu y penses.

 

2 hours ago, Vilfredo said:

Moui pour le coup ça c’est un peu un cas de je définis des mots pour résoudre des problèmes non? A aucun moment n’est démontée la thèse basique que je pense en langage naturel. Ou alors peut-être des trucs sur penser par images mais je n’ai entendu ça que dans les cours de jbp donc j’attends d’avoir une meilleure caution intellectuelle 

Ne serait-ce que par rasoir d'Occam je n'ai jamais trop compris l'intérêt de rajouter une étape mentalese dans le processus. Quand je pense de manière verbale, je pense en français (ou parfois en anglais). De toute manière le mentalese ne fait que reculer le problème d'un pas de la traduction des pensées non verbales en pensées verbales.

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il y a 16 minutes, Lancelot a dit :

Ça reste une catégorie "ce qui est dans la boite"

Certes, mais on voit déjà que le rôle de la boîte change selon qu'il y a quelque chose dedans ou pas. S'il n'y a pas quelque chose, on peut penser que la boîte laisse penser qu'il y a quelque chose alors qu'on ne penserait pas qu'il y a quelque chose s'il n'y avait pas la boîte autour comme quelque chose autour de rien, et s'il y a quelque chose dans la boîte, alors on a raison de penser que la boîte le cache. C'est l'histoire assez connue de tous les cours de philo de l'esthétique sur le peintre Zeuxis qui fait un concours, un gars peint des raisins si réalistes que les oiseaux viennent pour essayer de les manger, mais l'autre gars peint son tableau avec un rideau dessus et on lui demande d'enlever le rideau et en fait le rideau est dans le tableau. J'y pense quand je lis...

il y a 19 minutes, Lancelot a dit :

Donc dans le cas où il n'y aurait rien dans la boite de quelqu'un son contenu existerait comme une fiction, comme on peut faire semblant par politesse de ressentir de l'intérêt pour quelque chose, ou comme on peut avoir une fiction juridique de filiation en cas d'adoption

... parce qu'il y a une différence entre dire à quelqu'un ça m'a fait plaisir de te voir même si nous savons tous les deux que c'est faux, ce qui est effectivement une forme de politesse qui consiste à mentir sincèrement, et faire semblant de faire semblant pour tromper l'autre (ce qui serait l'analogue du peintre qui peint le rideau sur son tableau et en fait son tableau avec, par définition, rien "dessous"). Alors il se trouve que tout ce que je dis là est crypto-lacanien (c'est le concept de "semblant" élaboré par Lacan à la fin de sa vie, notamment dans le séminaire D'un discours qui ne serait pas du semblant) mais ne t'inquiète pas, je ne vais pas écrire de wot sur fucking Lacan, il y a un philosophe très analytique, logique et math qui a approché la question dans son article classique Truth in fiction: David Lewis. Il se demande quelle est la différence entre une erreur dans la fiction du type d'un personnage qui apparaît 2000 pages après qu'on avait entendu dire qu'il était mort, et où la réponse est ben l'auteur avait oublié, c'est la vie, et une erreur qui est plus "de la triche" où on nous fait prendre pour vrai ce qui est faux (je pense à American Psycho ou à la fin de Stage Fright de Hitchcock où on apprend que ce qui nous était montré dans un flashback était faux, alors que la règle c'est: soit pas de flashback, soit ce qui est dans le flashback est vrai (c'est d'ailleurs la raison pour laquelle l'adaptation ciné de American Psycho, aussi drôle qu'elle soit, est ratée en tant qu'adaptation)). Autrement dit comment je sais où on fait semblant et où on fait semblant de faire semblant (les cas de "triche": quand je vois le "faux" flashback, je me dis ok tout ceci est "faux" (au sens: ce sont des acteurs etc) mais c'est vrai dans la fiction, alors qu'en fait, c'est "faux" dans le sens que j'ai perçu, mais c'est aussi "faux" dans un autre sens, faux dans la fiction, mais à l'intérieur de cette fiction, ça passe pour vrai (jusqu'à ce que j'apprenne à la fin que c'était faux-dans-la-fiction)).

 

Je vais raconter une anecdote personnelle qui 1/ illustre le problème 2/ explique peut-être pourquoi je m'intéresse à la philo du langage et how my mind works. Au début de l'année je lisais tranquillement Subject and Predicate in Logic and Grammar comme d'habitude à la bibliothèque quand une fille (il s'est avéré que c'était un mec excessivement maniéré avec des cheveux longs blonds et des ongles vernis mais peu importe) s'assied pas loin. Il y avait du bruit dehors cet après-midi donc j'avais enfoncé mes écouteurs dans mes oreilles en guise de boules quiès sans les connecter à mon téléphone, mais ça n'était pas visible. Tout ce qui était visible est que j'avais des écouteurs dans les oreilles. En bon sujet husserlien qui se respecte, je me suis projeté dans le point de vue de cette fille sur moi et je me suis dit que si elle réfléchissait comme moi, elle devait craindre d'être dérangée par le son de la musique qu'elle avait toutes les raisons de supposer que j'écoutais, voire a minima de craindre qu'elle ne vienne à être indisposée par la musique en question, l'envie dût-elle me prendre d'en monter le volume. Je me suis alors imaginé me lever et renforcer sa croyance fausse justifiée en lui demandant, par exemple, si "la musique la dérangeait" (la musique étant bien sûr ce rien avec quelque chose autour) et je me suis encore imaginé qu'elle réponde "oui" non pas parce que la musique la dérangeait, puisqu'il n'y a pas de musique, ce que je suis le seul à (pouvoir) savoir (elle sait seulement si elle est dérangée ou pas), mais en prédisant que si elle répondait "non", ça serait la porte ouverte à toutes les fenêtres et que donc elle préférait s'assurer par un mensonge la paix qu'elle sentait menacée. Nous aurions réussi à avoir un échange complet sur quelque chose qui n'existe pas, par pur loop de projections intentionnelles. Worth noting, tout ceci s'est passé seulement dans ma tête, je n'ai pas la moindre idée de ce qui se serait effectivement passé si j'avais fait quoi que ce soit, puisque, bien évidemment, je suis resté tranquillement à lire Subject and Predicate en souriant un peu en pensant à tout ça.

 

il y a 41 minutes, Lancelot a dit :

Dans ce cas ça voudrait dire que tu as décidé d'utiliser ce signe pour nommer ton concept de cette sensation et des réactions qu'elle entraine en toi (y compris écrire S). Pas sûr que ça soit un signe très efficace pour communiquer à autrui exactement en quoi consiste cette sensation mais déjà si tu te comprends toi-même c'est pas mal.

Mais n'est-il pas clair dans ce cas que l'acte de nommer le concept crée le concept? Car enfin le concept n'est rien d'autre que le critère grâce auquel on sélectionne les individus qu'on subsume sous un universel (ceci est un chien, ceci en revanche est un loup, doesn't fit the concept, quel que soit le concept qu'on choisit pour trier, et je suis quinien, je veux bien reconnaître qu'il y en a plusieurs selon le but poursuivi dans le tri). Dans le cas de LW, il n'y a pas d'autre lien de cohérence ou d'adhérence des occurrences de S entre elles que l'acte par lequel je les signifie, et qui consiste pour moi à inscrire un S sur le calendrier. (Dans l'esprit de la philo de LW ça consiste à prouver que les concepts n'existent pas, qu'il n'y a que des ressemblances de famille.)

 

il y a 44 minutes, Lancelot a dit :

Le gars a-t-il seulement conscience (hin, hin) qu'on peut étudier des phénomènes inconscients en neuroscience ?

J'en sais rien bien sûr mais la biblio est assez riche et son phd c'est ça: https://link.springer.com/book/10.1007/978-3-030-46966-5 donc je dirais oui.

il y a 45 minutes, Lancelot a dit :

Genre les négligences, l'anosognosie, les effets subliminaux...

Of course mais ce n'est pas l'inconscient freudien. Il y a une différence entre les biais inconscients qu'on étudie en sciences cognitives et l'inconscient freudien. Voilà une jolie façon qui me vient de formuler la chose, qui se marie non moins joliment avec l'article de Cadell Last (qui m'avait beaucoup plu (héhé on dirait qu'après deux verres de gin et un bon dîner je suis de meilleure humeur que tout à l'heure)): c'est peut-être parce que j'écris deux travaux sur Kant en ce moment mais dans la Critique de la faculté de juger (notamment §26, donc à peu près au milieu, dans l'Analytique du sublime), Kant explique le sublime par distinction du beau à partir d'un exemple étrange, celui de la basilique Saint-Pierre à Rome. Pour résumer les épisodes précédents,

Révélation

il a montré dans l'Analytique du beau que le beau est un concept réfléchissant et non déterminant. Le concept déterminant, c'est: j'ai le concept primo, et je regarde ensuite les objets pour trouver ce qui fit the concept. Le concept réfléchissant, c'est j'ai l'objet primo, et ensuite mon entendement et mon imagination travaillent librement pour essayer de le subsumer sous un concept et n'y arrivent pas. L'expérience du beau est "réfléchissante", au sens où je trouve dans la nature, que je sais pourtant contingente (au sens où on n'est plus au Moyen-Âge et on ne pense pas que Dieu intervient régulièrement; ça ne veut pas dire: sans lois, Kant est au contraire très déterministe, et son problème est de concilier la possibilité de la liberté humaine dans le domaine pratique avec le déterminisme physique), quelque chose qui correspond presque par miracle à mes exigences subjectives. Donc cet accord me plaît (le plaisir est la pure conscience du rapport causal que mon entendement postule). Ensuite Kant explique donc que j'y discerne une finalité mais dont je ne connais pas la fin, pour expliquer ce sentiment etc.

Bon dans le cas du sublime c'est très différent, parce que ce qui se passe, c'est que l'imagination et l'entendement ne parviennent pas à produire cette finalité sans fin dans la chose, mais cet échec (déplaisir) révèle seulement l'impuissance de l'imagination à rejoindre l'esprit (en fait la raison) dans sa conception des Idées (ce sous quoi la diversité des connaissances est unifiée en système). Donc il y a du déplaisir dans l'expérience du sublime (ah, mon imagination est limitée, gott im himmel) mais il y a aussi du plaisir (il y a en moi quelque chose qui dépasse l'imagination, du suprasensible; et bien sûr c'est l'homme nouménal, l'homme comme agent moral et non comme être humain biologique que cette expérience permet de penser). La finalité n'est plus dans l'objet (je ne sais pas ce que la nature fait avec ça mais je sens qu'elle sait ce qu'elle fait) mais dans le sujet (j'ai en moi les Idées de la raison que l'imagination échoue à se représenter). En cela, nous sommes supérieurs à la nature hors de nous (parce que nous pouvons aller "au-delà" du sensible) et donc nous pouvons être supérieurs à la nature en nous (vaincre nos désirs pathologiques et agir moralement, enfin essayer en tout cas). Mais l'histoire de la basilique saint-pierre ne dit pas ça. Kant explique quelque chose d'apparemment beaucoup plus trivial, il dit que quand on est dans la basilique, il n'y a pas moyen de tout embrasser du regard (comme une femme, la basilique n'est pas-toute, grosse lacanian vibe). Mais on a envie de dire que ça ne prouve rien d'autre que la limite du pouvoir de l'imagination ou de la perception et basta, sans aucune connexion au suprasensible. The catch, c'est qu'il faut lire ici un rapport analogique entre l'imagination/la basilique saint-pierre et l'entendement/les Idées.

 

Pourquoi je parle de tout ça? Pas seulement parce que Kant est génial à lire avec Freud en tête mais parce que cette idée que c'est dans l'échec seulement que se révèle ce qui dépasse la faculté qui a échoué, c'est, à mon avis, exactement le fonctionnement "non technique" de l'inconscient freudien et de ce que Lacan va appeler la jouissance. On part toujours de ce qui a raté (le symptôme, l'attestation du fait qu'il n'y a jamais de refoulement sans retour du refoulé). Dans les exemples des sciences cognitives, on a l'équivalent de la lecture "empiriste" ou "naïve" de la basilique dans Kant: oh, mais ça ne nous dit rien d'autre que la pure limitation immanente d'une faculté, celle de l'imagination. C'est ce qui se passe dans les phénomènes subliminaux, dans les ancrages. L'anosognosie, si j'ai de bons souvenirs de L'Erreur de Descartes, c'est cette lésion du cortex de l'insula où les gens sont à moitié paralysés et assurent qu'ils ne le sont pas. Mais là encore, il s'agit toujours de ne pas voir ce qui est là, d'une limite immanente à l'une de leurs facultés (lésion dans l'hémisphère droit pour l'anosognosie). Il ne s'agit pas de l'inconscient psychanalytique, qui n'est pas technique. La technique, c'est l'art de réaliser ce qu'on veut, c'est l'artisan vs l'artiste. En kantique, on peut dire que c'est la différence entre l'impératif hypothétique (si tu veux séduire cette fille, invite-la au cinéma) et l'impératif catégorique, en ce qu'il est la pure forme du devoir ("fais ton devoir"): il ne dit pas quoi, il dit comment. Et l'inconscient est aussi une question de forme: il n'est pas un objet comme une région dans le cerveau, il est la capacité même de changer de forme (umformen dans Freud), raison pour laquelle Freud disait que tous les affects étaient trompeurs (sauf l'angoisse, et dans l'angoisse justement il n'y a pas d'objet, il y a: rien, l'absence impossible à combler). On pourrait presque dire que l'inconscient est artiste, mais il faut en fait dire que le sujet freudien est proche de l'artiste comme le décrit Kant (le génie), qui crée selon des lois qu'il ignore, instrument de la nature/des pulsions. Mais c'est peut-être pousser le parallèle loin. Quoi qu'il en soit, que l'inconscient ne fonctionne pas selon un principe technique ne veut pas dire que son fonctionnement est bordélique (ce que l'exemple de l'artiste était supposé montrer). Au contraire, le fonctionnement de l'inconscient, c'est le principe de jouissance ou la pulsion de mort, et ça n'est donc pas du tout une structure "technique" où j'ai (ou l'inconscient a) un but et cherche à l'atteindre. En langage freudien, ça, c'est le désir. Le désir a un objet, essaie de l'atteindre, est frustré, recommence. Mais la pulsion tire précisément sa satisfaction pour ainsi dire de l'itinéraire vers l'objet. Ou pour le dire autrement, la pulsion n'a pas d'objet comme: baiser mon voisin du cours de philo de demain après-midi qui s'assied toujours au bout du 3e rang, son objet est: la satisfaction. C'est exactement comme l'impératif catégorique: une loi qui produit son objet. C'est pourquoi, à la fin de Le Moi et le Ça, Freud fait cette remarque sur laquelle je réfléchis un peu ces derniers temps selon laquelle les pulsions sont "muettes": bah oui, elles ne disent pas fais ceci fais cela. Parce que ça supposerait une représentation, un but, etc donc toute la structure qui est du ressort d'Eros (le désir) et pas de thanatos (la pulsion), pour reprendre le vocabulaire de la seconde topique. Elles sont donc sublimes au sens kantien.

 

TLDR l'idée est qu'avec la psychanalyse on touche à quelque chose qui n'est pas "parlable", pas représentable, le sublime pour Kant, la pulsion pour Freud, le réel pour Lacan, et ce selon une logique qui n'est pas celle, "technique" et représentative du but et des déviations par rapport à ce but (ce qui est exactement ce que les sciences cognitives font quand elles étudient les biais, si je ne m'abuse).

 

Un truc susceptible de t'intéresser (et j'y ai pensé en lisant tes articles sur le fil d'esthétique, pas encore trouvé une réponse intéressante) c'est en fait la Critique de la faculté de juger, qui est de loin le meilleur bouquin de Kant que j'aie lu (je n'ai certes jamais lu la Critique de la raison pratique) et qui devrait beaucoup t'intéresser si tu veux lire un bouquin sur le beau parce qu'il n'y a pas beaucoup de livres qui vont à ce point contre tout ce qu'on peut spontanément penser sur la beauté, surtout depuis Darwin (et je dis ça alors qu'il y a des auteurs en esthétique qui commentent Darwin et qui sont passionnants à lire; pour mon travail en philo de la biologie j'avais lu Winfried Menninghaus avec grand plaisir)

 

Il y a 1 heure, Lancelot a dit :

Ou au monde comme représentation de Schopenhauer ou à tout ce que tu veux, ce n'est pas exactement original. Mais je ne me réclame de personne parce que je ne veux pas me trimballer de bagage genre "les modalités de l’accès aux Idées suprasensible dans la Critique de la faculté de juger" ou "le rapport entre les Idées et le monde sensible dans Platon". Mon but n'est pas de me réconcilier avec des auteurs morts mais d'enrichir la pensée de Lancelot. C'est une autre raison pour laquelle je suis mauvais philosophe.

Alors disons-le comme ça (et j'espère parvenir à rendre Kant excitant dans ce qui va suivre): l'ensemble des représentations accessibles à l'entendement ne comprend pas les Idées, parce que les Idées, on ne peut pas les représenter tout court, et la grande question de Kant dans la 3e critique est de se demande quel genre d'accès on peut y avoir. Cependant, elles sont accessibles à la Raison, qui croit souvent pouvoir se passer de l'entendement dans la Critique de la raison pure, ce qui la rend "aveugle" selon le fameux mot de Kant ("Des concepts sans intuitions sont vides, des intuitions sans concepts sont aveugles.") Donc le problème, c'est comment le point de vue de la raison sur l'entendement peut-il impacter l'activité de l'entendement en dépit de ce déséquilibre? La solution à ce problème (voir avec le point de vue de la raison), c'est le sujet transcendental. Un exemple de ça:

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Donc j'ai un miroir concave à gauche, un oeil, un vase avec des fleurs et le vase est à l'envers, il est reflété dans le miroir concave et la réflexion est reflétée dans le miroir droit, qui est face à l'oeil, et qu'on voit à droite. En kantique, on va dire que les fleurs sont l'unité transcendantale de l'aperception. L'aperception, c'est dans la Critique l'unité du moi qui rend possible les perceptions en tant que successives. Elle est, en gros, la condition de possibilité de la représentation des objets. Les fleurs sont ça parce que l'oeil ( = le sujet) ne les voit pas, il ne les voit que grâce à ce qu'il y a "autour" à savoir le miroir concave, qui constitue l'unité que je vois à droite du schéma (qui est bien ce que je vois) non pas en soi mais pour moi. Le point important ici est que les deux miroirs sont exactement à rapprocher du système kantien, où non seulement il faut que la raison ait cet "accès" aux Idées, mais que cet accès soit lui-même accessible à l'entendement. En psychanalyse, on dit aussi que, pour que le sujet émerge, il ne suffit pas qu'il ait un point de vue sur lui (le Selbstgefühl hégélien: je sens mon corps, la proprioception en quelque sorte), il faut aussi qu'il voie le point de vue des autres sur lui (Selbstbewusstsein, la lutte pour la reconnaissance c'est-à-dire la reconnaissance avant tout de ce que le désir humain ne porte pas sur un objet mais sur le désir de l'autre (et là je crois qu'il faut aussi lire Hegel très littéralement: je ne désire pas coucher avec mon crush, je désire être désiré)) (là encore, deux miroirs: une perspective, et la perspectivisation de cette perspective par le sujet: la perspective de l'autre est un peu le miroir concave dans mon dos). Mais on voit bien qu'on ne peut pas voir le point de vue des autres, parce que ce n'est pas un objet, exactement au même sens où l'entendement ne peut pas avoir accès aux Idées, qui sont un concept de la raison, alors que les concepts de l'entendement sont les catégories. Le point à ne pas manquer est que je ne vois jamais l'unité de l'aperception elle-même, parce que c'est l'unité de la pensée, donc ce avec quoi je pense ou vois. C'est presque une faute de grammaire: je ne peux pas non plus "dire" ma voix. L'unité est certes déjà là dans le miroir concave, mais je ne la vois pas. Je pourrais me retourner (tourner l'oeil vers la gauche), mais il est clair que ne peux voir que ce que voir fait à ce qui est vu. Ce n'est donc pas une histoire d'intersubjectivité, car je ne vois pas le point de vue de l'autre. Et en regardant dans le miroir plat, je me vois aussi dans l'image, parmi les fleurs. Ça ne suffit pas de dire que l'image est dans mon oeil (même si c'est vrai, beauty is indeed in the eye of the beholder), il faut aussi voir que moi, je suis dans l'image.

 

Si je peux donc me voir comme sujet, c'est toujours a posteriori. Ici, Kant parle la langue de Lacan. Pour Kant, quand j'agis non seulement conformément à mon, mais par devoir, j'actualise un universel qui n'existe pas avant (il ne s'agit pas de penser que l'universel, c'est donné dans l'impératif catégorique et qu'il faut ensuite l'implanter dans la réalité, sinon il n'y aurait pas de différence avec le commandement divin). On peut dire qu'il n'y a pas d'acte moral sans sujet à la hauteur de cet acte, ce qui implique, comme on le sait, qu'on ne peut pas, avec Kant, se cacher derrière la loi ou l'Etat pour dire "je ne fais que mon devoir" (parce que Kant est pire que le christianisme: non seulement tu es responsable de faire ton devoir, mais tu es aussi responsable de ce que tu as appelé "ton devoir"; il y a un truc un peu similaire avec Freud: non seulement tu es responsable de ce que tu sais, mais aussi de ce que tu ne sais pas). Donc le sujet de l'acte coïncide toujours avec son acte. Mais une fois l'acte accompli, le sujet est à nouveau vide: il doit agir à nouveau (pour rompre l'angoisse)! Il ne s'agit pas de découvrir le contenu de l'impératif catégorique (il n'y en a pas) ou d'agir moralement (on ne sait jamais, dit Kant, si on a vraiment agi moralement: on ne peut jamais être sûr d'être totalement purgé de tout désir pathologique; aussi le souverain bien est-il d'ordre nouménal), il s'agit plutôt de le convaincre qu'il existe. C'est assez bizarre, mais j'ai besoin qu'il existe pour donner un sens à mon action, quitte à après me dire "je sais bien qu'il n'existe pas mais quand même".

 

(Il y a une blague comme ça c'est l'histoire d'un homme qui croit qu'il est un grain de blé. On l'emmène en HP, ça se passe bien. Ses amis le ramènent chez lui deux mois plus tard. Il va à peu près bien, mais dans la cour de l'immeuble il voit un poulet (un poulet vivant). Il panique, le poulet va me manger! Mais non, lui disent ses amis, tu sais bien que tu n'es pas un grain de blé, tu as vu les psychiatres. Et le pauvre homme répond: bien sûr que je sais que je ne suis pas un grain de blé! Mais le poulet, est-ce qu'il le sait?)

 

On peut considérer, comme le disent certains commentateurs (Heidegger pour ne pas le citer) que l'acte moral dans Kant est un processus de subjectivation sans sujet. Le sujet n'est pas avant l'acte, il advient par l'acte, et seulement par l'acte. Donc il est sujet a posteriori. Le reste du temps, il est divisé entre sujet de l'énonciation et sujet de l'énoncé (Lacan) entre homo phaenomenon et homo noumenon (Kant). Il y a une scène dans Le Jeu de l'amour et du hasard de Marivaux (II, 7) qui dit ça très bien: il y a un valet qui répond au nom mignon de Bourguignon (qui est en fait un maître mais peu importe pour mon histoire) qui est amoureux d'une Silvia et il lui fait énormément la cour et elle ne veut pas reconnaître qu'il lui plaît. Elle dit "malgré tout ce qu’il m’a dit, je ne suis point partie, je ne pars point, me voilà encore, et je réponds !" Elle est non seulement ce "je" qui "n’est point parti" (sujet de l'énoncé), mais elle est aussi cet autre "je" qui se fait la réflexion "je ne suis point partie !" (sujet de l'énonciation). Lacan dit ça magnifiquement: "Effet de rétroversion par quoi le sujet à chaque étape devient ce qu’il était comme d’avant et ne s’annonce : il aura été, — qu’au futur antérieur."

 

Dans le schéma, il y a une raison "structurelle" très simple pour laquelle je ne vois pas le point de vue l'autre: l'autre, par définition, est dans mon dos. Donc si je me retourne dans le miroir concave, j'ai toujours un (autre, lol) miroir dans le dos (le plat). Donc ça ne change absolument rien. Je ne vois jamais toujours que l'après-coup, l'effet de la vision, ou ce que j'ai appelé (je suis coquet et j'aime ma formule) voir ce que la vision fait à ce qui est vu. Il faudrait voir l'autre quand on ne le regarde pas. C'est l'expérience rêvée de tous les enfants, Proust raconte dans Le Côte de Guermantes la fois où il entre dans le salon et sa grand-mère ne l'a pas entendu entrer et il la voit donc dans son "milieu naturel" pour la première fois, left to her own devices. En kantique, il la voit comme chose en soi. (Le Côté de Guermantes, 1e partie; c'est long donc j'ai mis en cache mais cette page est une splendeur sans pareille)

 

Révélation

Hélas, ce fantôme-là, ce fut lui que j’aperçus quand, entré au salon sans que ma grand’mère fût avertie de mon retour, je la trouvai en train de lire. J’étais là, ou plutôt je n’étais pas encore là puisqu’elle ne le savait pas, et, comme une femme qu’on surprend en train de faire un ouvrage qu’elle cachera si on entre, elle était livrée à des pensées qu’elle n’avait jamais montrées devant moi. De moi — par ce privilège qui ne dure pas et où nous avons, pendant le court instant du retour, la faculté d’assister brusquement à notre propre absence — il n’y avait là que le témoin, l’observateur, en chapeau et manteau de voyage, l’étranger qui n’est pas de la maison, le photographe qui vient prendre un cliché des lieux qu’on ne reverra plus. Ce qui, mécaniquement, se fit à ce moment dans mes yeux quand j’aperçus ma grand’mère, ce fut bien une photographie. Nous ne voyons jamais les êtres chéris que dans le système animé, le mouvement perpétuel de notre incessante tendresse, laquelle, avant de laisser les images que nous présente leur visage arriver jusqu’à nous, les prend dans son tourbillon, les rejette sur l’idée que nous nous faisons d’eux depuis toujours, les fait adhérer à elle, coïncider avec elle. Comment, puisque le front, les joues de ma grand’mère, je leur faisais signifier ce qu’il y avait de plus délicat et de plus permanent dans son esprit, comment, puisque tout regard habituel est une nécromancie et chaque visage qu’on aime le miroir du passé, comment n’en eussé-je pas omis ce qui en elle avait pu s’alourdir et changer, alors que, même dans les spectacles les plus indifférents de la vie, notre œil, chargé de pensée, néglige, comme ferait une tragédie classique, toutes les images qui ne concourent pas à l’action et ne retient que celles qui peuvent en rendre intelligible le but ? Mais qu’au lieu de notre œil ce soit un objectif purement matériel, une plaque photographique, qui ait regardé, alors ce que nous verrons, par exemple dans la cour de l’Institut, au lieu de la sortie d’un académicien qui veut appeler un fiacre, ce sera sa titubation, ses précautions pour ne pas tomber en arrière, la parabole de sa chute, comme s’il était ivre ou que le sol fût couvert de verglas. Il en est de même quand quelque cruelle ruse du hasard empêche notre intelligente et pieuse tendresse d’accourir à temps pour cacher à nos regards ce qu’ils ne doivent jamais contempler, quand elle est devancée par eux qui, arrivés les premiers sur place et laissés à eux-mêmes, fonctionnent mécaniquement à la façon de pellicules, et nous montrent, au lieu de l’être aimé qui n’existe plus depuis longtemps mais dont elle n’avait jamais voulu que la mort nous fût révélée, l’être nouveau que cent fois par jour elle revêtait d’une chère et menteuse ressemblance. Et, comme un malade qui ne s’était pas regardé depuis longtemps, et composant à tout moment le visage qu’il ne voit pas d’après l’image idéale qu’il porte de soi-même dans sa pensée, recule en apercevant dans une glace, au milieu d’une figure aride et déserte, l’exhaussement oblique et rose d’un nez gigantesque comme une pyramide d’Égypte, moi pour qui ma grand’mère c’était encore moi-même, moi qui ne l’avais jamais vue que dans mon âme, toujours à la même place du passé, à travers la transparence des souvenirs contigus et superposés, tout d’un coup, dans notre salon qui faisait partie d’un monde nouveau, celui du temps, celui où vivent les étrangers dont on dit « il vieillit bien », pour la première fois et seulement pour un instant, car elle disparut bien vite, j’aperçus sur le canapé, sous la lampe, rouge, lourde et vulgaire, malade, rêvassant, promenant au-dessus d’un livre des yeux un peu fous, une vieille femme accablée que je ne connaissais pas.

 

Ce que Kant peut apporter c'est une compréhension complexe de ce que ça veut dire que d'avoir des représentations accessibles à l'entendement, en expliquant quels autres "contenus" de pensée peuvent être présents à l'esprit sans être représentés, comment les différentes facultés de l'esprit interagissent, comment elles constituent le monde et comment cette constitution du monde présuppose la constitution a priori du moi (l'aperception). On n'exagère rien en disant que c'est l'un des plus grands penseurs de tous les temps. Mais ce n'est pas empirique. Il s'agit de savoir comment on peut penser, élaborer des concepts pour rendre compte de ces processus et les rendre pensables pour nous. Ce dernier point est très présent dans Kant, qui était un homme des Lumières et qui s'est toujours montré extrêmement soucieux d'être compris du grand nombre, écrivant introduction sur préface, publiant des résumés de ses livres, des corrections, des réponses à des objections etc.

 

Il y a 3 heures, Lancelot a dit :

Si je prends ces termes en face value, je pourrais dire que le premier est un ingrédient du second selon Damasio. D'autres théories existent bien sûr, avec des expériences et des observations et des modèles à l'appui à chaque fois. Je ne dis pas que la question est tranchée, mais que si elle est tranchée un jour ce sera par un neuroscientifique, pas par Hegel. Ne serait-ce que parce que les neuroscientifiques sont vivants et ont potentiellement accès à Hegel alors que Hegel est mort et n'avait pas accès aux connaissances des neuroscientifiques. Ceci dit tu as peut-être raison de déplorer que les scientifiques ne respectent pas leur part du marché dans cette équation puisque (moi le premier) ils ne lisent pas Hegel. Et peut-être qu'on a besoin de philosophes pour les aider à y voir un intérêt.

Je commence bientôt ce livre

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Et j'en profiterai éventuellement pour faire un résumé sur ce sujet.

 

Il y a 3 heures, Lancelot a dit :

Pour la faire courte on peut catégoriser des choses sans nécessairement traduire ces catégories en langage. Un exemple serait les études sur les bébés qui savent catégoriser avant de savoir parler.

C'est-à-dire qu'à partir du moment où les catégories sont des concepts j'ai du mal à comprendre. Mais je suppose que c'est un peu begging the question que de te demander de m'expliquer avec le langage ce que ça fait de catégoriser sans y avoir recours. C'est drôle parce que le premier chapitre de Ontological relativity de Quine explique précisément comment tout l'inverse se passe (selon lui), que la capacité à réidentifier le même objet ou deux objets comme appartenant à une même catégorie émerge avec le langage.

 

Révélation

Ici on peut encore parler d'inconscient, mais, une fois n'est pas coutume, pas dans le sens freudien mais dans un sens (qui n'a rien à voir) hégélien. Pour Hegel, l'inconscient est en gros la dimension universelle de mon discours. Quand je dis "ici et maintenant" (j'avais eu un sujet de khôlle "ici et maintenant", difficile à faire sans Hegel), je veux bien sûr dire "à mon adresse parisienne à 2:50 am", mais il y a une portée universelle (c'est toujours maintenant maintenant, et ce sera encore maintenant en cours demain matin à 9:00 etc). Ce qui veut dire, si on souscrit à cette thèse, que c'est avec le langage qu'émerge cette disjonction du monde entre universaux et particuliers. Et pour défendre cette thèse, je prendrais l'analyse célèbre que Hegel fait des tautologies (son exemple est "une rose est une rose", mais j'en ai un mieux). Il explique que la tautologie n'énonce pas bêtement quelque chose que tout le monde sait, une réidentification répétitive. La tautologie fait plutôt état de l'échec de la chose à live up to its symbolic function, du particulier à être à la hauteur du concept. Si demain comme je vais être crevé je fais une intervention en cours le matin et que je dis une connerie, mon ami Louis dira probablement: "Vilfredo est Vilfredo, qu'est-ce que tu veux". Et si vendredi comme c'est la fête je me bourre la gueule et urine sur les passants, les anglais disent aussi "Boys will be boys".

 

En gros il y a deux options que je vois en philo du langage contemporaine: l'option Heidegger/Wittgenstein exprimée par le vers (tout le temps cité par Heidegger) de Stefan George: Kein Ding sei wo das Wort gebricht (tu parles allemand non? mais dans le doute ça veut dire "qu'il n'y ait aucune chose là où le mot faillit"), et l'option Freud/Lacan, qui inverse le vers en Ein Ding sei nur wo das Wort gebricht (l'angoisse non pas comme sans objet, mais comme confrontation avec le seul objet qui vaille: la pulsion, le réel qui est au limite du parlable et auquel je me heurte chez le psy, tout le reste n'étant que "semblant"). Ce n'est pas directement lié à ta question mais c'est un bon résumé des enjeux je trouve (mais il n'est pa de moi).

 

Il y a 3 heures, Lancelot a dit :

Quand tu fais du vélo (ou quand tu conduis, ou quand tu fais n'importe quelle tâche automatique qui ne nécessite qu'une surveillance minimale) tu as conscience de ce que tu fais. Tu sais que tu es en train de le faire, tu es engagé dans la tâche. Pour moi c'est suffisant pour dire que tu y penses.

Si c'est automatique j'aurais justement pensé que tu le considérerais comme quelque chose d'inconscient. Sans faire référence à aucun philosophe, on dit même "je l'ai fait sans y penser" quand on fait quelque chose mécaniquement. Maintenant si je pense au premier philosophe qui vient à l'esprit sur ce sujet, Descartes, il y a une interprétation séduisante qui fait du cogito un acte (et même, pour Hintikka, un performatif). Donc si je pensais, je le saurais (en gros). C'est d'ailleurs comme ça que je sais que j'existe à chaque fois que je pense (la phrase de Descartes est: "De sorte qu’après y avoir bien pensé, et avoir soigneusement examiné toutes choses, enfin il faut conclure et tenir pour constant que cette proposition, je suis, j’existe, est nécessairement vraie, toutes les fois que je la prononce ou que je la conçois en mon esprit." Sous-entendu par contre quand je n'y pense pas, peut-être que je cesse d'exister. Je ne peux pas le savoir parce qu'il faudrait que je m'attrape par la pensée quand je ne suis pas en train de penser, ce qui promet d'être difficile. Je décrivais la même chose plus haut en expliquant pourquoi je ne voyais pas le point de vue de l'autre.) De là on arrive assez aisément à Husserl et aux Méditations cartésiennes pour qui la pensée est un acte intentionnel, càd une projection du moi vers l'objet vers lequel il dirige sa pensée.

 

Il y a 3 heures, Lancelot a dit :

Ne serait-ce que par rasoir d'Occam je n'ai jamais trop compris l'intérêt de rajouter une étape mentalese dans le processus. Quand je pense de manière verbale, je pense en français (ou parfois en anglais). De toute manière le mentalese ne fait que reculer le problème d'un pas de la traduction des pensées non verbales en pensées verbales.

Parfaitement d'accord

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