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Mesquita, dictature, démocratie et cuisine


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Je vous avais promis que j'aurais des choses à dire sur The Dictator's Handbook. En voici un résumé plus quelques remarques.

 

L'ambition du bouquin est de réduire toutes les questions politiques, ou au moins une grande partie, à la proportion de différents groupes dans la société considérée. Ces groupes sont:

  1. Le "nominal selectorate", ou les "interchangeables", qui regroupe la population générale qui n'a pas d'influence politique particulière (l'électeur lambda dans une démocratie).
  2. Le "real selectorate", ou les "influentials", est la sous-partie du nominal selectorate composée de gens qui ont une réelle influence politique, par exemple les membres du parti dans un régime communiste ou le chef d'un village qui décide pour qui tout le monde va voter dans son patelin, ou en France les maires dont les signatures sont nécessaires pour se présenter à la présidentielle.
  3. La "winning coalition", ou les "essentials", est la sous-partie du real selectorate qui regroupe les personnes dont le soutient est nécessaire au dirigeant pour continuer à être dirigeant. Dans une démocratie ça sera la majorité.
  4. Le dirigeant

Cette classification a pour ambition de pouvoir décrire n'importe quel régime politique de manière plus fine que la simple dichotomie entre démocratie et dictature. Pour situer les choses l'idéal-type d'un régime qualifié de dictature aura typiquement seulement une poignée d'essentials et peu d'influencials, tandis que celui d'un régime qualifié de démocratie aura typiquement un très grand nombre d'essentials et d'influentials.
Chaque personne a pour but de survivre, d'amasser de la richesse, de conserver son pouvoir si elle en a et éventuellement d'en obtenir plus, mais la manière d'y arriver dépend du groupe où elle se trouve. Pour le dirigeant les règles à suivre sont (1) avoir aussi peu d'essentials que possible pour mieux les surveiller et ne pas trop ruiner les coffres en les gavant de pognon, (2) avoir autant d'interchangeables que possible qu'il pourra sortir de son chapeau pour remplacer les influentials et essentials déloyaux, (3) contrôler la richesse, la situation idéale étant que tout le monde soit aussi misérable que possible (ça leur évite de se faire des idées) sauf les essentials, (4) ne pas trop payer les essentials pour ne pas qu'ils deviennent trop gourmands, (5) payer les essentials assez pour maintenir leur loyauté, en particulier ne pas leur enlever de l'argent des poches pour l'utiliser à améliorer le sort du peuple ou autre lubie.

Ces règles marchent tout aussi bien en démocratie, et les auteurs donnent un exemple de chacune dans le cadre des États-Unis : le gerrymandering pour la règle (1), l'immigration et le vote pour les migrants pour la règle (2), les batailles autour du code des impôts pour la règle (3), la défense du système social par les démocrates pour la règle (4), la défense des baisses d'impôts et le combat contre le système social par les républicains pour la règle (5).

 

Partant de là les auteurs continuent avec plusieurs chapitres thématiques que je résume très brièvement :

  • Comment arriver au pouvoir. En dictature il faut attendre un moment de faiblesse, typiquement quand le gars précédent va mourrir ou n'a plus assez d'argent pour arroser ses essentials, aller le plus vite possible pour ne pas qu'un rival puisse réagir, mettre la main sur le trésor et se débarasser de ceux qui ne sont pas d'accord. En démocratie arriver au pouvoir est moins violent physiquement mais implique de se battre pour trouver la combinaison gagnante de l'électorat à coup de postures populaires. Dans les deux cas le processus peut être adoucit quand le dirigeant actuel a un successeur officiel.
  • Comment rester au pouvoir. Le plus important est de maintenir le contrôle sur les essentials en les remplaçant sans hésitation dès que leur loyauté est en doute, si c'est impossible en augmentant leur nombre pour diluer l'opposition, en divisant pour mieux régner chez les opposants, en corrompant les influentials etc.
  • L'économie. Le dirigeant doit trouver de l'argent à tous prix pour arroser sa coalition. Il peut le faire en taxant les interchangeables, et personne ne s'en prive, mais quand on taxe trop les gens ils finissent par fuir ou mourir ce qui peut devenir contre-productif. La seconde solution est d'exploiter les ressources naturelles quand on en a ce qui est mieux puisque ça nécessite moins de main d'oeuvre et qu'on peut laisser le reste du peuple crever. Ça explique pourquoi les dictatures avec beaucoup de ressources sont pires. La dernière solution est de s'endetter autant que possible, et c'est au final le mieux surtout quand les dettes sont facilement annulées après quelques promesses en l'air.
  • Les dépenses publiques. Les dictatures procurent uniquement ce qui est essentiel pour que les gens travaillent sans se révolter, par exemple une éducation basique et un système de santé pour les gens productifs mais pas trop de routes qui permettraient de fuir ou de réseaux de communication qui permettraient de s'organiser. En démocratie par contre on retrouve typiquement des biens publics pour tous qui vont de la liberté à plein de "droits à", parce que ces services sont considérés comme essentiels par la majorité des électeurs ce qui implique qu'il est nécessaire de les promettre pour être élu et de continuer à les procurer pour être réélu.
  • La corruption. Faire des lois contre la corruption là où elle est endémique est contre productif puisque tout le monde est nécessairement corrompu, donc ça ne fait que donner des armes au dirigeant qui décidera qui peut l'être impunément (la coalition) ou pas (l'opposition). Il vaut donc mieux changer le système pour qu'il y ait moins d'incitation à être corrompu ce qui peut être fait d'après les auteurs en augmentant autant que possible le nombre d'essentials qui auront chacun moins de pouvoir, donc moins de tentation, et se surveilleront entre eux.
  • L'aide au développement. Les aides sont un miroir aux alouettes, elles sont toujours détournées par le gouvernement local qui décide exactement ce qui va où, et généralement très peu va à l'objectif initialement visé. Les agences sont impuissantes à contrôler ça et d'ailleurs se gavent aussi au passage. Les gouvernements des pays riches utilisent les aides comme des moyens de pression pour faire adopter telle ou telle politique qu'ils estiment préférables comme "combattre le communisme" ou "fournir du pétrole pas cher", avec en démocratie la bénédiction des électeurs. Le dirigeant local de son côté n'est pas con et fait jouer les enchères par exemple entre les États-Unis et l'URSS pour avoir toujours plus de pognon.
  • La guerre. Pour les dictatures la guerre se passe comme décrit par Sun Tzu, il faut privilégier des campagnes courtes où on pille tant qu'on peut et la défaite n'est pas très grave tant que ça ne touche pas les essentials. Pour les démocraties c'est différent, perdre une guerre a des conséquences catastrophiques pour le dirigeant. Les démocraties ont donc tendance à investir beaucoup plus de ressources dans les guerres et à se battre jusqu'au bout, ce qui explique qu'elles ont un bon track-record de victoire contre les dictatures. Les démocraties vont également ne vouloir entrer en guerre que quand elles sont raisonnablement certaines de gagner, donc contre des pays petits et/ou pauvres et/ou des dictatures, ce qui explique le mythe de l'absence de guerre entre démocraties. Au final la guerre est bien la continuation de la politique par d'autres moyens, le moyen précédent pour les démocraties étant d'offrir des aides contre des concessions politiques comme on l'a vu au dessus. En particulier ça ne pose absolument aucun problème de remplacer un dirigeant plus démocrate par le pire des dictateurs à condition que le dictateur soit plus conciliant. L'important est avant tout d'être réélu.

 

Le reste du livre est dédié à des conseils pour améliorer la situation d'un pays en prenant en compte les règles décrites précédemment. Le principal moyen d'agir suggéré est un système qui conditionnerait l'annulation de dettes et les aides à des contreparties. Concrètement une somme d'argent serait bloquée sur un compte pour être reversée au dirigeant uniquement après qu'il aura mis en place les réformes voulues. Les dirigeants qui ne sont pas prêts à s'engager de cette manière ne devraient pas être sauvés du risque de faire faillite qui les incitera à enclencher eux-mêmes des réformes libérales pour enrichir le pays et sauver leur peau, ou finira par déclencher des révoltes et les renverser. Ensuite il faut s'attaquer aux causes du problèmes et pas aux conséquences. On a vu que la corruption est une conséquence et que s'y attaquer ne fait que servir le dirigeant en place, de même pour la pauvreté (les dictatures avec le plus de ressources sont les pires) ou l'absence d'élection (en forçant des élections on ne fait qu'obtenir des résultats à la soviétique). Quelles sont alors les vraies causes ? C'est résumé par les toutes dernières phrases du livre :

Quote

We have learned that just about all of political life revolves around the size of the selectorate, the influentials, and the winning coalition. Expand them all, and the interchangeables no more quickly than the coalition, and everything changes for the better for the vast majority of people. They are liberated to work harder on their own behalf, to become better educated, healthier, happier, and free. Their taxes are reduced and their opportunities in life expand dramatically. We can get to these moments of change faster through some of the fixes proposed here but sooner or later every society will cross the divide between small-coalition, large-selectorate misery to a large coalition that is a large proportion of the selectorate - and peace and plenty will ensue. With a little bit of hard work and good luck this can happen everywhere sooner, and if it does we all will prosper from it.

 

Une chose qui m'a moyennement convaincu est la comparaison récurrente au cours du texte entre un gouvernement et la direction d'une entreprise privée, qui est sans doute valable dans certains cas mais je ne suis pas certain de l'équivalence morale qui aboutirait logiquement à défendre une sorte de modèle d'entreprise démocratique.
Plus profondément, j'ai l'impression en lisant des passages comme le dernier paragraphe cité qu'ils passent à côté de beaucoup de nuance sur les phénomènes autoritaires qui peuvent avoir lieu en démocratie. Est-ce qu'on doit par exemple considérer que les confinements pour le covid sont une bonne chose dès lors qu'ils ont eu lieu dans des démocraties et que la majorité des gens les ont trouvé acceptables ? Doit-on défendre un régime de référendum permanent ? Il me semble qu'il y a là une sorte de démocratisme naïf. Je peux imaginer les auteurs me répondre que je pleure la bouche pleine et que, dans leur grille de lecture qui inclut la Corée du Nord, la différence entre la France et mon utopie est négligeable. Je comprends bien mais c'est une différence importante pour moi et je préfèrerais avoir des outils d'analyse qui me permettent de la prendre en compte.

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Je continue ici puisque je passe à mes propres réflexions.

 

Une extension possible de leur modèle consisterait peut-être à constater qu'un dirigeant en démocratie n'est pas soumis passivement aux exigeances des électeurs, mais que lorsqu'il souhaite appliquer une mesure en particulier il peut aussi retourner la logique, manoeuvrer pour rendre cette mesure populaire. Pour ça il s'appuiera sur une nouvelle classe d'influentials composée d'intellectuels, d'universitaires, de journalistes, d'enseignants, d'experts, de célébrités, de community managers... chargés de faire en sorte que la masse des citoyens pense correctement. On s'approche fort ici du thème orwellien du crime de pensée, où le gouvernement ne se contente pas d'exiger la soumission de chacun, mais où il a aussi besoin que chacun croit sincèrement à la vérité officielle. Bien sûr en pratique c'est plus compliqué parce que le cerveau des interchangeables se retrouve colonisé par une cacophonie constante de narrations contradictoires sur tout et n'importe quoi. Ce qui ne favorise pas les échanges entre idées, au contraire.

La question de l'échelle, qui vous le savez m'est chère, passe aussi complètement à la trappe. À mon sens la démocratie ne peut marcher que si les électeurs sont un minimum compétents sur les questions qu'on leur pose, si ils ont du skin in the game, sinon ils se retrouvent simplement à la merci du premier influencial qui leur promet de réfléchir à leur place en maintenant leur impression d'être des bonnes personnes (il les soulage de leur charge mentale si vous voulez).

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Il y a 1 heure, Lancelot a dit :

Je vous avais promis que j'aurais des choses à dire sur The Dictator's Handbook. En voici un résumé plus quelques remarques.

 

L'ambition du bouquin est de réduire toutes les questions politiques, ou au moins une grande partie, à la proportion de différents groupes dans la société considérée. Ces groupes sont:

  1. Le "nominal selectorate", ou les "interchangeables", qui regroupe la population générale qui n'a pas d'influence politique particulière (l'électeur lambda dans une démocratie).
  2. Le "real selectorate", ou les "influentials", est la sous-partie du nominal selectorate composée de gens qui ont une réelle influence politique, par exemple les membres du parti dans un régime communiste ou le chef d'un village qui décide pour qui tout le monde va voter dans son patelin, ou en France les maires dont les signatures sont nécessaires pour se présenter à la présidentielle.
  3. La "winning coalition", ou les "essentials", est la sous-partie du real selectorate qui regroupe les personnes dont le soutient est nécessaire au dirigeant pour continuer à être dirigeant. Dans une démocratie ça sera la majorité.
  4. Le dirigeant

Cette classification a pour ambition de pouvoir décrire n'importe quel régime politique de manière plus fine que la simple dichotomie entre démocratie et dictature. Pour situer les choses l'idéal-type d'un régime qualifié de dictature aura typiquement seulement une poignée d'essentials et peu d'influencials, tandis que celui d'un régime qualifié de démocratie aura typiquement un très grand nombre d'essentials et d'influentials.
Chaque personne a pour but de survivre, d'amasser de la richesse, de conserver son pouvoir si elle en a et éventuellement d'en obtenir plus, mais la manière d'y arriver dépend du groupe où elle se trouve. Pour le dirigeant les règles à suivre sont (1) avoir aussi peu d'essentials que possible pour mieux les surveiller et ne pas trop ruiner les coffres en les gavant de pognon, (2) avoir autant d'interchangeables que possible qu'il pourra sortir de son chapeau pour remplacer les influentials et essentials déloyaux, (3) contrôler la richesse, la situation idéale étant que tout le monde soit aussi misérable que possible (ça leur évite de se faire des idées) sauf les essentials, (4) ne pas trop payer les essentials pour ne pas qu'ils deviennent trop gourmands, (5) payer les essentials assez pour maintenir leur loyauté, en particulier ne pas leur enlever de l'argent des poches pour l'utiliser à améliorer le sort du peuple ou autre lubie.

Ces règles marchent tout aussi bien en démocratie, et les auteurs donnent un exemple de chacune dans le cadre des États-Unis : le gerrymandering pour la règle (1), l'immigration et le vote pour les migrants pour la règle (2), les batailles autour du code des impôts pour la règle (3), la défense du système social par les démocrates pour la règle (4), la défense des baisses d'impôts et le combat contre le système social par les républicains pour la règle (5).

 

Partant de là les auteurs continuent avec plusieurs chapitres thématiques que je résume très brièvement :

  • Comment arriver au pouvoir. En dictature il faut attendre un moment de faiblesse, typiquement quand le gars précédent va mourrir ou n'a plus assez d'argent pour arroser ses essentials, aller le plus vite possible pour ne pas qu'un rival puisse réagir, mettre la main sur le trésor et se débarasser de ceux qui ne sont pas d'accord. En démocratie arriver au pouvoir est moins violent physiquement mais implique de se battre pour trouver la combinaison gagnante de l'électorat à coup de postures populaires. Dans les deux cas le processus peut être adoucit quand le dirigeant actuel a un successeur officiel.
  • Comment rester au pouvoir. Le plus important est de maintenir le contrôle sur les essentials en les remplaçant sans hésitation dès que leur loyauté est en doute, si c'est impossible en augmentant leur nombre pour diluer l'opposition, en divisant pour mieux régner chez les opposants, en corrompant les influentials etc.
  • L'économie. Le dirigeant doit trouver de l'argent à tous prix pour arroser sa coalition. Il peut le faire en taxant les interchangeables, et personne ne s'en prive, mais quand on taxe trop les gens ils finissent par fuir ou mourir ce qui peut devenir contre-productif. La seconde solution est d'exploiter les ressources naturelles quand on en a ce qui est mieux puisque ça nécessite moins de main d'oeuvre et qu'on peut laisser le reste du peuple crever. Ça explique pourquoi les dictatures avec beaucoup de ressources sont pires. La dernière solution est de s'endetter autant que possible, et c'est au final le mieux surtout quand les dettes sont facilement annulées après quelques promesses en l'air.
  • Les dépenses publiques. Les dictatures procurent uniquement ce qui est essentiel pour que les gens travaillent sans se révolter, par exemple une éducation basique et un système de santé pour les gens productifs mais pas trop de routes qui permettraient de fuir ou de réseaux de communication qui permettraient de s'organiser. En démocratie par contre on retrouve typiquement des biens publics pour tous qui vont de la liberté à plein de "droits à", parce que ces services sont considérés comme essentiels par la majorité des électeurs ce qui implique qu'il est nécessaire de les promettre pour être élu et de continuer à les procurer pour être réélu.
  • La corruption. Faire des lois contre la corruption là où elle est endémique est contre productif puisque tout le monde est nécessairement corrompu, donc ça ne fait que donner des armes au dirigeant qui décidera qui peut l'être impunément (la coalition) ou pas (l'opposition). Il vaut donc mieux changer le système pour qu'il y ait moins d'incitation à être corrompu ce qui peut être fait d'après les auteurs en augmentant autant que possible le nombre d'essentials qui auront chacun moins de pouvoir, donc moins de tentation, et se surveilleront entre eux.
  • L'aide au développement. Les aides sont un miroir aux alouettes, elles sont toujours détournées par le gouvernement local qui décide exactement ce qui va où, et généralement très peu va à l'objectif initialement visé. Les agences sont impuissantes à contrôler ça et d'ailleurs se gavent aussi au passage. Les gouvernements des pays riches utilisent les aides comme des moyens de pression pour faire adopter telle ou telle politique qu'ils estiment préférables comme "combattre le communisme" ou "fournir du pétrole pas cher", avec en démocratie la bénédiction des électeurs. Le dirigeant local de son côté n'est pas con et fait jouer les enchères par exemple entre les États-Unis et l'URSS pour avoir toujours plus de pognon.
  • La guerre. Pour les dictatures la guerre se passe comme décrit par Sun Tzu, il faut privilégier des campagnes courtes où on pille tant qu'on peut et la défaite n'est pas très grave tant que ça ne touche pas les essentials. Pour les démocraties c'est différent, perdre une guerre a des conséquences catastrophiques pour le dirigeant. Les démocraties ont donc tendance à investir beaucoup plus de ressources dans les guerres et à se battre jusqu'au bout, ce qui explique qu'elles ont un bon track-record de victoire contre les dictatures. Les démocraties vont également ne vouloir entrer en guerre que quand elles sont raisonnablement certaines de gagner, donc contre des pays petits et/ou pauvres et/ou des dictatures, ce qui explique le mythe de l'absence de guerre entre démocraties. Au final la guerre est bien la continuation de la politique par d'autres moyens, le moyen précédent pour les démocraties étant d'offrir des aides contre des concessions politiques comme on l'a vu au dessus. En particulier ça ne pose absolument aucun problème de remplacer un dirigeant plus démocrate par le pire des dictateurs à condition que le dictateur soit plus conciliant. L'important est avant tout d'être réélu.

 

Le reste du livre est dédié à des conseils pour améliorer la situation d'un pays en prenant en compte les règles décrites précédemment. Le principal moyen d'agir suggéré est un système qui conditionnerait l'annulation de dettes et les aides à des contreparties. Concrètement une somme d'argent serait bloquée sur un compte pour être reversée au dirigeant uniquement après qu'il aura mis en place les réformes voulues. Les dirigeants qui ne sont pas prêts à s'engager de cette manière ne devraient pas être sauvés du risque de faire faillite qui les incitera à enclencher eux-mêmes des réformes libérales pour enrichir le pays et sauver leur peau, ou finira par déclencher des révoltes et les renverser. Ensuite il faut s'attaquer aux causes du problèmes et pas aux conséquences. On a vu que la corruption est une conséquence et que s'y attaquer ne fait que servir le dirigeant en place, de même pour la pauvreté (les dictatures avec le plus de ressources sont les pires) ou l'absence d'élection (en forçant des élections on ne fait qu'obtenir des résultats à la soviétique). Quelles sont alors les vraies causes ? C'est résumé par les toutes dernières phrases du livre :

 

Une chose qui m'a moyennement convaincu est la comparaison récurrente au cours du texte entre un gouvernement et la direction d'une entreprise privée, qui est sans doute valable dans certains cas mais je ne suis pas certain de l'équivalence morale qui aboutirait logiquement à défendre une sorte de modèle d'entreprise démocratique.
Plus profondément, j'ai l'impression en lisant des passages comme le dernier paragraphe cité qu'ils passent à côté de beaucoup de nuance sur les phénomènes autoritaires qui peuvent avoir lieu en démocratie. Est-ce qu'on doit par exemple considérer que les confinements pour le covid sont une bonne chose dès lors qu'ils ont eu lieu dans des démocraties et que la majorité des gens les ont trouvé acceptables ? Doit-on défendre un régime de référendum permanent ? Il me semble qu'il y a là une sorte de démocratisme naïf. Je peux imaginer les auteurs me répondre que je pleure la bouche pleine et que, dans leur grille de lecture qui inclut la Corée du Nord, la différence entre la France et mon utopie est négligeable. Je comprends bien mais c'est une différence importante pour moi et je préfèrerais avoir des outils d'analyse qui me permettent de la prendre en compte.

J'hésitais à l'acheter mais tu m'as convaincu, est ce qu'il y a des exemples historiques comme dans Why nations fail ? Et oui, le défaut de bien des ouvrages de ce genre est de balancer une thèse simple mais intéressante qui oblige à écraser un peu les nuances, et notamment de retrouver la dichotomie naïve entre démocratie et dictature (souvent les auteurs ne pensent pas que les phénomènes qu'ils décrivent dans les dictatures s’appliquent aussi dans les démocraties modernes) , ou alors que les démocraties modernes sont en quelque sorte un aboutissement logique ou en tout cas achevé d'un processus historique. Typiquement, dans un état moderne l'électeur lambda n'a aucune influence sur la politique générale du pays, ce qui n'est pas le cas dans une cité État ou un confédération (ils parlent de la loi d'airain de l'oligarchie?). Et sinon ça parle des mécanismes/stratégies de limitation du pouvoir ou pas?

 

Enfin je me permettrais de citer ta pertinente remarque (pour le relaye aux lecteurs du forum) :

Le 19/03/2022 à 20:11, Lancelot a dit :

d'ailleurs je me demande depuis un petit moment si ça ne vaudrait pas le coup de créer un "club de lecture" juste pour regrouper les résumés de bouquins qui pour l'instant sont dispersés un peu partout sur le forum

 

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48 minutes ago, Pelerin Dumont said:

J'hésitais à l'acheter mais tu m'as convaincu, est ce qu'il y a des exemples historiques comme dans Why nations fail ?

Oui plein (~75% du bouquin).

 

48 minutes ago, Pelerin Dumont said:

Et oui, le défaut de bien des ouvrages de ce genre est de balancer une thèse simple mais intéressante qui oblige à écraser un peu les nuances, et notamment de retrouver la dichotomie naïve entre démocratie et dictature (souvent les auteurs ne pensent pas que les phénomènes qu'ils décrivent dans les dictatures s’appliquent aussi dans les démocraties modernes)

À la décharge des auteurs ils précisent bien que c'est un abus de langage pour résumer plusieurs dimensions continues.

 

48 minutes ago, Pelerin Dumont said:

ou alors que les démocraties modernes sont en quelque sorte un aboutissement logique ou en tout cas achevé d'un processus historique.

Pour le coup c'est une très bonne critique. D'ailleurs ils parlent beaucoup de la transition dictature => démocratie mais l'inverse semble inconcevable de leur point de vue.

Dans le passage que je cite : "sooner or later every society will cross the divide between small-coalition, large-selectorate misery to a large coalition that is a large proportion of the selectorate - and peace and plenty will ensue".

 

48 minutes ago, Pelerin Dumont said:

(ils parlent de la loi d'airain de l'oligarchie?). Et sinon ça parle des mécanismes/stratégies de limitation du pouvoir ou pas?

Non et non. De leur point de vue la balance et pouvoirs et tout ça c'est surtout des épiphénomènes par rapport aux lois plus fondamentales qu'ils observent.

 

48 minutes ago, Pelerin Dumont said:

Enfin je me permettrais de citer ta pertinente remarque (pour le relaye aux lecteurs du forum)

J'ai eu la flemme oui. Mais pour le coup ça pourrait être un club non mort-né :lol:

  • Yea 1
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  • 1 month later...

J'ai fini ma propre lecture de the Dictator Handbook, voici mes remarques :

Je trouve leur vision trop terre à terre : le leader doit s'appuyer sur des essentials, et récompenser leur fidélité avec des rémunérations et des postes, les mettre en concurrence avec un large pool d'influentials potentiels et faire quand même un peu attention au nominal selectorate pour ne pas se manger une révolte . Il gagne de l'argent via les taxes, l'aide internationale (vente de politiques) ou la vente de ressources naturelles, ses conditions d'obtention des ressources conditionnera le plus grand contrôle politique sur la société (et donc les plus ou moins grandes libertés accordées au peuple). Il peut dépenser pour le bien du peuple mais seulement après avoir dûment monnayé ses soutiens cruciaux et il vaut mieux dans tous les cas dépendre de peu de personnes, et remplacer ses essentials régulièrement.

En fait c'est davantage de la description que de la théorie, on pourrait déduire leur leçons de la biographie d'un général talentueux qui parvient au sommet du pouvoir (typiquement un empereur romain) comme Alexis Komnenos, Auguste ou Barberousse. Les deux auteurs font fi des théories qui légitiment le pouvoir comme la souveraineté (divine ou populaire), les fictions et les croyances, qui suscitent autant l’adhésion au pouvoir que les récompenses financières (autrement dit : on peut acheter ses soutiens avec d'autres moyens que le simple argent). Tout ce qui touche au caractère magique et sacré du pouvoir est ainsi éclipsé, mais dans ce cas pourquoi les leaders de tout temps ont cherché à asseoir leur domination par des fictions légitimant à posteriori; à se rattacher aux anciennes élites (Ptolémée qui vole le cadavre d'Alexandre et se prétend son frère, qui se fait nommer pharaon et se marie avec ses sœurs à l’égyptienne) ?

Ensuite, comment expliquer les cas de dualité au pouvoir Shogun/Empereur , sultan/calife, roi/maire du palais, à savoir une fonction symbolique (religieuse) et une fonction officieuse (le pouvoir derrière le trône), si l'aspect sacré/légitime du pouvoir n'avait aucun intérêt, qu'il suffisait d'acheter les soutiens d'essentials par de la monnaie sonnante et trébuchante pourquoi s'encombrer d'une figure symbolique qui constitue malgré tout un obstacle à son propre pouvoir (potentiellement un usurpateur) . On remarquera de plus que ces figurations ne sont pas seulement transitoires, et peuvent durer des siècles.

Je trouve aussi un peu agaçant leur côté Edgy/rebelle "anticonformistes qui ne pensent pas comme les autres" (ça fait un peu adolescent attardé), ils se disent pragmatiques et les yeux rivés sur les faits mais a final j'ai l'impression d'un manque d'approfondissement, de richesse d'analyse à force de trop se perdre dans des exemples? Plus précisément, je trouve douteux les louanges bizarres et malvenues des dictateurs et de leur brutalités  : leurs régimes, fondés sur la force brute, sont simples à conserver et diriger tandis que parvenir au pouvoir demande plus de finesse dans le régime démocratique/parlementaire car les règles du jeu sont plus complexes.

Ainsi les institutions jouent un rôle : Être un bon roi!= être un bon tyran!= être un bon président, quoique les auteurs en disent (à savoir que leur critère unique est la conservation du pouvoir).

Si je pose cette question : préférez vous régner 50 ans sur une dictature du tiers monde et laisser le souvenir d'un brute sanguinaire ou diriger les États-Unis pour seulement 8 ans et devenir un leader populaire/qui laisse une trace positive? Qui doutera de la réponse choisie ? Qui disposera du plus de ressources ou de prestige ? Qui aura accompli le plus en tant que prince ? Se souvient-on plus de Richard Cœur de Lion, Harold Godwinson, Baudouin IV le Lépreux, Phillipe le Beau ou de Bernard VII, Guillaume IV de Henneberg-Schleusingen ou Henri XI Reuss-Greiz ? Pourtant les second ont connu des règnes incomparablement plus longs que les premiers. (vous me direz que ce n'est pas comparable, très bien prenons Louis VII, Henri III Plantagenet , Constantin VIII, George III, Ferdinand Ier des Deux-Siciles, on ne peut guère les qualifier de bons princes mais ils ont  chacun régné plus de cinquante ans).


Ensuite, ils partent du point de vue du leader mais les penseurs politiques dont ils moquent le manque de réalisme (Machiavel, Montesquieu, Hobbes..) s'en foutent de rester au pouvoir, ils veulent optimiser les libertés et la vie des citoyens, pas du monarque (au contraire pour des princes à mandat court et limité est recherché) donc clasher Montesquieu et compagnie est un gigantesque coup d'épée dans l'eau : ils ont mal compris les visées de ces auteurs (ce dont pourtant ils prennent bien garde de prévenir le lecteur dans l'intro ), il y a aussi une critique infondée sur le manque de données (Montesquieu a justement fait des travaux sur l'histoire médiévale pour augmenter le matériel historique à sa disposition)


Enfin, les auteurs souffrent du syndrome de celui qui a découvert une théorie géniale et cherchent à l'appliquer dans tous les domaines, même là où ce n'est à priori pas pertinent : ainsi la comparaison entreprise-pouvoir me semble mal fondée, je veux bien croire que le fonctionnement d'une grande entreprise se rapproche plus de la politique que d'autres mais  dire "les actionnaires n'ont aucun pouvoir de décision à cause de leur extrême dispersion et parce qu'ils ne sont pas au board" c'est juste étaler son inculture économique au grand jour :  le contrôle du Marché >>>>> contrôle des citoyens, par exemple Henri Lepage montre bien que la dispersion de l'actionnariat n'empêche pas un contrôle/capacité de sanctions via des OPA,  et un marche boursier qui sanctionne plus efficacement mauvaise gestion que les institutions démocratiques (ou dictatoriales), car vendre ses actions est bien plus simple et sûr que "voter avec ses pieds" (surtout si on est dans un régime autoritaire). En entreprise, ta mauvaise gestion t'impacte plus directement qu'en tant que leader, elle est directement corrélée à ta survie : bonne performances économique = rester au pouvoir, même si tu te fais virer pour d'autres raisons, tu retrouveras du boulot ailleurs, car la concurrence valorisera tes compétences de gestion, ici l’échec n'en est pas un (perdre son boulot n'est pas comparable à perdre le pouvoir).


Quelques remarques annexes : 
-se concentrer sur les leaders très bien, mais ne laisse t-on pas de coté les institutions au sens où l’État poursuit ses propres intérêts par delà les individus (i.e même si les cliques au Pouvoir changent toutes poursuivent le même objectif : renforcer l'emprise de l’état sur les individus)
-p236 ils nous expliquent que la Prusse de Bismarc a vaincu le Second Empire et l'empire d'Autriche car elle était plus démocratique ?? A un moment il faut admettre que la solution échappe à notre domaine d'expertise et trouve ses raisons principales dans la stratégie/tactique militaire. Je n'ai de plus pas l'impression que l'URSS et le troisième Reich se soient "retenus" et n'aient pas fait de guerre totale car c'étaient des régimes totalitaires.
-l'emploi de she/du féminin pour le neutre (a democratic leader, she...) fait un peu bizarre
  • Yea 3
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Il y a 2 heures, Pelerin Dumont a dit :

Tout ce qui touche au caractère magique et sacré du pouvoir est ainsi éclipsé, mais dans ce cas pourquoi les leaders de tout temps ont cherché à asseoir leur domination par des fictions légitimant à posteriori; à se rattacher aux anciennes élites (Ptolémée qui vole le cadavre d'Alexandre et se prétend son frère, qui se fait nommer pharaon et se marie avec ses sœurs à l’égyptienne) ?

Parce que la croyance (au sens le plus large) est le moyen le moins cher d'acheter les gens.

 

Pour le reste, je plussoie. :)

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Il y a 4 heures, Pelerin Dumont a dit :

Tout ce qui touche au caractère magique et sacré du pouvoir est ainsi éclipsé, mais dans ce cas pourquoi les leaders de tout temps ont cherché à asseoir leur domination par des fictions légitimant à posteriori; à se rattacher aux anciennes élites (Ptolémée qui vole le cadavre d'Alexandre et se prétend son frère, qui se fait nommer pharaon et se marie avec ses sœurs à l’égyptienne) ?

Je me demande si ce désir de transcendance n'est pas juste une narration "améliorée", mais simplement poussée à l'extrême.

Le désir de s'auto-duper étant une bonne partie de la motivation.

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6 hours ago, Pelerin Dumont said:

on peut acheter ses soutiens avec d'autres moyens que le simple argent

C'est vrai qu'on pourrait leur demander si selon eux de tels moyens existent, ou si tout revient in fine au pognon et à la (menace de) violence.

 

6 hours ago, Pelerin Dumont said:

Ensuite, comment expliquer les cas de dualité au pouvoir Shogun/Empereur , sultan/calife, roi/maire du palais, à savoir une fonction symbolique (religieuse) et une fonction officieuse (le pouvoir derrière le trône), si l'aspect sacré/légitime du pouvoir n'avait aucun intérêt, qu'il suffisait d'acheter les soutiens d'essentials par de la monnaie sonnante et trébuchante pourquoi s'encombrer d'une figure symbolique qui constitue malgré tout un obstacle à son propre pouvoir (potentiellement un usurpateur) . On remarquera de plus que ces figurations ne sont pas seulement transitoires, et peuvent durer des siècles.

Une figure de proue symbolique ça peut être un bon fusible à faire péter au besoin, ou un essential qui a trop de pouvoir pour qu'on puisse s'en débarrasser impunément, ou un moyen de faire pression sur les concurrents.

 

6 hours ago, Pelerin Dumont said:

Ainsi les institutions jouent un rôle : Être un bon roi!= être un bon tyran!= être un bon président, quoique les auteurs en disent (à savoir que leur critère unique est la conservation du pouvoir).

Ils disent exactement l'inverse, que l'obtention et le maintien du pouvoir en démocratie et en dictature sont différents parce qu'il y a une distribution différente du selectorate. Par contre être un "bon dirigeant" de manière générale c'est survivre, rester au pouvoir le plus longtemps possible, et se faire un max de pognon au passage. Ce que les gens penseront de toi dans 50 ou 100 ans c'est une préoccupation qui arrive plus tard dans leur pyramide de Maslow (et quand ils la favorisent en négligeant le reste ça se passe mal pour eux).

 

6 hours ago, Pelerin Dumont said:

Ensuite, ils partent du point de vue du leader mais les penseurs politiques dont ils moquent le manque de réalisme (Machiavel, Montesquieu, Hobbes..) s'en foutent de rester au pouvoir

Et c'est une raison suffisante pour être à côté de la plaque selon Mesquita et al.

 

6 hours ago, Pelerin Dumont said:

Enfin, les auteurs souffrent du syndrome de celui qui a découvert une théorie géniale et cherchent à l'appliquer dans tous les domaines

Pour le coup oui. Et en général je suis d'accord sur beaucoup de tes points mais je trouve que tu charges un peu trop vite :mrgreen:

 

6 hours ago, Pelerin Dumont said:

-l'emploi de she/du féminin pour le neutre (a democratic leader, she...) fait un peu bizarre

Bienvenue dans l'écriture académique (post)moderne.

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il y a 46 minutes, Lancelot a dit :

C'est vrai qu'on pourrait leur demander si selon eux de tels moyens existent, ou si tout revient in fine au pognon et à la (menace de) violence.

"Money, Ideology, Constraint, Ego" comme on dit. Et comme l'ego c'est compliqué pour faire un truc de masse, il reste la croyance en des idées, comme je le disais plus haut.

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Il y a 22 heures, Pelerin Dumont a dit :

 


Je trouve aussi un peu agaçant leur côté Edgy/rebelle "anticonformistes qui ne pensent pas comme les autres" (ça fait un peu adolescent attardé), ils se disent pragmatiques et les yeux rivés sur les faits 

Ca fait parti du marketing. tu n'en aurais peut être pas entendu parler sans ca

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