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Lecture juridique stimulante : "Law and Morality" de Leon Petrazycki


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Leon Petrazycki est un théoricien du droit méconnu en France, mais jouissant d'une assez forte popularité en Italie (Fittipaldi, Lorenzo Passerini Glazel), en Pologne (d'où il est originaire) et outre-atlantique (Massachusetts avec le pr. Trevino). Son approche du droit est une approche a la fois sociologique et (surtout) psychologique.

 

C'est en lisant récemment les livres de Jack Lloyd que l'idée m'est venue de vous parler de cet auteur qui peut, à bien des égards, permettre à la théorie juridique libérale / libertarienne, de prendre un petit coup de fraicheur. Lloyd évoque en substance, l'idée que le droit de propriété est un objet de la conscience, une projection d'un certain état de choses, aboutissant à une détermination de la qualité de propriétaire et de ses attributs. La théorie de Petrazycki, du début du XXe siècle, part exactement de cette idée.

 

J'en ferai ici un très bref et réducteur résumé. Je passe donc volontairement à côté de la sophistication de sa théorie. J'invite ceux qui sont intéressés à aller plus loin. L'ouvrage, en anglais, est facilement compréhensible.

 

Deux points seront rapidement évoqués: sa théorie des relations légales (I) et sa théorie du droit intuitif (II)

 

I) Pour l'auteur russo-polonais, les droits et les obligations sont des projections impulsives éthiques, existant dans l'esprit de la personne qui expérimente ou subit les projections. Le droit est donc principalement un phénomène psychologique, qui se loge dans la conscience des individus. C'est sur la base de ces impulsions éthiques, que le sujet de droit va projeter des qualités aux individus, sur la base d'une relation "impérative-attributive" ou X a un droit et B, une obligation. Ce type de projection est propre à chaque individu, ce qui fait que le droit est d'abord et avant tout une expérience individuelle.

 

II) Un autre aspect de sa théorie que je présenterai succintement et son opposition entre le droit positif, qu'il qualifie comme un droit où une référence à une autorité extérieure (ou à un fait normatif) existe (ce qui touche au droit officiel comme non officiel : la famille par exemple) et le droit intuitif (certains auront pensé au droit spontané hayekien) qui se développe sans référence à une autorité extérieure, et qui est proprement un objet de la conscience humaine. Le droit intuitif a quatre caractéristiques: 1) Le caractère du droit intuitif varie avec chaque individu. Son contenu est défini par les conditions individuelles de chaque personne (p. 225). 2) Les directives du droit intuitif sont conformes aux circonstances spécifiques, propres à chacun. 3) Le droit intuitif est variable, adaptable, spontané, de facto et inégalitaire (p.226). 4) N'étant pas lié par des faits normatifs (comme la loi), il est d'application illimitée et possède une portée infinie (p.228). Le droit intuitif permet de questionner la conformité des lois positives. In fine, le droit intuitif est à la base de l'ordre juridique et joue un rôle important dans la conduite individuelle. Enfin, son domaine d'action est celui des relations dans lesquelles un certain bien ou mal doit être causé à autrui ou certains avantages ou maux, doivent être répartis entre les sujets (p.230).

 

C'est un auteur que j'avais abondamment utilisé dans mon mémoire de M2 en théorie du droit.

 

Je suis convaincu que, sur la base de sa distinction droit positif/droit intuitif, certains pans de la théorie juridique libérale / libertarienne, peuvent être renouvellés, comme le droit spontané chez Hayek par exemple.

 

Sa thèse mériterai aussi d'être repensé, notamment sur l'aspect psychologique (EMT, 4E etc), mais elle a le mérite d'apporter un vent de fraîcheur, tant pour la théorie du droit en général que pour les réflexions sur les théories libérales.

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11 hours ago, Libéralix said:

Lloyd évoque en substance, l'idée que le droit de propriété est un objet de la conscience, une projection d'un certain état de choses, aboutissant à une détermination de la qualité de propriétaire et de ses attributs. La théorie de Petrazycki, du début du XXe siècle, part exactement de cette idée.

[...]

les droits et les obligations sont des projections impulsives éthiques, existant dans l'esprit de la personne qui expérimente ou subit les projections. Le droit est donc principalement un phénomène psychologique, qui se loge dans la conscience des individus. C'est sur la base de ces impulsions éthiques, que le sujet de droit va projeter des qualités aux individus, sur la base d'une relation "impérative-attributive" ou X a un droit et B, une obligation. Ce type de projection est propre à chaque individu, ce qui fait que le droit est d'abord et avant tout une expérience individuelle.

Dans cette optique, qu'est-ce qui différencie le domaine du droit de celui des opinions ? Dit autrement, n'importe qui peut avoir des tas d'opinions sur comment tout et n'importe quoi devrait se passer, mais par quel phénomène certaines de ces opinions sont ou deviennent du droit et d'autres non ?

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Les opinions deviennent du droit dès lors que celles-ci projettent de impulsions éthiques. Sur la base d'une opinion, telle que celle par exemple, qui dirait que la fiscalité est trop élevée, je projette une impulsion impérative-attributive (qui est pour Petrazycki la définition même du droit), du type : le Gouvernement ne devrait pas taxer autant le travail. De mon opinion, j'y fais découler un commandement impératif qui vise l'État (ici, ne pas taxer). Autre exemple, je peux estimer, sur la base d'une opinion, que je devrais pouvoir dire tout ce qu'il me plaît. De cette opinion, j'en fais découler une relation impérative - attributive du type : "le Gouvernement devrait tolérer une liberté d'expression maximale" ou "il faut abroger les lois liberticides en la matière". Je suis bel est bien en présence d'une relation juridique où l'État doit tolérer un agissement (impératif) en nous laissant nous exprimer librement (attributif).

Tant que nous ne faisons pas référence à un fait normatif (la loi, la Constitution, une décision de justice, un livre religieux, etc), on reste dans un droit intuitif qui, de par sa nature même, est propre à chacun.

Pour autant, si le droit intuitif est propre à chacun, il n'est pas impossible qu'il soit partagé par une communauté, un groupe etc.

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Donc toute opinion avec un aspect touchant à l'éthique rentre dans le "droit intuitif". Genre "je pense que c'est de mauvais goût de porter des chaussettes vertes", ou "on doit écrire 'au temps pour moi' et pas 'autant pour moi'", ou "c'est malpoli de mettre ses coudes sur la table" ?

Pour moi ça rend la catégorie trop large pour être réellement intéressante par rapport à juste "opinion normative", et trop large pour prétendre l'utiliser pour juger le droit positif (puisque ça comprend tout et son contraire selon la personne qui émet l'opinion). Plus intéressante serait la question de comment et pourquoi certaines opinion passent du droit intuitif au droit positif.

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Il faut comprendre que la théorie de Petrazycki est une théorie panjuridique. Elle dépasse le réductionnisme (qu'il soit positiviste ou non) pour observer le droit partout où il peut se trouver (comme les règles d'un jeu par exemple).

 

La classe de l’éthique (au sens qui lui est attribué par l’auteur) englobe la totalité des obligations qui s’imposent à l’homme (par un processus complexe du psychisme individuel) dans ses relations avec ses semblables et le monde. Alors que l’obligation morale apparaît comme un impératif pur dont l’individu peut se soustraire sans que l’autre ne soit lésé, le droit présente une puissance d’obligations autrement importante. En effet, ce qui distingue le droit de la morale, c’est son double caractère qui est à la fois impératif et attributif. Il ne s’agit pas d’une obligation libre, mais d’une obligation qui est rattachée par la puissance particulière à l’autre partie, qui de ce fait dispose de contraintes.

 

De plus, Petrazycki considère que le nombre de situations et de comportements qui sont réglementés par les dispositions de normes officielles est microscopique par rapport au nombre gigantesque de situations et comportements qui sont soumis au droit intuitif. Ce droit s’impose dans tous les domaines qui échappent aux compétences de l’État, mais aussi ceux envers lesquels l’État est hostile, et même qu’il combat comme contraire au droit officiel étatique.

 

Une opinion passe du droit intuitif au droit positif dès lors qu'il y a une référence à un "fait normatif" (au sens de l'auteur). Ce fait normatif peut être une loi (droit positif officiel) ou une décision d'un parent (droit positif non officiel). Si un enfant se demande s'il peut faire telle ou telle chose, il va le faire en se basant sur le risque d'une décision de ses parents, donc sur du droit positif. Il va projetter dans sa situation, une relation juridique impérative - attributive (avec la possibilité de faire ; l'obligation de ne pas faire; le risque de subir un mal, etc.)

 

Il faut bien comprendre que les concepts de Petrazycki n'ont rien à  voir (ou presque), avec ce que l'on a l'habitude de comprendre. Le droit positif dépasse ainsi largement l'État mais, il y a droit positif dès lors qu'il y a une référence à une autorité extérieure (la coutume des anciens; un livre religieux; une décision de justice; une sentence arbitrale etc).

 

Mais, juger le droit positif se fait nécessairement sur des options subjectives. Le droit naturel (tel qu'il est entendu chez les libéraux) n'existe pas en dehors de la conscience de ceux qui en parlent. Il n'est qu'un fantasme à l'aune duquel on juge le droit positif. Et sur la base de telle projection, on établi des obligations impératives - attributives, sur ce que devrait faire l'État ou n'aurait pas le droit de faire; sur ce que devrait faire les individus et ce que les autres devraient tolérer etc.

 

Voici un lien qui vous permettra d'avoir une première approche de l'auteur, avant (peut être) de s'attaquer au livre:

 

https://books.openedition.org/pupo/2695?lang=fr

 

 

 

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