Aller au contenu

Vive Le Modèle Européen!


Invité Lafronde

Messages recommandés

Invité Lafronde
Posté

Jeremy Rifkin, entretien avec Le Point

Europe

Jeremy Rifkin : Vive le modèle européen !

entretien Depuis « La fin du travail » en 1995, chaque ouvrage de Jeremy Rifkin suscite le débat. Avec « Le rêve européen » (Fayard), son nouvel essai, cet Américain va encore faire grincer les dents des europessimistes. Car, à son sens, l'avenir est du côté du Vieux Continent

Propos recueillis par Emmanuel Saint-Martin

Il est un peu le Woody Allen de l'économie : il est 100 % américain mais son audience est avant tout européenne. En 1995, avec « La fin du travail », il est devenu l'une des références intellectuelles des promoteurs de la semaine de 35 heures. Il a aussi prédit l'avènement de « L'économie de l'hydrogène », qui succédera au règne des hydrocarbures. L'idée faisait sourire aux Etats-Unis… avant que le baril atteigne 60 dollars ! Un temps conseiller de Romano Prodi, l'ancien président de la Commission européenne, Rifkin a aussi inspiré le combat européen contre les OGM (organismes génétiquement modifiés). En ces temps d'europessimisme, son « Rêve européen » (Fayard) a déjà provoqué de vigoureux débats, notamment en Allemagne, où l'ouvrage est sorti l'été dernier. Il y fait d'abord une analyse comparée des rêves américain et européen, pour en conclure que le premier est en crise et le second plein de promesses. Et administrer la preuve qu'on peut être altermondialiste et croire avec ferveur à la construction européenne.

Le Point : Ainsi, il faut qu'un penseur américain vienne nous dire, à nous Européens, que nous avons un rêve…

Jeremy Rifkin : Si cette idée venait à des Européens, ils s'empresseraient de tuer le rêve au cours de débats sans fin, menés évidemment par les Français ! Depuis trente ans que je passe ma vie à la fois en Europe et aux Etats-Unis, j'ai longtemps pensé que, Européens et Américains, nous étions d'accord sur les choses fondamentales. C'est faux. En fait, nous sommes deux membres de la même famille qui se sont séparés il y a deux cents ans. Nous avons deux façons très différentes de voir le monde. Le rêve américain, c'est un pays dur, mais beaucoup d'opportunités. Chacun est responsable de sa vie. Point. Le rêve européen fait passer les relations communautaires avant l'autonomie individuelle, la diversité culturelle avant l'assimilation, la qualité de vie avant l'accumulation de richesses, le développement durable avant la croissance matérielle illimitée, l'épanouissement personnel avant le labeur acharné, les droits universels de l'homme avant les droits de propriété. :icon_up:

Vous décrivez la mort lente du rêve américain. Mais il y a de votre côté de l'Atlantique un enthousiasme, un optimisme qui n'existent pas ici, en Europe, laquelle semble coincée dans ses frilosités, son pessimisme, comme l'illustre le débat sur la Constitution de l'Union…

Il y a beaucoup de malentendus sur ce qu'est l'Europe, y compris en Europe, qui nourrissent l'euroscepticisme. La vérité, c'est que les Américains ne parlent que de leurs succès tandis que les Européens ne parlent que de leurs échecs. Le résultat des autocritiques européennes, c'est que tous les Américains ne voient en Europe que préjugés antimarché, rigidités du marché du travail, travailleurs surprotégés, population vieillissante, bureaucratie, système social fou.

Ont-ils vraiment tort ?

Oui. En 2003, le PIB de l'Union européenne était plus élevé que celui des Etats-Unis. Quelle est la première puissance exportatrice ? L'Union européenne. Le plus grand marché intérieur ? L'Europe. Parmi les 140 plus grandes entreprises du monde, 61 sont européennes, 50 sont américaines. Vous menez dans l'aérospatiale, dans l'industrie chimique, la construction, l'ingénierie.

Mais, avec un chômage près du double de celui des Etats-Unis, une croissance atone, le sort de l'Europe est-il vraiment enviable ?

Vos programmes sociaux doivent être revus. Il faut réformer, mais pas détruire. Et, de toute façon, la croissance américaine est entièrement construite sur l'endettement. Plus de 1,5 million d'Américains sont déclarés en faillite personnelle chaque année ! Quant au chômage, même au temps du « plein-emploi » sous Clinton, les études montraient que son taux réel aux Etats-Unis était d'environ 9 %. C'est exactement la moyenne de l'Union européenne.

Vous êtes le théoricien de la diminution du temps de travail. Le grand projet européen est-il de bâtir un immense parc de loisirs ou une maison de retraite continentale ?

Les 35 heures en France ont créé 250 000 emplois. Il est absurde de lier les 35 heures à la hausse du chômage. C'est le progrès technologique, la hausse de la productivité qui détruisent des emplois. Nous avons éliminé 15 % des emplois de l'industrie dans le monde ces sept dernières années. Le travailleur le meilleur marché du monde est encore plus cher que les nouvelles technologies qui permettent de le remplacer. Il faut accroître votre productivité pour pouvoir vous offrir la baisse du temps de travail. Le problème de la France, ces deux dernières années, c'est que sa productivité n'augmente plus suffisamment.

Vous décrivez l'Europe comme la nouvelle « terre de toutes les opportunités ». Mais avec une forte aversion pour le risque, une foi moins grande dans le travail, comment espérer réussir ?

Les Etats-Unis sont la terre de la réussite individuelle… en théorie. Mais le modèle est en crise. La moitié de mes concitoyens disent ne plus croire au rêve américain. Ils voient bien qu'il n'est plus adapté, mais ils ne veulent pas en parler. Dans le monde globalisé qui est le nôtre, l'individualisme à l'américaine n'est pas viable. La propriété ne met pas à l'abri de tout. J'ai écrit ce livre pour dire aux Américains : n'ayez pas peur ! Nos amis européens ont un nouveau rêve, complètement différent du nôtre. Si on regardait ce qu'ils font, il serait possible d'apprendre quelque chose de l'Europe.

Et nous, qu'avons-nous à apprendre des Américains ?

Plus de responsabilité individuelle. La culture paternaliste de l'Europe est là un réel obstacle. L'alternative crédible à l'individualisme américain n'est pas « j'attends tout de quelqu'un d'autre », mais plutôt « comment collaborons-nous tous ensemble et comment nous sentons-nous chacun personnellement responsable de la vie d'autrui ?».

Parmi les différences majeures entre les deux sociétés, vous citez la religiosité, très forte aux Etats-Unis, alors que l'Europe est totalement sécularisée. N'est-ce pas justement pour cela que le « désenchantement du monde » crée en Europe une crise d'identité à laquelle les Etats-Unis semblent échapper ?

Il est certain que la religiosité américaine nourrit l'optimisme. Avoir la conviction d'être le peuple élu vous prépare à déplacer des montagnes. La question pour l'Europe est effectivement : comment développer l'optimisme sans cette religiosité ? Et donc : qu'est-ce qui unit les Européens entre eux ? Pour y répondre, il faut regarder l'Histoire. Au Moyen Age, quelle était la condition humaine ? « Nous sommes tous des pêcheurs. » Quel était le rêve ? Le salut par le Christ dans l'autre monde. Le ciment social ? La foi. Les moyens ? La structure féodale de la société et l'Eglise catholique. Les Lumières ont tout changé et à l'époque moderne nous ne sommes plus pécheurs, nous sommes matérialistes. Le rêve est le progrès. Le ciment social, la raison. Les moyens, droit de propriété et nationalisme.

Et, selon vous, c'est ce matérialisme qui est en crise aux Etats-Unis et l'Europe lui aurait trouvé une alternative…

Ce monde-là est en effet finissant. L'économie mondialisée crée une ère nouvelle. Dans ce monde interdépendant, la condition universelle est la vulnérabilité. Imaginez comme il est désagréable pour un Américain de se sentir vulnérable. C'est plus facile pour un Européen, inclus dans un réseau relationnel plus riche ! Le rêve est une conscience globale. Le ciment social, c'est l'empathie. Eprouver de l'empathie, c'est s'identifier à ce qui fait l'essence même d'autrui. L'histoire de l'évolution est celle d'une extension progressive de l'empathie. Le moyen : les droits de l'homme universels, que vous déclinez en droits de l'enfant, de la femme, des minorités, etc. Les droits de l'homme universels, et la justice internationale qui en découle, sont la codification de l'empathie, tout comme le droit de propriété était la codification du rationalisme individualiste et le catholicisme, la codification de la foi.

Comment est-on citoyen dans ce monde globalisé ?

La Constitution européenne en débat est importante de ce point de vue, que les référendums soient un succès ou un échec : pour la première fois de l'Histoire, les droits humains universels dépassent la géographie. Jusque-là, toutes les déclarations, comme celles adoptées sans relâche par les Nations unies depuis soixante ans, étaient dépendantes des Etats-nations. Une nouvelle forme de citoyenneté est en gestation. Elle se réfère désormais à un ensemble de droits et de devoirs d'une société mondialisée. C'est là que l'Union européenne est réellement révolutionnaire. Evidemment, la question est : pourrez-vous atteindre cet objectif, ce rêve ? Je n'en sais rien. Tout dépendra de l'engagement des jeunes Européens d'aujourd'hui, de ces générations Erasmus [NDLR : programme de l'Union européenne qui permet aux étudiants de faire une partie de leurs études dans d'autres pays] auxquelles j'ai dédié ce livre. Certes, ils sont l'élite. Mais les révolutions ont toujours été menées par l'élite.

Jeremy Rifkin

Né en 1943 dans le Colorado. Professeur à l'université de Pennsylvanie et président de la Foundation on the Economics Trends, à Washington, il est aussi consultant pour de nombreuses entreprises et organisations internationales.Auteur de 17 livres, dont :1995 : « La fin du travail » ;1998 : « Le siècle biotech » ;2000 : « L'âge de l'accès » 2002 : « L'économie hydrogène ».Les éditions La Découverte ont publié ces trois ouvrages.

« Le rêve européen », de Jeremy Rifkin, traduit de l'américain par Odile Demange (Fayard, 563 pages, 25 e).

© le point 31/03/05 - N°1698 - Page 108 - 1388 mots

Posté
Il est un peu le Woody Allen de l'économie

C'est-à-dire un auteur comique.

Il a aussi prédit l'avènement de « L'économie de l'hydrogène », qui succédera au règne des hydrocarbures.

:ninja: Qu'est-ce que c'est que ce que ça veut dire que ça?????

Mais quelle perspicacité, quand même, alors même que rien qu'en faisant cramer de l'hydrogène, on peut produire de l'énergie.

:icon_up::doigt:

Les économistes étatistes sont maintenant à l'originie des prouesses techniques, voilà qui est nouveau.

EDIT: en plus, son fameux livre visionnaire a été publié il y a deux ans. :warez::warez:

Posté
Depuis trente ans que je passe ma vie à la fois en Europe et aux Etats-Unis, j'ai longtemps pensé que, Européens et Américains, nous étions d'accord sur les choses fondamentales. C'est faux. En fait, nous sommes deux membres de la même famille qui se sont séparés il y a deux cents ans. Nous avons deux façons très différentes de voir le monde. Le rêve américain, c'est un pays dur, mais beaucoup d'opportunités.

En fait, la suite me dérange, mais j'aurai plutôt fait remarquer cela. On nous refait un mauvais remake de la guerre de civilisations à sauce franco(nombriliste)-américaine. Là, on nage dans le comble du préjugé de base.

Le rêve européen fait passer les relations communautaires avant l'autonomie individuelle, la qualité de vie avant l'accumulation de richesses, le développement durable avant la croissance matérielle illimitée, l'épanouissement personnel avant le labeur acharné

Blabla sans intérêt, des fois le réveur européen ferait bien d'aller sortir son nez dehors pour voir ce que les gens font, et non disent. (Ceci dit, on nage en plein préjugé, pas trop américanophile)

la diversité culturelle avant l'assimilation

Si on ne parle pas des politiques de l'Etat, je dois avoue que là, je suis à peut-près d'accord. L'assimilation est un terme que je ne supporte pas (au contraire d'intégration, en fait)

les droits universels de l'homme avant les droits de propriété.

C'est bien, tu as tout compris. On peut penser qu'il doit parler des seconde et troisième génération de Droits de l'Homme, en oubliant la premiére. Là, on est dans l'intoxication intellectuelle.

Bref, comme ça je saurai que je ne lirai pas l'article en question, et ça m'évitera d'envoyer valser le magazine par la fenêtre.

Posté

Cela confirme ce que je pensais. Toute personne qui parle de modèle s'apprête en fait à déverser tout un tas de poncifs éculés et de généralisations abusives qui n'apportent rien à personne.

Il n'y a qu'à lire le passage sur la génération Erasmus pour comprendre que Rifkin brosse les bobos (ses clients) dans le sens du poil. Alors que n'importe qui peut prendre l'avion pour Vilnius ou Londres pour quelques dizaines d'euros, Rifkin veut nous faire croire que ce sont les programmes échangistes de l'UE qui contribuent le plus au modèle européen.

C'est de la promotion de livre à l'état pur. Rifkin est mûr pour passer chez Ardisson. Il fera bonne figure à côté de Jack Lang et de Guy Bedos.

Posté
lors que n'importe qui peut prendre l'avion pour Vilnius ou Londres pour quelques dizaines d'euros, Rifkin veut nous faire croire que ce sont les programmes échangistes de l'UE qui contribuent le plus au modèle européen.

la compréhension mutuelle européenne par Fred Coppula

:icon_up:

Posté

Un article des Echos plein de dévotion, je trouve.

LE RÊVE EUROPÉEN

L'Europe, espoir d'un second siècle des Lumières

Un antidote à la sinistrose ambiante et à l'anti-américanisme primaire.

Il est des économistes qui suscitent une saine polémique. Jeremy Rifkin en fait sans conteste partie : au moment où les Européens s'affrontent sur l'avenir de l'Union et se lamentent sur ses limites, l'économiste américain nous assène une leçon d'espoir doublée d'une sévère mise en garde de ses concitoyens. En clair, le rêve américain tourne à l'égoïsme et à une boulimie de consommation « mortifère » [ce sont les politiques qui poussent à la consommation, ils n'ont que ce mot-là à la bouche "relance par la demande"!] alors qu'un nouveau rêve émerge sur ce Vieux Continent raillé par Donald Rumsfeld.

Le président de la Foundation on Economic Trends n'est pas un doux farfelu. S'il perçoit dans ce rêve européen « tout juste émergent » l'espoir d'une vie « nouvelle et audacieuse », plus compatible avec l'ère de la mondialisation, c'est pour s'être interrogé depuis des années sur les défis du monde du travail, de l'environnement, des percées scientifiques. Et qu'il espère de l'expérience européenne l'émergence d'un second « siècle des Lumières », permettant de prêter plus attention à « la qualité de la vie, à la durabilité, à la paix et à l'harmonie ».

Nouvelles voies

Il ne s'agit pas de mots creux. Au fil des chapitres le lecteur en découvrira la portée concrète vue par l'oeil aiguisé d'un expert américain, persuadé, par exemple, que le principe de précaution est « davantage qu'un garde-fou » s'il est utilisé avec prudence. Et s'inspire intelligemment de la théorie des systèmes, cette « démarche interdisciplinaire qui revient à examiner tous les effets éventuels d'un projet d'activité pour l'ensemble de la Terre ».

Mais s'il pense que, sur ce terrain, le Vieux Continent a pris une sérieuse longueur d'avance sur le Nouveau Monde, s'il rappelle aux incrédules que, en dépit de « son aspect pesant voire indigeste », le Traité constitutionnel qui déchaîne les passions en France est un « document sans précédent » de défense mondiale des nouveaux droits de l'homme, des droits encore parfois controversés aux Etats-Unis, il ne croit pas la partie gagnée. Loin de là.

La responsabilité individuelle reste le point fort de l'Amérique et le point faible de l'Europe. Le dynamisme américain tient à un optimisme sans faille même dans les période de crise. Alors que le scepticisme, voire le cynisme, continue de prévaloir chez les Européens, dont la productivité reste à la traîne. En d'autres termes, le rêve européen sombrera si les Européens ne se prennent pas en main pour le faire vivre.

Mais Jeremy Rifkin, encore pétri de cet esprit de pionnier qui a fait le succès des Etats-Unis, s'adresse surtout à son propre pays. Pour qu'il découvre ses propres faiblesses au travers de la quête, même tâtonnante, de nouvelles voies européennes. Et recherche une synthèse associant le meilleur « des deux rêves ».

Si les débats européens vous dépriment et que les horizons dessinés par l'Amérique vous inquiètent, ce livre constitue un excellent antidote à la sinistrose ambiante. Et une mine de réflexions aux antipodes de l'anti-américanisme primaire qui sert de prétexte à bien des immobilismes de ce côté-ci de l'Atlantique.

FRANÇOISE CROUÏGNEAU

Archivé

Ce sujet est désormais archivé et ne peut plus recevoir de nouvelles réponses.

×
×
  • Créer...