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A L'approche Du Vote, Un Texte De Hayek


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"Beaucoup de gens s'imaginent que si on laissait au "peuple" le pouvoir de décider, la solidarité d'intérêts entre les classes ouvrières des divers pays triompherait des divergences qui séparent les classes dirigeantes. Cette illusion a plus que tout autre chose contribué à faire croire à la possibilité d'une organisation internationale démocratique du planisme économique centralisé. En réalité, il y a toutes les raisons de croire que les conflits d'intérêts économiques qui se produisent à l'intérieur des nations prendraient un forme encore plus aigüe s'ils devenaient des conflits entre peuples, conflits qui ne pourraient se régler que par la force.Une autorité planifiante internationale aura incontestablement à s'occuper des inévitables conflits d'intérêt et d'opinion entre les classes ouvrières des différents pays et les terrains d'entente seront encore plus difficiles à trouver que lorsqu'il s'agit de conflits internes. Lorsque l'ouvrier d'un pays riche exige que la loi lui garantisse un salaire minimum pour être protégé contre la concurrence de son camarade d'un pays pauvre dont le salaire est plus bas, il ne fait rien d'autre que d'empêcher ce dernier d'essayer d'améliorer sa situation en travaillant plus pour compenser la situation qui le défavorise. Et l'ouvrier pauvre qui doit donner dix heures de son travail pour acheter ce que l'ouvrier d'un pays mieux équipé produit en cinq heures, est en droit de se considérer tout aussi exploité que par n'importe quel capitaliste.

il est à peu près certain que dans un système international planifié les nations les plus riches et plus puissantes deviendraient, dans une mesure beaucoup plus grande que sous le régime de l'économie libre, un objet de haine et d'envie pour les nations les plus pauvres. Ces dernières, à tort ou à raison, seraient convaincues que la situation pourrait s'améliorer si seulement elles étaient libres d'agir à leur guise. Si c'est une autorité internationale qui doit appliquer la justice distributive, la lutte des classes, selon la doctrine socialiste, deviendra inévitablement une lutte entre les classes ouvrières des différents pays.

On entend beaucoup de propositions et discussions confuses au sujet d'un "planisme pour le nivellement du standard de vie". Voyons un peu en détail les conséquences que ces propositions impliquent. Les plans de ce genre portent essentiellement sur le Bassin danubien et l'Europe du Sud-Est. Certes, l'amélioration de la situation économique dans cette région est urgente aussi bien du point de vue humanitaire qu'économique; elle est conforme à l'intérêt de la paix future en Europe et ne pourrait évidemment être réalisée que par des méthodes politiques différentes de celles pratiquées par le passé. Mais ce n'est pas du tout la même chose que de vouloir organiser toute la vie économique de cette région selon un plan unique. On ne saurait, par exemple, créer une sorte de "Tennessee Valley Authority" pour le bassin danubien sans détermier en même temps, pour des années à l'avance, le rythme du progrès des diverses races qui le peuplent, ni sans subordonner au plan toutes leurs aspirations et tous leurs désirs.

Ce genre de planisme nécessite avant toput l'établissement d'un ordre d'urgence dans les différents besoins. Les besoins des uns doivent avoir priorité sur ceux des autres. Ceux dont les intérêts sont ainsi relégués au second plan peuvent être convaincus de leur droit d'être traités différemment et aussi de leur capacité à atteindre plus rapidement leur but si on les laisse agir librement. Il n'y a aucune raison qui nous permette de décider que les besoins d'un paysan roumain pauvre sont plus ou moins urgents que ceux d'un albanais encore plus pauvre, de choisir entre un berger slovaque ou son collègue slovène. Mais si l'on doit relever leur standard de vie selon un plan unifié, il faut que quelqu'un apprécie leurs mérites respectifs et fasse un choix. Une fois le plan mis en exécution, toutes les ressources de la région doivent y contribuer et personne ne peut s'y soustraire sous prétexte que seul il s'en tirerait mieux. Chacun aura, dans pareilles circonstances, le sentiment légitime que sa situation est moins avantageuse que si on avait adopté un plan différent et qu'il est placé moins bien qu'il n'aurait dû l'être. Pour appliquer un tel plan dans une région peuplée de nombreuses petites nations, dont chacune est ardemment convaincue de sa supériorité face aux autres, on doit nécessairement recourir à la force.

Certes, nombreux sont ceux qui se croient sincèrement capables de résoudre ces problèmes impartialement et en parfaite équité et ils seraient les premiers surpris de se voir accueillis avec méfiance et animosité. Mais ils seraient aussi les premiers à employer la force contre les bénéficiaires récalicitrants qui ne veulent pas accepter ce que l'on fait dans leur intérêt. Ce que ces dangereux idéalistes ne voient pas, c'est qu'en assumant une responsabilité morale on s'engage à imposer s'il le faut par la force ses propres conceptions morales à des communautés qui en ont peut être d'autres. L'acceptation d'une telle responsabilité peut nous placer dans l'impossibilité d'agir de façon morale. Imposer pareille tâche aux nations victorieuses est le moyen le plus sûr de les corrompre et de les discréditer.

Aidons, autant que possible, les peuples pauvres à se reconstruire leur vie et à élever leur standard de vie. Une autorité internationale peut contribuer énormément à la prospérité économique si elle se contente de maintenir l'ordre et de créer des conditions dans lesquelles les peuples puissent se développer eux-mêmes. Mais on ne peut pas être juste, ni laisser les gens vivre leur vie, si c'est une autorité centrale qui distribue les matières premières, répartit les marchés, si tout l'effort spontané doit être "approuvé" et si l'on ne peut rien faire sans l'autorisation de cette autorité centrale".

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