Taranne Posté 25 août 2005 Signaler Posté 25 août 2005 Fin du Londonistan, fin du communautarisme ?par Gilles Kepel, tribune parue dans Le Monde le 23 août 2005 Par-delà la polémique et les effets d'annonce destinés à rassurer une opinion qui vit dans le traumatisme d'un troisième attentat, l'abandon de la politique du Londonistan pose pour le professeur Gilles Kepel des questions plus profondes sur le modèle de société multiculturaliste dont le Royaume-Uni s'était fait le champion en Europe avec les Pays-Bas. La question reste entière du soubassement intellectuel qui a permis le Londonistan, à savoir un multiculturalisme, où ce qui différencie les communautés religieuses, ethniques, etc. proclamées comme telles à l'intérieur d'une société donnée, est considéré comme essentiel, alors que ce qui unit les individus, par-delà la race ou la foi, comme citoyens d'une même société, est tenu pour secondaire. Gilles Kepel Le 5 août, Tony Blair a annoncé une série de mesures antiterroristes constituant un changement radical de la stratégie britannique prise en défaut par les attentats des 7 et 21 juillet envers la mouvance islamiste. La politique du Londonistan l'asile politique accordé aux idéologues islamistes radicaux en contrepartie de la sanctuarisation du Royaume-Uni a été définitivement enterrée. Omar Bakri, fondateur syrien du groupuscule Al-Mouhajiroun, laudateur d'Oussama Ben Laden et des "magnificent 19" les terroristes du 11-Septembre, a pris, après deux décennies en Angleterre, des "vacances" très médiatiques au Liban, rapidement transformées en bannissement par le ministre britannique de l'intérieur. Autre épouvantail à tabloïds, l'Egyptien Abou Hamza, naturalisé britannique, est désormais incarcéré, avant d'être éventuellement extradé vers les Etats-Unis. Surnommé "l'ambassadeur d'Al-Qaida en Europe" , le Jordano-Palestinien Abou Qatada est emprisonné, avec une menace d'extradition vers la Jordanie. Celle-ci demeure hypothétique, tant sont nombreuses les voies de recours juridiques, comme l'a montré le cas de Rachid Ramda, un Algérien dont Paris réclame en vain l'extradition depuis dix ans pour l'interroger sur son rôle dans les attentats de 1995 ; un cas "complètement inacceptable", mentionné par Tony Blair pour illustrer la nécessité de "changer les règles du jeu". Parmi les autres mesures annoncées figurent l'expulsion par décret des prédicateurs qui troublent l'ordre public (comme en France ou en Espagne), la criminalisation de l'apologie du terrorisme, la fermeture des lieux de prière où "se fomente l'extrémisme" ainsi qu'une politique d'intégration volontariste, là où régnait un assez large laisser-faire. Tout cela a suscité un grand émoi dans les milieux libéraux britanniques, qui ont dénoncé des propos de "traîneur de sabre" et des mesures liberticides. Par-delà la polémique et les effets d'annonce destinés à rassurer une opinion qui vit dans le traumatisme d'un troisième attentat, l'abandon de la politique du Londonistan pose des questions plus profondes sur le modèle de société multiculturaliste dont le Royaume-Uni s'était fait le champion en Europe avec les Pays-Bas. Le Londonistan représentait la pointe émergée de l'iceberg multiculturaliste, jusqu'à en devenir une caricature. Il supposait qu'en offrant l'asile aux idéologues extrémistes ceux-ci exerceraient une influence favorable sur la jeunesse tentée par l'islamisme radical et la violence, la dissuaderaient de passer à l'acte contre un Etat et une société qui avaient permis aux Abou Hamza, Abou Qatada et autres Omar Bakri de rayonner. Pendant une décennie, en effet, la Grande-Bretagne fut épargnée, mais au prix d'une banalisation du discours radical, considéré comme licite tant qu'il ne se traduisait pas en violences. Celui-ci passait par l'absence complète d'identification des jeunes citoyens britanniques au Royaume-Uni, et par l'exacerbation d'une identité islamiste transnationale scandée par les hauts faits du djihad à travers le monde et de plus en plus accessible à travers l'Internet. Au fur et à mesure que les héros en ligne du djihad accomplissaient leurs attentats aux quatre coins de la planète, à partir du 11-Septembre, les idéologues du Londonistan, à aboyer sans mordre, perdirent leur valeur et leur influence dans les franges les plus radicales qui n'avaient cure de leur bien-être londonien. Les mesures juridiques qui les frappent aujourd'hui ont surtout, en ce sens, un effet symbolique a posteriori. En revanche, la question reste entière du soubassement intellectuel qui a permis le Londonistan, à savoir un multiculturalisme, où ce qui différencie les communautés religieuses, ethniques, etc. proclamées comme telles à l'intérieur d'une société donnée, est considéré comme essentiel, alors que ce qui unit les individus, par-delà la race ou la foi, comme citoyens d'une même société, est tenu pour secondaire. Toute société est différenciée, notamment, par les conflits incessants entre des groupes sociaux qui la meuvent. Il n'existe de société sans conflit que dans les utopies totalitaires. Mais la spécificité du multiculturalisme est de considérer que les individus sont déterminés par une essence culturelle immuable, propre à chaque communauté, et que l'ordre politique, voire juridique, doit les prendre en compte d'abord à travers le prisme communautaire qui leur est assigné. Les tenants de cette théorie se trouvent aussi bien chez les partisans avoués ou non de l'apartheid que chez les libéraux ou les libertaires. Au Royaume-Uni, le multiculturalisme a fait l'objet d'un consensus implicite entre l'aristocratie sociale issue des public schools se retrouvant dans les clubs fermés, et la gauche travailliste : le développement séparé des musulmans permettait aux uns de gérer au moindre coût la main-d'oeuvre ouvrière pakistanaise immigrée, aux autres d'en capter les suffrages à travers les leaders religieux au moment des élections. C'est ce consensus que les attentats de juillet ont fait voler en éclats. Car le multiculturalisme n'a de sens que s'il aboutit à une forme de paix sociale, où les dirigeants communautaires contrôlent leurs ouailles à qui ils inculquent des valeurs religieuses ou morales particulières, mais qui aboutissent à la soumission à l'ordre public global. En ce sens, le traumatisme de la société britannique est plus profond que celui de la société américaine après le 11-Septembre. Aux Etats-Unis, les dix-neuf pirates de l'air étaient des étrangers. Au Royaume-Uni, les huit personnes impliquées dans les attentats sont des enfants de la société multiculturelle. Ce que l'on sait d'eux les montre profondément imbus d'une religion transmise autant, sinon davantage, par les cassettes vidéo et l'Internet que par la fréquentation des mosquées, mais sans allégeance aux dirigeants communautaires cooptés par l'establishment politique. Le système social britannique se retrouve, au lendemain des attentats, avec des pans entiers qui se définissent d'abord à partir d'une identification communautaire religieuse, sans que celle-ci puisse se prémunir des dérives violentes contre la société "impie" et de l'émulation d'Al-Qaida. Le multiculturalisme tel qu'il a été pratiqué outre-Manche ne jouant plus son rôle de rempart de l'ordre public, les débats font rage pour savoir comment sortir de l'impasse à l'instar de ce que l'on a vu aux Pays-Bas, aux lendemains de l'assassinat de Theo van Gogh. Par-delà le démantèlement du Londonistan et la panoplie de mesures antiterroristes qui augurent de longues batailles juridiques, l'enjeu de société a été présenté en termes de choix draconien entre deux modèles la laïcité radicale et le multiculturalisme radical sur l'un des sites les plus respectés de la Toile, openDemocracy, par David Hayes, l'un de ses éditeurs. L'alternative vaut, outre le Royaume-Uni, pour l'Europe entière, tant les problèmes deviennent comparables, même s'ils se posent à partir du contexte historique propre à chaque pays. Le radical secularism, qui, au Royaume-Uni, commencerait par l'abolition du caractère officiel (established ) de l'Eglise anglicane, aboutirait à redéfinir le pacte entre le nouvel Etat laïque et l'ensemble des citoyens, sur la base d'une Constitution rédigée par des conventionnels. A l'autre extrême, le multiculturalisme poussé à son terme déboucherait sur la création d'un Parlement musulman autonome, élu par sa communauté, chargé de légiférer pour celle-ci et disposant des moyens de faire appliquer la loi et de respecter l'ordre public, comme pratiquait l'Empire ottoman pour les minorités juives ou chrétiennes. Ces deux options peuvent sembler excessives, mais elles permettent de poser les limites entre lesquelles les sociétés européennes vont devoir définir leur voie. Elles indiquent surtout l'urgence de mener le débat à l'échelle du Vieux Continent. En Europe, la France, brocardée lorsque la commission Stasi recommanda de bannir les signes d'appartenance religieuse à l'école, suscite désormais l'intérêt de ceux qui notent que ce pays comporte la population d'origine musulmane la plus nombreuse et que le contrôle social exercé par les effets conjugués de la laïcité, d'une intégration volontariste et d'une politique de sécurité préventive a permis, selon des modalités inverses du multiculturalisme, d'éviter les attentats au cours de la décennie écoulée. Lorsque deux journalistes français otages en Irak ont été menacés de mort si la loi sur la laïcité à l'école n'était pas retirée, la mobilisation des citoyens français d'origine musulmane n'a pas peu fait pour contribuer à leur libération. Rien n'est pourtant acquis non plus dans la République laïque : la marginalisation sociale de trop nombreux jeunes d'origine maghrébine ou africaine, la banalisation des sites djihadistes sur l'Internet, le départ de quelques-uns vers les fronts chauds de l'Irak au Pakistan, fournissent les ingrédients du même cocktail qu'ailleurs. Pas plus à Londres qu'à Paris, Rome, Madrid, Bruxelles ou Amsterdam, il ne faut se cacher la tête dans le sable : la question terroriste, par-delà les mesures symboliques comme l'éradication du Londonistan, pose la question de ce que nous voulons faire de l'identité européenne, ensemble avec nos concitoyens d'origine musulmane et de toutes confessions ou irréligieux. Il est grand temps que l'Union européenne, après le ratage de la Constitution, se saisisse à bras-le-corps de ce dossier sur lequel elle joue une part de son avenir. ——————————————————————————-- Gilles Kepel est professeur à l'Institut d'études politiques de Paris, chaire Moyen-Orient-Méditerranée.
Taranne Posté 25 août 2005 Auteur Signaler Posté 25 août 2005 What kind of country ?par David Hayes, tribune parue sur le site opendemocracy.net le 29 juillet 2005 The lesson of the July terror attacks is that Britain must become either secular or multicultural – and choosing the latter means setting up a Muslim Parliament, says David Hayes. Britain on 7 July 2005 became a different country. The four coordinated (and “homegrown”) suicide-bombs on the London transport network that killed 52 innocent people and injured more than 700 may have a cumulative social impact as great and potentially devastating as their uncountable human one. The challenges raised by these attacks are multiple: for public security agencies – to undertake intelligent and targeted police action against the organisers and practitioners of terrorism, while maintaining civic protection and social peace for government – to devise and implement policies that where possible address some of the underlying causes of the attacks, and the larger pool of sentiment on which they draw for media – to inform, educate and foster understanding of the nature and background of the attacks, avoiding incitement and stereotype while being open to the vigorous clash of argument that is essential to a healthy democratic culture for citizens – to make new kinds of choices to guarantee their own safety, to negotiate the social landscape in light of perceived threats, and to think and act afresh in relation to their neighbours in order to maximise the health and sustainability of the shared civic order. All this is the work of years, not days. Together it raises the question for people living in Britain: what kind of country do we want to live in? In the light of 7 July, its near repeat on 21 July, and possible further deadly attacks to come, two very different answers – two models – come into view. Radical secularism The first model might be called radical secularism. It would respect and pursue the logic of the overwhelmingly likely social fact that religious ideology has inspired British citizens to acts and attempted acts of indiscriminate mass murder. It also draws on the less visible but potent and long-standing everyday reality that the promotion of religious faith in the public context – starting in the very early years of segregated education – creates the potential for permanent, destructive social schism. The model would enforce a rigid separation between religion and public life, involving the following measures: disestablishment of the Church of England, and the complete “desacralisation” of the head of state and the political system it crowns closure of faith schools, and compulsory integration of schooling banishment of religious symbolism from public ceremonies and festivals redefinition of the entire state as a secular enterprise, including a coherent programme of induction for new arrivals and of re-education of those born, raised and domiciled here in the fundamentals of citizenship cultivation of a new public ethic of what it means to be a British citizen, its responsibilities, duties and rights. Such changes can sound draconian. But they would make sense (or indeed be made possible) only if the foundation of this new “British commonwealth” was the conscious, willed choice of free citizens who decided that the benefits of moving in this direction outweighed the handicaps of living under the existing dispensation. In effect, if people affirmed: this is the kind of country we want to live in. Thus, a final element, the essential ground and precondition for this model, is a redefined contract between state and citizen, involving a written democratic constitution, the product of a constitutional convention. The model would be impelled by the idea of defining in as fair, accountable and democratic a manner as possible the relationship between the state and the citizen. Radical multiculturalism The second model might be called radical multiculturalism. It would respect and pursue the logic of the evident social fact that the Muslim community of Britain have particular problems, needs and frustrations that are not presently being accommodated; that in its depth and acuity this condition is shared by no other religious or ethnic group; and that it demands attention at the level of the entire society. This model would involve recognising the current condition of this community within British society as adherents of a single faith who are nevertheless divided by ethnic origins, languages, beliefs, doctrines, attitudes and institutional alignments, and who require authoritative, sanctioned public recognition and respect. It suggests that the Muslims of Britain need a shared, public and transparent forum of dialogue to explore the problems they share and to seek solutions. But dialogue is not enough. It is vital that this forum has significant decision-making powers. If lack of power does not corrupt absolutely, the Muslim community in Britain certainly faces a severe problem of powerlessness. There is no solution except through politics. The key feature of the model, then, would be to establish by law a Muslim Parliament of Britain with the following characteristics: it would accommodate all generations, institutions, both sexes, and every shade of Muslim opinion – from (so-called) mainstream to (so-called) extreme. No doctrine, current of feeling or opinion that regards itself as Muslim would be excluded it would be created by statute and have full legal status; its representatives would have the right of dialogue with fellow parliaments at Westminster, Scotland, Wales and Northern Ireland about matters of common concern it would have defined, agreed powers over significant aspects of Muslim community life in Britain – education, banking and finance, employment, welfare, mosque administration, migration and settlement its recommendations, reports, investigations, and decisions would be considered seriously and subject to close and fair scrutiny by the wider society and its institutions it would be elected on a one-person-one-vote basis by all Muslims in Britain, with as low an age limit as feasible; it would have individual quotas to ensure proper and fair representation of women and young people, and institutional quotas to guarantee that the widest range of Muslim organisations, and all significant voices within the community, could participate the language, procedures, schedules, routines and culture of the parliament would be subject to its own designated rule-making bodies its creation and operation would be supported financially by the British treasury, including the salaries and expenses of its representatives and the provision of administrative staff and facilities it would complement and not replace other forms of political allegiance for Muslims in Britain; no existing legal, civil or human right he or she possesses in British society would be compromised or diminished by its existence – the right to vote in local, urban and national elections, to participate in public debates, to seek employment in every area and profession, to make representations to MPs and government; to protest and claim, to contribute to the full panoply of public life no breath of “ghettoisation” would be attached to the parliament (unlike past enterprises with a similar name); it would be a central part of British public life The closest historic parallel to the model may be that of the Ottoman empire where religious communities (Armenians, Jews, Greeks) had a high degree of internal autonomy and law-making power. It could also be seen as a natural extension of the existing British model of multiculturalism (and its associated philosophy) insofar as this has become a rooted, internalised element of British people’s collective self-definition and practice. Which model? What future? No historic social choices appear in “pure” form, and none offers a panacea. The Britain of post-7/7 has no solutions except long-term ones. But if the status quo is not an option, a political response in relation to the Muslim community that entails only the more intense application and extension of current security or social policies would be at best insufficient and at worst counter-productive. A proper, creative, targeted mix of policies (registering of imams, monitoring of internet sites and propaganda materials, restrictions on hate speech) and investment (in education, employment, Sure Start schemes, literacy, women’s rights) is desirable. The lesson of 7 July is that far more is needed. Which model is the more desirable, and which the more feasible? The questions are connected. By definition, the choice in each case could only be the result of an enormous, collective act of decision, the product of searching debate across the entirety of British society. But any such choice does not and will not arise in “abstract” form. It emerges from particular social histories and understandings that are both the inherited and the accumulated result of earlier choices. In this light, it is not clear that, however coherent in principle and intellectually compelling the “radical secularism” model might appear to be, anything like the adequate resources (of political or intellectual energy and of social support) exist at the present historical moment in Britain to generate the massive project that would be required. To create it would be the equivalent of a constitutional, democratic revolution. By contrast, the “radical multiculturalism” model seems far more to go with the grain of existing social policy and dominant ways of thinking in Britain as they have developed in the past generation. The events of July 2005 have opened a time of test, trial, opportunity and choice for the British people. It is the local manifestation of a global contest that will define the next generation. Muddling through is not an option. http://communautarisme.net/What-kind-of-country-_a566.html
melodius Posté 26 août 2005 Signaler Posté 26 août 2005 Je trouve que Képel, mieux inspiré d'habitude, est d'une particulière mauvaise foi en posant "multiculturalisme = séparatisme = terrorisme". Certains actes sont criminels, d'autres non. C'est la seule distinction valable, et le problème du RU n'est pas qu'il ait respecté la liberté d'opinion, mais servi d'asile à des criminels recherchés à l'étranger.
Messages recommandés
Archivé
Ce sujet est désormais archivé et ne peut plus recevoir de nouvelles réponses.