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J'attire l'attention de l'aimable assemblée sur un ouvrage d'érudition qui vient de paraître : Histoire et dictionnaire de la police. Histoire de la police française, ce livre est intéressant dans le sens qu'il étudie entre autres l'ingurgitation progressive des services de police par l'état. C'est pas écrit par des libéraux, mais c'est très riche d'enseignements.

Posté

L'auteur de l'article mentionne les anarcho-capitalistes et Rothbard, sans en dire de bêtises.

Ca méritait d'être souligné je pense.

La Grande Maison, portes ouvertes

Cartouche, Mandrin, La Reynie, le Cabinet noir, Fouché, Vidocq, les brigades du Tigre, l'affaire Stavisky, Papon, Bousquet, tutti quanti…, la police est au coeur de l'histoire et de l'imaginaire de notre nation. Il n'existait pas, jusqu'à présent, d'histoire d'envergure de ces gardiens de l'ordre qui fascinent autant les amateurs de romans policiers que les historiens désireux d'éclaircir les plus sombres secrets d'Etat. L'Histoire et Dictionnaire de la police, dirigé par Michel Aubouin, Arnaud Teyssier et Jean Tulard tombe à pic pour combler un vide. C'est une entreprise monumentale, ayant mobilisé une dizaine de spécialistes parmi les meilleurs, qui nous fait mieux entrer dans les arcanes de cette mystérieuse institution.

PAR JACQUES DE SAINT-VICTOR

[29 septembre 2005]

Dans son magistral essai Du Pouvoir, Bertrand de Jouvenel soulignait que «la puissance policière (…) a grandi à l'ombre de la démocratie. C'est à peine si l'Ancien Régime l'a connue». Dans sa réflexion libérale contre l'omnipotence du pouvoir, Jouvenel voulait ainsi dire que l'institution policière était l'enfant des temps modernes, de la croissance des Etats et des exigences de sécurité. Les sociétés anciennes se régulaient autrement, comme en témoigne le sens même du terme de «police» qui, venant du grec polis (ville) n'a désigné, jusqu'à la fin de l'Ancien Régime, que le «règlement de la cité» (d'où la police des grains, par exemple).

De ce point de vue, l'histoire de la sûreté offre une leçon à méditer pour tous les partisans de «l'Etat minimal», qui, à l'exception peut-être des anarcho-capitalistes comme Rothbard, pensent quand même que «l'Etat gendarme» (police, justice, diplomatie) reste un socle fondamental, quand bien même il devrait se limiter à ces fonctions immuables. Or, l'histoire de la police prouve que même cette évidence n'en est pas une. Il fut un temps – trop long – où la police était privatisée, exercée par des puissances particulières (seigneuriales, religieuses, urbaines, etc.). Et il fallut toute la ténacité de la monarchie absolue pour que le processus d'étatisation puisse enfin avoir raison des dérives de ces puissances privées.

La somme publiée sous la direction de Michel Aubouin, Arnaud Teyssier et Jean Tulard, dédiée à l'histoire de la police, illustre parfaitement cette «étatisation» vertueuse. Il faut lire les pages passionnantes consacrées par Arlette Lebigre à «la genèse de la police moderne». Comme le dit l'historienne du droit, lorsque débute le XVIIe siècle, les principales organisations de l'Etat, y compris l'éducation (partagée avec l'Eglise), se trouvent mises en place. «Toutes sauf une, la police.» La monarchie peinera à s'imposer, en créant notamment, en 1667, la lieutenance de police de Paris, attribuée au célèbre La Reynie, dont Saint-Simon, dans ses Mémoires, conclut, pour une fois magnanime, que c'était «un homme d'une grande vertu et d'une grande probité qui, dans une place qu'il avait pour ainsi dire créée, devait s'attirer la haine publique et s'acquit pourtant l'estime universelle». Ce qui sera par la suite assez rare à un tel poste…

Il faudra attendre la Révolution, en particulier le Directoire, dont la dureté ignorée n'a rien à envier à la fameuse Terreur, pour consacrer définitivement en France l'acte de naissance de la police moderne, en instituant, le 2 janvier 1796, un ministère de la Police qui ne tardera pas à devenir une arme redoutable entre les mains du fameux Fouché, serviteur sans scrupule de tous les régimes.

On trouvera bien d'autres informations surprenantes à la lecture de cette somme inédite, et qui comble un vide car les histoires de la police existantes sont généralement plutôt courtes. Fort judicieusement lancée par quelques érudits de la Place Beauveau, dont Michel Aubouin, haut fonctionnaire, beauceron et historien de goût, rejoint ensuite par Arnaud Teyssier, auteur de plusieurs histoires politiques, cette entreprise a su s'attacher les meilleurs spécialistes, ce qui en fait un véritable ouvrage de référence. S'il est préfacé à la fois par Dominique de Villepin et par Nicolas Sarkozy, l'ouvrage n'est pas une histoire «maison» ou complaisante. Rien n'est occulté ou brouillé de ce passé parfois trouble. Ainsi Jean-Marc Berlière, spécialiste de la Collaboration, évoque remarquablement le mécanisme qui, au nom de la sauvegarde d'une hypothétique souveraineté, va entraîner la police de Vichy dans la compromission la plus humiliante.

Mais, ce qui mérite d'être plus encore souligné, c'est le plaisir que l'on prend à parcourir les pages du Dictionnaire de la police, depuis le préfet de police Anglès, accusé d'avoir profité sous l'Empire de ses fonctions pour s'enrichir, jusqu'au célèbre Vidocq, dont la présentation n'est plus à faire. On y trouve pêle-mêle un aperçu sur l'affaire des Poisons, Landru, l'affaire Dreyfus, les acharnements pseudo-scientifiques de Bertillon, pourtant le père de l'anthropométrie, Bousquet, Papon, les exploits du Raid, ou les sergents à verge, etc.

Enfin, l'ouvrage se conclut par une série d'annexes nombreuses, notamment sur la police vue par le cinéma, rédigée par Jean Tulard, grand spécialiste du genre, la police et la littérature, ou la police et la télévision, sans compter la plus singulière de toutes, celle concernant l'argot de la police, rédigée avec une astuce délicieuse par Jean-Paul Brunet. Ce petit trésor linguistique ravira les amateurs de romans policiers. La Grande Maison dispose d'un langage imagé à plaisir. On apprend ainsi que «plumer une piaule» n'a rien de tendancieux mais rappelle qu'on pénétrait parfois dans une chambre par effraction à l'aide d'une plume (pied-de-biche) tandis que «travailler un client» ne doit pas être confondu avec une activité des rues de plus en plus réglementée.

Le fameux «verlan» des banlieues (métathèse de «à l'envers») viendrait ainsi des policiers eux-mêmes, qui ont pris l'habitude, depuis le célèbre roman d'Auguste Le Breton, Du rififi chez les hommes (1954), d'inverser les syllabes, tout en utilisant, déjà, à la base, un terme imagé ; ce qui est de nature à perdre le plus futé des bons bourgeois. Ainsi opèrent les «keufs des peustu» (les flics des stups), qui font la traque au «nesbi» (business, trafic) de cheublan (blanche, l'héroïne), ou autres substances, «drepou» (poudre, cocaïne), ou «bebon» (bombe, stupéfiant non dilué), que l'on prend avec une «pepon» (pompe, seringue), etc.

On n'en finirait pas d'évoquer la richesse de ce langage de «flicard» (le policier en tenue) ou de «costard» (le policier en civil), qui est à l'image même de ce livre vraiment passionnant, destiné au public le plus large, depuis l'historien exigeant jusqu'à l'amateur de séries policières à la télévision….

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