Punu Posté 13 novembre 2005 Signaler Posté 13 novembre 2005 Je viens de lire un texte expliquant qu'avec le protestantisme est né le juspositivisme et que le protestantisme a été un tel succès car il permettait aux princes (etc.) d'outrepasser l'inviolabilité (théorique) de la propriété (du point de vue catholique). Qu'en pense le protestant Harald, et qu'en pensent ceux qui savent quelque chose à ce sujet ? Merci d'avance. Pour la pensée politique du haut Moyen-Age, saturée des catégories que Saint Augustin avait établies dans La Cité de Dieu, l’idée qu’un prince puisse s’emparer de la propriété de ses sujets sans limites objectives et dans les seules contrain-tes de sa propre volonté, cette idée aurait été considérée blasphématoire.Par conséquent la constitution politique de cet âge était ancrée dans la notion que la même loi de Dieu s’applique à tout le monde, qu’il soit roi ou mendiant. Ce n’était pas l’homme qui faisait la loi, mais Dieu. L’homme se devait de reconnaître la loi divine telle qu’elle se manifeste dans la loi naturelle. Son obligation première était d’aimer Dieu et Sa loi, et d’appliquer cette loi dans un esprit de charité. Cette conception politique n’excluait pas les inégalités. Chaque individu avait en effet des droits particuliers aussi bien que des obligations particulières. Il y avait égalité entre les hommes seulement sous deux aspects, à savoir, qu’ils étaient tous des créatures de Dieu et que la promesse du salut éternel avait été donnée à chacun d’entre eux. Mais encore, le point saillant était que ce n’était pas l’homme qui désignait les inégalités entre les hommes. Il trouvait et reconnaissait ces inégalités comme un fait de nature. Même si un seigneur était infiniment riche, et même s’il contrôlait toutes les armes et était chargé d’imposer la loi, il aurait été toutefois impensable que ce seigneur puisse modifier la loi selon son gré. La propriété du plus humble était hors jeu même pour le plus puissant. Il est vrai que ce principe était reconnu seulement en théorie, tandis qu’en pratique la men-talité sauvage des hommes empêchait son application rigoureuse. Mais toujours reste-t-il que le principe était sacré. Ce n’était pas l’homme qui définissait ce qui était juste et bon. C’est Dieu seul qui faisait la loi, une loi qui se présentait à l’infidèle sous la forme des lois de la nature. L’homme n’a qu’à connaître et appliquer ces lois qui existent indépendamment de sa volonté. Voilà la grandeur juridique et politique du Moyen-Age. Certains libéraux ont du mal à glorifier le Moyen-Age sous un autre jour que celui de la sentimentalité romantique. Je ne parle pas des positivistes légaux, qui croient que la loi est en effet un produit de la volonté humaine, plutôt qu’un fait de nature. Je parle de ceux qui condamnent le Moyen-Age pour son caractère barbare. Évidemment il est vrai que c’était une période barbare, mais le point crucial est que la constitution politique dont nous parlions n’était pas la cause de cette barbarie médiévale. Bien au contraire, elle était un des facteurs les plus importants qui ont contribué à faire sortir l’Europe de sa misère. Cette constitution glorieuse, nous l’avons dit, émanait des catégories politiques de St Augustin. Mais on se ferait une mauvaise idée sur le Moyen-Age si l’on croyait que ces catégories étaient incontestées. Elles étaient contestées, en particulier par les intellectuels à gage – une peste non seulement de notre âge. Depuis le onzième siècle au moins, les sycophantes papaux et royaux inventaient les justifications les plus extravagantes pour préparer le futur expansionnisme totalitaire de leurs chefs. Dans la première moitié du treizième siècle, nous lisons par exemple chez Laurentius Hispanus : Ainsi, il est dit que [le pape] a une volonté divine. Comme le pouvoir du prince est grand ! Il change la nature des choses en appliquant les attributs essentiels d’une chose à une autre […], il peut transformer la justice en iniquité en corrig-eant tout canon ou loi ; car, en ces matières, sa volonté est tenue pour raison […] Il est néanmoins tenu d’adapter ce pouvoir au bien public. Ces tendances de mysticisme politique avaient été renforcées par la redécouverte de la pensée juridique romaine, qui exaltait le pouvoir de l’empereur de manière toute similaire. Mais pendant des siècles ces dérives n’étaient pas généralement reconnues, et quand on les appliquait pour justifier des brigandages ponctuels, elles ne jouaient que le rôle de feuille de vigne. Les différentes notions d’une puissance illimitée du Pape et des rois n’étaient pas plus que des tentations intellectuelles d’une pensée fermement ancrée dans une conception véritablement chrétienne de la politique. Le grand changement intervient au seizième siècle avec la révolution protestante qui amène finalement leur application. La révolution protestante est d’habitude considérée du seul point de vue de la révolte contre l’autorité doctrinale de l’Église. Mais ce n’était pas son aspect intellectuel qui la distinguait de ses innombrables prédécesseurs. Les révoltes contre les seuls dogmes catholiques ont été combattues très effectivement par le moyen de l’excommunication. Mais la révolte de Luther et de Calvin se distinguait de toutes les autres en ce qu’elle fournissait le prétexte à une expropriation à grande échelle. Les princes allemands et suisses furent les premiers à s’emparer des églises, des cloîtres et de leurs territoires. Quand peu après Henri VIII d’Angleterre suivait leur exemple, la vio-lence se répandait vite sur le reste de l’Europe. Partout nobles et vilains tâchaient de saisir ce moment d’anarchie qui présentait une grande opportunité de brigandage impuni. Il n’y a pas de moyen plus sûr de méconnaître la signification de la révolution protes-tante que de la réduire à un phénomène purement spirituel ou intellectuel. Sa signification politique et, comme on le verra, sa grande signification pour la production de sécurité n’avaient rien à voir avec les doctrines du péché originel et de la rémission des péchés. Sa véritable signification était qu’elle violait les droits de propriété de l’Église catholique dans une dimension jamais connue avant. Elle était essentiellement du brigandage à grande échelle, brigandage opéré par ceux mêmes qui étaient censés protéger la propriété de tous. Que faire face à un pareil crime abominable ? On appliquait deux solutions : la punition et la justification. La tentative de restaurer la justice par la force échouait finalement après plus d’un siècle, dans la guerre de trente ans. En revanche, les efforts de justifica-tion du grand brigandage « protestant » ont été couronnés d’un succès éclatant. Ces ef-forts donnaient une nouvelle vie aux mythes politiques de l’Antiquité, qui dans les siècles précédents avaient été redécouverts et élaborés, en particulier par les sycophantes papaux et royaux. Ressuscités de leur tombeau et habillés dans une nouvelle rhétorique, les an-ciens mythes politiques ont depuis reconquis la pensée politique occidentale. Le résultat paradoxal de ce processus est notre âge moderne, dont la modernité consiste précisément en l’acceptation universelle des mythes politiques de l’Antiquité.
Ronnie Hayek Posté 13 novembre 2005 Signaler Posté 13 novembre 2005 Pour Luther, reprenant saint Paul, tout pouvoir émane de Dieu. De là, une justification de l'Etat absolutiste par les premiers protestants. C'est pourquoi ils contestaient notamment toute résistance active contre un pouvoir abusif (mais cela a changé avec les Huguenots monarchomaques) et plaidaient en faveur d'un contrôle du pouvoir spirituel par le pouvoir temporel - on comprend d'ailleurs pourquoi… Ses disciples directs ou indirects propageront ce néo-augustinisme * à travers l'Europe du Nord. Ainsi de Philippe Melanchton (1496-1540) qui estime que toute résistance au pouvoir temporel constitue un péché mortel - le Prince n'étant responsable de ses actes que devant Dieu. ___ * Dans le sens où, pour saint Augustin, l'institution du pouvoir politique est une conséquence du péché originel, voulue par la Providence. Mais Luther s'écarte de cette doctrine, dans la mesure où il fait prédominer le pouvoir temporel sur le spirituel, tandis qu'Augustin estimait qu'il n'y a de véritable Etat que créé par l'Eglise.
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