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Quand La Concurrence Réveille L'anpe


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Deux articles à lire, j'ai mis en gras les paragraphes importants.

Le service public de l'emploi est en pleine révolution, d'après ce qu'on y lit. :icon_up:

Quand la concurrence réveille l'ANPE

Chômage Depuis février, l'ANPE n'a plus le monopole du marché du retour à l'emploi. Il est ouvert à la concurrence privée pour une expérience de deux ans. Le «taux d'adhésion des chômeurs est très inférieur aux prévisions», estime l'Unedic. Reportage.

Arnaud Rodier

[23 novembre 2005]

«AUJOURD'HUI, on s'appelle tous Dominique.» Jean-François, jean, baskets et tee-shirt jaune, enfonce la touche du magnétophone. En fond sonore, des bruits de casseroles et de couverts s'entrechoquent. Assis autour de la table en U, six éducateurs de l'ANPE) testent une nouvelle méthode de recrutement : la «simulation par profil», chère au ministre de l'Emploi, Jean-Louis Borloo, dans laquelle l'évaluation des compétences passe théoriquement avant le CV et les diplômes.

Agence nationale pour l'emploi («Dominique, des crêpes pour vingt personnes», réclame brusquement le magnétophone. Personne ne rit. Les éducateurs-stagiaires vont pendant deux heures simuler la vie d'une cuisine de restaurant, la fabrication des plats, le suivi des commandes, la préparation des assiettes. Le rythme s'accélère. Le bruit augmente à l'heure du coup de feu.

# Les plates-formes de vocation de l'ANPE

Cette méthode de recrutement utilisée à Lille sera ensuite appliquée à Roubaix. La «plate-forme de vocation» du quartier de Moulins a été inaugurée par l'ANPE en octobre, au premier étage d'une ancienne filature en brique rouge. Elle a pour objectif de «valoriser» auprès des jeunes non qualifiés les métiers «en tension». En clair, ceux pour lesquels il y a plus d'offres d'emploi que de demande : hôtellerie, restauration, bâtiment, nettoyage. Le Nord-Pas-de-Calais compte cinq plates-formes de vocation, à Lille, Calais, Liévin, Roubaix et Valenciennes.

Les tests ont été élaborés par les entreprises elles-mêmes (Flunch, McDo, Léon de Bruxelles), qui ne trouvent pas de personnel. «Il s'agit de repérer chez les candidats au poste d'employé polyvalent de restauration leur capacité à travailler sous pression», explique Catherine Jaussème, l'animatrice responsable de la plate-forme. En moins de deux mois plus de 70 jeunes sont passés au 124 de la rue de Douai.

Ce n'est pas le seul changement dans le service public de l'emploi. Le gouvernement a décidé de faire de Lille, de Rouen, de la région Rhône-Alpes le terrain d'expérimentation de la «privatisation» du «marché de l'accompagnement des chômeurs». Menées depuis février dernier, les évaluations sont encore en cours. Avec un taux de chômage de 13,4%, dont 12,2% pour le seul bassin de Lille, la région paie au prix fort la disparition de son tissu industriel. Près de 60% des offres d'emploi viennent aujourd'hui des services, du commerce de détail, de la santé et de l'action sociale. «La proportion d'établissements projetant de recruter est plus faible que pour la France entière, 18,7% contre 22,8%», note l'Assedic du Nord-Pas-de-Calais.

# Le «job café» d'Ingeus

Au début de l'année, un appel d'offres a donc été lancé pour une expérience pilote de 24 mois visant à remettre en selle les demandeurs d'emploi présentant un «risque aigu de chômage de longue durée». L'australien Ingeus l'a emporté à Lille. Adecco, Altedia, Etap'Carrière ont décroché des missions similaires ailleurs en France. Son objectif est simple. Il doit, au rythme d'un accompagnement de dix mois maximum, reclasser 6 000 personnes préalablement sélectionnées par l'Assedic à Lille et à Rouen en deux ans.

Au cinquième étage d'un immeuble arrondi, à dix minutes à pied de la gare de Lille-Europe, les locaux d'Ingeus ressemblent à la proue d'un bateau dont la coque serait une baie vitrée. Murs blancs, moquette bleue, plantes vertes, écrans plats, tout s'ordonne impeccablement sur 800 mètres carrés. A côté de l'espace de travail où 24 conseillers reçoivent leurs «clients» une fois par semaine, une «salle de ressources» met à la disposition des stagiaires une quinzaine d'ordinateurs, des téléphones, des journaux, une photocopieuse, une revue de presse. On y vient quand on veut. «On l'appelle le job café pour que les gens se l'approprient», explique Annick Chautard, responsable du site.

L'accompagnement proposé n'est pas une obligation. Selon Annick Chautard, 80% des chômeurs l'acceptent dès leur premier rendez-vous et sur les 20% qui le refusent, 1% seulement le font par principe ou parce qu'ils jugent la formule trop contraignante. Les résultats sont pour l'instant mitigés. Sur 2 957 demandeurs d'emplois contactés par téléphone par l'ANPE, 1 517 personnes avaient accepté fin septembre un rendez-vous chez Ingeus. 1 201 ont suivi le cursus, mais seulement 315 d'entre eux ont retrouvé une activité professionnelle, calculent l'ANPE et l'Assedic des pays du Nord. Et Ingeus est souvent accusé de faire faire du marketing sur le dos des chômeurs et de favoriser l'emploi précaire.

# L'Assedic et ses «clients»

Pour Karim Khetib, directeur de l'Assedic des pays du Nord, l'arrivée d'Ingeus a toutefois le mérite de faire changer les habitudes : «Cela nous a permis de travailler différemment.» Il le fallait.

La première démarche d'un chômeur passe en effet par l'inscription à l'Assedic. Ce qui est le plus souvent synonyme de bousculade, files d'attente et guichets alignés qui ne préservent aucune intimité. Pourtant cette étape est cruciale : c'est dans ses premiers mois d'arrêt qu'un chômeur a le plus de chance de retrouver un emploi. Plus on laisse passer de temps, plus le reclassement est difficile. Le conseil et l'accompagnement du chômeur sont donc à ce stade indispensables.

L'antenne Assedic de Lomme, la plus importante de Lille, s'est ainsi complètement réorganisée. Elle accueille désormais les demandeurs d'emplois sur rendez-vous et ses 18 conseillers disposent de bureaux privés pour les entretiens. Deux bornes Internet – bientôt quatre – sont à la disposition des demandeurs d'emploi au rez-de-chaussée. «Le débat n'est pas celui d'Ingeus, c'est celui de l'accompagnement personnalisé. Avant, on donnait une aspirine à tout le monde, aujourd'hui, on doit adapter la prescription au demandeur d'emploi», résume Denis Cavillon, directeur adjoint, responsable du réseau clients. Réseau clients ! L'expression fait sourire, mais, ajoute-t-il : «Le chômeur croit toujours pouvoir s'en sortir seul et c'est au huitième mois qu'il se rend compte que personne ne l'attend.»

L'Unedic (qui regroupe les Assedic) et l'ANPE, qui va recruter 4 500 agents supplémentaires, vont en outre rapprocher leurs actions, leurs sites et leurs outils informatiques, comme le prévoit une nouvelle convention en cours de négociation. L'ANPE devra recevoir dès le 1er janvier 2006 chaque chômeur au moins une fois par mois. Dans le Nord-Pas-de-Calais, où 250 postes doivent être créés, 8 000 candidats se sont présentés au concours. Gaëtan Lermusieaux, diplômé de l'école de commerce du Havre, qui dirige l'agence ANPE de Lille-Bleuets, est convaincu que la situation va changer très vite. «Les conseillers auront chacun leurs clients et les agences vont pouvoir se spécialiser par métiers». Lui aussi pense que la collaboration avec des entreprises privées est bénéfique. «Elles nous apprennent à faire de l'accompagnement ciblé, du coaching. Nous leur apportons nos relations privilégiées avec les entreprises.»

# Concurrence et contrôle renforcé

Pour le moment, en effet, Ingeus et les autres «puisent dans le vivier que nous leur proposons. Ils n'ont pas de fonds de commerce et cherchent à en créer un», souligne Denis Cavillon. «Nous n'avons pas d'équipe commerciale, reconnaît Annick Chautard, mais nous travaillons en partenariat avec certaines entreprises de la région. Elles sont aussi en relation avec l'ANPE. Après, c'est au plus réactif de jouer. Et là, nous avons l'avantage du privé», assure la patronne d'Ingeus Lille ! L'agence ANPE des Bleuets ne compte pas rester les bras croisés. «L'équipe doit récolter 3 200 nouvelles offres d'emploi cette année et démarcher 950 entreprises. Chaque conseiller fera 10 visites par mois et aura un objectif de résultat», avertit Gaëtan Lermusieaux.

En parallèle, le chômeur sera plus sévèrement contrôlé. Le gouvernement a renforcé à la fin de l'an dernier les sanctions qui peuvent aller jusqu'à la suppression de l'indemnisation au troisième refus d'une «offre valable d'emploi». A Lille entre 2% et 3% des demandeurs d'emplois ne se présentent pas aux convocations de l'Assedic. «Mais les fraudeurs sont extrêmement marginaux et, pour nous, les règles sont claires, il n'y a pas de raison qu'il n'y ait pas de sanctions», tranche le directeur adjoint de l'agence de Lomme. «Dans tous les systèmes il y a des droits et des obligations qu'il faut respecter», reconnaît la directrice régionale de l'ANPE, tout en soulignant qu'il n'y a pas plus de radiations de chômeurs à Lille qu'ailleurs.

# Des agences d'intérim très motivées

Reste que le renforcement des contrôles semble avoir un impact direct sur les sociétés de travail temporaire qui, dans le cadre de la loi de cohésion sociale de janvier 2005, sont autorisées à faire du placement en contrat à durée indéterminée. «Cette activité de recrutement double pratiquement de mois en mois», estime François Roux, délégué général du Syndicat des entreprises de travail temporaire (SETT). Il y voit un réel avenir pour la profession, à l'image de ce qui se fait en Angleterre. «Chez nous, si quelqu'un veut vraiment un job, il le trouve. La concurrence aidant, il n'a que le choix entre les agences», ajoute l'un des adhérents du SETT.

Annick Chautard : 4 300 euros par chômeur

[23 novembre 2005]

ANNICK Chautard pilote la plate-forme Ingeus de Lille. Diplômée de l'École supérieure de commerce de Lille, titulaire d'un mastère de l'Essec, elle a dirigé pendant 7 ans les ventes d'Eurotunnel dans le tourisme avant de prendre en charge le département formation de la Chambre de commerce et d'industrie de Valenciennes. Et de se retrouver au chômage. Elle y est restée deux ans. «Comme 95% des personnes qui travaillent ici», soupire-t-elle. Cheveux courts, veste aubergine, bijou discret autour du cou, elle ajoute : «A bac + 5, je ne l'aurais jamais cru.»

Destinée à l'origine à aider les personnes victimes d'accident du travail à retrouver un emploi, cette société a attaqué l'Europe par Londres et s'est spécialisée dans le «suivi personnalisé» des chômeurs. Elle n'est pas gratuite. Elle facture à l'Unedic 2 800 euros la prise en charge d'un demandeur d'emploi de moins de 50 ans, 300 euros la signature d'un contrat de travail, 600 euros après 13 semaines d'emploi et 600 euros après 7 mois. Soit au total 4 300 euros. Au-dessus de 50 ans, c'est plus cher : 6 000 euros.

A Lille, «plus de 60% des demandeurs d'emploi entrés entre février et avril ont retrouvé un travail, parmi lesquels 44% sont toujours en poste, 39% en CDI, 39% en CDD et les autres dans le travail temporaire», affirme-t-elle.

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