pierreyves Posté 19 février 2006 Signaler Posté 19 février 2006 Certains d'entre vous doivent connaître ce texte : Strategies for a Libertarian Victory] ou sa source: "Toward a Strategy For Libertarian Social Change" ou bien sur le même sujet la partie V de "The Ethics of Liberty" : Toward a Theory of Strategy for Liberty. Voici une petite étude sur ces trois textes, offerte à vos critiques ; je ne crois pas qu'il était possible de faire beaucoup plus court. Rothbard étudie à raison les techniques et l'histoire marxistes pour mieux les contrer, avec les armes du libéralisme. En résumé Rothbard appel à (les extraits sont de 'Toward a Strategy For Liberty'): 1\ éviter le "right opportunism" et le "left sectarianism" Right opportunism, in its pursuit of instants gains, is willing to abandon the ultimate social goal, and to immerse itself in minor and short-run gains, sometimes in actual contradiction to the ultimate goal itself. […] The left sectarianism, on the other hand, scents "immorality" and "betrayal of principle" in every use of strategic intelligence to pursue transitional demands on the path to liberty, even ones that uphold the ultimate goal and do not contradict it. 2\ viser l'idéal, et pour ce faire renoncer aux réformes graduelles (qui d'ailleurs échouent lamentablement). If liberty is to be the highest political end, then this implies that liberty is to be pursued by the most efficacious means, i.e., those means which will most speedily and thoroughly arrive at the goal. This means that the libertarian must be an “ abolitionist,” i.e., he must wish to achieve the goal of liberty as rapidly as possible. If he balks at abolitionism, then he is no longer holding liberty as the highest political end.[…] Gradualism in theory, in fact, totally undercuts the overriding goal of liberty itself; its import, therefore, is not simply strategic but an opposition to the end itself and hence impermissible as any part of a strategy toward liberty. The reason is that once immediate abolitionism is abandoned, then the goal is conceded to take second or third place to other, anti-libertarian considerations, for these considerations are now placed higher than liberty. 3\ ne pas faire de compromis incohérents qu'il s'agisse des idées ou des méthodes d'action. Hence, a strategy for liberty must not include any means which undercut or contradict the end itself—as gradualism-in-theory clearly does.[…] We have already seen that gradualism-in-theory is such a contradictory means. Another contradictory means would be to commit aggression (e.g., murder or theft) against persons or just property in order to reach the libertarian goal of nonaggression. But this too would be a self-defeating and impermissible means to pursue. For the employment of such aggression would directly violate the goal of nonaggression itself. 4\ ne pas hésiter à former des alliances, des coalitions temporaires, ad hoc sur des sujets précis, que ce soit avec "la droite" ou "la gauche". For this purpose, the libertarian may well find it fruitful to engage in coalitions with non-libertarians around the advancement of some single, ad hoc activity. Thus, the libertarian, depending on his priorities of importance at any given condition of society, may engage in such “united front” activities with some conservatives to repeal the income tax or with civil libertarians to repeal conscription or the outlawry of pornography or of “subversive” speech.[…] Hopefully this demonstration will raise some of these ad hoc allies significantly up the libertarian ladder. 5\ être optimiste sur le long terme (ce point d'ailleurs lui pose des difficultés et est à mon avis invalide dans la présentation qu' il en fait) There are good and sufficient reasons, however, for libertarians to be optimistic in the short-run as well as the long run, indeed for a belief that victory for liberty might be near.[…] Given free will, no one can predict with certainty that the growing libertarian mood in America will solidify in a brief period of time, and press forward without faltering to the success of the entire libertarian program. But certainly, both theory and analysis of current historical conditions lead to the conclusion that the current prospects of liberty, even in the short-run, are highly encouraging. Le point de départ de la réflexion de Rothbard est excellente, son développement aussi, mais j'ai l'impression qu'il n'a pas tiré entièrement parti de l'individualisme méthodologique et de la praxéologie dans sa réflexion. Il est possible de donner des informations supplémentaires à chacun pour réaliser cette stratégie au jour le jour : "let me tell you what it means to you" comme on dit aux US. Je vais reprendre et développer chaque point cité en lui donnant une perspective individualiste. 1\ L'individu agissant, qui tente de réaliser cette stratégie est perpétuellement tenté d'être trop pragmatique (right opportunism) ou trop théorique (left sectarianism). Ces deux écueils sont les reflets naturels de nos tempéraments : certains favorisent l'action contre la réflexion, d'autres l'inverse, certains font les deux erreurs successivement. Il existe un "juste milieu" (je n'aime pas ce terme, mais il a le mérite d'avoir un sens commun clair) que chacun doit trouver pour entreprendre de la meilleure façon afin de réaliser ses objectifs. Ce "juste milieu" est hautement subjectif, et différent pour chaque objectif. Chacun évite ces deux écueils en entreprenant bien en faveur de la liberté. 2\ Pour Rothbard la société libérale/libertarienne, la société libre, est l'idéal à ne jamais perdre de vue, et il appel les libertariens à se fixer comme objectif l'abolition immédiate de l'état. Certes, mais que cela signifie-t-il pour chacun ? L'idéal est-il que tous souhaitent une société libre et travaillent en ce sens en s'acharnant contre l'état ? Trop théorique, c'est une société de robots, une société qui oublie que les motivations de l'action humaine ne sont pas uniques et que les individus sont divers. L'objectif de l'action est de diminuer une gêne (thx Mises), on pourrait aussi dire que la source de l'action est la motivation ou mieux, que l'homme agit pour être bien (ce qui synthétise les deux points de vue précédents). Rothbard à ma connaissance n'a pas développé/intégré cette dimension des motivations individuelles dans sa réflexion sur la stratégie (peut-être parce que sa vie était toute entière tournée vers un objectif unique ?), mais la clef de la traduction de cet idéal au niveau individuel est tout de même dans "Toward a Theory of Strategy for Liberty": Indeed, a libertarian world would be one in which every individual would at least be free to seek and pursue his own ends - to "pursue happiness", in the felicitous Jeffersonian phrase. La société civile libre que nous construisons est une société dans laquelle chacun peut oeuvrer à son bonheur librement. L'idéal d'action en faveur de la liberté que Rothbard conseille à chacun de viser consiste à poursuivre son bonheur. 3\ Rothbard critique les stratégies dont les moyens amoindrissent ou contredisent les fins. L'objectif est une société libre et l'abolition de l'état, que chacun réalise individuellement par la recherche du bonheur. Celui qui entreprend pour son bonheur n'agit complètement en faveur de la liberté qu'à la condition de ne pas faire de compromis erroné, qui contredise en fait son bonheur. Ne pas faire de compromis sur nos idées ou sur nos actions concernant la recherche de notre bonheur impose par exemple de n'appeler à la création d'aucun impôt (même en remplacement d'un autre, mais appeler à la diminution de l'impôt) ou de ne pas être fonctionnaire (mais entrepreneur). De même, dans le domaine de l'action politique, les erreurs du "right opportunism" et du "left sectarianism" sont en fait un gaspillage de bonheur suite à un mauvais investissement politique. 4\ Si Rothbard juge que les coalitions sont importantes, c'est que l'action collective est indispensable pour peser suffisamment sur tel ou tel sujet. Il ne s'agit pas de convaincre tous les individus de la nocivité d'une loi lorsque cette loi est invalide, il s'agit de profiter de toute opportunité pour l'abroger. Il me semble d'ailleurs que le "mouvement libéral français" pêche terriblement par sa division et que cette méthode des coalitions mériterait aussi d'être utilisée entre les libéraux eux-mêmes. Que faire pour favoriser la formation de coalitions ad hoc ? Il faut la confiance et des relations fondées sur un contrat précis. C'est donc en étant sincère, sans compromis sur ses idées mais ouvert à l'action commune que le libéral/libertarien peut faire avancer son point de vue en participant à des actions coalliées. 5\ Dans les trois textes cités, Rothbard fait preuve d'un optimisme naïf, sur le long terme et surtout sur le court terme. A la fin des années 1970, Rothbard juge que "the current prospects of liberty, even in the short-run, are highly encouraging" en particuliers parce que le Watergate a "dé sanctifié" (dixit Rothbard) la Maison Blanche et parce que le capital américain est en phase d'épuisement ; mais il ne propose en fait qu'un listing de raisons particulières, preuve de son impuissance à produire autre chose qu'une pure spéculation sur ce sujet. Il est maintenant clair que Rothbard pêchait par excès d'optimisme en ce qui concerne le court terme. En ce qui concerne le long terme, il me paraît évident que le meilleur comme le pire est envisageable. C'est peut-être sur ce point que l'application de l'individualisme méthodologique manque le plus : conseiller d'être optimiste ou non à un entrepreneur n'a pas vraiment de sens. Chacun est juge de ses forces et des opportunités de bonheur qui s'offrent à lui et s'il doit agir avec optimisme, ce n'est pas par principe ex-nihilo, ni parce que la situation est favorable, mais parce qu'il est incohérent de poursuivre le bonheur avec pessimisme (Cf le point 3 ci-dessus). En résumé, la victoire libérale est assurée à ceux qui sauront construire un mouvement d'entrepreneurs de leur propre bonheur, une société d'individus libres qui ne tolèrent que des compromis d'entrepreneurs (ie d'énergie et de temps). Peu à peu cette société d'hommes plus heureux que les autres augmenteront leur bonheur en s'ingéniant à faire tomber les entraves à leur liberté, grâce à des coalitions ad hoc avec d'autres mouvements s'il le faut, mais sans jamais compromettre. La bonne nouvelle est que "What it means to you" c'est qu'il suffit de poursuivre votre bonheur en accord avec vos idées libérales pour progresser vers une société libre. Voici la stratégie, à chacun sa tactique pour être heureux !
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