alex6 Posté 19 juin 2007 Signaler Posté 19 juin 2007 L'école autrichienne serait issue du Thomisme, partagé entre l'influence de l'Ecole de Salamanque et la tradition catholique de l'Empire. Telle est la thèse sur laquelle je me base pour extrapoler ensuite sur les origines philosophiques du libéralisme, extrait d'un passage intéressant et très bien construit de " l' Histoire du libéralisme en Europe " (P.Nemo, J.Petitot): Concernant l'influence de la scolastique, G. Hülsmann précise l'origine de cette influence: La scolastique procurait à l'Ecole autrichienne bien plus que son épistémologie. Elle lui fournirait également un héritage économique et politique. Aux XVIème et XVIIème siècles, un groupe de juristes dominicains et jésuites se lançait dans une analyse morale des nouvelles pratiques commerciales et financières qui s'étaient répandues dans l'économie espagnole, la plus riche de son époque en Europe. L'intérêt de ces travaux était évidemment d'assurer que le royaume de Dieu s'établissait dans le monde des affaires; les manuels de ces penseurs devraient aider les pasteurs à se mettre à la hauteur de leur troupeau. Mais, pour ce faire, il fallait d'abord bien scruter le fonctionnement du commerce et des banques; il fallait comprendre exactement leur impact sur le bien-être matériel et spirituel des protagonistes, ainsi que sur celui de la population au sens large. Cette ouverture à l'économie, associée à la tradition philosophique tomiste va entraîner l'émergence de l'originalité de la pensée autrichienne: En Autriche[…] soulignons, en particulier, que la vie intellectuelle fut impregnée par la philosophie préférée du catholiscisme: le réalisme thomiste.Il est bien connu que la particularité de cette philosophie est qu'elle refuse d'accepter la dichotomie fondamentale entre théorie et savoir empirique, dichotomie qui domine l'épistémologie moderne. Thomas d'Aquin et ses disciples insistaient sur le fait que la bonne théorie n'est pas simplement une construction intellectuelle, mais une description plus ou moins fidèle de certain trait de la réalité. La théorie descriptive ou réaliste n'était pas pour eux un luxe intellectuel qui ne s'obtenait que dans certaines disciplines concrètes comme la biologie; ils essayèrent de montrer que le même réalisme pouvait être atteint dans des domaines les plus abstraits comme la métaphysique. En Autriche, les réprésentants les plus importants de cette tradition furent les philosophes Leibniz, Bolzano et Herbart. A l'opposé de la victoire au même moment dans de nombreux pays (France, Angleterre) du nominalisme d'un Bacon ou du rationalisme d'un Descartes, l'Autriche a conservé cette influence du réalisme d'Aristote et de saint Thomas d'Aquin. Dans la continuité du thomisme appliqué aux problèmes économiques, cette influence se retrouve au coeur de l'oeuvre de Carl Menger: « Il me paraît plutôt non seulement juste, mais aussi plus opportun de nommer la méthode dont nous usons "analytique-compositive", "analytique-synthétique" ou mieux encore "exacte".[…]« La valeur ou la non-valeur de nos recherches trouvera toujours sont "criterium" dans ceci: si et en quelle mesure nous avons réussi à fixer les vrais (ceux qui correspondent à la vie réelle) facteurs constitutifs des phénomènes économiques et des lois d' après lesquelles les phénomènes compliqués de l'économie politique se déduisent d'éléments simples. « Un chercheur qui arrivera par la voie de l'analyse à de tels éléments qui ne correspondent pas à la réalité ou qui, sans véritable analyse, prendra son point de départ dans des axiomes arbitraire, ce qui n'est que trop souvent le cas dans la méthode soi-disant rationnelle, tombera nécessairement dans l'erreur, même s'il maîtrise parfaitement les mathématiques » Et G. Hülsmann de poursuivre: En décomposant l'action individuelle pour en identifier les facteurs déterminants, Menger découvre que c'est cette même décomposition qui fournit la clef fondamentale de la science. Les économistes, avant lui, avaient cultivé l'habitude scientifique de grouper les phénomènes dans certaines classes et de raisonner ensuite avec ces classes. Ils parlaient « des » besoins, « des » quantités, « des » valeurs. Mais Menger découvre que ces classes n'ont pratiquement aucune importance dans la réalité. Ce qui compte véritablement, ce sont les parties qui composent lesdites classes. Un homme nageant dans un lac ne va pas évaluer un verre d'eau autant qu'un autre homme qui meurt de soif dans un désert. Donc, pour comprendre la valeur de l'eau, les prix de l'eau et les quantités d'eau vendues et achetées sur le marché, il faut faire attention aux besoins partiels d'eau, aux quantités partielles disponibles dans tel ou tel contexte, etc. L'émergence du concept d'utilité marginale trouve donc son origine dans une vision philosophique thomiste, rejetant tout le soi-disant rationalisme issu des Lumières qui donnait une plus grande importance aux concepts globaux par rapport aux entités particulières. Ce faisant, même une simple idée déconnectée des réalités pouvait prendre le pas sur tout le reste si l'individu qui l'émettait jouissait d'une quelconque renommée subjective. Cela explique par ailleurs une erreur fondamentale de Marx qui dans son approche globale ne pouvait voir l'existence de l'utilité marginale et donc une des erreurs fondamentales expliquant l'impossibilité de pouvoir appliquer sa philosophie à la pratique, la fameuse impossibilité concrète devant laquelle s'est trouvée la praxis. Ca me paraît être une réflexion qui complexifie un peu plus encore l'apport réel au libéralisme du réalisme et du nominalisme. Là où ce dernier se trouva être à l'origine de l'émergence du concept d'individualisme méthodologique cher à Hayek qui rejeta tout réalisme car conduisant à un individualisme rationaliste, ce même réalisme fut à l'origine d'une influence majeure dans la construction du libéralisme philosophique et économique. J'avais déjà été un peu étonné par ce dualisme dans lequel tombait souvent Hayek, preuve d'une certaine instabilité dans sa théorie. D'une part le réalisme conduit à la construction d'un individu sur-humain (ou se voulant être ainsi) et donc à une négation du principe même de la main invisible comme optimum, d'autre part le réalisme est indispensable à limiter la conception du monde comme donnant la primauté aux concepts non-réels et donc à la subordination de l'individu aux entités collectives. Popper semble avoir résolu la tension hayékienne en acceptant le réalisme sans concession, un peu dans une optique kantienne et finalement très en cohérence avec la doctrine chrétienne. On en arrive presque à devoir faire un choix exclusif entre les deux en prenant le risque de tomber dans les dérives inhérentes à chacune des deux philosophies. Une explication de la difficulté intrinséque qu'a le libéralisme de pouvoir s'appliquer concrêtement? Votre avis?
0100011 Posté 19 juin 2007 Signaler Posté 19 juin 2007 L'école autrichienne serait issue du Thomisme, partagé entre l'influence de l'Ecole de Salamanque et la tradition catholique de l'Empire. Telle est la thèse sur laquelle je me base pour extrapoler ensuite sur les origines philosophiques du libéralisme, extrait d'un passage intéressant et très bien construit de " l' Histoire du libéralisme en Europe " (P.Nemo, J.Petitot): Je pense que si tu cherches les origines du libéralisme il ne faut pas passer à côté du Stoïcisme. Par exemple concernant le Droit Naturel .
alex6 Posté 19 juin 2007 Auteur Signaler Posté 19 juin 2007 Il manquait la moitié, je sais pas ce que j'ai fait… désolé C'est un peu plus complet et maintenant en rapport avec le titre. Votre avis?
Ronnie Hayek Posté 19 juin 2007 Signaler Posté 19 juin 2007 Je doute fortement de l'importance du nominalisme dans l'essor du libéralisme. Il est plutôt l'une des fondations du positivisme juridique, puisqu'il a permis la substitution de la volonté du législateur à l'ordre naturel du monde comme source de la norme. Pour citer Michel Villey: L'idée de droit positif est (…) une des pièces du système classique du droit naturel. Mais, dans ce système, s'il existe un juste qui dérive de la loi, un juste posé positif, ce n'est là qu'une source subsidiaire, puisque la première source du droit reste l'ordre de la nature dont le travail de la jurisprudence extrait des règles juridiques. Le positivisme juridique est, au contraire, cette doctrine qui exalte le droit positif jusqu'à prétendre édifier sur la loi, et sur la loi seule, l'ensemble de l'ordre juridique.Or c'est bien dans ce sens le plus clair et le plus authentique que le positivisme juridique est le produit du nominalisme. Et qu'il fait déjà partie de la doctrine de Guillaume d'Occam (lequel) ne reconnaît (…) pour objet de la connaissance que des res positivae singulières : c'est dire qu'il ne peut reconnaître, aussi bien, comme sources de droit que des formules de lois, expressions de volontés individuelles, et non plus l'ordre de la nature. Philosophiquement parlant, délier le concept de toute référence à la réalité du monde est porteur de lourdes menaces, que ce soit pour faire primer l'idéel sur le concret (platonisme) ou l'expérimental sur le conceptuel (nominalisme). Ce n'est pas un hasard si la doctrine réaliste - aristotélo-thomiste - développe, a contrario, une théorie de la prudence, dans laquelle nous pouvons retrouver une parenté avec la juste modestie du programme libéral.
alex6 Posté 19 juin 2007 Auteur Signaler Posté 19 juin 2007 Pourquoi dans ce cas Hayek n'a-t-il pas été capable de le lâcher complétement? J'avoue que j'adhère à sa conception de l'individualisme méthodologique, conception qui s'appuie sur un rejet du réalisme en lui préférant le nominalisme. Ca me dérange beaucoup de voir cette incohérence, ou tout du moins ce dualisme, au coeur même d'une pensée se voulant très englobante et solide puisqu'en rejetant le réalisme Hayek sape la base de sa théorie finalement. Ou alors j'ai râté un épisode…
Ronnie Hayek Posté 19 juin 2007 Signaler Posté 19 juin 2007 Pourquoi dans ce cas Hayek n'a-t-il pas été capable de le lâcher complétement? J'avoue que j'adhère à sa conception de l'individualisme méthodologique, conception qui s'appuie sur un rejet du réalisme en lui préférant le nominalisme.Ca me dérange beaucoup de voir cette incohérence, ou tout du moins ce dualisme, au coeur même d'une pensée se voulant très englobante et solide puisqu'en rejetant le réalisme Hayek sappe la base de sa théorie finalement. Ou alors j'ai râté un épisode… J'avoue surtout à avoir du mal à saisir le rapport entre le nominalisme et la philosophie politique du bon Friedrich.
alex6 Posté 19 juin 2007 Auteur Signaler Posté 19 juin 2007 Extrait de "Vrai et faux individualisme" Quels sont, alors, les caractères essentiels du vrai individualisme ? La première chose qui doit être dite est qu'il s'agit d'abord d'une théorie sociale : un essai pour comprendre les forces qui déterminent la vie sociale de l'homme, et ensuite seulement un ensemble de principes politiques déduits de cette vision de la société. Ce fait devrait en lui-même suffire à refuser le plus sot des malentendus qui courent à ce sujet : l'idée suivant laquelle l'individualisme postulerait (ou fonderait ses arguments sur cette hypothèse) l'existence d'individus isolés ou autosuffisants, au lieu de partir de l'étude de gens dont la nature et le caractère sont déterminés par le fait qu'ils existent en société [7] . Si cela était vrai, l'individualisme n'aurait vraiment rien à apporter à notre compréhension de la société. Mais son postulat essentiel est en fait différent, à savoir qu'il n'existe aucun autre moyen de s'assurer des phénomènes graves sociaux que de comprendre les actions que les individus entreprennent vis-à-vis des autres, dans l'idée qu'ils se conduiront d'une certaine façon [8][8]. De ce point de vue, comme l'a établi Karl Pribram, l'individualisme est un résultat nécessaire du nominalisme philosophique, alors que les théories collectivistes ont leurs raisons dans la tradition "réaliste" ou, comme Karl Popper l'appelle maintenant avec plus de précision, "essentialiste" (Pribram, Die Entstehung der individualistischen Sozialphilosophie (Leipzig, 1912). Mais cette approche "nominaliste" ne caractérise que l'individualisme authentique, alors que le faux individualisme de Rousseau et des physiocrates, conformément à son origine cartésienne, est fortement "réaliste" ou "essentialiste". C'est tout de même plutôt explicite, non?
Ronnie Hayek Posté 19 juin 2007 Signaler Posté 19 juin 2007 Extrait de "Vrai et faux individualisme"C'est tout de même plutôt explicite, non? Oui, je crois d'ailleurs que tu avais déjà posté cet extrait, mais c'est une interprétation erronée de la part de Hayek. A mon sens, il confond trop rapidement holisme médiéval et collectivisme moderne.
alex6 Posté 19 juin 2007 Auteur Signaler Posté 19 juin 2007 Ca m'avait induit en erreur effectivement mais disons que l'influence de Roscelin sur Hume et Mill par exemple m'avait fait croire à la crédibilité de la thèse hayékienne. De plus, l'influence réaliste est vraiment très étendue ce qui rend difficile le fait de la restreindre à un seul courant philosophique.
Ronnie Hayek Posté 19 juin 2007 Signaler Posté 19 juin 2007 Pour compléter mon propos, c'est plutôt le nominalisme qui me paraît être le précurseur lointain du faux individualisme dénoncé par Hayek. A mettre aussi en rapport avec la question de l'utilitarisme, à mon sens. Dans une conférence donnée à Tokyo en 1964, intitulée "Kinds of Rationalism", et traduite dans le recueil paru dernièrement aux Belles Lettres, Hayek explique notamment ceci: Les auteurs de la tradition cartésienne, comme Helvétius et Beccaria, ou leurs successeurs anglais, Bentham et Austin, jusqu'à G. E. Moore, ont transformé cet utilitarisme générique qui recherchait l'utilité incorporée dans les règles abstraites qui ont évolué au cours de générations successives, en un utilitarisme particulariste qui, dans ses conséquences ultimes, se résume en l'exigence de tous ses résultats prévisibles, idée qui, en dernière analyse, tend à nous exonérer de toute règle abstraite, et conduit à affirmer que l'homme peut réaliser un ordre social souhaitable en arrangeant concrètement tous ses aspects en pleine connaissance des faits pertinents. Alors que l'utilitarisme générique de Hume repose sur une reconnaissance des limites de la raison, et qu'elle trouve son meilleur usage dans une stricte obéissance à des règles abstraites, l'utilitarisme particulariste constructiviste repose sur la croyance selon laquelle la raison est capable de manipuler directement tous les détails d'une société complexe.(…) Il est assez évident que ce type de rationalisme doit mener à la destruction de toute valeur morale, et à la croyance selon laquelle l'individu devrait être guidé seulement par son évaluation personnelle des fins particulières qu'il poursuit, et que ceci tend à justifier tous les moyens par les fins poursuivies. L'état d'esprit que cela engendre a été bien décrit par un texte autobiographique de feu lord Keynes. Pour décrire les idées que lui et ses amis défendaient dans les premières années de ce siècle - et que lui-même défendait toujours ouvertement trente ans plus tard - il écrivit: "Nous refusions toute obligation personnelle d'obéir à des règles générales. Nous affirmions que nous avions le droit de juger chaque cas particulier sur ses mérites, et que nous possédions la sagesse, l'expérience et la maîtrise de soi nécessaires pour y parvenir. C'était une part importante de notre foi, affirmée violemment et avec agressivité, et c'était là, pour le monde extérieur, notre caractéristique la plus évidente et la plus dangereuse. Nous refusions entièrement la morale habituelle, les conventions et la sagesse traditionnelle. Cela revient à dire que nous étions, à strictement parler, des immoralistes. Les conséquences, si nous étions percés à jour, devaient bien entendu prises pour ce qu'elles valaient. Mais nous n'admettions ni de nous conformer ni d'obéir à aucune obligation morale, à aucune sanction intime. Et face au ciel, nous revendiquions d'être seuls juges de nos propres affaires." Il faut remarquer que cette déclaration implique non seulement un rejet des règles morales traditionnelles, mais également de tout respect de règles de conduite d'aucune sorte, qu'elles soient morales ou autres. Elle implique l'idée que l'intelligence de l'homme est apte à ordonner adéquatement sa vie sans l'aide que peuvent lui fournir les règles générales ou les principes; en d'autres termes, il s'agit de l'idée selon laquelle il peut coordonner ses activités avec succès grâce à une évaluation explicite des conséquences de toutes les alternatives d'action possibles, et en pleine connaissance de toutes les circonstances.
alex6 Posté 19 juin 2007 Auteur Signaler Posté 19 juin 2007 Pour le coup ça semble plus être une critique du platonisme, platonisme qui influença beaucoup Keynes et sa croyance toute spinoziste dans la nécessité de confier le sort des individus aux mains des Sages. En fait la difficulté avec le nominalisme se trouve être sa capacité adaptative ce qui explique sans doute pourquoi Hayek est parvenue à lui lier le vrai individualisme alors qu'en parallèle le même nominalisme engendrait le courant utilitariste du libéralisme. Une sorte de caméléon philosophique en fait…
Ronnie Hayek Posté 19 juin 2007 Signaler Posté 19 juin 2007 Pour le coup ça semble plus être une critique du platonisme, platonisme qui influença beaucoup Keynes et sa croyance toute spinoziste dans la nécessité de confier le sort des individus aux mains des Sages.En fait la difficulté avec le nominalisme se trouve être sa capacité adaptative ce qui explique sans doute pourquoi Hayek est parvenue à lui lier le vrai individualisme alors qu'en parallèle le même nominalisme engendrait le courant utilitariste du libéralisme. Une sorte de caméléon philosophique en fait… Pour la première partie de la réponse, je ne crois pas que ce soit, en l'occurrence, l'objet de la réflexion du vieux Friedrich. Ce qu'il identifie ici, c'est une volonté de voir de la différence et de la particularité partout, au nom d'un faux individualisme, et de refuser les abstractions, jugées trop autoritaires. Entre parenthèses, cela ne vous rappelle rien ? S'agissant de la suite de ta réponse, le nominalisme est un caméléon philosophique, oui. Sans doute est-ce aussi ce qui explique qu'il ait trouvé sa filiation dans la vision du monde de gauche.
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