Punu Posted June 29, 2007 Report Posted June 29, 2007 http://letemps.ch/template/economie.asp?pa…;article=210298 INTERVIEW. Evgueni Yassine, ancien ministre de l'Economie de Boris Eltsine, dirige le Haut Collège d'économie de Moscou.Benjamin Quénelle, Moscou Vendredi 29 juin 2007 Le Temps: Au G8, la semaine dernière, le premier ministre britannique, Tony Blair, avait laissé entendre que, si le régime de Vladimir Poutine, le chef du Kremlin, ne retrouvait pas le chemin de la démocratie, les investisseurs étrangers n'iraient plus en Russie. La menace est-elle sérieuse? Evgueni Yassine: Non! D'abord parce qu'un gouvernement occidental ne peut pas dicter sa volonté aux investisseurs privés. Mais surtout parce que c'est le processus opposé qui se produit actuellement: lorsque la Russie était démocratique sous Eltsine, les groupes étrangers ne venaient pas et investissaient davantage en Pologne ou en Hongrie. Aujourd'hui, sous Poutine, le pays est moins démocratique, mais les investissements occidentaux affluent à un rythme auquel nous ne pouvions que rêver dans les années 1990. On pourrait en conclure que les businessmen n'aiment pas la démocratie! Mais l'explication est différente. Les entreprises vont en fait là où il y a des possibilités de travailler et généralement là où d'autres ont déjà fait les premiers pas: c'est le cas de la Russie où, malgré les entraves à la démocratie, le climat des affaires est devenu plutôt bon et où, les uns après les autres, tous les groupes mondiaux se suivent pour investir… - A l'exception des compagnies pétrolières occidentales! Total (FP.PA), BP, Shell ont toutes des problèmes. N'ont-elles pas de bonnes raisons de douter de la fiabilité de la Russie? - Je serais le premier à ne pas lui faire confiance! Très tôt, j'ai prévenu les dirigeants de ces groupes pétroliers occidentaux. Je leur ai prédit que le gouvernement russe allait tout faire pour remettre la main sur les secteurs considérés comme stratégiques, telle que l'énergie. Cela s'est concrétisé. Pour obtenir ce contrôle, le gouvernement a utilisé le même type de moyens prétendus légaux auxquels il a recouru pour ruiner Yukos (ndlr: le groupe pétrolier de Mikhaïl Khodorkovski). A leur tour, BP et son allié russe TNK vont bientôt en faire les frais! Bien sûr, il y a de longues négociations, même si on connaît d'avance le résultat. C'est le style de Poutine: il prend son temps et trouve toujours un moyen d'apparence légale pour arriver à ses fins. Je ne peux pas lui faire confiance. Mais c'est un fait: le climat général des affaires n'a pas empiré sous les huit ans de Poutine, au contraire! Parce qu'il y a de plus en plus d'argent dans le pays. Et aussi parce que des réformes ont été menées, au cours du premier mandat du président: de bonnes lois et de bons codes ont été adoptés sur les impôts, sur la concurrence, sur les mises en faillite ainsi que sur la propriété terrienne et sur le travail. Du coup, en dehors des secteurs stratégiques repris en main par l'Etat, il y a plein d'industries dans lesquelles les étrangers peuvent venir investir et travailler en paix! - Réciproquement, les groupes russes ont de plus en plus de vues sur des bastions de l'industrie européenne. L'Europe a-t-elle raison d'en avoir peur? - Si j'étais Européen, je ne m'inquiéterais pas. Comme on l'a vu sur le dossier d'Arcelor (LOR.PA), les investisseurs russes ne diffèrent guère des investisseurs indiens… Ce sont des partenaires commerciaux normaux. Ils ne sont pas dangereux. Ils n'ont que de l'argent à proposer et, aujourd'hui, ils en ont beaucoup à placer. C'est donc normal qu'ils aillent à l'étranger… Pourquoi les Américains n'ont pas eu peur des investisseurs venus de pays arabes? Et pourquoi l'Europe accepte des actionnaires américains, asiatiques mais pas russes? En fait, de vieux clichés anti-Russie demeurent. Comme on le voit sur le dossier du gaz. Il y a deux ans encore, la Russie délivrait du gaz à l'Allemagne pour 120 dollars les 1000 m3, et les entreprises de distribution allemandes le revendaient à leurs clients à plus de 300 dollars! Gazprom a donc de bonnes raisons de vouloir bénéficier davantage du marché de la distribution directe en Europe… C'est une réaction normale, inspirée par les réalités du marché. - A dix mois de la présidentielle, êtes-vous inquiet de l'état de l'économie russe? A-t-elle réussi à réduire sa dépendance du secteur énergétique? - L'économie s'est diversifiée. L'industrie pétrolière a généré beaucoup d'argent, qui depuis s'est retrouvé dans le reste de l'économie. Accessible, cet argent circule, sert à investir, à acheter des équipements. D'où la croissance des secteurs du commerce, de la construction immobilière, des services financiers et de toutes les industries qui fournissent ces secteurs. Grâce à cette diversification, la Russie se retrouve aujourd'hui à l'abri d'une crise provoquée par une possible chute du cours du pétrole. Parce que les revenus des Russes ne dépendent plus seulement de l'énergie. Si le prix du brut s'effondre, il y aura une récession, mais il n'y aura pas de catastrophe comme dans les années 1990. - C'est grâce à la stabilisation apportée par Poutine? - Il a certes rétabli l'ordre politique. Mais si pendant les huit années de sa présidence il y avait eu de la démocratie, si notamment il n'y avait pas eu l'affaire Yukos, je pense que la croissance russe aurait été encore plus forte: jusqu'à 12% par an au lieu de 6-7%. La situation économique actuelle ne m'inquiète pas, mais les perspectives futures me préoccupent. D'autant plus que les méfaits de la reprise en main par l'Etat des secteurs dits stratégiques risquent de se faire sentir - pas tout de suite mais dans cinq ans ou plus… La Russie peut désormais choisir entre trois voies de développement. Soit une industrialisation selon les modèles chinois ou indien, mais nous en avons d'autant moins les moyens que notre crise démographique réduit la main-d'œuvre disponible. Soit une expansion fondée avant tout sur les ressources naturelles, mais qui non seulement enferme le pays dans sa dépendance mais limite tout réel développement. Soit le choix de l'économie d'innovation comme en Europe et aux Etats-Unis mais, pour cela, il faut plus de liberté dans la société pour libérer les forces créatives…
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