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L'emploi à Paris: Fluctuat nec mergitur


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L'emploi à Paris: Fluctuat et mergitur

Par Rémy Prud'homme, professeur émérite à l'Université Paris XII

A en croire le discours officiel, l'économie de Paris se porte fort bien. Le site de la municipalité affirme la « bonne santé économique » de la capitale, explique que son «attractivité économique et sociale se conforte et se développe », et le magazine de la ville titre « Dynamisme économique : un élan durable ». Tout va très bien, Madame la marquise.

Mais à part ça, il faut que je vous dise : le nombre d'emplois diminue rapidement. Le nombre d'emplois salariés privés est bien connu. Toutes les entreprises de France, y compris les plus petites, sont tenues de déclarer à l'UNEDIC le nombre de leurs salariés. On dispose ainsi pour Paris, l'Ile de France, et la France entière, de séries homogènes, comparables dans le temps et l'espace, issues de dénombrements exhaustifs, et que chacun peut consulter sur la toile (unistatis.orsid.com). Que racontent-elles ?

Que les choses vont mal, très mal, à Paris. Le nombre des emplois (salariés privés) fluctue. Il décline au début des années 1990, et atteint un point bas en 1998. La courbe se redresse ensuite en 1999 et 2000, pour se stabiliser en 2001 et 2002. Depuis 2002, c'est la chute : entre 2002 et 2006, en quatre ans, Paris perd près de 60.000 emplois (salariés privés), malgré un petit rebond en 2006. C'est 12.000 emplois de moins chaque année. Il s'agit d'une diminution nette des créations d'emplois, quelque chose comme la différence entre 100.000 emplois créés et 112.000 emplois éliminés. Le bruit que font 10.000 emplois de moins à Airbus (en une fois, sur quinze sites dans toute l'Europe) contraste avec le silence qui entoure ces 12.000 emplois de moins à Paris (chaque année).

Ce -12.000 emplois pourrait être trompeur, et pour le bien comprendre, il faut le situer dans son contexte. Ce déclin pourrait en effet n'être pas spécifique à Paris, mais refléter une évolution plus générale, propre à la France, ou à l'Ile de France. En réalité, il n'en est rien. C'est même le contraire que l'on observe. Dans la même période 2002-2006 le nombre d'emplois a augmenté dans l'ensemble de la France, ainsi que dans le reste de l'Ile de France. Si l'emploi avait évolué à Paris comme il a évolué dans le reste de l'Ile de France, il aurait augmenté de 53.000 unités. Le recul spécifique de Paris sur ces quatre années est donc d'au moins 110.000 emplois (plutôt que de 60.000 emplois). Toutes choses égales par ailleurs, Paris a donc au cours de ces quatre années perdu plus de 27.000 emplois par an.

Cette analyse de l'évolution de l'emploi est corroborée par l'examen de l'évolution des loyers commerciaux. Moins d'emplois, moins de demande de bureaux. Alors que le prix des logements s'envole, le prix des bureaux à Paris s'affaisse. Le loyer moyen des bureaux neufs atteint un point haut en 2001 et décline dans les quatre années qui suivent. Entre 2001 et 2005, la chute est de plus de 20%.

Ce déclin de l'activité de Paris coïncide avec le mandat de l'actuelle équipe municipalité. Sous la mandature précédente (1996-2001), l'emploi à Paris augmentait déjà moins vite qu'en France. Mais il augmentait. Entre 1995 et 2001, de plus de 50.000 unités. Le prix des bureaux s'élevait : de près de 90% entre 1996 et 2001. La chute des emplois à Paris a certainement plusieurs causes. Dans beaucoup de pays, pas dans tous cependant, les centres des agglomérations connaissent des difficultés. Mais il est difficile de ne pas établir un lien avec la politique suivie, et revendiquée, par l'équipe élue en 2001.

On ne trouve pas ce lien dans la fiscalité locale : les taux de la taxe professionnelle et de l'impôt foncier sont plutôt plus bas à Paris qu'ailleurs. On ne le trouve pas non plus dans l'attitude des autorités municipales à l'égard des entreprises : elle a au contraire fait des efforts pour favoriser la création d'entreprises.

L'explication la plus plausible tient à la politique des transports et à la détérioration des conditions de circulation qu'elle a entraînée. Le rétrécissement systématique de l'espace viaire a causé une augmentation des embouteillages, qui a son tour a engendré une diminution de la circulation. La durée et la pénibilité des déplacements qui ont Paris pour origine ou pour destination ont augmenté. La municipalité a beau affirmer haut et fort que l'on circule aussi vite aujourd'hui qu'il y a cinq ans, peu de gens le croient, et surtout pas les chefs d'entreprises parisiens.

La Chambre de Commerce et d'Industrie a fait une enquête auprès de 1.200 chefs d'entreprises à Paris. Les deux-tiers d'entre eux considèrent que cette politique a un impact négatif pour leurs déplacements professionnels (66%), pour leurs salariés (63%), pour leurs clients (64%), pour les livraisons de leurs fournisseurs (65%) et pour les livraisons à leurs clients (62%). Pour eux, la mobilité a diminué. Les coûts de transaction, en temps et en argent, ont augmenté. Le marché de l'emploi, mais aussi celui des biens et des services, ont rétréci. Toutes choses égales par ailleurs, l'efficacité des entreprises en est évidemment affectée. Et par voie de conséquence, l'emploi.

Paris est un endroit où il fait bon vivre, mais pas un endroit où il fait bon travailler. C'est une ville pour rentiers, pour retraités ou pour touristes, pas pour actifs. Une ville où l'on dépense -agréablement- l'argent venu d'ailleurs ou d'hier. Une sorte de Venise. Comme à Venise, le nombre des emplois diminue. Faudra-t-il bientôt changer la devise de Paris : fluctuat nec mergitur, elle flotte mais ne coule pas, en un terrible : fluctuat et mergitur ?

Rémy Prud'homme

http://www.rprudhomme.com

Après des études à HEC et à Harvard, Rémy Prud'homme est devenu Professeur d'économie. Il a longtemps enseigné à l'Institut d'Urbanisme de Paris, à l'Université Paris XII (où il est maintenant professeur émérite), et à de nombreuses reprises au MIT. Il a aussi été directeur-adjoint de l'environnement à l'OCDE, et travaillé comme consultant pour la plupart des grandes organisations internationales, notamment la Banque Mondiale. Ses travaux ont principalement porté sur les finances publiques et sur les transports. Il a été élu aux conseils d'administration de l'Association française de science économique et de l'Institut international de finances publiques.

http://leperroquetlibere.com/L-emploi-a-Pa…5132a0fb662254c

Posté

Le coût de l'immobilier, ne pousserait pas aussi les entreprises à s'exiler ailleurs ? Pas tant par philanthropie pour leurs employés mais aussi pour elles-mêmes, pour des raisons assez évidentes…

Invité jabial
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En taxi, on n'a jamais circulé aussi vite que depuis les couloirs Delanoë. Le ralentissement, c'est pour les petits-bourgeois : pas assez pauvres pour prendre le métro, pas assez riches pour prendre le taxi.

Et pourtant, en fait et malgré les tarifs relativement élevés des taxis parisiens, ça peut revenir moins cher qu'une voiture particulière.

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