Serge Posté 13 novembre 2007 Signaler Posté 13 novembre 2007 par Dario AntiseriEn matière de politique, la préoccupation première et essentielle de l'abbé Antonio Rosmini a été de déterminer les conditions permettant de garantir la dignité et la liberté de l’homme. Selon lui, c’est dans cette optique que la question de la propriété devient cruciale. Opposé à l’économisme socialiste, l'abbé Rosmini a clairement établi le lien qui unit la propriété à la liberté de la personne. "La propriété – écrit-il dans 'Philosophie du droit' – exprime vraiment cette union étroite entre un objet et une personne. […] La propriété est le principe d’où dérivent les droits et les devoirs juridiques. La propriété constitue une sphère autour de la personne, dont celle-ci est le centre: personne d’autre ne peut entrer dans cette sphère". Le respect de la propriété d’autrui est le respect de la personne d’autrui. La propriété privée est un instrument de défense de la personne contre l’envahissement par l’état. La personne et l’état : la première est faillible, le second n’est jamais parfait. Voici maintenant un célèbre passage extrait de "Philosophie de la politique": "Le perfectisme – c’est-à-dire ce système qui estime que la perfection est possible dans les choses humaines et qui sacrifie les biens présents à la perfection future que l’on envisage – est un effet de l’ignorance. Le perfectisme est un préjugé présomptueux selon lequel on juge trop favorablement la nature de l’homme, en se basant sur une pure hypothèse, sur un postulat inadmissible et avec un manque total de réflexion sur les limites naturelles des choses". Le perfectisme ignore le grand principe de la limitation des choses; il ne se rend pas compte que la société n’est pas composée d’"anges confirmés dans la grâce", mais plutôt d’"hommes faillibles". Il oublie que tout gouvernement "est composé de personnes qui, étant des hommes, sont toutes faillibles". Le perfectiste ne fait pas usage de sa raison, il en abuse. Les plus intoxiqués par l’idée néfaste du perfectisme sont les utopistes. Promettant le paradis sur terre, ces "prophètes du bonheur démesuré", mettent tout en œuvre pour construire de très respectables enfers pour leurs semblables. L'utopie – affirme l'abbé Rosmini – est le "tombeau de tout vrai libéralisme". "Loin de rendre les hommes heureux, elle creuse l’abîme de la misère; loin de les ennoblir, elle les rend ignobles comme les brutes; loin de les pacifier, elle introduit la guerre universelle, remplaçant le droit par le fait; loin de distribuer les richesses, elle les accumule; loin de modérer le pouvoir des gouvernements, elle le rend totalitaire; loin d’ouvrir à tous la concurrence sur tous les biens, elle détruit toute concurrence; loin de développer l’industrie, l’agriculture, l’art, le commerce, elle leur retire tous leurs stimulants, en empêchant la volonté privée ou le travail spontané; loin de pousser les esprits à de grandes inventions et les cœurs aux grandes vertus, elle comprime et écrase tout élan de l’âme, elle rend impossible toute noble initiative, toute magnanimité, tout héroïsme; et la vertu elle-même est exclue, la foi en la vertu elle-même est anéantie". Une précision: l'abbé Rosmini associe à son antiperfectisme une critique ferme de l’arrogance de cette pensée qui a célébré ses fastes dans les textes des Lumières avant de déchaîner les horreurs de la révolution française. La déesse Raison symbolise un homme qui prétend se substituer à Dieu et pouvoir créer une société parfaite. Le jugement du philosophe sur la présomption fatale des Lumières rappelle des considérations semblables, celles d'Edmund Burke avant lui, celles de Friedrich August von Hayek après. Antiperfectiste, à cause de l'"infirmité des hommes" naturelle, l'abbé Rosmini – toujours dans "Philosophie de la politique" – s'empresse de rappeler que les flèches qu'il décoche contre le perfectisme "ne sont pas destinées à nier la perfectibilité de l'homme et de la société. Que l'homme soit continuellement perfectible tout au long de sa vie: c'est là un bien précieux, un dogme du christianisme". L'antiperfectisme de l'abbé Rosmini implique donc un plus grand engagement. D'ailleurs, c'est de là que vient son attention à ce qu'il appelle la "longue, publique et libre discussion", puisque c'est de cet affrontement amical que les hommes peuvent tirer le meilleur d'eux-mêmes et éliminer les erreurs de leurs propres projets et idées. On lit encore dans "Philosophie du droit": "Les individus qui forment un peuple ne peuvent pas se comprendre s'ils ne se parlent pas beaucoup; s'ils ne s'affrontent pas avec vigueur; si les erreurs ne sortent pas des esprits et si, s'étant pleinement manifestées, elles ne sont pas combattues sous toutes leurs formes". Anti-étatiste et donc défenseur des "corps intermédiaires", protecteur des droits de liberté, l'abbé Rosmini a été très attentif aux souffrances et aux problèmes des nécessiteux, des plus défavorisés. Mais la juste solidarité chrétienne ne lui fait pas ignorer les dommages d'un système d'assistance d'état. "La bienfaisance gouvernementale – affirme-t-il – a une lourde charge à porter face aux plus graves difficultés. Elle peut s’avérer non pas avantageuse, mais très dommageable non seulement pour la nation, mais précisément pour la classe pauvre à qui elle prétend faire du bien. En ce cas, au lieu de bienfaisance, c’est de la cruauté. Bien souvent c’est de la cruauté justement parce qu’elle assèche les sources de la bienfaisance privée, en décourageant les citoyens d'aider les pauvres, parce que l’on croit qu’ils sont déjà secourus par le gouvernement, alors qu’ils ne le sont pas, qu’ils ne peuvent pas l’être, sinon dans une faible mesure". Voilà donc quelques unes des positions d'Antonio Rosmini théoricien de la politique. On saisit facilement leur extrême pertinence et leur impressionnante actualité. Mais aussi l'incalculable dommage – et pas uniquement pour la culture catholique – qu'a provoqué la longue marginalisation de ce prêtre-philosophe. Je pense que son nom n'est pas encore apparu sur le forum. Le texte complet avec une biographie ici.
José Posté 14 novembre 2007 Signaler Posté 14 novembre 2007 Lire également :"Antonio Rosmini : un prêtre philosophe sur les autels". Sinon, il s'agit d'un grand retour pour Rosmini, réhabilité par Ratzinger en 2001 et béatifié dimanche prochain.
Polydamas Posté 14 novembre 2007 Signaler Posté 14 novembre 2007 Merci des liens, je vais balancer ces liens à quelques cathos qui crachent à longueur de journée sur le libéralisme.
Ronnie Hayek Posté 14 novembre 2007 Signaler Posté 14 novembre 2007 Merci des liens, je vais balancer ces liens à quelques cathos qui crachent à longueur de journée sur le libéralisme. Tu penses à Patrice de Plunkett ?
Polydamas Posté 14 novembre 2007 Signaler Posté 14 novembre 2007 Tu penses à Patrice de Plunkett ? Comment t'as deviné….
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