Aller au contenu

Assurance santé : trois voies vers plus d'efficacité


Chitah

Messages recommandés

Posté

Trois livres présentés par Les Echos concernant la question de l'assurance santé.

Permettre aux usagers de choisir

Améliorer la qualité des services publics sociaux est un objectif beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît. Pour Julian Le Grand, professeur à la London School of Economics et ancien conseiller de Tony Blair, la meilleure solution est de permettre aux consommateurs de choisir. Autrement dit, mobiliser les principes et les forces du marché est opportun pour atteindre les fins des politiques sociales.

Le Grand appelle d'abord à ne plus considérer les destinataires des politiques sociales comme des pions passifs, mais comme des acteurs rationnels aptes à évaluer ce qui est le mieux pour eux. Il rappelle ensuite qu'il ne faut pas imaginer les agents du service public seulement mus par l'altruisme : il convient de les motiver, par exemple en les intéressant aux résultats.

Le choix des usagers doit pouvoir porter sur les professionnels sollicités, les lieux d'exercice de la prestation, les types de service, les moments et les modalités de prise en charge. Affirmant que le secteur public n'a pas le monopole de la vertu, et que le secteur privé n'a pas celui du vice, Le Grand fixe quatre règles au service public. Il faut qu'il fournisse de la qualité pour l'usager, qu'il réponde aux demandes des consommateurs, qu'il rende des comptes clairs aux contribuables, et qu'il soit équitable.

L'originalité de la thèse est de souligner que ce sont les plus défavorisés qui profiteraient le plus de cette reconnaissance de leurs aptitudes à choisir. En effet, les plus aisés et la classe moyenne bénéficient disproportionnellement des avantages d'un système qu'ils maîtrisent et peuvent contourner.

La solution passe par l'introduction de quasi-marchés. Il s'agit de développer des bons permettant de financer directement le service : des chèques scolaires, des chèques santé, etc. Ce schéma respecte l'autonomie des consommateurs et induit des incitations pour les producteurs à améliorer leurs prestations. En termes de justice sociale les moins avantagés ne dépendent plus ainsi d'une bureaucratie unique qu'ils ne comprennent pas. L'argumentation repose sur des enquêtes qui montrent que tous les Britanniques, dont les plus pauvres, aspirent à davantage de choix. Elle s'appuie également sur une batterie d'études dans d'autres pays qui signalent que la mise en concurrence n'a pas provoqué une ségrégation croissante.

Assainir le système sanitaire

D'autres experts sont favorables à une concurrence plus systématique encore. Michael Porter en fait partie. Le célèbre penseur de la stratégie souhaite réintroduire ou plutôt redéfinir la concurrence au sein du système de soins américain.

Dans ce livre volumineux, avec un site Internet dédié (www.hbs. edu/rhc/), les acteurs du système de soins sont décrits en compétition pour la réduction des coûts et pour la captation des bons risques. Cette concurrence, qui ne se situe pas au bon niveau, érode la qualité, réduit l'efficacité, génère des surcapacités. Une concurrence saine doit se centrer, d'une part, sur le patient, et, d'autre part, sur toutes les phases du traitement. La compétition doit toujours être orientée vers la production de valeur pour le patient.

Le système sanitaire américain se distingue par des coûts élevés, des performances médiocres, des accidents fréquents, l'insatisfaction des usagers. 46 millions d'Américains n'ont pas de couverture santé. 200.000 personnes décèdent chaque année à l'hôpital en raison d'erreurs qui pourraient être aisément prévenues. Les coûts d'administration du système, en augmen- tation rapide, représenteraient 30 % du total des dépenses.

Revisitant en profondeur les modalités de gestion du risque, la réforme dessinée par Porter conduit à passer d'une obligation de moyens techniques à des visées de résultats sanitaires. Détection précoce, prévention et suivi des malades, doivent autoriser de larges économies par rapport aux technologies coûteuses et aux médicaments. L'aune de toute évaluation devient la condition médicale du patient.

Formulée dans un vocabulaire français, la réforme viserait une approche médicalisée des soins, plutôt qu'une seule approche comptable. Cependant son contenu consiste en réalité en une totale déréglementation. Elle suggère une mutation de la médecine (qui ne serait plus art ni science, mais uniquement service). Elle commande la responsabilisation intégrale des patients, potentiels ou actuels, singulièrement pour ce qui relève de leurs comportements quotidiens.

Cibler les bénéficiaires

Ces comportements individuels doivent être précisément distingués et ciblés. C'est ce que soutiennent avec force Peter Schuck, professeur de droit à Yale, et Richard Zeckhauser, professeur d'économie politique à Harvard.

La question du ciblage est généralement assez mal vue en France. Schuck et Zeckhauser seront donc très mal vus car ils prônent catégorisation, profilage et sélection des populations. Pour le juriste et l'économiste américains, les politiques sociales concernent ceux qui n'ont pas de chance. C'est-à-dire tout le monde, à un moment ou à un autre de son existence. Il y a cependant de « mauvaises pommes » (on dirait aussi des « fruits pourris ») pour lesquelles la dépense ne devrait pas être faite en raison de l'irresponsabilité de leur comportement. Il y a aussi de « mauvais paris », des personnes pour lesquelles la dépense est disproportionnée au regard de l'amélioration des conditions de vie qu'elle amène.

La grande question qu'abordent Schuck et Zeckhauser est celle des principes de justice à convoquer pour affecter les ressources dans des contextes de choix difficiles, parfois tragiques. Leur critère est l'efficacité, ce qui les invite à plaider pour écarter du bénéfice des programmes sociaux ceux qui n'en tirent pas un grand avantage et ceux qui en tirent un trop grand avantage. Les fraudeurs et fauteurs de trouble doivent être sévèrement traités et précocement mis de côté. Ceux qui coûtent inutilement cher doivent ne pas être intégralement pris en charge. Il en va ainsi pour les soins palliatifs. Schuck et Zeckhauser avancent que leur propos est « d'abord moral avant d'être fiscal ».

On critiquera aisément une étrange éthique qui voit par exemple dans les naissances hors mariage (la moitié des naissances en France) un « grave problème moral ». Relevons, plus fondamentalement, que ce que les auteurs veulent faire c'est réintroduire la très ancienne distinction entre bons et mauvais pauvres, entre personnes méritantes ou non. Ces réserves faites, ils mettent tout de même parfaitement en évidence ce qu'ils baptisent des « pathologies » des politiques sociales : la redistribution inverse (les services sanitaires et sociaux profitent proportionnellement plus aux plus aisés), le saupoudrage (sans ciblage rien n'est valablement concentré), le bavardage juridique (sur lequel il n'est pas besoin d'insister en France).

Conscients des possibles effets pervers de tout ciblage, les auteurs proposent une ligne de conduite radicale face aux fléaux de la fraude, du nomadisme médical et du tourisme social. Gageons que leur texte heurtera bien des bonnes consciences françaises.

JULIEN DAMON

Archivé

Ce sujet est désormais archivé et ne peut plus recevoir de nouvelles réponses.

×
×
  • Créer...