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"Plaidoyer pour une e-TVA"


Serge

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Après plus de cinq ans d'impasse, l'harmonisation européenne de la TVA est repoussée non pas aux calendes grecques mais à… 2019 !

Il faudra attendre douze ans avant que la concurrence dans le commerce électronique sur le « marché unique » ne soit plus faussée comme c'est le cas actuellement pour cause de taux de taxe à valeur ajoutée (TVA) différents d'un pays européen à l'autre. Ainsi en a décidé le Conseil des ministres des Finances européen le mois dernier en adoptant un compromis décevant. Surtout lorsque l'on sait que l'un des plus petits pays des Vingt-Sept, le Luxembourg, en est à l'origine pour défendre bec et ongles ses propres intérêts jusqu'à malmener l'intérêt général de la communauté européenne.

De quoi s'agit-il ? Depuis 2000, la Commission européenne cherche à moderniser, simplifier, rationaliser, voire uniformiser, la TVA sur le Vieux Continent et faire tomber ainsi les « barrières fiscales ». L'explosion de l'Internet et du commerce électronique - lequel dépasse aujourd'hui 100 milliards d'euros de chiffre d'affaires annuel en Europe - rend la réforme urgente, tant les disparités des taux entre les Vingt-Sept sont flagrantes. Le Luxembourg taxe les services en ligne à 15 %, le minimum autorisé par la directive « TVA », contre 16 % en Allemagne et Espagne, 19,6 % en France, 21 % en Belgique ou 25 % en Suède et au Danemark. Ce patchwork profite au mieux-disant ! « Le Luxembourg dispose des meilleures conditions pour accueillir les entreprises qui souhaitent développer leurs activités de commerce électronique dans toute l'Europe », soutient la chambre de commerce du pays.

Comme la règle est que les biens et services sont taxés selon la TVA applicable dans le pays où le prestataire a son siège, cela peut s'avérer avantageux pour certains pays mais pénalisant pour d'autres. Or l'e-commerce (par ordinateur) ou le m-commerce (par mobile) poussent l'Union européenne à considérer au contraire la résidence du consommateur comme lieu de prélèvement de la taxe. Si tous les Etats membres viennent d'adopter cette nouvelle règle de calcul pour le B-to-B (professionnel à professionnel), il n'en va pas de même pour le B-to-C (professionnel à consommateur) qui continue à fonctionner sur la règle du lieu du fournisseur (sauf exception, comme les services de radio et télédiffusion, y compris la vidéo à la demande, pour lesquels la directive « TVA sur le commerce électronique » de mai 2002 applique le lieu de consommation).

La Commission européenne entendait bien mettre un terme à la concurrence déloyale des taux sur le marché intérieurs en étendant la règle de la taxation sur le lieu de consommation à tous les autres services en ligne. C'était compter sans le grand-duché qui, jusqu'à ce « compromis », avait usé - abusé ? - de son droit de veto pour bloquer cette modernisation de la « e-TVA ». « Je ne vais pas renoncer à 220 millions d'euros par an sur les recettes de la taxe à valeur ajoutée, ce qui représente 1 % de notre PIB [produit intérieur brut] annuel », a plaidé le Premier ministre et ministre des Finances du Luxembourg. Attirées par la TVA de cette petite monarchie, des sociétés, américaines pour la plupart, y ont installé leur QG européen : le site de vente Amazon, la téléphonie sur Internet Skype, le paiement électronique Paypal, le téléchargement iTunes d'Apple, le fournisseur du portail AOL (Time Warner), l'e-commerce de Microsoft et bien d'autres entreprises du commerce électronique.

L'entreprise dont le siège de cette activité est installé au Luxembourg se voit appliquer la TVA à 15 % qu'elle facture à un consommateur - où qu'il se situe en Europe. Les bouquets de télévision par abonnement (via satellite, câble, Internet) bénéficient même du taux « super réduit » de 3 % dans ce pays, comme l'y autorise la directive « TVA » ! « Avec le développement de la baladodiffusion (podcasting), de la vidéo à la demande, de la diffusion en continu (streaming) et du numérique, les contenus sont devenus accessibles (…) par Internet, via un réseau de radiodiffusion traditionnel ou interactif ou via un réseau de troisième génération (3G). Avec cette convergence (…), il va devenir de plus en plus difficile de justifier les différences de régime fiscal », expliquait pourtant il y a déjà plus de cinq ans la Commission européenne.

Le compromis trouvé in extremis fin 2007 pour éviter un énième veto du Luxembourg n'est - selon László Kovács, le commissaire européen en charge de la Fiscalité - « ni un échec ni un succès ». A ceci près qu'il reporte encore de cinq ans, à 2015 au lieu de 2010, les changements attendus ! Alors que le temps va deux fois plus vite sur Internet qu'ailleurs, la réussite du Luxembourg à préserver ses intérêts est anachronique. En attirant et en immatriculant sur son registre des entreprises du Net, le grand-duché va donc pouvoir « conserver » durant huit ans encore 100 % des recettes de la « e-TVA ». Il continuera à ne rien reverser aux pays de résidence des internautes. C'est seulement au milieu de la prochaine décennie que cette « rente fiscale » commencera à se réduire (30 % conservés en 2015-2016 ; 15 % en 2017-2018 et enfin 0 % à partir du 1er janvier 2019). La règle du « lieu de consommation » sera alors enfin pleinement appliquée.

L'Union fait un cadeau fiscal au Luxembourg - le pays où la richesse par tête est la plus élevée d'Europe - d'environ 2 milliards d'euros sur douze ans ! De quoi agacer ses homologues européens craignant une distorsion de concurrence. Selon une étude de Comscore, 160 millions d'internautes européens (soit 70 %) font du e-commerce sur des sites Web. Les plus fréquentés sont eBay (propriétaire de Skype), Amazon, Apple (iTunes) ou encore Microsoft, tous profitant de ce micro-climat fiscal pour afficher les tarifs les plus agressifs en ligne. La firme de Steve Jobs, qui a imposé partout la musique à 0,99 euro, aurait même demandé au Luxembourg de bénéficier du taux « super réduit » de 3 %, au lieu des 15 %, pour son iTunes Music Store. En vain. Mais c'est dire que la réforme de la « e-TVA » devient urgente.

CHARLES DE LAUBIER est journaliste au service high-tech-médias des « Echos » - [07/01/08]

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