CMuller Posté 30 juin 2008 Signaler Posté 30 juin 2008 Je reprends ici une dicussion centrée sur la morale, car ce thème vient un peu partout, souvent en HS (cf discussion de Legion qui, à l'origine, n'avait pas cet objet). J'aimerais lever des ambiguités sur les notions de morale universelle ou morale naturelle, avec tous les thèmes afférents comme le relativisme. Ma compréhension de la morale se fonde d'abord sur l'observation de la nature et de l'histoire. On peut nier ce premier choix et dire que la morale est donnée à l'homme par un dieu, par exemple, et que seul le respect de ce commandement divin donne sens à la morale. Je ne le pense pas personnellement, aussi je me retourne vers la biologie, la psychologie, la philosophie, l'ethnologie et l'histoire pour comprendre ce que signifie la morale chez l'espèce humaine. (*) L'homme est une espèce sociale et consciente : de la découle qu'elle est une espèce morale. La morale consiste en effet au sens large à dire ce qui est bien ou mal, bon ou mauvais pour un individu au sein d'un groupe, et pour un groupe vis-à-dis des autres groupes. C'est ainsi que la morale a été sélectionnée dans l'évolution : si des individus faisaient absolument n'importe quoi, y compris tuer, violer, piller, mentir, etc. au hasard autour d'eux, la survie de leur groupe (et la survie de ces individus) aurait été problématique. Homo sapiens n'a donc pu survivre qu'en réglant le comportement au sein du groupe, et la morale est le nom de ce règlement lorsqu'il s'agit de dire ce qui est bon/mauvais ou bien/mal. Il existe donc des instincts moraux ou protomoraux chez l'homme, qui précèdent toute formalisation d'une morale par le langage : nous éprouvons des émotions et de l'empathie, nous sommes sensibles à la souffrance des autres, nous répugnons à recourir à la violence comme mode normal de relation aux autres. Il faut cependant noter que même au niveau biologique, ces instincts ne sont pas strictement identiques et universels chez tous les humains : dans tout groupe il existe par exemple des individus psychopathes, ou bien plus souvent des individus impulsifs-agressifs à faible intelligence, qui sont apparemment incapables d'intégrer durablement un code moral de comportement, qui sacrifient à leur pulsion immédiate, qui sont indifférents à la souffrance des autres (ou qui valorisent leur plaisir dans l'instant par rapport à cette souffrance). De tels individus sont heureusement minoritaires, et ils finissent généralement morts ou en prison. Au-delà de ces cas particuliers que l'on peut considérer comme en dehors du champ moral (car leur cerveau n'y a pas vraiment accès pour des raisons innées ou acquises), il existe des différences plus subtiles chez les autres individus : par exemple, nous sommes plus ou moins empathiques, plus ou moins altruistes, plus ou moins sensibles à l'injustice, etc. Je laisse de côté ces nuances pour le moment, même si elles sont importantes pour une vision réaliste de l'être humain, car le point central est la programmation minimale et commune des humains d'une part à éviter la répétition d'actes violents et imprévibles, d'autre part à accepter et intégrer des règles au cours de leur développement normal, non pathologique (quelles que soient ces règles pour le moment). Le premier point que je voudrais souligner pour lancer cette discussion, c'est que les instincts moraux ou protomoraux dont je parle ici me semblent universels au sens où ils sont inscrits dans le répertoire de comportement de l'espèce, et dans la condition de survie d'un groupe humain. Ensuite, nous verrons comment les individus partageant ces instincts vont développer de véritables morales, construites, élaborées, et surtout comment ils vont adhérer à ces morales : ce peut être par foi, par tradition (usage) ou par raison, et nous aurons là des justifications différentes des morales humaines. Mais je voudrais d'abord savoir si l'on est d'accord ou non sur cette introduction sommaire. Il m'a semblé que beaucoup d'ambiguités sur le débat universalisme / relativisme venaient de ce que la dimension innée des instincts moraux n'est pas clairement posée comme telle. Aussi je commence par là, car c'est la base à mes yeux. (*) J'en profite pour rappeler que je distingue l'approche méta-éthique (comprendre ce qu'est l'éthique elle-même) de l'approche éthique (défendre des normes morales). Pour plus d'info sur cela, un court texte ici : http://www.mutageneses.com/2008/06/notes-s…mta-thique.html
melodius Posté 30 juin 2008 Signaler Posté 30 juin 2008 Même si la terminologie utilisée ("programmation"…) m'irrite et que je vois bien où tu veux en venir (dérive biologisante grotesque), je suis pour ma part à peu près d'accord avec cette entrée en matière. J'insèrerais par ailleurs une première distinction, celle entre la morale et le droit. Toute règle morale n'a pas vocation à devenir règle juridique et toute règle juridique n'est pas nécessairement morale (conduire à droite plutôt qu'à gauche par exemple). Ca nous mène par ailleurs vers la question de la sanction de la règle, qui distingue la règle juridique de la règle morale. Enfin, il faut bien distinguer une "loi" morale ou juridique d'une loi naturelle : en effet les premières n'existent que parce qu'il est possible de les violer, parce qu'elles s'appliquent à un comportement humain plutôt qu'à des choses, à l'instar des secondes qui sont donc descriptives plutôt que prescriptives. C'est d'ailleurs sur ce point que nous allons sans doute nous empoigner.
POE Posté 30 juin 2008 Signaler Posté 30 juin 2008 La morale permet de juger des actes que fait un individu. Elle implique que l'individu ait le choix : faire bien ou faire mal, faire telle ou telle chose dans telle ou telle situation…ceci me semble en contradiction avec la notion d'instinct. Les animaux sont considérés comme n'ayant pas de morale, comme des êtres a-moraux pour la raison qu'on considère qu'ils sont mus par leur instinct. Dans ces conditions, l'usage du terme "instincts moraux" me semble contradictoire, ou pour le moins de nature à entretenir une confusion sur le sens de la question. Ainsi, parler "d'instincts" moraux est déjà en un sens une négation de ce qui fait la morale : l'exercice souverain de la raison.
neuneu2k Posté 30 juin 2008 Signaler Posté 30 juin 2008 Ma compréhension de la morale se fonde d'abord sur l'observation de la nature et de l'histoire. On peut nier ce premier choix et dire que la morale est donnée à l'homme par un dieu, par exemple, et que seul le respect de ce commandement divin donne sens à la morale. Je ne le pense pas personnellement, aussi je me retourne vers la biologie, la psychologie, la philosophie, l'ethnologie et l'histoire pour comprendre ce que signifie la morale chez l'espèce humaine. (*) Tu n’es pas une entité amorale rationnelle, tu ne le seras jamais et tu ne peux pas étudier l'homme sans biais, biais que d'ailleurs tu avoue. Il n'est pas possible de déceler la présence d'une conscience et d'un libre arbitre chez les autres, c'est impossible, la seule preuve d'intelligence et de conscience est interne, et la il s'agit de foi, croit on être un automate (et si oui, quelle est donc cette entité qui crois être un automate ?) ou croit on être un individu, si l'on admet que l'on est un individu autonome, on peut étudier cette partie de nous qu’est la conscience, la morale n'étant « que » l'expression sociale de celle-ci. Ensuite, on peut avoir plusieurs avis cohérents avec les faits observés (et je suis sur d'en oublier, je suis ouvert a d'autres) Les autres sont des automates et je suis le seul a avoir une conscience Les autres sont des individus autonomes, ils ont une conscience et elle ressemble fortement à la mienne (c'est donc une propriété de l'être humain). Les autres sont des individus autonomes, ils n'ont pas de conscience (ou pas telle que je le reconnaitrai) et ils mentent pour me le cacher. Je choisis, arbitrairement de prendre l’option 2, a partir de la, on peut conclure a l’existence individuelle du mal (est mal, ce que ma conscience me dit de ne pas faire). Le passage à l’universel est un deuxième saut de foi, c’est le fait de croire que les autres humains ne sont pas moins bons que soi même. Que si ils commettent des actes maléfiques, c’est pour les mêmes raisons que moi, c’est parce qu’ils n’écoutent pas leur conscience. L’observation ne permet pas de valider ce saut de foi, je ne sais pas, et ne saurais jamais ce qui se passe dans la tète des autres, mais les témoignages concordent, les hommes se comportent comme si ils avaient tous une conscience, et que celle-ci reconnaissait le mal d’une façon très cohérente avec la mienne, de la à conclure que ces consciences ont une cause commune… Et non, l’evopsy n’explique absolument pas la conscience, faire le bien est peut être acquis par sélection de groupe, mais faire le mal consciemment, en sachant pertinemment que l’on fait le mal ne l’est absolument pas (quel intérêt d’avoir une conscience si on ne l’écoute pas ?) C’est cette faculté de différencier ce qui est de ce qui devrait être qui semble être unique a l’homme, l’évolution décrit comment ce qui est évolue dans un sens positif pour le groupe, mais en aucun cas n’explique qu’un individu progresse moralement de sa propre volonté. L’homme peut s’améliorer moralement parce que justement, il a une référence, un moyen de mesure, et ce moyen est la conscience, ignorer son existence et prétendre que l’évolution n’est que sociale/biologique est ignorer la réalité de ce qu’est l’homme. PS: Tu a vu, pas de licorne invisible, pas de miracles, pas de révélation matérielle, et pourtant, le péché est bien la, le mal est bien la, et les commandements moraux sont bien la, sous une forme pré-littérale.
CMuller Posté 30 juin 2008 Auteur Signaler Posté 30 juin 2008 Même si la terminologie utilisée ("programmation"…) m'irrite et que je vois bien où tu veux en venir (dérive biologisante grotesque), je suis pour ma part à peu près d'accord avec cette entrée en matière. (…) Attention bien : le contenu est plus important que la forme. "Dérive biologisante grotesque", cela ne veut rien dire : tu pense que la morale est inscrite dans la nature humaine (au sens biologique du terme, et avec toutes implications de ce sens biologique) ou tu ne le penses pas. J'ai observé que l'on faisait facilement dériver les mots "nature" et naturels" vers ce que l'on avait envie d'y mettre. C'est important pour notre discussion, car la délimitation de la base innée va déterminer le socle protomoral commun à toutes les morales. Il s'agit dans tous les cas d'un socle très général. Je pense qu'il permet surtout d'exclure de la discussion certains contre-exemples souvent avancés (du genre : "le violeur d'enfant c'est bien pour un relativiste?"), qui désignent à l'évidence des comportements à la fois rares dans l'espèce et perçu spontanément par la grande majorité de ses membres comme mauvais ou répugnants. Donc pour moi, ce genre de choses est du domaine de l'instinct biologique protomoral (répugnance à la violence contre un enfant) et non de la réflexion morale. Aucune morale connue n'accepte (a fortiori n'encourage) le viol d'enfant, car toutes sont construites sur ce genre d'évidences protomorales partagées.
neuneu2k Posté 30 juin 2008 Signaler Posté 30 juin 2008 Aucune morale connue n'accepte (a fortiori n'encourage) le viol d'enfant, car toutes sont construites sur ce genre d'évidences protomorales partagées. Je profite de l'exemple pour enfoncer un peu le clou, aucune morale n'encourage le viol d'enfant, mais Nanking, Berlin, etc… Il s'agit bien d'un acte universellement rejeté, et néanmoins pratiqué en masse dans certaines circonstances sans justification morale. Les SS, les soldats de l’armée rouge, les soldats japonais en chine, tous savaient qu’ils faisaient le mal, ils n’avaient pas une morale différente leur disant que ce n’était pas maléfique. Encore une fois, ce qui doit être est différent de ce qui est, en étudiant uniquement ce qui est, on passe a coté de la morale, et on ne fait que décrire ses effets.
Harald Posté 30 juin 2008 Signaler Posté 30 juin 2008 Lecomte du Noüy : Les notions de bien et de mal(L’homme et sa destinée, III-II) Bien que très anciennes, les idées morales, selon toute vraisemblance, ne furent pas d’abord très nombreuses, et leurs sanctions sociales restèrent insignifiantes aussi longtemps qu’aucune véritable société n’avait été constituée. Sans doute, les premières règles furent-elles de ne pas voler, de ne pas tuer. Mais, aussitôt que la loi individuelle ou familiale du talion eut été remplacée par une sanction sociale englobant le clan, et la « vengeance » transformée en « punition », en d’autres termes lorsque s’institua une véritable société et que naquit le concept de sanction, les idées morales, semble-t-il, se développèrent rapidement. II y a six mille ans, elles avaient atteint un degré de raffinement à peine surpassé de nos jours. Naturellement, cela n’est vrai, à notre connaissance, que dans une partie définie du monde, l’Égypte. Peut-être aussi la Chine. La seule preuve matérielle que nous possédions est fournie par un des deux livres les plus anciens du monde, les Instructions de Ptah-Hotep, écrit à l’usage des princes égyptiens, durant la Ve dynastie, il y a cinq mille trois cents ans. Nous n’avons pas l’intention d’analyser ce remarquable manuscrit, mais, pour montrer quel degré de sagesse raffinée son auteur possédait, nous en citerons deux passages. Le premier s’adresse à l’époux, chef de la famille. Si tu es sage, tu prendras soin de ta propre maison. Tu chériras ta femme, tu lui donneras la nourriture, tu la vêtiras et tu la soigneras si elle est malade. Remplis son cœur de joie pendant toute sa vie et ne sois point sévère… Sois bon avec tes serviteurs selon la mesure de tes moyens. La paix et le bonheur sont absents de la maison dans laquelle les serviteurs sont malheureux. Le second passage s’adresse au prince Si tu recherches les responsabilités, applique-toi à être parfait. Si tu prends part à un conseil, rappelle-toi que le silence vaut mieux que l’excès de paroles. II y a plus de cinq mille ans qu’un sage précepteur donna ces conseils. Combien d’années faudra-t-il attendre pour qu’ils soient mis en pratique universellement ? Ces deux courtes citations montrent assez que nous n’avons pas beaucoup progressé et que ces préceptes répondent à un état de civilisation morale qui ne diffère guère du nôtre. Nous devons donc admettre que, bien avant ce temps, le premier code moral était déjà en vigueur. Pendant plusieurs siècles ce code fut purement traditionnel; mais il en va de même des commandements de Moïse auxquels on se conforme dans les pays civilisés du monde entier. Jamais l’idée abstraite du bien et du mal n’a été exprimée de façon absolue (*), pourtant elle a toujours existé depuis la naissance de la conscience humaine. Selon notre hypothèse, cette notion a dû être la conséquence de la liberté nouvellement acquise. Cela ne contredit aucunement le texte de la Bible, si tant est que notre interprétation de la Genèse soit exacte. Les religions ont symbolisé l’idée du bien par un ou plusieurs dieux bénéfiques, et l’idée du mal par un ou plusieurs esprits malins. Le Bien entraînait des récompenses et une vie future heureuse ; le Mal provoquait les pires châtiments. Cette dualité, qui se matérialisait par la récompense et le châtiment, suffisait à la masse. Les philosophes disséquèrent ces deux concepts et n’eurent pas de difficulté à « prouver », à leur propre satisfaction, que leur valeur était purement relative. « Ce qui est bon dans un pays est mauvais dans l’autre, disaient-ils. Il n’y a pas de Bien absolu. » A quelques exceptions près, ils n’ont pas pris en considération le fait que ces idées, sans doute jaillies spontanément chez les êtres les plus primitifs, étaient, par cela même, dignes d’être examinées en tant que valeurs absolues. Indiscutablement, la tâche était ardue ; cependant, il y avait un tel risque à laisser la notion de la relativité du bien et du mal se répandre dans les masses qu’il faut déplorer que les écrivains et les philosophes religieux aient été les seuls à traiter la question de ce point de vue. Malheureusement, ils ne possédaient pas les arguments scientifiques et rationnels grâce auxquels ils auraient pu convaincre les agnostiques. En vérité, là est le danger. Nombre d’hommes, dont beaucoup sont des intellectuels, suivent une morale conventionnelle, parce qu’ils l’estiment nécessaire dès l’instant où ils vivent en société ou parce qu’ils ont été bien élevés dans leur enfance et ont acquis des réflexes conditionnés. Personnellement, ils sont inoffensifs, même s’ils ne croient ni au bien ni au mal absolus. Cependant, ils ne se rendent pas compte que la plupart des êtres humains ne sont pas doués d’un pareil contrôle de soi et n’ont pas eu l’avantage d’une élémentaire bonne éducation. La plupart des hommes ont besoin de barrières, soit sentimentales, soit spirituelles, soit rationnelles. Les Cours de Justice sont remplies de dévoyés, jeunes et adultes, qui ne sont pas vraiment à blâmer, car il leur a manqué une éducation morale appropriée. C’est un problème vieux comme le monde, dont la solution devient plus difficile si les intellectuels sont convaincus de la relativité du bien et du mal. En effet, les éducateurs du monde entier sont influencés, à leur insu, par les philosophes et les écrivains. Certains parmi ces derniers s’estiment supérieurs à ceux qui obéissent aveuglément aux lois morales de l’Église, aux antiques enseignements des sages, parce que le besoin ne s’en fait pas sentir pour eux et qu’ils ne croient pas en leur valeur absolue. L’influence de tels hommes et de leurs écrits peut être désastreuse, et peu d’entre eux s’en rendent compte. Quelquefois, ils fondent leur opinion sur les ouvrages des grands philosophes, qu’ils ont lus superficiellement, ou sur ceux des grands savants, qu’ils n’ont pas lus du tout. Ainsi, Voltaire et Darwin sont considérés comme des athées, mais rien n’est plus éloigné de la vérité. Pour justifier ces aperçus, qu’il me soit permis de citer quelques passages du Dictionnaire Philosophique de Voltaire, à l’article « Athéisme » : Quelle conclusion tirerons-nous de ceci ? Que l’athéisme est un monstre très pernicieux… Des géomètres non philosophes ont rejeté les causes finales, mais les vrais philosophes les admettent; et, comme l’a dit un auteur connu, un catéchiste annonce Dieu aux enfants, et Newton le démontre aux sages… L’athéisme est le vice de quelques gens d’esprit; la superstition est le vice des sots. On peut objecter que du point de vue scientifique et philosophique l’autorité de Voltaire a perdu de sa valeur ; mais plusieurs des plus grands savants américains actuellement vivants, entre autres deux physiciens et lauréats du Prix Nobel, sont profondément religieux, comme l’était Bergson, le plus grand philosophe moderne français. Les lettrés, qui ont eu la chance de naître intelligents, qui ont eu le privilège de l’éducation et de l’instruction, devraient se rendre compte de la grande responsabilité qui leur incombe. S’ils ne sont pas arrivés à se convaincre qu’il y a un Dieu et que les plus hautes valeurs humaines sont morales et spirituelles, qu’ils réfléchissent en se demandant honnêtement si leur conviction négative est scientifique ou sentimentale. Quelle que soit leur réponse à cette question, qu’ils se demandent, ensuite, par quoi lis vont remplacer les étalons anciens de l’humanité, éprouvés par le temps : les Religions. Et, puisque nous ne pouvons faire plus, souhaitons que ce plaidoyer pragmatique trouve le chemin de leur cœur si celui de leur intelligence est fermé. Il nous semble possible de formuler à titre d’essai les critères du Bien et du Mal à la lumière de la théorie que nous avons esquissée dans les pages précédentes. Ces critères ne sont ni plus ni moins absolus que l’hypothèse de l’évolution sur laquelle ils reposent, et si notre interprétation est avérée, ils sont absolus par rapport à l’Homme. Le Bien, c’est ce qui contribue au progrès de l’évolution ascendante et ce qui nous détache de l’animal pour nous entraîner vers la liberté. Le Mal, c’est ce qui s’oppose à l’évolution et lui échappe par une régression vers la servitude ancestrale, vers la bête. En d’autres termes, et d’un point de vue strictement humain, le bien c’est le respect de la personnalité humaine; le mal c’est le mépris de cette personnalité. En vérité, le respect de la personnalité humaine implique la reconnaissance de la dignité de l’homme en tant qu’artisan de l’évolution et collaborateur de Dieu. Cette dignité repose sur le nouveau mécanisme qui, né avec la conscience, oriente l’évolution dans une direction spirituelle : à savoir la liberté de choix. Nous ne pouvons concevoir une dignité sans responsabilité, et celle de l’homme est considérable. Non seulement sa propre destinée, mais la destinée de l’évolution est entre ses mains. A tous moments, il peut choisir entre la progression ou la régression. Tel est le sens du second chapitre de la Genèse. J. Steeg « L’honnête homme »(Cours de morale théorique et pratique à l’usage des instituteurs, 5e éd., p.77) Les caractères de la loi morale Mon agrément, mon plaisir, mes aises, mes penchants, tout m’invite à les suivre et à écarter la résistance des remords. Et pourtant, au dedans de moi, une force puissante m’agite, me secoue, me fait lever, me fait sortir, m’oblige à quitter mon repos, à compromettre ma fortune, à sacrifier mes loisirs, à aller au secours de mes parents, de mon frère, de mon ami, à me mettre en peine de tous ces étrangers qui souffrent, à me priver pour eux de ce qui faisait le charme et la tranquillité de ma vie, à donner à la patrie ce que j’aurais voulu réserver pour moi-même. Je pouvais m’abstenir, j’en étais libre ; je n’avais qu’à laisser glisser le temps et qu’à m’envelopper dans mon inertie, dans mon égoïsme. Moralement, je n’en étais pas libre, je ne le pouvais pas Une voix intérieure me le défendait ; elle ne m’a pas laissé de repos aussi longtemps que je lui ai désobéi. Je violais la, loi de mon être, je me dérobais à mes obligations, je méconnaissais mon devoir. J’ai bien essayé de parlementer, de transiger ; je ne l’ai pas pu. Le devoir s’impose à moi par oui ou par non. Ce n’est pas une moitié d’obligation, un devoir complaisant, c’est un ordre. La loi morale n’admet pas plus de tempérament, de déviation, d’accommodement que les lois physiques. Elle est ce qu’elle est, elle est à prendre ou à laisser. La suivre, c’est se conformer à la nature ; la conscience qui est en règle avec le devoir est contente d’elle-même, éprouve un sentiment de profonde satisfaction, quelles que soient les conséquences matérielles de l’obéissance à la loi morale. Violer cette loi, la tourner, ruser avec elle, c’est se mettre en contradiction avec la nature, et la suite constante, c’est la tristesse, la douleur, le remords. Le caractère impératif de la loi morale Le premier caractère de la loi morale, c’est qu’elle est impérative. Elle commande, l’homme doit obéir. Son nom, c’est le devoir. Ce qu’elle impose, c’est une obligation qui lie réellement la conscience, à laquelle il n’est pas permis de se soustraire. Sans doute, il ne faut pas confondre obligation avec nécessité. Il y a nécessité que tous les corps obéissent à la loi de la pesanteur, à la loi de l’attraction ; il y a nécessité que les astres tournent dans leur orbite et que les chenilles passent par l’état de chrysalides avant de devenir papillons. C’est une loi inéluctable : de gré ou de force, tout la subit. La loi morale est obligatoire, mais on peut s’y soustraire ; si elle s’imposait de force, si elle contraignait la volonté, elle cesserait d’être morale. Quelle que soit l’énergie de ses commandements, elle respecte la liberté ; elle veut être librement obéie. Le caractère d’évidence de la loi morale Un autre caractère de la loi morale, c’est qu’elle est évidente. Les petits et les ignorants ne peuvent la méconnaître. L’homme le plus simple, qui voit son semblable en danger, sait qu’il faut lui porter secours. L’enfant sait qu’il doit aimer ses parents et leur obéir. Il est vrai qu’il y a des obscurités et des doutes sur certains points délicats du devoir ; on peut se tromper sur les applications particulières de la loi morale ; les peuples et les individus ignorants peuvent commettre de graves manquements sans en avoir conscience. Mais, dans ses lignes générales, quant aux principaux devoirs de la vie, la loi morale est d’une entière clarté. Nul ne se plaint jamais qu’elle l’ait laissé dans les ténèbres, qu’il n’ait pas su, par exemple, qu’il faut respecter le bien et la vie d’autrui. Un homme peut tuer, voler, mentir, manquer à sa parole, blesser, frapper un plus faible que lui, rendre le mal pour le bien, corrompre un innocent ; il ne peut pas dire qu’il ne savait pas que ce fût mal et que son devoir lui défendit de le faire. Il n’y a là-dessus pour lui, ni pour personne, ni pour les victimes de ses actes, ni pour les témoins, ni pour ceux à qui on les raconte, aucune obscurité, aucun doute possible. La loi morale interdisait ces actes, c’est l’évidence même. Un point surtout est hors de conteste, même chez les sauvages les plus arriérés, même chez les hommes les plus endurcis au mal, c’est qu’il faut faire ce qu’on a reconnu comme un devoir. Il peut arriver qu’on hésite sur la nature d’un devoir ; on n’hésite pas sur l’obligation d’accomplir le devoir. Les brigands, qui ne craignent pas de commettre les crimes les plus odieux, se font scrupule de violer certains engagements pendant le cours même de leurs forfaits ; et il vient un moment où leur vie entière leur apparaît, à la lumière de la conscience, comme digne des plus sévères châtiments. Le caractère d’universalité de la loi morale. La loi morale est universelle. Comme nous venons de le dire, nul n’y échappe. Elle parle, dès que la conscience peut l’entendre, dès que la raison s’éveille. La distinction entre le bien et le mal est l’un des caractères distinctifs de notre race. Qui n’en serait pas doué ne serait pas un homme. Vous trouverez des hommes muets, sourds, aveugles, paralytiques; vous n’en trouverez pas qui soient dépourvus de sens moral, s’ils ne sont dépourvus d’intelligence et de raison. Quelque faible lueur que la raison projette dans une créature humaine, cela suffit à laisser voir la loi morale. Partout elle est le critère de nos jugements sur les actions d’autrui. Nous ne partons jamais de l’idée que celui qui agit devant nous ou dont on nous parle ne la connaissait pas. Tous les peuples s’entendent là-dessus ; c’est une langue internationale que celle du devoir. Les mers ne créent pas de séparation ni de limites. Les principes qu’elle pose sont partout les mêmes ; ce n’est que dans le détail et l’appréciation pratique que des différences peuvent apparaître selon la latitude, l’éducation, les préjugés. Le caractère d’immutabilité de la loi morale C’est qu’en effet la loi morale n’est pas arbitraire ; elle ne dépend pas des hommes ; elle n’est pas le produit des coutumes ni des législations ; elle en est au contraire la cause première et la source permanente. Si les hommes la façonnaient à leur gré, ils la façonneraient selon leurs passions et leurs intérêts ; bien au contraire, elle se pose devant eux comme un avertisseur sévère et gênant, comme un législateur intraitable. Elle ne varie pas plus avec les temps qu’avec les lieux. On signale des changements dans la morale des siècles, comme dans la morale des peuples. Il y a des pratiques que nous jugeons immorales aujourd’hui, qui n’était pas tenues pour telles autrefois. On cite des peuplades où il était permis de tuer son vieux père. Chez les anciens, les `pères pouvaient exposer leurs enfants difformes à la mort. Certaines religions autorisaient ou exigeaient des actes que nous considérons comme monstrueux. Que résulte-il de ces faits ? Examinons-les de plus près. Remarquons d’abord que les peuples qui les commettaient ne croyaient pas mal faire, qu’ils y voyaient soit un droit naturel, soit un devoir. La loi morale permet l’exercice des droits, ordonne l’accomplissement des devoirs. Les uns croyaient exercer légitimement l’autorité paternelle, qui est en effet un droit naturel et moral ; ils se trompaient sur les limites de cette autorité ; ils manquaient de lumière ; ils se soumettaient a une tradition populaire qui troublait la clarté de la raison. Les autres pensaient remplir un devoir filial en délivrant leurs pères d’une vie inutile, d’une vieillesse devenue un danger dans des lieux et des temps où il fallait se tenir sans cesse en défense ; ils se trompaient grossièrement sur la forme de leur devoir, et ils subissaient en ce point l’influence des tristes préjugés de leur race. De même les sectateurs de cultes dont les pratiques sont condamnées par une saine morale. Par suite d’erreurs que l’histoire explique, où la superstition et le vice les avaient entraînés peu à peu, ils croyaient remplir un devoir sacré, et non violer les prescriptions de la morale. A tous, ce qui manquait, c’est l’instruction, la lumière, une vue juste des choses. Ils se trompaient, non sur la nécessité de faire le devoir, mais sur les limites et le caractère des différents devoirs. Nous ne savons pas cependant jusqu’à quel point la conscience protestait en eux sourdement contre ces actes ; à mesure qu’elle s’éclairait, elle les proscrivait. La loi morale n’a jamais changé ; les hommes, à mesure qu’ils ont réfléchi, qu’ils se sont instruits les uns les autres, ont mieux discerné ses prescriptions, les ont appliquées plus justement, plus exactement. En elle-même, elle est immuable ; elle ne connaît pas plus de transactions et d’accommodements avec le devoir aujourd’hui qu’il y a trois mille ans. La règle morale et la règle de droit par le Professeur Henri MAZEAUD(extrait de son Cours de droit civil, licence 1e année – Les Cours de droit 1954-1955) Voici les premiers mots que j’ai entendus à la Faculté de droit de Paris. Le jour où ils furent prononcés, je n’aurais pu imaginer que leur auteur me ferait quelques années plus tard l’honneur d’être mon directeur de thèse. Je saisis cette occasion pour marquer ma gratitude envers le maître qui m’a formé, et mon respect pour un homme particulièrement attaché aux principes moraux. Il est indispensable, pour que la vie en société soit possible, qu’il existe une règle, une règle de conduite. Si chacun de nous suivait son bon plaisir, chacun deviendrait un ennemi pour son voisin. Mais si la nécessité d’une règle de conduite est incontestable, il est par contre plus difficile de préciser à quels besoins répond exactement cette règle de conduite. En réalité, cette règle s’impose à nous pour deux raisons ; elle s’impose, d’une part pour faire régner la justice, et, d’autre part, pour donner la sécurité. - La règle de droit s’impose d’abord pour faire régner la justice. Le besoin de justice est l’un des plus élémentaires et l’un des plus impérieux que nous ressentions. Il existe déjà chez l’enfant ; dès le plus jeune âge l’enfant se révolte contre l’injustice, et ce sentiment demeure également puissant chez l’adulte : nous ne pouvons admettre un acte qui ne paraît se justifier que par la force de celui qui l’accomplit ; il y a contre cet acte une révolte de notre conscience, et ce n’est pas là seulement une simple réaction de tendance morale ; nous réagissons ainsi parce que nous savons que la vie en société serait impossible si les plus forts pouvaient écraser les plus faibles. - La règle de droit est également nécessaire pour nous donner la sécurité, car, pour vivre en société, l’homme a encore plus besoin de sécurité que de justice. Nous pouvons à la rigueur vivre sous une règle que nous estimons injuste, du moins faut-il que nous connaissions la règle sous laquelle nous vivons ; il faut, en effet, que quand nous accomplissons un acte nous sachions quelles seront exactement les conséquences de cet acte. Ce besoin de justice, et surtout ce besoin de sécurité, sans la satisfaction desquels la vie en société est impossible, obligent à tracer une règle de conduite. Mais il y a deux disciplines qui proposent aux hommes des règles de conduite ; il y a la morale, et il y a le droit. Alors une question se pose : est-ce que la morale n’est pas une règle suffisante, est-ce qu’il est nécessaire d’avoir, à côté de la règle morale, une règle de droit ? C’est nécessaire, parce que la règle morale ne peut à elle seule, gouverner une société, et cela pour trois raisons : 1° - La règle morale n’a qu’une sanction d’ordre intérieur, qu’une sanction morale, sanction qui, malheureusement, n’est pas de nature à effrayer beaucoup de personnes, à les empêcher d’enfreindre la règle, et à les obliger à réparer les conséquences de leurs infractions à cette règle. Il faut donc qu’une autre règle - et c’est la règle de droit - vienne créer une sanction plus efficace, qui, elle, contraindra matériellement les individus à ne pas faire ce qui est défendu, une sanction qui frappera ceux qui ont enfreint la règle et qui les obligera à réparer les conséquences des actes contraires à la règle. Cette contrainte, qui est ainsi la caractéristique essentielle de la règle de droit, et qui différencie la règle de droit de la règle morale, se manifeste, pour nous en tenir au droit civil, sous trois formes essentielles : - Tantôt sous une forme directe, brutale ; la force publique va intervenir directement pour faire respecter la règle. Lorsqu’un enfant quitte le domicile paternel et va ainsi à l’encontre de la règle de droit qui veut que l’enfant habite avec ses parents, le père pourra faire ramener cet enfant au domicile paternel par les gendarmes, manu militari. C’est ici la contrainte directe, mise en oeuvre pour faire respecter la règle de droit. - Tantôt la sanction consiste à supprimer l’acte qui a été accompli contrairement à la règle. Cette sanction est ce que l’on appelle la nullité : l’acte est nul. Par exemple, il y a une règle de droit selon laquelle le mariage doit être célébré devant l’officier d’état civil ; le mariage qui ne serait pas célébré devant l’officier d’état civil, serait nul ; il n’y aurait pas de mariage. - Tantôt encore, la sanction va consister dans la condamnation de celui qui a agi contre la règle à réparer les conséquences de son acte. Un conducteur d’automobile, à la suite d’un excès de vitesse, renverse et blesse un piéton ; il doit réparer les conséquences de son acte ; il doit verser des dommages-intérêts, une somme d’argent, pour réparer le préjudice qu’il a causé. C’est ce que l’on appelle la responsabilité civile. Il y a aussi la responsabilité pénale, qui est également une sanction des règles de droit ; non plus des règles du droit civil, mais du droit pénal, sanction qui consiste en des condamnations corporelles ou pécuniaires, en des amendes qu’il ne faut pas confondre avec les dommages-intérêts. L’amende est une peine, elle est versée au Trésor, tandis que les dommages-intérêts sont une réparation ; ils sont versés à la victime pour réparer le dommage qui lui a été causé. Une sanction juridique est donc indispensable ; on ne peut pas se contenter, pour organiser la vie en société, d’une sanction d’ordre moral. Mais faut-il conclure de là que, à côté de la règle de morale, il soit nécessaire de créer une règle de droit ? Ne pourrait-on pas se contenter d’ajouter à la règle de morale une sanction juridique, autrement dit de faire respecter par la contrainte la règle de morale ? Ce ne serait pas possible, car il y a deux autres raisons pour lesquelles la règle de morale est inapte à gouverner les hommes en société. 2° - C’est d’abord que la règle de morale est d’une nature trop haute ; du moins en est-il ainsi de la règle de morale chrétienne. Cette règle de morale est fondée en effet sur la charité, sur l’amour du prochain ; elle est résumée, on le sait, dans le Sermon sur la Montagne, et se retrouve à chaque page de l’Évangile. C’est l’amour du prochain qui doit nous conduire à rendre le bien pour le mal : « Si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l’autre. À qui veut te citer en justice, et te prendre ta tunique, laisse encore ton manteau" (St. Matthieu, V,44). C’est là la distinction fondamentale avec la morale de l’Ancien Testament dominé par le principe : « Oeil pour oeil, dent pour dent ». Il y a deux idéaux différents l’idéal de charité, et l’idéal de justice ; le nouvel idéal, l’idéal de charité, dépassent évidemment l’idéal de justice. La doctrine chrétienne enseigne que nous ne devons pas nous contenter d’être justes envers le prochain, qu’il faut encore la charité qui est au-delà de la justice. On peut dire que l’homme chrétien n’a pas seulement à être juste, qu’il a aussi à être bon. Il faut, si l’on veut être juste, rendre à chacun ce qui lui est dû ; mais il faut ensuite, et c’est un degré plus élevé, être charitable au-delà de la justice, c’est-à-dire savoir ne pas exiger son dû, supporter l’injustice, savoir rendre le bien pour le mal. Alors la question qui se pose à nous est de savoir si la règle de droit, la règle dont le but est de permettre aux hommes de vivre en société, peut poursuivre cet idéal de justice et de charité, ou si elle est obligée de se contenter d’atteindre l’idéal de justice. Il n’est pas douteux que la règle de droit se trouve obligée de s’arrêter au premier stade, au stade de la justice. Pour que la vie en société soit possible, il faut établir la justice dans les rapports entre les hommes, il faut que chacun rende à autrui ce qui lui est dû, il faut que celui qui fait tort à autrui soit puni. L’idéal de charité ne peut pas être poursuivi sur le plan social, parce que, si la règle de droit était la règle de charité, comme malheureusement les hommes ne sont pas parfaits, ce serait l’anarchie dans la société. L’idéal de charité ne peut être un idéal que sur le plan individuel, dans nos consciences ; il ne peut être qu’une règle de conduite individuelle. C’est ce que l’on peut exprimer en disant que la justice est une nécessité sociale, et une « triste » nécessité sociale puisque la règle de droit ne peut pas dépasser ce stade de la justice. C’est ce qu’exprime Romano Guardini (Le Seigneur, t. I, p. 341) : « La justice est l’ordre, non des choses et des forces, mais des relations entre personnes humaines ». La règle morale est donc trop haute pour gouverner la société, pour qu’elle dépasse la justice, et c’est la raison pour laquelle il faut qu’il existe, à côté d’une règle morale, une règle de droit. 3° - Mais il est une autre raison pour laquelle la règle de morale ne suffit pas ; c’est qu’elle ne peut pas contenir une réglementation suffisamment complète, suffisamment précise, pour donner aux hommes cette sécurité dont ils ont besoin pour vivre en société. Il faut en effet, non seulement que nous connaissions les règles qui nous régissent, mais que nous les connaissions dans leur détail. Il faut que chaque fois que nous agissons nous sachions quelles seront les conséquences de nos actes. Or, la morale se contente de tracer de grandes règles, de poser de grands principes, et elle ne peut pas procéder autrement parce qu’elle varie avec chaque conscience. On ne peut pas demander à l’un ce que l’on peut demander à l’autre. C’est donc une règle nécessairement floue, nécessairement vague, très générale. Ces grands principes suffisent pour guider notre conscience, mais ils ne suffisent pas pour nous donner la sécurité dont nous avons besoin dans la vie civile. Par exemple, la règle de morale nous dit, « n’achetez pas à vil prix », ou « ne vendez pas à un prix excessif » ; mais nous avons besoin de savoir dans quels cas le contrat de vente que nous passons risque d’être nul parce que nous avons acheté trop bon marché, ou parce que nous avons vendu trop cher. Si nous ne pouvons pas le savoir, il n’y aura plus aucune sécurité dans la vie juridique ; nous ne saurons jamais si le contrat de vente que nous venons de passer est valable ou nul, s’il risque ou non d’être annulé. Nous avons besoin de savoir exactement ce qui est permis et ce qui est défendu, la loi française dispose qu’il est défendu d’acheter un immeuble pour moins des 7/12 de sa valeur. Pour que la lésion fasse tomber le contrat de vente d’immeuble, il faut que la lésion subie par le vendeur dépasse les 7/12 de sa valeur. C’est une règle précise, et ainsi nous sommes fixés. La morale, évidemment, ne peut pas, elle, nous donner des règles de cette nature. Voilà donc la différence entre la règle de droit et la règle de morale : La règle de morale a pour but de nous dire ce qui est juste, et aussi ce qui doit être fait par chacun de nous au-delà de la justice, sur le terrain de la charité. La règle de droit, elle, a pour but à la fois d’obliger à respecter ce qui est juste, sans pouvoir dépasser la justice, et de nous donner la sécurité.
CMuller Posté 30 juin 2008 Auteur Signaler Posté 30 juin 2008 Je profite de l'exemple pour enfoncer un peu le clou, aucune morale n'encourage le viol d'enfant, mais Nanking, Berlin, etc…Il s'agit bien d'un acte universellement rejeté, et néanmoins pratiqué en masse dans certaines circonstances sans justification morale. Les SS, les soldats de l’armée rouge, les soldats japonais en chine, tous savaient qu’ils faisaient le mal, ils n’avaient pas une morale différente leur disant que ce n’était pas maléfique. Encore une fois, ce qui doit être est différent de ce qui est, en étudiant uniquement ce qui est, on passe a coté de la morale, et on ne fait que décrire ses effets. Non. Je n'ai pas le temps là, et j'aimerai continuer sur les attendus généraux, mais les SS et autres croyaient en leur morale. La raison profonde en est que celle-ci est incompréhensible sans la logique de groupes qui l'a vue naître dans l'évolution. Mais justement, je vais revenir en détail sur ce point important : la morale est un moyen de régler les conflits à l'intérieur d'un groupe, mais elle peut prescrire des attitudes très variables vis-àvis des autres groupes. La morale des nazis étaient pleines de règles contraignantes pour assurer l'unité de la communauté "germanique" ou "aryenne". Mais vis-à-vis des Juifs, Tziganes, Slaves, etc. ces règles étaient levées et ces "sous-hommes" étaient perçus comme des esclaves. Que vous le vouliez ou non, ce genre de comportement obéissait à une morale de groupe - morale invivable qui a valu à ceux qui la défendaient de périr finalement sous les bombes du reste de l'humanité désigné par eux comme "inférieurs" ou "ennemis". Quand on étudie les chasseurs-cueilleurs, on a les mêmes observations : ces groupes ont une morale forte en interne, mais ils se livrent à des guerres contre leurs voisins dont la mortalité relative est largement supérieure à celle de le IIeme guerre mondiale. Donc, si l'on en reste à l'analyse de ce qui est appelé morale dans l'espèce humaine (et non à la reconstruction par la raison de règles morales, j'y reviendrai), on ne doit pas commencer par désigner comme "non-morale" ce qui nous déplaît.
trump Posté 30 juin 2008 Signaler Posté 30 juin 2008 Salut, Je trouve que vous vous compliquez drôlement la vie : "Jouis et fais jouir, sans faire de mal ni à toi, ni à personne, voilà je crois, toute la morale." Nicolas de Chamfort Et hop le tour est joué !
Legion Posté 30 juin 2008 Signaler Posté 30 juin 2008 Ah, un sot inconnu au bataillon qui cite un autre sot tout aussi inconnu, il ne manquait plus que ça pour faire avancer le shmilblick.
POE Posté 30 juin 2008 Signaler Posté 30 juin 2008 Ah, un sot inconnu au bataillon qui cite un autre sot tout aussi inconnu, il ne manquait plus que ça pour faire avancer le shmilblick. Et voici que Légion se lance à l'assaut de l'inconnu…
Legion Posté 30 juin 2008 Signaler Posté 30 juin 2008 Et voici que Légion se lance à l'assaut de l'inconnu… Toujours, je n'aime pas les inconnus et les étrangers. D'ailleurs, les chiffres sont accablants : il y a de plus en plus d'étrangers dans le monde.
POE Posté 30 juin 2008 Signaler Posté 30 juin 2008 Toujours, je n'aime pas les inconnus et les étrangers. D'ailleurs, les chiffres sont accablants : il y a de plus en plus d'étrangers dans le monde. Mais peu d'étrangers au monde, la morale est sauve !
CMuller Posté 30 juin 2008 Auteur Signaler Posté 30 juin 2008 La morale permet de juger des actes que fait un individu. Elle implique que l'individu ait le choix : faire bien ou faire mal, faire telle ou telle chose dans telle ou telle situation…ceci me semble en contradiction avec la notion d'instinct. Les animaux sont considérés comme n'ayant pas de morale, comme des êtres a-moraux pour la raison qu'on considère qu'ils sont mus par leur instinct.Dans ces conditions, l'usage du terme "instincts moraux" me semble contradictoire, ou pour le moins de nature à entretenir une confusion sur le sens de la question. Ainsi, parler "d'instincts" moraux est déjà en un sens une négation de ce qui fait la morale : l'exercice souverain de la raison. Je préfère l'expression "proto-morale" quand on parle de certaines règles chez les sociétés de primates non-humains (travaux de Franz de Waal et son équipe par exemple) ou chez l'homme des réactions non volontaires comme l'empathie, le dégoût, l'attachement, etc. Les morales humaines font appel à la raison, mais tu aurais tort de poser la barre très haut. C'est déjà un choix de valeur personnel au sein des morales humaines si tu imagines que la moralité humaine a toujours fait appel à des notions très élaborées comme le libre-arbitre et l'autonomie de la volonté. Pendant le plus clair de son histoire (300.000 ans de Paléolithique, avant la sédentarité, les hausses démographiques, les divisions du travail, les hiérarchies fonctionnelles, etc.), l'homme actuel a vécu en bandes et micro-sociétés dont on estime qu'elles se situaient entre 150 et 1500 personnes. Si l'on veut savoir ce que l'homme pensait moralement, il faut observer les quelques dizaines de sociétés de chasseurs-cueilleurs existant encore aujourd'hui et vivant dans des conditions similaires. Eux aussi sont des humains, comme toi et moi. Et eux portent témoignage du passé qui a modelé notre cognition et notre comportement. Je parle là des bases évolutives de la morale, pas de son contenu normatif. Les morales complexes, et les premiers codes juridiques, apparaissent tardivement. Les morales clairement fondées sur la raison et le libre arbitre encore plus tardivement. Quand on en viendra aux justifications des morales contemporaines, nous allons bien sûr trouver des notions plus complexes. Mais je crois qu'il faut d'abord bien se mettre au clair sur ce que l'on appelle la morale chez l'homme et tout ce que l'on peut observer à son sujet. Sinon, chacun va y aller de son couplet sur sa morale, chacun va dire subjectivement ce qu'il trouve important dans la morale… et pour cela, chacun va gommer tout ce qui lui déplaît en disant que "ce n'est pas vraiment la morale".
CMuller Posté 30 juin 2008 Auteur Signaler Posté 30 juin 2008 Tu n’es pas une entité amorale rationnelle, tu ne le seras jamais et tu ne peux pas étudier l'homme sans biais, biais que d'ailleurs tu avoue.(…) Je ne te réponds pas sur plein de points de détail où je suis en désaccord, pour des raisons de méthode. J'en reste à l'approche générale de mon premier post : tu ne saisis pas je crois la distinction méta-éthique / éthique. Ta phrase ci-dessus, cela signifie pour moi la même chose que : tu ne peux pas observer la dépression si tu n'es pas dépressif, l'esclavage si tu n'es pas esclave, la religion si tu n'es pas religieux, etc. Je possède une morale personnelle, mais je suis capable de la mettre de côté quand je lis des travaux sur la morale chez les Kung!, les Guaranis ou les Yanomamo, que je lis des textes de morale juive, catholique ou bouddhiste, quand j'observe un débat entre un utilitariste et un kantien, quand je compare les réflexions d'Aristote et de Mill, de Hume et de Smith, quand je lis les expériences de Green ou Haidt sur les bases cérébrales du jugement moral, quand j'observe les critiques des travaux de Kohlberg ou Piaget sur l'apparition de la morale au cours du développement de l'enfant, etc. Tout cela me renseigne sur la manière dont les hommes pratiquent ou pensent la morale : mon avis personnel et subjectif sur ce que devrait être la morale n'est d'aucun intérêt pour dire si ces travaux sont recevables ou non. (Et le tien non plus). En revanche, et c'est une des raisons pour lesquels le naturalisme en morale me déplaît souvent, tu as raison de rappeler que le devoir-être ne se déduit pas de l'être. Au-delà des instincts moraux dont je parle ci-dessus, qui forment cependant une contrainte fondamentale au sein de laquelle se sont développées la plupart des morales, la biologie et la psychologie n'ont pas grand chose à nous dire sur ce qu'il faudrait faire. Elles donnent le cadre de compréhension de la morale dans l'espèce humaine (méta-éthique), mais elles sont neutres sur les normes diverses choisies par les hommes et leurs traditions (éthique). De la même manière, on se trompe complètement si l'on imagine que la nature humaine vue par la biologie est un code rigide, uniforme, identique, universel de comportement. La nature adore la variation et c'est encore plus vrai pour un organe complexe comme le cerveau. L'espèce humaine présente une très grande diversité interne, aussi bien entre groupes qu'entre individus. Y compris des choses fort étonnantes, comme le caractère naturel (au sens biologique) de l'homosexualité. Une erreur longtemps faite a été de prendre la morale de son époque et de son groupe, et de dire : voilà la nature humaine. Exemple caractéristique : la monogamie dont nous avons parlé ici, où l'on se disait qu'il est dans la nature d'un homme de vivre avec une seule femme, alors que la nature (toujours au sens biologique) n'a absolument rien programmé de semblable. On peut faire ce choix, mais on n'est pas fondé à invoquer la nature humaine pour dire que c'est le seul choix possible. Dès que l'on rentre dans le détail des comportements humains, on s'aperçoit que l'on a le plus souvent des effets majoritaires (le centre de la distribution gaussienne d'un trait dans la population), mais que la vie est en fait bien plus complexe et diversifiée, que l'Homme générique et interchangeable n'existe pas. Mais les hommes ont cependant des traits communs très répandus, dont les fameux instincts moraux dont nous parlions. (Pas le temps ce soir, je reviens plus tard sur la notion de groupes dans l'approche évolutionniste de la morale, importante car l'homme n'est jamais un individu abstrait dans une société abstraite, pas plus aujourd'hui qu'au paléolithique).
Legion Posté 30 juin 2008 Signaler Posté 30 juin 2008 Salut Légion,Google est ton ami ! Si j'avais voulu savoir qui c'était, j'aurais dit "qui c'est". Si je dis que c'est un parfait inconnu, ça veut dire que j'en ai rien à foutre.
Legion Posté 30 juin 2008 Signaler Posté 30 juin 2008 C'est ton problème. En l'occurrence non, justement, c'est pas mon problème.
trump Posté 30 juin 2008 Signaler Posté 30 juin 2008 En fait je disais cela parce que je trouve assez étonnant de se vanter de ses lacunes. C'est une étrange manière de tenter de persuader son interlocuteur
Roniberal Posté 30 juin 2008 Signaler Posté 30 juin 2008 mon avis personnel et subjectif sur ce que devrait être la morale n'est d'aucun intérêt pour dire si ces travaux sont recevables ou non. Enfin des propos sensés…
Legion Posté 1 juillet 2008 Signaler Posté 1 juillet 2008 En fait je disais cela parce que je trouve assez étonnant de se vanter de ses lacunes. C'est une étrange manière de tenter de persuader son interlocuteur C'est fou comme on parle de soit quand on parle des autres.
neuneu2k Posté 1 juillet 2008 Signaler Posté 1 juillet 2008 la morale est un moyen de régler les conflits à l'intérieur d'un groupe, mais elle peut prescrire des attitudes très variables vis-àvis des autres groupes. La morale des nazis étaient pleines de règles contraignantes pour assurer l'unité de la communauté "germanique" ou "aryenne". Mais vis-à-vis des Juifs, Tziganes, Slaves, etc. ces règles étaient levées et ces "sous-hommes" étaient perçus comme des esclaves. Bon, on ne parle visiblement pas de la même chose, j'ai l'impression que pour toi la morale n'est jamais violé et que si un individu commet un acte, c'est nécessairement conforme a sa morale, tu décris donc ce qui est, et non ce qui doit être, ou plutôt tu considère que l'homme fait toujours ce qu'il pense bon. Les nazi n'avaient pas une morale leur permettant de gazer les juifs, les soviétiques n'avaient pas une morale permettant de violer les petites allemandes, les japonais n'avaient pas une morale permettant de violer et tuer des villes entières et les américains n'avaient pas une morale permettant de piller et de violer a volonté a Okinawa. Aucun de ceux qui ont perpétué ces crimes n’a prétendu avoir été vertueux, les justifications étaient « la fin justifie les moyens », « pour s’amuser », « on n’avait pas le choix » ou même « vous avez fait pareil/pire, vous ne pouvez pas juger ». Oui, les peuplades primitives sont des humains aussi, et si tu en conclues que nous sommes tous des primitifs, j’en conclus moi qu’ils partagent une conscience. Prétendrais-tu ne pas avoir de conscience, que tu ne puisses la voir chez les autres ? PS: Il faudrait savoir, ta métamorale universelle minimale, elle permet de violer les enfants oui ou non, parce que si non, comment peut tu prétendre que les crimes de guerres en question étaient moraux dans le référentiel des criminels.
Ronnie Hayek Posté 1 juillet 2008 Signaler Posté 1 juillet 2008 Bon, on ne parle visiblement pas de la même chose, j'ai l'impression que pour toi la morale n'est jamais violé et que si un individu commet un acte, c'est nécessairement conforme a sa morale, tu décris donc ce qui est, et non ce qui doit être, ou plutôt tu considère que l'homme fait toujours ce qu'il pense bon. J'ai également cette impression. CMuller, en bon nietzschéen, se croit au-dessus de la meute, mais ne pense pas différemment qu'elle : pour lui est moral ce qui est conforme à ce qu'il aime faire. L'éthique est réduite à la volonté.
POE Posté 1 juillet 2008 Signaler Posté 1 juillet 2008 Les morales humaines font appel à la raison, mais tu aurais tort de poser la barre très haut. C'est déjà un choix de valeur personnel au sein des morales humaines si tu imagines que la moralité humaine a toujours fait appel à des notions très élaborées comme le libre-arbitre et l'autonomie de la volonté.Pendant le plus clair de son histoire (300.000 ans de Paléolithique, avant la sédentarité, les hausses démographiques, les divisions du travail, les hiérarchies fonctionnelles, etc.), l'homme actuel a vécu en bandes et micro-sociétés dont on estime qu'elles se situaient entre 150 et 1500 personnes. Si l'on veut savoir ce que l'homme pensait moralement, il faut observer les quelques dizaines de sociétés de chasseurs-cueilleurs existant encore aujourd'hui et vivant dans des conditions similaires. Eux aussi sont des humains, comme toi et moi. Et eux portent témoignage du passé qui a modelé notre cognition et notre comportement. Je parle là des bases évolutives de la morale, pas de son contenu normatif. Les morales complexes, et les premiers codes juridiques, apparaissent tardivement. Les morales clairement fondées sur la raison et le libre arbitre encore plus tardivement. Il me semble que la notion de morale, le fait de considérer qu'il existe des actions bonnes et des actions mauvaises, implique l'autonomie de choix de l'individu, et donc l'exercice de la raison. Si des peuples ont jugés utile de définir les actions bonnes et les actions mauvaises, c'est bien qu'ils considéraient aussi que l'homme a la capacité de choisir entre différentes alternatives, que l'homme est capable de raisonner (à savoir de réflechir avant d'agir afin d'éviter de faire ce qui est jugé de façon mauvaise) même s'ils n'ont pas de terme équivalent, ou de philosophie fondée sur la raison. Du point de vue biologique si tu préfères, l'homme a raisonné bien avant qu'il nomme et définisse de façon conceptuelle la raison.
CMuller Posté 1 juillet 2008 Auteur Signaler Posté 1 juillet 2008 Il me semble que la notion de morale, le fait de considérer qu'il existe des actions bonnes et des actions mauvaises, implique l'autonomie de choix de l'individu, et donc l'exercice de la raison.Si des peuples ont jugés utile de définir les actions bonnes et les actions mauvaises, c'est bien qu'ils considéraient aussi que l'homme a la capacité de choisir entre différentes alternatives, que l'homme est capable de raisonner (à savoir de réflechir avant d'agir afin d'éviter de faire ce qui est jugé de façon mauvaise) même s'ils n'ont pas de terme équivalent, ou de philosophie fondée sur la raison. Du point de vue biologique si tu préfères, l'homme a raisonné bien avant qu'il nomme et définisse de façon conceptuelle la raison. Mais ce n'est sans doute pas la raison au sens moderne (kantien par exemple) du terme, tant que nous nous situons dans la compréhension de l'émergence évolutive de la morale, plutôt que la comparaison des morales normatives des temps historiques, a fortiori des temps modernes. Les travaux les plus récents appuient plutôt Hume et Smith contre Kant en observant que les raisonnements moraux possèdent des bases émotives précédant la rationalisation : confrontés à des dilemmes, les humains modernes ressentent d'abord des émotions (dues à l'empathie) puis réfléchissent ensuite à la résolution du conflit moral. Encore les humains modernes sont-ils alphabétisés et éduqués dans un environnement plutôt rationnel. Inversement, le cas des psychopathes montre que les personnes souffrant d'une incapacité à percevoir ces émotions morales, mais dotées par ailleurs d'une intelligence normale, voire supérieure, sont capables d'actes barbabres vis-à-vis desquels ils n'éprouvent aucun remords, rien qui se rapproche de ce que les personnes normales appellent une conscience morale. Tout cela valide plutôt l'hypothèse que la morale se fonde à la base sur des programmations empathiques et altruistes non conscientes, même si bien sûr les temps historiques ont développé des morales s'adressant à la raison autant qu'au coeur, voire pour les morales modernes (utilitariste, déontologiste) des morales exigeant un effort de rationalisation pour se justifier. En fait, les morales observées dans les sociétés anciennes reposent sur la tradition ou la coutume, c'est-à-dire un certain nombre d'usages codifiés et répétés par le groupe. Il y a bien sûr à chaque génération une acceptation de ces usages par la raison. Mais l'idée même que l'individu s'oppose au groupe par sa pensée critique n'est guère présente. Car la morale dans l'évolution s'est avant tout développée comme outil de résolution de conflit et de renforcement de l'altruisme à l'intérieur du groupe d'appartenance des individus. J'y viens en détail cet AM.
Boz Posté 1 juillet 2008 Signaler Posté 1 juillet 2008 Encore les humains modernes sont-ils alphabétisés et éduqués dans un environnement plutôt rationnel. En quoi l'environnement moderne est-il plus rationnel que l'ancien ? (Si c'est ce que tu sous-entends).
POE Posté 1 juillet 2008 Signaler Posté 1 juillet 2008 En fait, les morales observées dans les sociétés anciennes reposent sur la tradition ou la coutume, c'est-à-dire un certain nombre d'usages codifiés et répétés par le groupe. Il y a bien sûr à chaque génération une acceptation de ces usages par la raison. Mais l'idée même que l'individu s'oppose au groupe par sa pensée critique n'est guère présente. Par la pensée critique, certes, mais l'individu est néanmoins considéré comme potentiellement capable d'obéir, ou de désobéir aux règles du groupe dès lors qu'il les comprend. Il y a une éducation des règles morales, et les enfants, il me semble, ne sont pas jugés comme des adultes, ce qui prouve bien que l'autonomie des décisions est un concept qui est compris. Car la morale dans l'évolution s'est avant tout développée comme outil de résolution de conflit et de renforcement de l'altruisme à l'intérieur du groupe d'appartenance des individus. J'y viens en détail cet AM. Effectivement, on peut considérer que la morale constitue l'ensemble des règles qui permet de prévenir ou de règler les conflits, mais est ce que ce point de vue est réellement évolutif ? Les sociétés animales ont également des codes qui permettent de diminuer et de règler les conflits, de quelle manière la morale s'en distingue ?
trump Posté 1 juillet 2008 Signaler Posté 1 juillet 2008 C'est fou comme on parle de soit quand on parle des autres. Il ne me semble pas avoir affirmé fièrement ne pas connaitre Chamfort et m'être satisfait de cette lacune dans un sujet portant sur la morale.
POE Posté 1 juillet 2008 Signaler Posté 1 juillet 2008 L'homme est une espèce sociale et consciente : de la découle qu'elle est une espèce morale. La morale consiste en effet au sens large à dire ce qui est bien ou mal, bon ou mauvais pour un individu au sein d'un groupe, et pour un groupe vis-à-dis des autres groupes. C'est ainsi que la morale a été sélectionnée dans l'évolution : si des individus faisaient absolument n'importe quoi, y compris tuer, violer, piller, mentir, etc. au hasard autour d'eux, la survie de leur groupe (et la survie de ces individus) aurait été problématique. Homo sapiens n'a donc pu survivre qu'en réglant le comportement au sein du groupe, et la morale est le nom de ce règlement lorsqu'il s'agit de dire ce qui est bon/mauvais ou bien/mal.Il existe donc des instincts moraux ou protomoraux chez l'homme, qui précèdent toute formalisation d'une morale par le langage : nous éprouvons des émotions et de l'empathie, nous sommes sensibles à la souffrance des autres, nous répugnons à recourir à la violence comme mode normal de relation aux autres. Tu pars du principe que l'homme est une espèce sociale et consciente, pour affirmer ensuite que la morale est une nécessité évolutive. Pourquoi pas, mais je ne vois pas pourquoi il faudrait séparer l'existence d'un homme conscient et social, de l'existence d'un homme qui a des principes moraux. Il n'y aucune raison de considérer que ces différents traits sont apparus dans des temps différents de l'évolution. L'homme est une espèce sociale, consciente et morale. Mais cela ne dit rien quand à la nécessité évolutive de la morale. Tu poses de la même façon, qu'il existe des instincts protomoraux chez l'homme précédant toute formalisation d'une morale par le langage, mais ceci est également un a priori infondé. Peut on considérer que l'homme suit une morale si il est incapable de nommer ce qui est bon et ce qui est mal. Je considère qu'on ne peut parler de morale que lorsque l'homme dispose d'un langage qui lui permette de nommer ce qui est bon et ce qui est mauvais.
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