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R.I.P. Francis Lacassin


Taranne

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Francis Lacassin

LE MONDE | 16.08.08 | 14h09 • Mis à jour le 16.08.08 | 14h09

a mort de Francis Lacassin, mardi 12 août à Paris, à l'âge de 76 ans, des suites d'une intervention chirurgicale, met fin à une aventure intellectuelle et éditoriale d'une exceptionnelle richesse. Curieusement, mais d'une manière somme toute assez conforme à la personnalité de Lacassin, les Mémoires qu'il publia en 2006 (Sur les chemins qui marchent, éd. du Rocher) ne donnent que fort peu de renseignements d'ordre biographique. Le sentiment que l'on tire de cette lecture - un second volume était prévu - est que l'auteur avait trop d'histoires à raconter, et qu'il y prenait un tel plaisir que le temps lui manquait pour s'attarder sur lui-même.

Il faut donc se contenter de quelques renseignements biographiques lacunaires, parfois incertains : naissance en 1931 à Saint-Jean-de-Valériscle, ville minière près d'Alès dans le Gard. Parents modestes qui tiennent une épicerie-bazar. "Une image m'a marqué. Tous les jours, après quatre heures, surgissait dans le village une horde de mineurs tout noirs à bicyclette. Cette vision d'hommes noirs m'a poussé vers le fantastique." ("Le Monde des livres" du 3 novembre 2006). A 5 ans, il apprend à lire dans Le Journal de Mickey. Deux ans plus tard, il découvre la science-fiction. Etudes de lettres et de droit, semble-t-il, à Montpellier. En 1959, une crue du Gard noiera sa collection de bandes dessinées.

C'est au début des années 1960 que Francis Lacassin commence véritablement sa carrière dans ce qu'on nomme la littérature populaire. Mais il conteste cette hiérarchie : "J'aime autant Le Mystérieux docteur Cornélius, de Gustave Lerouge (l'un de ses auteurs fétiches) qu'A la recherche du temps perdu. Il ne faut pas établir d'échelles de valeur entre la "grande" et la "petite" littérature. Les classements sont faits pour les bibliothécaires." En 1961, il crée le Club des bandes dessinées ; il en est le président, Alain Resnais le vice-président. Parmi les membres de cette confrérie, qui oeuvre en faveur du "neuvième art" (il inventa, dit-on, l'expression), on compte Edgar Morin et Delphine Seyrig. Un bulletin est même créé, Giff-Wiff, auquel Umberto Eco collabora (à propos de "Superman et la dissolution du temps"). Après Mai 68, les dessinateurs de BD, inspirés de l'underground américain, adoptent, à son grand regret, un "style sexualo-socio-écologique" qu'il juge trop uniforme.

1958 : Lacassin fait la connaissance de Boileau et Narcejac : initiation à Simenon, et à toute la littérature policière. En 1963, il est le scénariste de Georges Franju pour Judex. A la même époque, Lacassin rencontre Jean-Jacques Pauvert, qui édite la fameuse mais encore confidentielle revue Bizarre. Grande admiration. Un numéro sur Tarzan fera date. C'est le début de sa grande aventure éditoriale, doublée d'une intense activité journalistique. Eric Losfeld, puis Christian Bourgois (pour la collection "10/18", de 1971 à 1990) et Guy Schoeller (pour "Bouquins", de 1982 à 2000) sauront reconnaître en lui un formidable défricheur (et déchiffreur) à la curiosité insatiable. Il est impossible de citer toutes les éditions qu'il dirigea, et les centaines de préfaces, notices, bibliographies, chronologies… dont il accompagna les volumes publiés sous sa direction.

Il y a bien sûr Jack London, découvert au début de la guerre "grâce à un cousin anarchiste, en édition non expurgée", d'abord publié intégralement en 10/18 puis en sept volumes chez "Bouquins". Il y eut aussi Marcel Allain (Fantomas), Léo Malet, Kipling, Stevenson, Paul Féval, Gustave Le Rouge, Edgar Rice Burroughs, Jean Ray… pour ne citer que les plus célèbres. L'idée est de publier autant que possible des "intégrales" : "Il faut tout donner et laisser le tri au lecteur." Ce principe, il l'appliquera aussi pour les Mémoires de Casanova - trois volumes chez "Bouquins", sur les deux cents qu'il publiera dans la collection. Comme pour London, il part sur les traces du mémorialiste, et déniche à Prague de nombreuses pages inédites… Dernier volume qu'il dirigea en 2008 : Les Enquêtes du Père Brown, de Chesterton (Omnibus).

Il faudrait aussi parler du cinéma. Là aussi, Lacassin emprunta des chemins de traverse, toujours avec un esprit à la fois méthodique et encyclopédique. En témoigne son livre - parmi les nombreux qu'il publia - Pour une contre-histoire du cinéma, en 1972. Il faudrait encore citer son activité de recherche : un colloque mémorable à Cerisy en 1967 sur le thème "Littérature et paralittérature" (Plon, 1970) ; un cours à la Sorbonne à partir de 1971 sur "Histoire et esthétique de la bande dessinée"…

En 1997, il décide de confier à l'Institut Mémoires de l'édition contemporaine (IMEC) l'ensemble de ses archives et sa bibliothèque : quelque 35 000 volumes, 15 000 journaux et revues, plus d'une centaine de boîtes d'archives, manuscrits, correspondances… Olivier Corpet, directeur de l'IMEC, évoque un homme "de retrait, sinon de secret", soucieux sans doute de "protéger son temps et son indépendance de travail".

Patrick Kéchichian

1931

Naissance dans le Gard

1962

Crée le Club des dessinateurs

1971

Début de sa collaboration à la collection "10/18"

1981-2000

Collabore à la collection "Bouquins"

2006

Publication de ses Mémoires

12 août 2008

Mort à Paris

Posté

RIP : il m'a fait découvrir tant de merveilles littéraires et cinématographiques. C'est une partie de ma jeunesse qui s'en va avec le décès de l'encyclopédie humaine de la paralittérature.

Un de ses derniers livres, que je découvre :

Il avait aussi sorti des mémoires (que j'ai feuilletés, mais pas lus) :

EDIT : un portrait de lui paru dans Livres Hebdo est lisible ici.

Posté

Un intéressant entretien à caractère rétrospectif paru dans Lire il y a presque deux ans : http://www.lire.fr/entretien.asp/idC=50660…dR=201&idG=

À propos de la mythique revue Giff Wiff :

On a eu un procureur de la République, puis juge assesseur au tribunal de Paris, qui était un admirateur de Tarzan du point de vue anatomique. Il avait écrit un article extraordinaire, dans lequel il faisait remarquer que Hogarth dessinait le crawl de Tarzan, alors que les autres dessinateurs, beaucoup moins doués, le représentaient toujours en train de nager la brasse!

:icon_up:

Sa définition de la paralittérature (oserais-je dire que Taranne pourrait la faire sienne ?) :

C'est la littérature des simples gens, c'est-à-dire les gens normaux. Ceux qui ne sont pas obnubilés, frelatés par les modes, les tabous, le matraquage publicitaire et le terrorisme intellectuel.

Sur Hergé :

J'ai d'abord été un lecteur de Tintin, comme tout le monde. Je le lisais dans le supplément imprimé bleu et blanc de La Voix de l'Ouest. Il était peu publié à cette époque. Puis j'ai correspondu avec Hergé au temps du Club des bandes dessinées. Il était un peu effrayé par l'activité du club, par tous ces gens sérieux et intelligents. Il n'avait pas tort, quand on y réfléchit. Lors d'une réédition de Popol et Virginie chez les Lapinos, totalement inconnu à l'époque, je lui ai dit: lorsqu'on voit les anciennes versions noir et blanc de Tintin, on se dit: Hergé existait déjà! Il m'a répondu d'un ton très humoristique: «Puisque vous aimez mes vieux albums, je vous envoie un exemplaire d'un tirage limité et vous constaterez qu'il y a une planche de plus par rapport aux éditions pirates ou même à l'édition Casterman. Elle avait été égarée!» Je lui ai demandé de venir en parler devant quatre-vingts étudiants, le bruit s'est répandu et ça a été un triomphe.
Posté
Un intéressant entretien à caractère rétrospectif paru dans Lire il y a presque deux ans : http://www.lire.fr/entretien.asp/idC=50660…dR=201&idG=

Sa définition de la paralittérature (oserais-je dire que Taranne pourrait la faire sienne ?)

En effet. :icon_up:

A noter également, à propos de Jack London et de sa (non-) réputation dans son pays natal:

Dans le cas de Jack London, vous avez obtenu une exclusivité mondiale en publiant des textes inédits avant même les Américains…

F.L. Ils ne les publient toujours pas, ça ne les intéresse pas. Pour eux, les grands écrivains sont, à la rigueur, Henry James pour les universitaires, et puis un peu Faulkner…

Comme quoi snobisme et cuistrerie ne sont pas des spécialités françaises…

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