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Il voyait des démocraties libérales partout


Serge

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La bataille du capitalisme au XXIe siècle

Par Daniel Daianu, ancien ministre des Finances de Roumanie

Après la chute du communisme, on a considéré la concurrence économique globale comme une lutte entre le modèle anglo-saxon (Etats-Unis, Royaume-Uni) et le modèle continental (France, Allemagne, etc.). On assiste aujourd'hui à une nouvelle concurrence globale entre différents modèles de capitalisme. La formidable ascension de l'économie chinoise, la croissance de l'Inde, du Brésil annoncent des glissements tectoniques. Ces pays se caractérisent par leur dynamisme économique, la hausse de leurs exportations, l'ampleur de leurs réserves en devises (et l'activité de leurs fonds souverains) ainsi que leur assimilation de technologies modernes voire leur création. Ces nations transforment l'ordre qui réglemente les affaires internationales depuis 1945, comme le montre le débat sur la réforme des institutions financières internationales ou le blocage des négociations commerciales de Doha.

Les plus importantes entreprises chinoises et indiennes acquièrent des participations significatives dans des entreprises du monde entier, y compris en Occident. La Chine, l'Inde et le Brésil, sont de plus en plus présents dans les régions du monde où il est stratégiquement important de contrôler les ressources rares et non renouvelables (minerais et hydrocarbures). Ces nouveaux rivaux lancent un défi aux États-Unis comme à l'Union européenne. Quant à la Russie, elle effectue son retour sur la scène internationale précisément en raison de ses énormes ressources naturelles. Lukoil et Gazprom, par exemple, ont étendu leurs activités en Europe en profitant à la fois de la grande dépendance de l'UE vis-à-vis des approvisionnements externes en énergie et de l'absence d'une politique énergétique commune. Les progrès économiques remarquables de l'Asie réduisent la capacité des pays occidentaux à fixer les règles du jeu. La redistribution de la puissance économique mondiale a aussi des répercussions sur les dynamiques économiques et politiques régionales, les alliances militaires…

En Asie (excepté en Inde et partiellement au Japon), une forme de capitalisme teintée d'autoritarisme et bâtie sur des structures étatiques prévaut. Ce type de capitalisme s'articule autour de structures corporatistes, de politiques industrielles et de protectionnisme sélectif. On le retrouve au Brésil et en Russie où l'État contrôle les groupes énergétiques les plus importants.

Le monde occidental est et restera dans un proche avenir le bloc le plus puissant économiquement et militairement parlant. Mais les Etats-Unis ont été affaiblis par leurs déficits externes et le coût prohibitif de leurs interventions militaires. La crise financière soulève de grandes inquiétudes quant à la supervision des marchés. De même, l'Union européenne peine à gérer la complexité de ses institutions et de ses politiques, tandis que Chine et d'autres pays asiatiques et le Brésil vont, probablement, continuer leurs progrès économiques et technologiques dans les deux prochaines décennies. Et Moscou utilise sa puissance financière pour jouer à nouveau dans la cour des grands.

Ces dynamiques sont de plus en plus frappantes si on les examine avec en toile de fond la course aux ressources naturelles rares, les complexités de la situation au Moyen-Orient, ainsi que les rivalités dans la région de la mer Caspienne et en Afrique. Certaines démocraties libérales sont, elles aussi, tentées par des modes d'intervention autoritaires de l'État dans l'économie et la société. Cette position traduit une peur du terrorisme, ainsi que le besoin de combattre les effets du réchauffement global et de sécuriser les approvisionnements énergétiques. L'essor du nationalisme économique peut être vu sous ce jour. Partout dans le monde, on assiste à la résurgence d'un paradigme de politique publique qui considère l'action de l'Etat comme un moyen optimal pour atteindre des résultats.

Des mesures typiques d'une économie de guerre pourraient donc proliférer au cours des années à venir, spécialement dans des circonstances qui requièrent des réponses rapides et la mobilisation immédiate de ressources importantes. En outre, la crise financière actuelle renforce le pragmatisme et les politiques qui ne confondent pas des marchés libres avec des marchés complètement déréglementés.

Le capitalisme a remporté la guerre froide. Cependant, rien ne garantit la victoire automatique de la démocratie libérale De plus, la concurrence entre les différents types de capitalisme possède une dimension géopolitique majeure, et l'avenir de la gestion de la relation transatlantique est une préoccupation cruciale. Le déclin relatif de la puissance économique des Etats-Unis et de l'Europe dans l'économie mondiale semble inévitable. Néanmoins, ce phénomène pourrait s'accompagner de l'essor de leur "puissance douce" ("soft power"), spécialement si de nouveaux pays rejoignent la famille des démocraties libérales.

L'expansion du "soft power occidental" aurait pour corollaire une plus grande préoccupation pour les enjeux globaux (comme le réchauffement de la planète et le commerce international), une participation accrue des puissances globales émergentes (Chine et Inde) dans la gestion des "zones sensibles" du monde et enfin le réexamen des valeurs morales qui ont apporté la prospérité économique et l'émancipation politique aux citoyens ordinaires au cours de l'histoire moderne. Ce processus exige une réelle attention aux inquiétudes du reste du monde.

Par La Tribune, lun 08 sep

(Lire la version longue dans "Europe's World", été 2008).

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