Taranne Posté 6 octobre 2008 Signaler Posté 6 octobre 2008 02 octobre 2008 Notre culture n’était pas morte, elle déclinait seulement Vous vous en souvenez certainement, à la fin de l’année dernière, le magazine américain Time consacrait sa couverture à “La mort de la culture française”. Du moins son édition européenne car le public américain, lui, n’en a que faire. Une longue enquête suivait signée Donald Morrison. Elle mit le feu à nos médias, nos intellectuels et nos tribunes libres. Beaucoup de bruit pour rien. Ou presque. Car la charge était tellement systématique et outrancière qu’elle en perdait tout effet. A l’initiative du patron des éditions Denoël, le journaliste revient sur cette tempête dans un verre de rouge, dresse le bilan et prolonge se réflexion dans Que reste-t-il de la culture française ? (traduit de l’américain par Michel Bessières) suivi de Le souci de la grandeur d’Antoine Compagnon (203 pages, 13 euros, Denoël). Morrison y met de l’eau dans son vin, se dit abasourdi par le hourvari qu’il a déclenché à sa grande surprise, reconnaît que le titre excessif n’était pas de lui mais de sa rédaction en chef (lui aurait préféré “déclin” à “mort”), et reprend les critiques qui lui ont été adressées (y compris celles qu’on a pu lire sur ce blog, tant le billet que ses commentaires). Mais malgré les nuances, son constat demeure identique. D’autant plus douloureux que, nous révèle-t-il, il est un pur produit de l’éducation des soeurs ursulines françaises et québécoises d’Alton et Saint-Louis, Illinois, et qu’il a pris sa retraite, tenez-vous bien, à Paris en raison de l’effervescence culturelle qui y règne. Où est le problème alors ? Dans ce paradoxe qui veut que la culture française brille en France à proportion de sa désaffection à l’extérieur. Selon lui, l’échec de notre culture est signé par sa faillite à l’exportation. Voilà pour le diagnostic, tant en littérature, en théâtre, en art, en musique, en cinéma (il ne sauve que notre architecture, qui s’impose un peu partout dans le monde). Son remède ? Il juge que si nous ne dominons plus la scène culturelle mondiale, c’est parce qu’en nous subventionnant, en transformant la culture en service public et en garantissant une politique de quotas, l’Etat nous assiste et nous endort. Parce que nous n’accordons pas la place et l’attention qu’elles méritent aux minorités multiethniques qui vivent dans nos marges. Parce que notre politique scolaire est inadaptée. Parce que notre langue s’est “fanée“. Et parce que nous tardons à nous inspirer du “miracle” culturel américain fondé sur les donations et les déductions d’impôts. Voilà pourquoi votre fille est muette, et la France une puissance vacillante sur le marché mondial de la culture. Inutile de tout reprendre point par point. Passons sur la confusion si américaine entre culture et divertissement. Ce serait long et fastidieux même s’il faut reconnaître à ce petit livre de circonstance des mérites dont l’enquête de Time était singulièrement dépourvue. Attachons-nous à un seul point, qui n’est pas de détail, pour lui comme pour nous : la littérature. C’est l’argument central de sa démonstration : la preuve du déclin des romanciers, et aussi des intellectuels français tant qu’à faire (la fameuse french theory), c’est qu’ils ne sont pas traduits aux Etats-Unis (ce qui suppose qu’on tient là un critère de prestige) ni même dans le reste du monde. Or cette proposition contient à elle seule un sophisme et une contre-vérité. Car s’il est exact que la fiction française n’est pratiquement pas publiée en Amérique du Nord, ce n’est pas seulement parce qu’elle serait trop nombriliste ou autofictionnelle : c’est avant tout parce que les éditeurs américains estiment qu’ils n’ont aucun besoin de romans écrits dans une autre langue que l’anglais, que la leur suffit amplement à couvrir leurs besoins en imaginaire ; ils érigent ainsi une barrière protectionniste qui exclut tout littérature européenne (hormis celle du Royaume-Uni) dont la française. Quant à la contre-vérité, elle consiste à prétendre que la fiction française est inexistante dans le monde : non seulement les nombreuses locomotives (JMG Le Clézio, Daniel Pennac, Philippe Claudel etc) sont régulièrement traduits dans une vingtaine de langues mais souvent des auteurs à faible notoriété comptent une dizaine de traductions pour un deuxième roman. Les chiffres l’attestent, il suffit de demander aux éditeurs ou aux écrivains. Pour ne citer que cet exemple, ces jours-ci, L’Elégance du hérisson de Muriel Barbéry et La Consolante d’Anna Gavalda sont respectivement No2 et No5 sur la liste des meilleures ventes en Espagne… Il est donc faux d’écrire comme il le fait :”Hors de France, ils (les livres français) vont laisser à peu près tout le monde indifférent.” Trois détails dans son nouveau texte mettent réellement en péril le raisonnement de Donald Morrison : il croit que la loi Lang sur le prix unique du livre est destinée à protéger les éditeurs alors qu’elle protège avant tout les libraires ; sur le plan théâtral, il en est encore à Boeing Boeing et écrit cette énormité :”Hélas, la France a produit beaucoup trop de Soulier de satin et pas assez de Fugueuses” (pour les ignares, précisons qu’il s’agit d’une pièce de Pierre Palmade jouée par Line Renaud et Muriel Robin) ; il est persuadé qu’à sa mort en 2004, Françoise Sagan n’avait “rien publié de notable depuis cinquante ans”, soit depuis 1954, date de son premier roman Bonjour Tristesse… Entendons-nous bien : la situation de la culture française chez nous et hors les murs n’est certes plus ce qu’elle était il y a un demi-siècle. Mais de grâce, si l’on doit faire l’inventaire de ses échecs, de son recul et, pourquoi pas, de son déclin, qu’on le fasse à partir d’un dossier solide. En n’oubliant pas que la France est probablement le seul pays où la culture importe à ce point à l’opinion publique. Ailleurs, la couverture de Time aurait laissé indifférent. En France, la levée de boucliers fut le signe d’une manifestation tant d’orgueil que de vitalité. Au fond, par un étrange effet de miroir, ce qu’écrit Donald Morrison nous renseigne davantage sur une certaine angoisse américaine face à l’état de sa propre culture désorientée par la montée des minorités, que sur la situation de la nôtre. Dans sa réponse publiée à la suite et intitulée Le Souci de la grandeur, Antoine Compagnon, professeur de littérature au Collège de France et à Columbia University (NY), lui sait gré de nous rappeler à quel point la France des arts et lettres est isolée sur la scène mondiale ; il ne se prive pas de dénoncer le provincialisme de la vie des idées en France, qu’il cantonne à Saint-Germain-des-Prés. Il a cette formule que l’on retiendra :”Si le démon de la vie culturelle et intellectuelle américaine est le marché, en France, c’est l’Etat, avec ses concours, ses subsides et ses privilèges“. Quelles solutions propose donc Compagnon ? Non pas le renoncement à l’universalisme hérité des principes républicains de 1789 et la promotion béate du multiculturalisme, mais plutôt la refondation de l’école, la renaissance de la lecture, l’introduction d’un enseignement artistique dès le primaire, la concurrence des universités, la libéralisation des affaires culturelles et … une plus grande ouverture d’esprit de nos romanciers et de nos cinéastes vers de plus amples horizons. Antoine Compagnon croit à l’existence d’un cycle de Kondratieff de l’activité culturelle, même si l’on en ignore encore les phases. Mais lui qui vit et enseigne une partie de l’année aux Etats-Unis depuis longtemps, il relève un détail qui a échappé à Donald Morrison et qui explique beaucoup de choses : la détestation, voire la haine, que suscite la France en Amérique. Nous sommes le pays que l’Amérique adore haïr et Compagnon pointe avec malice la volupté américaine chaque fois que ses historiens et ses journalistes peuvent mettre un coup de projecteur sur la collaboration, l’antisémitisme, le colonialisme, la guerre d’Algérie, l’affaire Dreyfus… C’est surtout vrai à l’Université : ”La grosse majorité des travaux qui portent encore sur la France farfouillent dans nos hypocrisies, nos forfaits, nos crimes, depuis la Saint-Barthélémy et la révocation de l’Edit de Nantes jusqu’à la loi sur le foulard islamique ou l’embrasement régulier de nos banlieues” Au fond, il n’est pas meilleure conclusion à cette polémique qu’un article paru il y a quelques jours dans le New York Times et qui aura peut être échappé à notre Morrison. C’est une critique d’un des meilleurs romans d’Ismaïl Kadaré Le général de l’armée morte. Il vient de paraître aux Etats-Unis, traduit en anglais à partir de la traduction française que l’excellent Jusuf Vrioni fit de l’original albanais… Et dans le reste de la presse, il aura pu lire ce matin un entretien d’Horace Engdhal, le secrétaire perpétuel de l’Académie suédoise, accordé à l’Associated press dans lequel celui-ci explique pourquoi un écrivain américain n’est pas près d’avoir le prix Nobel de littérature :«Les Etats-Unis sont trop isolés, ils ne traduisent pas assez et ils ne participent pas au dialogue des littératures. Cette ignorance les restreint (…) Il y a des auteurs forts dans toutes les grandes cultures mais vous ne pouvez pas écarter le fait que l’Europe est encore au centre du monde littéraire… pas les Etats-Unis (…) Les auteurs américains contemporains ne s’écartent pas suffisamment de la culture de masse qui prévaut sur leur continent” etc Il paraît que cela n’a pas plu du tout là-bas. Engdhal s’est donc empressé non de rectifier mais de rappeler diplomatiquement que la course au grand prix ne se faisait pas entre des nations mais entre des écrivains. A quelques semaines du vote des membres du comité Nobel, les bookmakers en sont tout agités. Chez Ladbrokes à Londres, l’italien Claudio Magris est actuellement à 3 contre 1, le syrien Adonis à 4 contre 1 ; les Américains les mieux placés sont Joyce Carol Oates et Philip Roth (7 contre 1) Don DeLillo (10 contre 1) et même Thomas Pynchon (20 contre 1) ! (”Exposition Daniel Aron à Tanger” photo passou; “Centre André Malraux à Sarajevo” photo Gérard Rondeau ; “Fable de La Fontaine par Bob Wilson à la Comédie-Française” photo Martine Franck ; “Adieu au mime Marceau”, dessin de Kichka)
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