Sabato Posté 25 janvier 2005 Signaler Posté 25 janvier 2005 D'abord pardonnez si je débarque ; j'ai eu tendance à "voir ce que je voulais" dans le libertarianisme (ici le "jusnaturalisme"). Mon cas n'est peut-être pas unique. En entendant causer droit naturel, je pense : droit de l'homme en tant qu'homme ; droit que je possède nécessairement de par ma seule nature d'être humain ; droit que certaines de mes caractéristiques humaines me confèrent. Et à mon avis, c'est un peu ce que nous entendons tous par l'expression. Naturel est employé dans le sens de "réel" ou juste (et pas… naturel) par opposition à positif/institutionnel, "créé" ou "en vigueur", et par référence à une "nature" humaine, ou des caractéristiques moralement significatives qui fondent ces droits, et pas des tendances comportementales ou des états de choses qui en quelque sorte s'auto-justifieraient. Or cette interprétation est discutable. Dans la version rothbardienne ou même classique du 'droit naturel', les impératifs moraux ne sont pas tant expliqués par ces qualités intrinsèques que tirés de l'examen d'une très littérale "loi naturelle" de l'existence humaine. … dans le cas de l’homme, l’éthique de la loi naturelle affirme que ce qui est bon ou mauvais peut être défini comme ce qui favorise ou au contraire empêche la réalisation de ce qui est le plus approprié à la nature humaine…Après avoir montré que les principes normatifs, pour l’homme comme pour toute autre entité, sont établis par une recherche de ses tendances effectives et observables Wild pose la question essentielle de toute éthique non théologique… S'il est donc possible à la raison de découvrir la loi naturelle à partir “des tendances profondes de la nature humaine [qui sont] absolues, immuables et universellement valides en tous temps et en tous lieux”, il s’ensuit que la loi naturelle fournit un ensemble objectif de normes éthiques pour évaluer les actions humaines à tout moment et en toutes circonstances Etc. Dans cette optique Rothbard s'appuie, très logiquement, et une fois n'est pas coutume, sur les sciences physiques et… naturelles ; invoque les "méthodes scientifiques de la recherche en biologie et en psychologie" en citant un certain Leonard Carmichael, etc. (Décidément, toutes mes excuses à Sylvain.) On peut encore lire (ugh, lourde influence randienne) : Les deux hommes ont agi sur la base d’un postulat si fortement évident qu’il pouvait aller sans dire, à savoir que le poison est mauvais, mauvais pour la santé et même pour la survie de l’organisme humain — bref, mauvais pour laconservation et la qualité de la vie de l’homme. Dans leur accord implicite sur la valeur de la vie et de la santé pour toute personne, sur les maux que représentent la souffrance et la mort, [Robinson et Vendredi] viennent de découvrir les fondements d’une éthique, qui est ancrée dans la réalité et dans les lois naturelles qui gouvernent l’organisme humain. Est-ce que la "loi naturelle" n'est qu'une méthode de découverte des droits objectifs ? Identifiant le juste au naturel, sa neutralité ne paraît pas évidente. Rothbard nous informe qu'il passera sous silence non pas les raisons expliquant la valeur morale de l'homme, mais la justification de la loi naturelle : "nous ne chercherons pas à établir ni à développer l’éthique ou l’ontologie de la loi naturelle, qui fonde la norme politique présentée dans ce livre." La "loi naturelle" n'est pas qu'un outil, qu'une technique. On ne saute pas sans transition d'une démonstration (la valeur morale de l'homme) à l'autre (les impératifs moraux) ; elles ne sont pas tout à fait sans rapport, j'ose avancer. Conscience/libre arbitre->liberté : ok ; conscience/libre arbitre->nature : ??? Notez à nouveau le renversement des sens et de la démonstration par rapport à la première interprétation ; ce n'est plus la nature qui justifie, mais elle qui doit être justifiée. Dans ces conditions, je ne comprends pas du tout l'insistance sur le terme, "naturel." Big deal. Encore moins la référence constante et appuyée à la "raison." Je me demande bien quel rôle capital la malheureuse joue dans cette maigre "réflexion." Le droit naturel n'est pas *rationnel*, il est accessible à la faculté "raison." Way to go. La terminologie employée (tendances profondes etc.), le recours aux sciences physiques/nat, à la "psychologie", laisseraient même penser à un abandon des explications rationnelles de l'action humaine, ou à une minimisation du rôle de la raison en général. En tout cas celle-ci est réduite à la raison instrumentale (non ?), alors qu'on attendrait d'un réalisme moral qu'il mette l'accent sur la "raison axiologique", le sens moral etc. La "loi naturelle", c'est n'importe quoi. Mais si. Il faut faire un tri. Moral. D'où le besoin d'une réflexion, authentiquement morale. Vendredi peut être beaucoup plus balaise que Robinson : est-ce que Robinson doit s'habituer aux rapports sociaux de domination par la force ? Pourquoi pas ? On a ici une démonstration qui précède la propriété ou toute autre considération sociale--puisqu'elle cherche à établir ces normes sociales… Robinson se possède à l'état de nature non social (????), Vendredi arrive, Robinson, en société, ne se possède plus, ou plutôt, doit obéir à Vendredi. Où est le problème ? On trouve encore plus naturel que ça ? Les relations par rapport à son propre corps d'un Robinson isolé ne charrient à mon sens aucune information politique. Ce ne serait pas "rationnel" de la part de Vendredi ? En fait Rothbard a recours d'autres principes, comme le principe d'universalité, raisonnement moral classique. Pourtant nous voulons dire que les hommes sont "naturellement" égaux en droits ; qu'ils "naissent libres et égaux en droits." Je conclus que le droit naturel ainsi envisagé n'est ni moral ni utile, et très éloigné de ce qu'il… devrait être. Pour moi le "naturel" est ce qui fonde, pas ce qui est, ni ce qui est "bon pour moi" (autoritarisme).
Sabato Posté 27 janvier 2005 Auteur Signaler Posté 27 janvier 2005 En effet, même si chacune des sciences et disciplines de l’action humaine a son autonomie et son authenticité propres, j'ai toujours été persuadé qu'en dernière analyse, elles sont toutes liées entre elles et qu'il est possible de les intégrer en une “science” - ou discipline- de la liberté. Le projet d'une "science de la liberté" axée autour du concept de loi naturelle n'est pas nouveau et nous renvoie aux tout débuts des sciences sociales et de la science économique (ce dont Rothbard doit être conscient). Il est facile de voir le lien entre "la loi naturelle" et les (des) lois positives et économiques : "le droit naturel normatif suppose un droit naturel explicatif" (Schumpeter, Histoire de l'analyse économique). La "loi naturelle" n'est ni plus ni moins que le processus ou le résultat déterminés par la nature des choses ; l'interaction ou le produit de l'interaction non entravée des différentes natures des différentes choses. Ensuite "juste" prend le sens d'"ajusté." Dans le cas de l'homme nous trouvons la satisfaction des besoins naturels et des désirs matériels, la production et la consommation. Robinson Crusoe et la loi naturelle sont au centre de l'Ethique de la liberté comme de Man, economy and State. Je suis tenté de penser qu'avant d'être un autrichien, Rothbard est un physiocrate et un anarchiste. (Son économie du bien être, littéralement "puisque chacun fait ce qu'il veut sur le marché libre, l'utilité sociale y est maximisée", est parfaitement physiocratique (pareille à celle de Quesnay) ; les physiocrates, éthymologiquement : partisans du gouvernement par la nature, étaient des avocats des "lois naturelles" en économie comme en éthique et pas des simples champions de la paysanerie ; de façon intéressante ils formaient un petit groupe soudé autour d'un théoricien principal véritable "gourou.") Au delà de l'approche finalement étrange et dépassée je trouve des sciences sociales comme de la morale ou du droit (juridique), on obtient une éthique à caractère fortement économiste et une théorie économique étrangement si indirectement politisée, où par exemple des notions aussi chargées moralement que "violence" se voient attibuer le rôle de concept-clé (l'intervention étatique, les interférences avec le marché libre sont "violentes").
Ronnie Hayek Posté 27 janvier 2005 Signaler Posté 27 janvier 2005 Il me semble que tu te laisses induire en erreur par la traduction approximative de Guillaumat. Car il traduit Natural Law aussi bien par "Droit naturel" que par "Loi naturelle".
Constantin_H Posté 27 janvier 2005 Signaler Posté 27 janvier 2005 Il me semble que tu te laisses induire en erreur par la traduction approximative de Guillaumat. Car il traduit Natural Law aussi bien par "Droit naturel" que par "Loi naturelle". <{POST_SNAPBACK}> Sacré Guillaumat !
Sabato Posté 28 janvier 2005 Auteur Signaler Posté 28 janvier 2005 Il me semble que tu te laisses induire en erreur par la traduction approximative de Guillaumat. Quelle erreur ?
Ronnie Hayek Posté 28 janvier 2005 Signaler Posté 28 janvier 2005 Quelle erreur ? <{POST_SNAPBACK}> FG fait comme si Droit naturel et loi naturelle étaient la même chose.
Sabato Posté 28 janvier 2005 Auteur Signaler Posté 28 janvier 2005 Oui (je crois qu'il n'est pas le seul dans son cas,de traducteur, et que la traduction n'est pas mauvaise ; on parle de droit naturel dans le cas des scolastiques etc.), et quelle est la différence ? A part celle que j'ai identifiée (mais alors il est question de droits de l'homme).
Sabato Posté 9 février 2005 Auteur Signaler Posté 9 février 2005 Bump. Je n'aime pas ergoter sur les exemples mais dans un autre fil on m'a opposé un ad hitlerum, contre la notion d'intérêt général. Je ne suis pas expert en nazisme mais je crois savoir que les Allemands, euh, Hitler, croyait moins au bonheur du peuple qu'à la supériorité d'une race naturellement vouée à dominer toutes les autres. On peut trouver des liens entre "loi naturelle" et darwinisme social, loi-de-la-jungle, homophobie, domination de l'homme sur la femme… Aristote déjà, grand théoricien de la loi naturelle, défendait on le sait l'esclavage (il serait peut-être temps, et là je m'adresse aux conservateurs, de cesser de citer son fameux "Il n'est pas de pire injustice…"). Loi naturelle ou intérêt général, toutes ces théories sont marquées par un déficit de réflexion morale que l'on retrouve dans la pure et simple loi-de-la-nature. Ces idées ont été supplantées par les droits de l'homme et je crois qu'il faut s'en féliciter. Libertariens, adhérez-vous à la "loi naturelle" ?
Dilbert Posté 9 février 2005 Signaler Posté 9 février 2005 Libertariens, adhérez-vous à la "loi naturelle" ? <{POST_SNAPBACK}> Connais pas. Mais j'aime bien les yaourts nature.
melodius Posté 10 février 2005 Signaler Posté 10 février 2005 Mais Bon Dieu, les DH, les vrais, c'est le DN ! Si tu faisais un effort de rigueur terminologique, on serait d'accord à 90%, j'en suis convaincu.
Sabato Posté 10 février 2005 Auteur Signaler Posté 10 février 2005 Mais Bon Dieu, les DH, les vrais, c'est le DN ! Qu'est-ce qui te fait dire ça ?
melodius Posté 10 février 2005 Signaler Posté 10 février 2005 A ton avis, quelle est la légitimation des DH ?
Ronnie Hayek Posté 10 février 2005 Signaler Posté 10 février 2005 L'homme.Tu as lu mon post ? <{POST_SNAPBACK}> Tu avais écrit ceci: En entendant causer droit naturel, je pense : droit de l'homme en tant qu'homme ; droit que je possède nécessairement de par ma seule nature d'être humain ; droit que certaines de mes caractéristiques humaines me confèrent. Cela tombe bien : c'est très jusnaturaliste comme réflexion. Donc, à mon avis, tu as créé un objet adverse baptisé "loi naturelle" que tu essaies de nous faire endosser à tort.
Sabato Posté 10 février 2005 Auteur Signaler Posté 10 février 2005 Au minimum il y a jusnaturalisme, et jusnaturalisme ; la variante que je décris existe (ou a existé ; c'est certainement la "version originale"), et il semble qu'il s'agisse bien du modèle adopté par Rothbard, voir mon post (please !), voir la première partie de l'EL. J'attends qu'on me détrompe. Maintenant je pense que les libertariens en général n'adhérent pas du tout à cette idée, aussi je propose d'abandonner l'expression pour éviter la confusion, et d'y regarder à deux fois avant d'invoquer Rothbard sur ce point.
Jerome Morrow Posté 10 février 2005 Signaler Posté 10 février 2005 Au minimum il y a jusnaturalisme, et jusnaturalisme ; la variante que je décris existe (ou a existé ; c'est certainement la "version originale"), et il semble qu'il s'agisse bien du modèle adopté par Rothbard, voir mon post (please !), voir la première partie de l'EL. J'attends qu'on me détrompe.Maintenant je pense que les libertariens en général n'adhérent pas du tout à cette idée, aussi je propose d'abandonner l'expression pour éviter la confusion, et d'y regarder à deux fois avant d'invoquer Rothbard sur ce point. Sabato, est-ce que tu connais Lysander Spooner ? http://www.lysanderspooner.org/NaturalLaw.htm
Sabato Posté 10 février 2005 Auteur Signaler Posté 10 février 2005 J'ai lu The Constitution of no authority ou "Outrage à chefs d'Etat" en français (whatever) ; on trouve une traduction de ton txt à la fin de l'édition des Belles Lettres. Il écrit "si la justice n'est pas un principe naturel, elle n'est pas un principe", prenant manifestement naturel dans le sens de "vrai" ou objectif, ayant une existence objective. Ce n'est donc pas tout à fait le jusnaturalisme de Rothbard, imho, et autant appeler cela du réalisme moral, sans rapport avec l'erreur naturaliste. Qu'est-ce que tu voulais dire ?
Jerome Morrow Posté 10 février 2005 Signaler Posté 10 février 2005 J'ai lu The Constitution of no authority ou "Outrage à chefs d'Etat" en français (whatever) ; on trouve une traduction de ton txt à la fin de l'édition des Belles Lettres. Il écrit "si la justice n'est pas un principe naturel, elle n'est pas un principe", prenant manifestement naturel dans le sens de "vrai" ou objectif, ayant une existence objective. Ce n'est donc pas tout à fait le jusnaturalisme de Rothbard, imho, et autant appeler cela du réalisme moral, sans rapport avec l'erreur naturaliste. Qu'est-ce que tu voulais dire ?Je n'ai jamais lu Rothbard, par conte j'ai lu Spooner, Spencer, Bastiat… J'ai l'impression que le Droit naturel est une réalité dont chaque auteur a plus ou moins voulu en attribuer l'orgine à ce qui lui semblait le plus fondamental, Dieu, la Nature, la Raison, l'Evolution …En fait peu importe son origine, le Droit naturel correspond à une vérité. Peu importe à quoi/qui tu attribue l'orgine de l'existence de cette vérité.
Sabato Posté 11 février 2005 Auteur Signaler Posté 11 février 2005 Mais on ne va pas ranger dans le "jusnaturalisme" tous les réalistes en moral ; Kant n'est pas jusnaturaliste, Rawls non plus, etc. Ensuite l'argument "puisque c'est naturel, c'est bien" est un des plus inepte que je connaisse. C'est ce genre d'idée qui poussent certains à chercher une preuve du libertarianisme dans la sociobiologie. J'avais eu une sorte de débat avec Sylvain sur le sujet ; Sylvain est certainement un très bon Rothbardien. Mais je trouve ces théories tout à fait anti-morale.
Ronnie Hayek Posté 11 février 2005 Signaler Posté 11 février 2005 Ensuite l'argument "puisque c'est naturel, c'est bien" est un des plus inepte que je connaisse. <{POST_SNAPBACK}> Certes, mais personne ici ne l'a jamais employé.
melodius Posté 11 février 2005 Signaler Posté 11 février 2005 Mais on ne va pas ranger dans le "jusnaturalisme" tous les réalistes en moral ; Kant n'est pas jusnaturaliste, Rawls non plus, etc.Ensuite l'argument "puisque c'est naturel, c'est bien" est un des plus inepte que je connaisse. C'est ce genre d'idée qui poussent certains à chercher une preuve du libertarianisme dans la sociobiologie. J'avais eu une sorte de débat avec Sylvain sur le sujet ; Sylvain est certainement un très bon Rothbardien. Mais je trouve ces théories tout à fait anti-morale. <{POST_SNAPBACK}> Kant n'est pas jusnaturaliste ? Première nouvelle. Généralement on le voit plutôt comme un des grands théoriciens du droit naturel, enfin je dis ça, je dis rien. Je te laisse Rawls, qui ne m'intéresse pas. Sinon, ta digression sur la sociobiologie démontre que tu n'as RIEN compris à ce qu'est le droit naturel. Et merci de ne pas imputer à Sylvain des idées qu'il n'a jamais défendues, bien au contraire. Je t'aime bien et je te respecte, mais ce genre de conneries, ça me fout hors de moi.
Xav Posté 11 février 2005 Signaler Posté 11 février 2005 Kant n'est pas jusnaturaliste ? Première nouvelle.Sinon, ta digression sur la sociobiologie démontre que tu n'as RIEN compris à ce qu'est le droit naturel. Et merci de ne pas imputer à Sylvain des idées qu'il n'a jamais défendues, bien au contraire. Je t'aime bien et je te respecte, mais ce genre de conneries, ça me fout hors de moi. <{POST_SNAPBACK}> Qu'entends tu par jusnaturaliste quand tu l'appliques à Kant? EDIT: je viens de remarquer que ma question est un peu con rédigée ainsi. En fait, pourrais tu expliquer ce qui te fait penser que Kant est à mettre dans la catégorie des jusnaturalistes? Est-il à relier au jusnaturalisme et doit-il être intégré totalement dans le jusnaturalisme? Cette question m'intéresse et je pense le débat sur cette question n'est pas clos selon. Cela explique peut-être l'affirmation catégorique de Sabato.
melodius Posté 11 février 2005 Signaler Posté 11 février 2005 http://www.ac-reunion.fr/pedagogie/philo/PhiJurPolKant.htm
Sabato Posté 11 février 2005 Auteur Signaler Posté 11 février 2005 Sinon, ta digression sur la sociobiologie démontre que tu n'as RIEN compris à ce qu'est le droit naturel. Qu'est-ce qui te fait dire ça ? Est-ce que je me trompe sur Rothbard ? Et sur Sylvain ? Pourquoi ?
Xav Posté 11 février 2005 Signaler Posté 11 février 2005 http://www.ac-reunion.fr/pedagogie/philo/PhiJurPolKant.htm <{POST_SNAPBACK}> Le texte est assez long mais intéressant. Mais je note une chose: il confond état de nature et droit privé. "le passage du droit privé au droit public, de l’état de nature à l’état civique ou état juridique est selon Kant un réquisit du droit privé en son essence même" Kant ne parle pas de que de droit privé et de droit naturel. Il distingue: - le natürliche Recht, droit de l'homme naturel que l'on peut comprendre comme droit privé sans droit positif - le Naturrecht, droit naturel, qui constitue le Sollen et la faculté de juger le droit positif - l'öffentliche Recht qui est le droit positif, celui de l'Etat Or penser que natürliche Recht et Naturrecht se traduisent par droit naturel entraîne une fausse compréhension de Kant qui entre dans la logique de Sabato: le droit naturel n'a de réalité qu'à travers le droit positif et donc l'Etat. Pris dans ce sens, Kant n'est pas jusnaturaliste et ce serait le mettre dans la catégorie du positivisme juridique. Le passage du droit de l'homme naturel (droit privé) au droit positif n'est pas un réquisit du droit privé en son essence tant que la faculté de juger le droit, tiré du droit naturel, existe. Kant est ainsi un jusnaturaliste à l'envers. Il ne rompt pas avec le jusnaturalisme mais considère que le droit naturel (Naturrecht) ne précède pas l'Etat. Le droit naturel est une fiction méthodologique et un idéal. Le texte que tu proposes s'appuie sur les traductions de Kant faites par Philonenko. Or, il a justement traduit Naturrecht et natürliche Recht par droit naturel. Cela a amené les juristes à considérer Kant comme un positiviste. Cela peut peut-être donner une explication aux affirmations de Sabato.
Sabato Posté 11 février 2005 Auteur Signaler Posté 11 février 2005 Je dirais plutôt que tout simplement Kant est un "idéaliste", et que ses lois morales sont des lois "idéales" et a priori, lois de la raison. Le classer avec Aristote ou St. Thomas, grandes influences de Rothbard, n'est pas si évident. On le considère souvent comme un contractualiste. Anyway, je ne crois pas correct ni désirable de confondre "jusnaturalisme" et "réalisme moral", si à l'origine les réalistes étaient des naturalistes. Et j'ai l'impression que Rothbard est un naturaliste, comme Aristote, et… et je ne sais pas quoi faire de St. Thomas en fait.
melodius Posté 11 février 2005 Signaler Posté 11 février 2005 Je dirais plutôt que tout simplement Kant est un "idéaliste", et que ses lois morales sont des lois "idéales" et a priori, lois de la raison. Le classer avec Aristote ou St. Thomas, grandes influences de Rothbard, n'est pas si évident. On le considère souvent comme un contractualiste.Anyway, je ne crois pas correct ni désirable de confondre "jusnaturalisme" et "réalisme moral", si à l'origine les réalistes étaient des naturalistes. Et j'ai l'impression que Rothbard est un naturaliste, comme Aristote, et… et je ne sais pas quoi faire de St. Thomas en fait. <{POST_SNAPBACK}> Et les "lois de la raison" on appelle cela comment en Français mon bon Monsieur ?
Sabato Posté 11 février 2005 Auteur Signaler Posté 11 février 2005 Lois de la raison. Tu sais qu'elles ne sont pas les mêmes pour Kant et Aristote, Mises ou Hoppe. Ce qui suit est franchement aristotélicien : La loi naturelle, par conséquent, met à jour ce qui est le meilleur pour l’homme — quelles sont les fins les plus conformes à sa nature et qu’il doit rechercher, parce qu’elles sont les plus propres à promouvoir son achèvement.
Sabato Posté 16 février 2005 Auteur Signaler Posté 16 février 2005 Pareto a bien montré, par exemple, que les théories du droit naturel étaient le plus souvent composées de propositions en elles-mêmes acceptables, ou du moins défendables, et de surcroît, correctement enchaînées entre elles. Mais elles en tirent une force de conviction qu'elles ne méritent pas du fait que celui qui les énonce comme celui qui les reçoit tendent à admettre sans discussion que le sens des mots reste constant à l'intérieur du raisonnement. Leurs arguments peuvent alors passer pour démonstratifs, alors qu'ils ne le sont pas. On a là un exemple classique d'application de l'effet Simmel : le sujet connaissant croit faire un raisonnement et, en réalité, en fait un autre, car ses conclusions s'appuient sur des propositions implicites qui ne sont présentes qu'à l'horizon de sa conscience. Quelqu'un a plus d'informations ? Jeu de mot sur le terme "loi" ? Référence citée : Traité de sociologie générale.
Sabato Posté 17 février 2005 Auteur Signaler Posté 17 février 2005 Woualala, attention, il mord. Très complet et très intéressant. Cela me conforte dans mon opinion que le "droit naturel", la loi naturelle ou whatever, est de la mauvaise rhétorique, même si historiquement le réalisme moral lui doit beaucoup. Je ne crois définitivement pas que Rothbard, qui se situe dans cette tradition, soit épargné, cf. 1er partie de l'Ethique de la liberté et mes posts ; pour l'opinion contraire, les invectives de melodius. http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiqu…n_fichiers.html Fichier 2, p. 21> (dans le pdf en tout cas) § 411. Ce qui a partout la même force, on ne sait comment le distinguer de ce qui n'a pas cette force. Aristote croit 'expliquer en citant l'exemple de la loi qui prescrit de sacrifier une chèvre à Zeus, et non une brebis. En effet, à première vue, il semble que le caractère arbitraire soit ici patent ; mais une légère modification suffit pour présenter la même prescription avec le caractère de pseudo-universalité, requis pour le droit naturel. Il suffit de dire : « En chaque contrée, on doit suivre les usages du pays. En ce pays, on a l'habitude de sacrifier une chèvre et non une brebis ; donc on doit sacrifier la chèvre ».§ 412. Il est remarquable que dans un seul et même traité, Cicéron louvoie entre les diverses démonstrations, montrant ainsi que ce ne sont pas les conclusions qui résultent de la démonstration, mais bien qu'on choisit cette dernière de façon à obtenir les premières. Dans le traité des Lois, Cicéron dit : « (I, 6, 20) Je rechercherai l'origine du droit dans la Nature, qui doit nous guider dans toute cette discussion ». Ici, la Nature est invoquée directement ; mais un peu plus haut, elle apparaissait indirectement, et la première place était donnée à la « Raison suprême ». L'auteur dit : « (I, 6, 18) La loi est la Raison suprême, inculquée à notre nature, qui ordonne ce qu'on doit faire, défend le contraire. Quand cette raison est définie et imprimée dans l'esprit de l'homme, c'est la loi… ». (6, 19) Si c'est bien juste, comme il me paraît, c'est de la loi qu'est issu le droit : elle est la force de la nature, l'esprit et la raison du sage ; elle est la règle du juste et de l'injuste ». § 417. Depuis Cicéron, on n'a fait que peu ou point de progrès, et les auteurs qui traitent du droit naturel continuent à combiner les mêmes concepts, de toutes les manières possibles. On n'a fait que substituer le Dieu des chrétiens aux dieux des païens. On ajoute un vernis scientifique, et l'on demande à une pseudo-observation de nous faire connaître la volonté de dame Nature. § 418. Les jurisconsultes romains ont souvent placé leurs théories sous la protection d'un certain droit naturel (ius naturae, naturale) commun à tous les hommes et même aux animaux. On a voulu les justifier en observant qu'il existe certains caractères communs aux hommes et aux animaux. Mais ce n'est pas du tout de ces caractères qu'il s'agit. Ils ne jouent en aucune façon le rôle d'un principe de droit, tel que les partisans du droit naturel l'ont en vue : Semblablement, du fait que certains caractères bons ou mauvais du père influent sur la nature de sa descendance, ou a voulu déduire qu'il était juste que les fils fussent punis pour les fautes du père (§1965 et sv.). On confond ainsi un état de fait avec un état de « droit » : ce qui arrive avec ce que l'on prescrit devoir arriver. Autre chose est dire : « D'un père syphilitique naît une progéniture qui a certaines maladies », autre chose : « On doit punir le père syphilitique dans le fils, en donnant artificiellement à celui-ci des maladies qu'il n'a pas ». De même, on a donné le nom de solidarité à la dépendance mutuelle des hommes et des animaux ou des hommes entre eux ; puis, de ce fait, on a voulu déduire une chose entièrement différente, soit un certain droit de solidarité (§449, 450). § 422. Le droit des gens (ius gentium) nous est donné comme imposé par la raison naturelle (naturalis ratio). C'est là une belle entité, à laquelle on peut recourir dans les cas difficiles, et qui sert à démontrer beaucoup de belles choses ! Elle s’appelle aussi la droite raison [mots en Grec], la vraie raison, la juste, l'honnête raison, etc. On ne réussit pas à expliquer comment on peut distinguer la raison qui mérite ces excellentes épithètes, de celle qui en doit être dépourvue ; mais, en somme, la première est toujours celle qui plaît le mieux à l'auteur qui lui donne l'épithète favorable. § 428. Pour Pufendorf 1, « (I, 2, 16) la loi naturelle est celle qui convient si nvariablement à la nature raisonnable et sociable de l'homme, que sans l'observation de ses normes, il ne pourrait y avoir de société honnête et pacifique dans le genre humain ». Il semblerait qu'il recoure uniquement à l'expérience, et si l'on continuait sur cette voie, la loi naturelle serait simplement celle qui règle les sociétés, de manière à ce qu'elles puissent subsister. Malheureusement, l'expérience nous enseigne que nombreuses sont les sociétés qui subsistent, chacune avec une loi différente ; de sorte que nous ne pouvons savoir laquelle est naturelle, excepté si nous cherchons ce qu'elles ont de commun ; ce qui nous transporte dans un autre domaine [voir : (§ 428 note 2)]. § 429. Mais l'auteur ne l'entend certainement pas ainsi. Il chasse sans plus tarder l'expérience, en disant que cette loi peut être découverte avec le seul secours de la raison naturelle, et une simple contemplation de la nature humaine, considérée en général. Et sachez par conséquent que « (I, 3, 1) pour découvrir entièrement et évidemment le caractère distinctif de la loi naturelle,… il suffit d'examiner avec soin la nature et les inclinations de l'homme en général ». Ainsi, nous voilà rejetés en pleine métaphysique, grâce à cette chère Nature ; ce qui nous fait aborder au rivage où habite la Loi fondamentale du droit naturel, qui consiste en ce que « (I, 3,9) chacun doit agir, autant qu'il le peut, pour conserver le bien de la société humaine en général ». Cela nous apprend peu de chose, car la discussion portera maintenant sur ce qu'est ce bien. L'un dira, par exemple : « Le bien d'une société est d'avoir une aristocratie ». Un autre de répliquer : « Le bien de la société, c'est la démocratie ». Comment ferons-nous pour trancher le différend au moyen des principes du droit naturel ? Pufendorf ajoute (I, 3, 11) que « la loi naturelle a Dieu pour auteur ». En vérité, il ne pourrait en être autrement. § 431…. Quant aux résultats auxquels conduit la considération attentive de la nature et de l'état de l'homme, ce sont simplement des choses que l'auteur trouve en accord avec ses sentiments. Il va sans dire que si quelqu'un n'arrive pas à de tels résultats, il doit s'accuser lui-même, et penser qu'il n'a pas su considérer avec une attention suffisante la nature et l'état des hommes. Mais si la personne en question persévérait dans son opinion, et affirmait qu'en considérant attentivement la nature de l'homme et son état, elle arrive à des conclusions différentes, quel sera le critère pour qui voudra savoir quelles conclusions il doit accepter ? (§16 et sv.) Dans la considération de la nature, on peut trouver tout ce qu'on veut. L'auteur des Problèmes qu'on attribue à Aristote, y trouve pourquoi l'homme est de tous les êtres vivants celui qui, proportionnellement à son corps, a les yeux les plus rapprochés l'un de l'autre ; il se demande [voir : (§ 431 note 1)] si : « c'est peut être parce qu'il est plus que les autres selon la nature? » L'« expérience » des croyants du droit naturel est semblable à l’« expérience du chrétien » moderne. Il n'y a, dans un cas comme dans l'autre, rien qui ressemble à l'expérience des sciences naturelles ; et ce terme expérience ne sert qu'à dissimuler le fait que celui qui l'emploie exprime simplement son opinion et celle de ceux qui pensent comme lui (§602). § 435. Notre auteur continue [voir : (§ 435 note 1)]: « Si donc ce que l'on donne pour une maxime de la Loi Naturelle, est effectivement fondé sur la nature des choses, on pourra le regarder à coup sûr comme un principe véritable, et par conséquent comme un principe de la droite Raison : car la nature des choses ne nous fait connaître que ce qui existe réelle- ment… ». S'il suivait la méthode expérimentale, il renverserait cette proposition en disant: « Ce qui existe réellement nous fait connaître la nature des choses ». Mais comme il suit la méthode métaphysique, il ne demande pas ce qui existe réellement, à l'observation des faits, mais bien « à des principes conformes à la nature des choses ». La Droite Raison demeure juge de cette conformité. Par conséquent, nous tournons en cercle : pour connaître la droite raison, on nous renvoie à la nature des choses ; et pour connaître la nature des choses, on nous renvoie à la droite raison. § 441. Vattel laisse de côté la droite raison ; mais nous n'y gagnons pas grand'chose, car un certain bonheur, encore plus inconnu, apparaît à son tour. L'auteur dit 1 : « (I, p. 39) Le droit naturel est la science des lois de la nature [il se confondrait donc avec la chimie, la physique, l'astronomie, la biologie, etc., qui sont certainement des lois de la nature ? Non, parce que l'auteur change brusquement de route], de ces lois que la nature impose aux hommes, ou auxquelles ils sont soumis par cela même qu'ils sont hommes ; science dont le premier principe (p. 40) est cette vérité de sentiment [que peut bien être cette entité ?], cet axiome incontestable [et si quelque hérétique le contestait ?] : La grande fin de tout être doué d'intelligence et de sentiment est le bonheur ». Mais quel bonheur ? Celui du « destructeur de villes » n'est certainement pas celui des citoyens tués. Celui du voleur n'est pas celui du volé. Il s'agit donc, ici d'un certain bonheur spécial, et l'on ne dit pas en quoi il se distingue de ce qui porte ordinairement ce nom. Ce bonheur spécial s'appelle souvent : vrai bonheur ; mais cet adjectif ne nous fait guère approcher de la réalité expérimentale. Le blâme et les injures contre ceux qui refusent de reconnaître ce bonheur ne servent à rien non plus. « (p. 40) Il n'est point d'homme, quelles que soient ses idées sur l'origine des choses, eût-il même le malheur d'être athée, qui ne doive se soumettre aux lois de la nature. Elles sont nécessaires au commun bonheur des hommes. Celui qui les rejetterait, qui les mépriserait hautement, se déclarerait par cela même l'ennemi du genre humain, et mériterait d'être traité comme tel » (§593). Mettre un homme en prison ou le brûler n'est malheureusement pas une démonstration logico-expérimentale. etc.
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